Loading...
1 - 1 - Entrée en gare
2 - 2 – « Attention à l’ouverture des portes »
3 - 3 - Monter dans le train
4 - 4 - « Attention à la fermeture des portes »
5 - 5 - Départ du train
6 - 6 - Les à-coups du démarrage
7 - 7 - Prendre de la vitesse
8 - 8 - Les remous de la rame
9 - 9 - Les remous de la rame 2
10 - 10 - Le bruit assourdissant du tunnel [partie 1]
11 - 11 - Le bruit assourdissant du tunnel [partie 2]
12 - 12 - Arrêt inopportun
13 - 13 - Bloqué sur la voie
14 - 14 - Wagon restaurant
15 - 15 - Remise en marche
16 - 16 - Station d’arrivée
Loading...
Loading...
Mark all as read
You have no notification
Original
Fanfiction
Trending tags

Log In

or
@
Pythonisse
Share the book

15 - Remise en marche

Deux jours plus tard, mes conversations avec Nightmare demeuraient au point mort. Remplacées par d’autres, que je partageais avec Mickaël, le goût amer de son silence stagnait quelque part entre mon cœur et ma gorge. Pour refuser de me contacter, il devait penser que notre dernière rencontre était une erreur. Je n’étais pas d’accord avec ça, alors, en ce mercredi matin pluvieux, rebondissant sur le strapontin de la rame qui me mènerait à mes archives préférées, j’ouvris l’application.

Réfléchissant à mon approche avec une intensité palpable, je tapai :

« Bonjour Nightmare. »

Je ne pouvais pas m’arrêter là. Mon message sonnait d’une façon étrange, ne reflétant que trop bien ma gêne. Je le supprimai donc à la hâte et fixai l’encadré vide où le curseur de saisie clignotait en m’exposant son agressivité raillarde. Il me narguait, attendant avec une impatience malsaine que je fasse une bêtise en ne pesant pas assez les mots que je lui enverrai.

Le train ralentit et j’abandonnai mon siège afin de prendre le chemin de l’entreprise. Dans l’ascenseur, il me sembla reconnaître l’ami de Logan, celui qui s’appelait Beryl et que je n’avais vu que de dos. Il discutait avec un homme qui devait avoir l’âge de mon boss, à un ou deux ans près, qui le regardait d’une étrange façon, mêlant complicité et fatigue. Je détournai mon attention d’eux et poussai mes neurones à se connecter. Que pouvais-je bien dire à Nightmare ? J’avais la désagréable sensation de me tenir à l’aube d’une rupture non désirée et mon ventre se tordit à cette idée. Pourtant, d’un autre côté, Mickaël et moi nous rapprochions de plus en plus.

Bientôt, je devrai faire un choix.

Tandis que je me dirigeai vers mon bureau, mon téléphone vibra. Je me jetai sur la notification pour découvrir que ce n’était qu’un SMS de Mme Clivera. Je l’ouvris et lus avec attention.

« Joyeux matin Monsieur de Bernet. J’arrive avec de bonnes nouvelles. J’ai enfin eu les aveux des élèves que je soupçonnais. Pourriez-vous venir ce soir avec Léonie ? Monsieur Sanchez et moi vous attendrons aux alentours de dix-huit heures. Je vous souhaite de passer une belle journée. Mme Clivera. »

Un petit sourire en coin s’esquissa sur mon visage. Avec ça, Léonie pourrait échapper au conseil de discipline, mieux même, les coupables, eux, y seraient conviés à coup sûr. Cette nouvelle effaça mon attitude morne et en entrant dans la pièce où Chris travaillait déjà d’arrache-pied, la bonne humeur fut de mise. Nous nous saluâmes et je repris mes tâches.

En milieu de matinée, mon téléphone de poste sonna, je décrochai et plaquai le combiné à mon oreille.

— Service des archives ?

— Bonjour Éliah.

Je reconnus son timbre sombre dans l’instant. Logan. J’inspirai une longue bouffée d’air avant d’oser parler.

— Bonjour. En quoi puis-je t’aider ? récitai-je d’une petite voix.

L’avoir au bout du fil restait gênant. Je disposais d’une gargantuesque liste de questions sans réponses à son égard et le tout me rendait extrêmement mal à l’aise.

