Me mettre au travail fut plus compliqué que je le pensais. Dès que je relâchai mon attention, ne serait-ce qu’une micro seconde, les images de la photo et de la vidéo me revenaient en mémoire. À chaque fois, mon visage chauffait et mon cerveau se calcinait de pensées impures, mais trop plaisantes pour être ignorées. Vraiment, je ne savais pas ce qui lui était passé par la tête. Et le pire, c’était peut-être, que ces « absences » devenaient de plus en plus fréquentes au fil des heures de la matinée qui défilaient. Au final, quand la pause de midi s’annonça, je n’avais pas avancé tant que ça.
Je fus surpris lorsque la porte s’ouvrit énergiquement sur un Mickaël souriant, qui vint directement vers moi.
— Alors, prêt pour aller déjeuner ?
Je ne pus que lui renvoyer un merveilleux sourire. Il était si beau aujourd’hui dans son costume noir !
— Oui ! répondis-je avec entrain.
Sans perdre une seconde, je sautai de mon fauteuil, attrapai mon pull ultra large et nous sortîmes du bureau. Ce ne fut qu’en sortant de l’immeuble de l’entreprise que je me souvins de l’appel que je devais passer à Madame Clivera. Je m’excusai platement auprès de mon boss qui ne parut pas froissé le moins du monde, puis composai le numéro de la prof qui répondit rapidement.
— Monsieur de Bernet ! Alors, avez-vous des choses intéressantes à me dire ?
Un fin sourire traversa mon visage, cette femme semblait vraiment se soucier de ma petite sœur.
— Oui, affirmai-je. Hier soir, j’ai parlé avec Léonie et j’ai réussi à avoir quelques informations. Comme je le pensais, elle est harcelée au lycée. Elle n’a pas voulu m’en dire beaucoup plus, mais je sais que des personnes l’intimident, la menacent. Je crois que ce sont eux qui lui ont demandé d’écrire ces horreurs.
Un léger blanc suivit mes révélations.
— Madame Clivera ? Vous êtes toujours là ?
— Je le suis, je le suis, répondit-elle précipitamment. Écoutez, je pense avoir une idée assez précise de qui pourrait être derrière tout ça. Au final, c’est si simple que c’en est risible. Laissez-moi quelques jours, je vous informerai de mes avancées. En attendant, prenez soin d’elle, laissez-la se reposer moralement. Il faut qu’elle utilise cette semaine pour rattraper son léger retard de ces dernières semaines. Je sais qu’elle voudrait intégrer des études afin de passer un master en génétique et biologie de la cellule. Il ne faut pas qu’elle relâche ses efforts, elle a le potentiel pour s’engager dans cette filière.
Je hochai la tête, en même temps que Mickaël me guidait dans les rues un peu plus bondées qu’à l’accoutumée.
— Je vais faire mon possible.
— Très bien. Dans ce cas, je vous souhaite une belle journée et vous dis à très bientôt.
Nous raccrochâmes. J’étais regonflé à bloc après ce coup de téléphone. Si elle avait une idée de qui étaient ces petits imbéciles, l’affaire serait vite réglée et ma petite sœur pourrait retourner sereinement en cours, sans passer par le conseil de discipline.
— Je vois beaucoup de détermination dans ton regard, ricana Mickaël.
Je lui expliquai la situation de Léonie et le vis froncer les sourcils plusieurs fois.
— Les années de lycées ne sont pas des plus faciles. Je me souviens que je n’étais pas franchement recommandable à l’époque.
Je haussai un sourcil ; pas recommandable, lui ? J’avais du mal à y croire.
— Tu étais un rebelle ? plaisantai-je.
Il grimaça.
— Pour dire la vérité, j’étais ce qu’on appelle communément un « petit con ». J’étais déjà grand et avec un esprit affûté. J’avais ma petite bande de suiveurs et nous avons très bien su comment devenir les caïds de l’établissement en à peine quelques semaines. Nous prenions plaisir à être les rois du lycée. Nous avions des passes-droits grâce à nos agissements plus que discutables, nous étions respectés et craints. En bref, nous étions les rois du monde.