— J’ai besoin d’un dossier aux archives, j’y suis depuis un peu plus d’une heure et pas moyen de mettre la main dessus. Viens m’aider.

Encore une fois, c’était un ordre.

— C’est que… J’ai des…

— Oui, tu as des choses à faire, je m’en doute, me coupa-t-il. Cependant, ce dossier est une nécessité. Si tu connais ces maudites étagères aussi bien que tu le prétends, ça ne durera qu’une minute. Prends-moi un café en descendant.

Sur ces paroles douces et agréables, il raccrocha sans me laisser le temps de débattre. De toute façon, certains mystères méritaient d’être résolus. Je gonflai une nouvelle fois mes poumons, emmagasinant du courage puis me levai, prévenant Chris de ma destination.

Après un arrêt à la machine à boissons chaudes qui vomit son mazoute noirâtre au fond d’un gobelet trop fin pour que je ne me brûle pas les doigts, je me rendis au sous-sol. En quittant la cage de fer, fixant la porte de cette pièce où je savais qu’il m’attendait, mon angoisse monta d’un cran. Il était plus qu’évident qu’il ne m’avait pas contacté pour ces dossiers. Il était au courant qu’un délai était en place et bien qu’il soit affublé de ce surnom monstrueux, tout le monde était au fait qu’au niveau du travail, il demeurait irréprochable.

Je laissai échapper un soupir, puis poussai le battant qui grinça, comme pour m’annoncer. Faisant quelques pas, je vis soudain un bras sortir de l’une des allées.

— Je suis là.

Je gémis, mais continuai ma route jusqu’à lui. Sans surprise, aucun carton n’était ôté des étagères, tandis que lui, accoté aux vieux rayonnages, tendait la main vers moi. Je lui donnai son café et furetai autour de nous.

— Pour les dossiers…

Il grogna.

— Arrête. Tu sais très bien qu’on est pas là pour ça.

Mon regard dévia sur le sol. Effectivement. Je savais. Il but quelques gorgées de son breuvage bouillant en grimaçant, puis me fit face.

— Tu es bien rentré samedi ?

Je fonçai les sourcils, perdu. Il s’inquiétait ?

— Oui…, murmurai-je, embarrassé de lui en parler.

— Et… est-ce que ça va ?

Mais… C’était qui ce gars ? Où était « le monstre » terrifiant auquel j’avais toujours eu à faire ? Décontenancé par son attitude, je reculai d’un pas.

— Ça va.

Il se délecta à nouveau de son café, évitant mon regard. De mon côté, je voulais lui demander ce dont il se souvenait concernant notre altercation. Mes émotions durant ce moment étaient plutôt claires, mais les paroles échangées avaient disparu de mon esprit alcoolisé. En temps normal, ce que j’avais pu lui partager ne m’aurait pas affecté, mais ce soir-là, j’étais saoul et ça changeait tout. Alors que le silence entre nous s’éternisait, mon cœur battait trop vite pour que je puisse rester calme.

Je me targuais d’être quelqu’un de bien. J’essayais toujours de faire mon maximum pour les autres, alors, je souhaitais être certains que mes mots n’avaient pas dépassé mes pensées. Me dandinant sur mes pieds, je finis par baragouiner quelques paroles.

— Logan… Est-ce que… enfin… J’espérais que tu pourrais me dire…

En relevant la tête, je remarquais son regard braqué sur moi et tout le courage que je tentais de contenir s’échappa lamentablement. Voyant ma fuite, il soupira.

— Qu’est-ce que tu veux savoir ?

Contorsionnant mes doigts entre eux, il me fallut quelques secondes pour oser parler.

— Je n’ai pas beaucoup de souvenirs de… enfin… il me semble que nous avons eu des mots samedi. Je…

— Tu désires savoir ce que tu m’as dit ? me demanda-t-il d’une voix trop sombre pour que continue de me penser innocent.

— S’il te plaît, acquiesçai-je en hochant la tête.

Un petit rire lui échappa.

— Alors, voyons voir… Tu m’as affirmé que j’étais cruel, que je m’amusais aux dépens de la peur des autres, que tu me détestais, que je te terrifiais, que tout le monde avait peur de moi, que j’étais méchant, agressif et quelqu’un de mauvais qui ne devait pas venir te faire la morale. Ensuite, tu m’as dit que tu ne me remercierais jamais, que tu espérais ne plus jamais me voir et que Mickaël ferait en sorte que je ne puisse plus m’approcher. Pour finir, tu as expliqué que lui était toujours là pour vous, qu’il était gentil, attentionné et prévenant, apparemment, tout le contraire de moi.

En l’écoutant déblatérer ces phrases qui étaient sorties de ma bouche, mon visage blêmit, perdant peu à peu le reste de vie qui y subsistait. Bien sûr, je pensais sincèrement la plupart de ce qu’il me rapportait, cependant, me hasarder à lui notifier tout ça en direct se révélait très gênant.

Durant de longues secondes, le carton des marchés de 2017 devint ma nouvelle passion. Je n’osais même plus le regarder. Soudain, je l’entendis pouffer. Surpris, je le scrutai tandis qu’il se marrait.

— Tu sais, autant, je suis au fait de ce que les gens pensent de moi, autant, c’est rare qu’on me le dise en face.

Le rire franc qui suivit sa phrase me déstabilisa complètement. Je ne le reconnaissais pas. Il se calma pourtant à la vitesse de la lumière, conservant un visage plus détendu qu’à l’accoutumée. Je devais m’excuser. Penser des choses à son sujet ne devait pas m’autoriser à tout lui balancer avec autant de violence. Mes mains devinrent moites d’angoisse ; vouloir se repentir, c’était facile, le mettre en pratique, beaucoup moins. Je me lançai néanmoins, avec tout le courage dont je disposais.

— Logan… Je… Je suis désolé. Je n’aurais pas dû te dire tout ça. C’était…

— C’était pas sympa, me coupa-t-il une nouvelle fois. Mais, je ne l’ai pas forcément été avec toi non plus. Pour ça, je suis désolé aussi. Je suis conscient que ce n’est pas facile de travailler avec moi, je suis assez exigeant et si tout ne va pas comme je l’envisage, j’ai tendance à grogner. J’essaie de faire des efforts, mais… C’est difficile de devoir supporter l’incompétence des autres.

— Tu veux dire, comme ceux qui ne savent pas entrer une adresse mail correcte puis qui viennent te hurler dessus ? me moquai-je.

Il s’esclaffa, frottant sa nuque.

— Ouais, comme ceux-là. De vrais animaux.

Nous nous sourîmes puis j’effectuai un pas en arrière.

— Bon… si tu n’as pas besoin de moi, je vais remonter.

Il me scruta tandis que je m’éloignai et finit par me héler.

— Je ne sais pas si tu t’en souviens, mais à la soirée, je t’avais dit que si tu souhaitais porter plainte, j’étais prêt à témoigner. Je le suis toujours.

Une moue gênée se promena sur mon visage.

— Je préfère laisser tout ça loin de moi. Il ne s’est rien passé, alors, ce n’est pas la peine d’en faire toute une histoire, minimisai-je tandis que mon ventre se tordait de douleur.

Il me rejoignit avec de grandes enjambées afin de se tenir entre la porte et moi.

— Il ne s’est pas « rien passé ». Même s’ils n’ont pas pu aller au bout de ce qu’ils voulaient de toi, ils ont essayé. C’est amplement suffisant pour te battre. Si tu n’en as pas envie, pas de problème, je respecte ça. Mais ne te dis pas que, parce qu’ils ne t’ont pas violé, tu n’as pas le droit de porter plainte. OK ? C’est grave ce qu’il s’est passé.

Mes mains furent prises de légers spasmes. Mon estomac me faisait un mal de chien et avant que je puisse m’en apercevoir, je prononçais une phrase tremblante d’honnêteté.

— Merci d’être venu m’aider. Si tu n’étais pas arrivé… Je ne sais pas ce qu’ils…

— Pas besoin de me remercier, grogna-t-il. C’est un comportement normal d’épauler quelqu’un dans des situations de ce genre, je n’attends rien de ta part.