J’étais étonné d’entendre ça, surtout venant de l’homme droit qu’il était aujourd’hui. Peut-être qu’on avait tous besoin de passer par là, par une phase, pour tester le côté « méchant » de notre cerveau. Peut-être que je le faisais moi-même en ce moment, en jouant avec le feu avec Nightmare, tout en attendant désespérément que mon boss me saute dessus ? Moi qui me targuais d’être un homme bien, à quel moment avais-je commencé à me comporter comme une coureuse de remparts, à manger à tous les râteliers ? Je me sentis mal. Est-ce que c’était ça l’image que j’avais de moi ? Un gars naïf qui se complaisait dans le fantasme d’un amour cliché et la luxure dans des lieux publics ? Est-ce que je devais stopper tout ça ? Demander à Nightmare de ne plus nous voir ? Mon cœur se serra à cette idée. Je n’avais aucune envie de mettre fin à nos entrevues. Pire que ça, je voulais le rencontrer, découvrir l’homme derrière ce qu’il voulait bien m’apprendre sur lui.
— Est-ce que je t’ai choqué ? me demanda mon boss.
Revenant dans une réalité presque palpable, je ris.
— Surpris serait plus juste. Je ne t’imagine pas en caïd. Plutôt en chevalier qui court au secours de la veuve et de l’orphelin.
— Un gars au cœur pur, rempli d’honneur ?
— Oui, ris-je en acquiesçant.
Il rit à son tour, sans pour autant démentir et je ne pus que sourire tandis que mes joues changeaient de couleur. Je le savais ; il était parfait. Alors que nous marchions tranquillement, je fus soudain bousculé. Je fis un pas de côté, poussant un peu Mickaël qui me retint, en même temps que je me retournai vers l’homme qui m’était rentré dedans. Au moment même où je vis le coupable, je blêmis. Pourquoi ? Comment le destin faisait-il pour toujours me mettre dans l’embarras ?
D’un mouvement rapide, Mickaël m’entoura de l’un de ses bras et se plaça légèrement devant moi, en signe de protection. Les deux se toisèrent avec une animosité que je ne leur connaissais pas. J’avais l’impression d’être bloqué entre un lion majestueux et un loup affamé.
— Logan, dit Mickaël, menaçant. Tu comptes t’excuser ?
— Pourquoi je devrais faire ça ? ricana le monstre. C’est lui qui m’est rentré dedans.
Lorsqu’il braqua ses yeux noirs sur moi, je détournai les miens. Cet homme était vraiment effrayant. Ce n’était pas de la prestance, comme Mikaël. C’était quelque chose de plus violent, de plus animal, de plus… dangereux. À ces côtés, une jolie demoiselle était pendue à son bras. Elle me fixa un long moment avec un sourire ténu avant de détourner le regard.
— C’est ridicule, comment veux-tu qu’il te bouscule ? Il est minuscule.
Logan siffla entre ses dents.
— Je sais pas, peut-être parce que vous roucoulez en plein milieu de la rue sans faire attention aux autres ?
La demoiselle rit tandis qu’une moue gênée s’installait confortablement sur mon visage.
— Tu me désespères. Ton comportement est de plus en plus problématique, grogna mon boss, ce qui fit rire Logan.
— C’est mon comportement qui pose problème Michel-ange ? Ça, c’est la meilleure.
Une expression emplie de haine passa furtivement sur les traits de Mickaël. Décidément, ces deux-là ne s’aimaient pas. Voulant mettre fin à cette rencontre plus que désagréable ; je tirai sur la veste de costume de mon boss qui, d’un geste brutal, me repoussa. Interloqué et un peu choqué d’une telle violence venant de sa part, je reculai d’un pas tandis qu’il avançait vers Logan. Ce dernier fit passer la jeune femme dans son dos, bombant le torse.
— Je te conseille de rester professionnel. Ce n’est pas parce que nous sommes en dehors du travail que tu peux te permettre d’être un connard, gonda mon boss.
À les voir comme ça, ils devenaient tous les deux terrifiants. Leurs tailles étaient presque égales, mais bien que la carrure de Logan était plus développée, plus agressive, Mickaël revoyait une prestance démesurée.
— On reparlera de professionnalisme quand t’arrêteras d’essayer de te taper tes collègues, cracha Logan, avant d’attraper le bras de la jeune femme. Viens Lina, on se casse.
Ils s’éloignèrent à grands pas puis mon boss se tourna vers moi en soupirant.