Ce fut à mon tour de me frotter la nuque, au moins pour contrôler mes mains. Même si je parvenais habituellement à la cacher, une peur mutine me guidait depuis la fête. Dans la journée, occupé, ce n’était pas difficile de faire comme s’il ne s’était rien passé, mais à la nuit tombée, lorsque je me retrouvais seul dans mon lit, les réminiscences remontaient. Je devenais pétrifié, obligé de revivre encore et encore les flashs qu’il me restait de la soirée. Ce qui me terrifiait le plus, c’était que je ne me souvenais pas d’eux. Combien étaient-ils, à quoi ressemblaient-ils ? J’aurais été incapable de donner la moindre description.

— Hey, tu sais que tu peux m’en parler si tu veux, hein ?

La voix de Logan me ramena avec violence dans une réalité où mes joues étaient baignées de larmes. Je les essuyai à la hâte, honteux, me retournant afin de ne plus le voir et m’éloignant même un peu. Depuis combien de temps je pleurais exactement ? Et devant lui en plus ! Je me sentais humilié de me retrouver encore une fois dans cet état pitoyable alors qu’il était là.

— Tu peux aussi consulter un psy, me précisa-t-il avec un ton doux. Ce serait mieux, je pense.

— Nan, ça va. Je suis seulement un peu fatigué et à fleur de peau, minimisai-je de nouveau.

— Oui, c’est normal après ce que tu as vécu. Mais si tu restes comme ça, à tout garder pour toi, ça ne va faire qu’empirer. Crois-moi, le plus tôt tu en parleras, le mieux ce sera.

— J’ai pas besoin d’aller voir un psy. C’est juste que je mets du temps à passer à autre chose. D’habitude, je craque pas comme ça, me défendis-je.

— Éliah, je suis pas en train de te juger. T’as vraiment pas l’air en forme et je pense sincèrement que tu devrais en parler à un pro. Tu sais, parfois, juste bavarder un peu, ça fait du bien. Comme je te l’ai dit, on peut en papoter ensemble si tu veux, je peux être une oreille attentive, mais je ne suis pas un psy et même si je t’écoute avec attention, je ne serais pas apte à t’aider de manière convenable. Tu veux bien au moins essayer d’y réfléchir ?

Je haussai les épaules, trop déshonoré pour lui répondre ou le regarder. Je n’avais ni le temps ni l’envie d’aller voir un thérapeute. En plus ça ne ferait qu’inquiéter mes sœurs ; je ne pouvais me le permettre.

— Si tu le souhaites, je peux te donner le numéro d’une pro que je connais. Je peux te certifier que c’est quelqu’un de bien.

Je soupirai.

— Je sais pas. Donne-le-moi si tu veux, mais j’te promets pas d’y aller, ni même de l’appeler. Je vais remonter maintenant.

Mon ton s’était dévoilé plus sec que je l’avais envisagé, pourtant, Logan se décala, me donnant accès à la porte que j’empruntai sans attendre. Je retrouvais mon espace de travail calme en quelques minutes et m’acharnais à ne pas décrocher de mes tâches jusqu’à ce qu’il soit l’heure de partir. À la pause du midi, j’avais prévenu Léonie du rendez-vous et nous nous étions mis d’accord sur le fait que je devais aller la récupérer à la maison.

Dans le train, j’ouvris à nouveau l’application sans avoir le courage de contacter Nightmare. Finalement, peut-être que c’était mieux comme ça ? Notre relation ferroviaire n’aura pas duré longtemps, mais de mon point de vue, elle fut intense. À mon arrêt, je sortis et allais retrouver ma petite sœur qui m’attendait sagement près de la porte.

— On y va ? T’es prête ?

Elle hocha la tête, mais je vis parfaitement qu’elle ne le pensait pas. Pendant le trajet en bus, elle ne formula rien, répondant à peine à ce que je lui disais. Je n’aimais pas ça. Ce ne fut que lorsque nous atteignîmes enfin son lycée qu’elle agrippa la manche de mon pull.

— Éliah, je veux pas y aller, m’avoua-t-elle, les larmes aux yeux.

J’attrapai sa main.

— Je me doute que ça ne va pas être facile, mais pour ton avenir, il faut qu’on éclaircisse tout ça. Je te promets que ça va bien se passer. Tu me fais confiance ?

Elle hocha la tête, reniflant pour ravaler ses pleurs. Je jouais un coup de poker, là. En vérité, je ne pouvais pas être sûr que tout se déroulerait bien, mais je me devais d’y croire, au moins pour elle. Nous marchâmes d’un pas lent jusque devant le bureau du directeur.

Toujours un pas derrière moi, elle tenta d’y rester cachée, mais dut s’asseoir quand je le fis. Nous attendîmes de longues minutes jusqu’à ce qu’enfin, Madame Clivera nous rejoigne.

— Monsieur de Bernet ! m’interpella-t-elle.

Je me levai et la saluai d’une poignée de main.

— Bonjour Léonie !

L’intéressée hocha la tête sans répondre pour autant. La professeure nous invita à la suivre et nous entrâmes donc dans le bureau du directeur où quatre garçons patientaient déjà. Nous prîmes place sur les deux fauteuils disponibles et je relevai le menton. Avec ce Monsieur Sanchez, je devais jouer au coq.

— Bien, débuta ce dernier. Maintenant que nous sommes tous là, nous allons enfin pouvoir en finir avec ces enfantillages.

Madame Clivera fronça les sourcils en même temps que moi. Je jetai un coup d’œil aux adolescents, reclus dans un coin de la pièce, puis reportai mon attention sur le chef d’établissement lorsqu’il les pria de venir.

— Messieurs, nous vous écoutons.

Un silence gêné s’éleva dans la salle tandis que la prof soupirait en secret. L’un des garçons finit par grogner et lâcher un :

— Ouais, c’est bon. C’est nous qui lui avons dit de faire ça. On peut y aller ?

— Je ne crois pas Baptiste, s’exclama Madame Clivera d’un ton sec. Léonie a droit à des excuses et son frère, quant à lui, à des explications.

Le susnommé « Baptiste » leva les yeux au ciel.

— Je suis désolée, Léonie, mentit-il tellement mal que même moi, je m’en rendis compte.

Ce spectacle devenait humiliant pour ma petite sœur. Ce gars, là, s’amusait clairement à ses dépens et je ne le supportai pas.

— Est-ce que je peux savoir ce qu’il s’est passé ? demandai-je à Monsieur Sanchez sans même toiser les jeunes.

— Eh bien, il semblerait que Léonie soit un peu moins sage que vous le pensiez, Monsieur de Bernet. Votre sœur a envoyé des photos… disons… intimes à Baptiste. Ce dernier s’en est servi pour la faire chanter.

Mon sang bouillit dans mes veines. Je le fixai d’un regard noir, mais avant que je n’explose, ce fut Léonie qui se leva.

— C’est pas ce qu’il s’est passé ! hurla-t-elle. C’est pas vrai ! C’est eux !

— Vous voulez dire que ce sont eux qui vous ont prise en photo ? s’enquit le directeur.

— Non ! Mais c’est pas de ma faute ! Moi… J’avais confiance ! Et eux !

De lourdes larmes roulèrent sur ses joues. J’allais devenir fou à la voir terrorisée à ce point.

— Premièrement, je tiens à ce que ce soit clair ; même si Léonie a envoyé des clichés, ce sont eux qui sont en tort pour s’en être servis pour la faire chanter. Ce n’est en aucun cas sa faute, alors j’apprécierais que vous changiez de ton lorsque vous parlez de ma petite sœur. De plus, j’aimerais qu’on entende sa version à elle avant toute chose. Pardon, mais je n’ai aucune confiance en eux, clamai-je, encore sous le coup de la colère.

— Pas de problème, soupira le directeur.

Je me tournai vers Léonie, tentant de garder une expression calme et rassurante.

— Ne t’inquiète pas, tu peux nous expliquer, je suis là, il ne t’arrivera rien.

Elle pivota ses grands yeux bleus de biche apeurée vers moi et réprima une lamentation. Elle ouvrit la bouche pour parler, mais aucun mot n’en sorti. À la place, elle éclata en sanglots. Horrifié, je la pris dans mes bras, virant mon regard vers les quatre bougres qui n’en menaient pas large.

— Tu préfères qu’ils s’en aillent, le temps que tu expliques tout ? lui proposai-je.