— Je ne le supporte plus. Il travaille bien, mais c’est un vrai… Bref. Allons manger et oublions ce gars. Tu vois bien comment il est ; intenable, agressif, mal aimable. Pas la peine d’étendre plus la conversation.
D’une main dans mon dos, il me poussa à poursuivre notre route. Nous arrivâmes rapidement au restaurant. J’aurais dû être rempli de joie, mais les mots de Logan me restaient en tête. « On reparlera de professionnalisme quand t’arrêteras d’essayer de te taper tes collègues. » Je ne comprenais pas. Est-ce que Mickaël étaient du genre à butiner à toutes les fleurs ? Mon cœur se serra à cette pensée, mais je repris vite du poil de la bête lorsque nous prîmes place à table.
— Et toi, tu étais comment au lycée ? me demanda-t-il afin que nous poursuivions notre conversation.
— J’étais comme maintenant ; assez invisible. Je n’ai jamais fait de vagues, j’étais un bon élève parce que je travaillais dur, même si je n’excellais pas.
Il me sourit.
— Je ne te trouve pas invisible, moi.
Je baissai la tête sur le menu afin de cacher mes joues rougissantes. Nous commandâmes finalement, puis mangeâmes tout en continuant de parler de nos années de lycée. J’appris que malgré ses frasques, il était bon élève. Il me raconta de nombreuses anecdotes, toutes plus étonnantes les unes que les autres. Quand le dessert fut servi, il me posa une question qui me déstabilisa complètement.
— Sinon, tu as quelqu’un ?
J’élevai des yeux ronds vers lui avant de rire, gêné.
— Non. Je n’ai pas vraiment le temps de rencontrer des gens. Alors, trouver quelqu’un… ça reste un exercice compliqué.
— Tu es gay, c’est ça ?
La franchise de sa question me dérangea. Je haussai les épaules, soudain mal à l’aise. Dans mon entourage, seuls Eva, Chris et mes sœurs étaient au courant de mon homosexualité. Je faisais de mon mieux pour cacher cette vérité honteuse à mes parents et aux autres. De toute façon, ça ne regardait personne.
Il rit, puis sa main se posa sur ma cuisse. Je me tendis alors qu’il se penchait vers moi.
— Ne t’inquiète pas Éliah, tout va bien. Ce n’est pas une tare.
Je baissai les yeux, de plus en plus mal à l’aise, alors que sa main s’aventurait plus loin sur ma cuisse. Je ne savais pas si j’appréciais son toucher, mais à cet instant précis, je voulais qu’il retire ses doigts de ma jambe. Heureusement, il se redressa, me relâchant et mon cœur se serra. Il se passait quoi exactement ? Quel était ce malaise que je ressentais ?
Je pris une bouchée amère de mon dessert sucré, excuse parfaite pour ne rien répondre et la fin du repas se passa dans un silence assez désagréable. En sortant du restaurant j’osais enfin lui poser la question qui me brûlait les lèvres depuis que nous avions croisé le montre.
— Il voulait dire quoi Logan quand il a dit que tu essayais de… Enfin… quand il a sous-entendu que…
Il se stoppa et vint face à moi, posant ses grandes mains sur mes épaules et se baissant pour être à ma hauteur.
— Je pense que tu l’as compris, Logan me déteste. Toi, tu me connais. Est-ce que j’ai l’air d’un Don Juan ?
Je secouai la tête. Bien sûr que non. C’était Mickaël, il était doux, attentionné, attentif, gentil. Il ne pouvait pas être comme Logan le disait. De toute façon, ce monstre poussait les autres au burn-out, pourquoi accordai-je du crédit à ses paroles ?
— Logan ne fait que semer la zizanie. Ne le laisse pas entrer dans ta tête. Je ne veux pas qu’il puisse te faire le moindre mal, dit-il avant de marquer une pause. Tu veux que je fasse en sorte qu’il ne t’approche plus au travail ?
Des étoiles dans les yeux, je hochai la tête.
— S’il te plaît. Il me terrifie, vraiment.
— D’accord, je dirai à Chris de s’occuper de lui, ne t’inquiète pas, tu n’auras plus à faire face à cet animal.
Je pouffai au surnom, ce qui fit sourire Mickaël.