Elle me répondit un petit « oui », à peine audible, et je transmis sa demande au directeur qui envoya les garçons attendre dehors. Il fallut quelques minutes à ma sœur pour qu’elle se calme, sa professeure lui tapotant le dos en signe de soutien. Quand elle en fut capable, elle nous raconta tout ; l’approche de ce Baptiste, ce beau et gentil garçon. Le bad boy qui s’intéressait à elle, leur lien qui grandit lentement, puis finalement le début d’une relation amoureuse. L’idylle fragile, l’envie de plus, la prise des photos et puis la découverte du vrai but de ce connard. Le chantage, sous menace de partager ses « portraits » à tout le lycée, la promesse de la faire passer pour la pire des salopes si elle n’obéissait pas. L’humiliation, les brimades, l’exclusion à cause des mensonges, le harcèlement. C’était un récit criant de banalité, ce que des filles et des garçons vivaient de plus en plus ces dernières années.

Durant de longues minutes, nous l’écoutâmes sagement sans oser piper mot. Même Monsieur Sanchez n’en menait pas large. À la fin de sa narration, un petit silence s’éleva dans la salle avant qu’il ne s’agite.

— Pourquoi vous n’en avez pas parlé tout de suite ?

— Comment voulez-vous qu’elle en parle ? explosai-je. Elle s’est retrouvée trahie par un individu pour qui elle avait des sentiments ! Le temps qu’elle s’en rende compte, c’était déjà trop tard ! Comment osez-vous lui poser la question ?

Mon animosité à son égard n’avait d’égal que son dégoût de moi. Il soupira, cherchant apparemment à récupérer son calme tandis que je me retenais d’aller lui mettre mon poing dans la figure. Ce fut Madame Clivera qui reprit le flambeau de la conversation.

— Je pense que le conseil de discipline de Léonie n’aura pas lieu, n’est-ce pas Monsieur Sanchez ?

— Cela va de soi, acquiesça ce dernier. Cependant, ces jeunes garçons en méritent un. Monsieur de Bernet, Léonie, vous pouvez partir. Vous pouvez revenir en cours dès demain et vos parents seront notifiés de l’annulation du comité.

— Serons-nous tenus au courant de ce qu’ils ont dit et de leur punition ? m’enquis-je.

— Si vous le désirez, c’est possible, me rassura le directeur.

Je me levai sans attendre, saisis la main de ma cadette et l’entraînai dehors, souhaitant une bonne fin de journée aux deux, restés dans la salle. En sortant de l’établissement, j’étais en colère. Certes, elle avait évité le conseil, mais comment avais-je pu passer à côté d’un problème si grave ? Je m’en voulais de l’avoir laissée toute seule à subir ce genre de chose. Et ce gars, j’avais une forte envie de l’émasculer.

Trottinant derrière moi, elle avait du mal à suivre ma cadence et dut me demander de ralentir. Je m’exécutai, m’excusant au passage. Durant le voyage, nous ne parlâmes pas beaucoup et en arrivant à la maison, elle partit rapidement se reposer dans sa chambre. Elle semblait tout de même heureuse de retourner au lycée, ce qui me fit plaisir.

De mon côté, après avoir cuisiné, nous nous mîmes à table. Les filles déblatérèrent durant l’heure qui constitua notre repas. Je croisais plusieurs fois le regard de Delphine planté dans le mien ; elle cherchait à me sonder, je ne lui avais toujours pas avoué les évènements de la soirée. Je réussis à esquiver les questions puis une fois la vaisselle faite, je passai sous la douche.

Cette journée avait été riche en rebondissements et je devais bien avouer que le Logan qui s’était dévoilé ce matin me perturbait un peu. Nous avions eu un échange, plutôt amical, mêlant même quelques blagues. C’était reposant de voir son côté humain et de ne pas être sur la défensive. Quant à Léonie, quand bien même il lui faudrait encore un peu de temps avant d’aller mieux, elle était sortie d’affaire, du moins, concernant le conseil de discipline. Je passai la voir, une serviette apposée sur mes cheveux encore humides. Elle me congédia gentiment et je respectais son choix. Elle me parlerait quand elle serait prête. En déambulant dans le long couloir, je réalisai que je devrais bientôt appeler mes parents pour leur dire… Je n’en avais aucune envie.

Me retournant dans mon lit, j’attrapai mon téléphone et ouvris de nouveau l’application. Sur la page de messages, mon cerveau carburait afin de dégoter le texto. Mais avant que je ne puisse écrire la moindre lettre, une ligne de texte s’afficha.

« Faisons une pause, petit Peach. »

Comment this paragraph

Comment

No comment yet