— Je préfère vraiment te voir avec un visage joyeux. Je sais que c’est dur pour toi en ce moment, alors, si je peux alléger ta charge, surtout n’hésite pas.
Nous partageâmes un sourire sincère. Je me sentais mieux. L’avoir à mes côtés, même en tant qu’ami, que confident me comblait de joie. Alors, même s’il n’aimait pas les hommes, l’avoir dans ma vie me suffisait.
Dans le train pour rentrer, mon portable vibra. En même temps que je vis le logo de l’application, je me rendis compte que je n’avais pas répondu à Nightmare de la journée. J’ouvris son message.
« Est-ce que je t’ai choqué ? »
Je fis la moue. Décidément, c’était la question de la journée.
« Pardon, j’ai eu une journée assez chargée ! Je ne suis pas choqué ! Peut-être un peu surpris, je ne savais pas que tu étais du genre voyeur, mais, en fait, je crois que ça te correspond bien. En tout cas, ça correspond à l’image que j’ai de toi. »
La tête reposant contre la paroi derrière moi, je fermai les yeux un instant, me remémorant la liste des choses que j’aurai à faire en rentrant et qui ne cessait de s’allonger. Heureusement, les parents seraient encore absents pour trois semaines et demain, nous étions enfin en week-end.
En arrivant à la maison, Léonie se jeta dans mes bras. Nous passâmes un long moment à cuisiner un gratin de chou-fleur pour le dîner et j’en profitai pour lui changer les idées. Ensuite, la laissant surveiller le four, j’allai rejoindre Delphine. Comme d’habitude, elle était encore en plein travail, ses longs cheveux noirs relevées en une queue de cheval dont certaines mèches s’échappaient, pleines de couleurs vibrantes.
— Maman m’a dit que tu avais besoin de moi, lui dis-je après être entré.
— Oui. Il faut que je me décide sur les œuvres qui seront affichées, j’ai encore un doute concernant deux d’entre elles. Et puis, il y a des tas de formulaires à remplir… Tu sais à quel point je suis nulle pour ça.
Je ricanai, me souvenant des dizaines de fois où elle était venue me supplier de l’aider avec divers papiers officiels.
— D’ailleurs, demain, nous allons faire du shopping ! me rappela-t-elle, pleine d’entrain.
— Je t’ai dit que je n’avais besoin de rien.
Elle envoya balader ma défense d’un geste de la main.
— À d’autres, Bébéliah ! Je te connais et nous savons tous les deux que lorsque tu commences à sortir ce genre de pull, c’est que tu n’as plus rien à te mettre.
J’ouvris la bouche pour répondre, mais mes joues devinrent écarlates. Parce qu’à la vérité, ce pull, je l’avais mis pour Nightmare. Enfin… pas vraiment pour lui, mais pour que… enfin… Je soupirai, sachant déjà que je pourrai pas y couper.
— On déposera Léonie à la bibliothèque ? lui proposai-je.
— Oui ! Et on ira manger japonais ! Je tuerai père et mère pour des makis saumon-fomage !
Nous rîmes lorsque sa porte s’ouvrit sur les jumelles.
— Vous allez faire du shopping ? s’intéressa Constance.
— Et vous allez manger japonais ? ajouta Annabelle.
Je jetai un regard à Delphine qui haussa les épaules. Je me retournai donc vers mes petites sœurs et leur souris.
— Vous voulez venir ?
— Oui ! hurlèrent-elles en cœur.
En quelques minutes, tout fut décidé. Les jumelles repartirent dans leur chambre afin de « préparer leur liste d’achats » et je rejoignis Léonie et Caroline dans le salon où une douce odeur de fromage emplissait la pièce. Les deux, affalées sur le canapé, se partageaient un coca. Je me laissai à mon tour tomber sur les assises moelleuses.
— Caro, demain matin tu pourras t’occuper des poussières ? Faut qu’on fasse le ménage, la prévins-je.
Elle soupira.
— Si tu veux, mais je dois partir tôt !
— Pas de problème. Léonie, tu t’occuperas de ta chambre ?
— Yep, me répondit-elle avec des étoiles plein les yeux. D’ailleurs, c’est toujours bon pour… ?
Je ricanai.
— Oui, c’est toujours bon pour la bibliothèque. En plus, on va au centre’co avec les jumelles et Delphine, donc on t’y déposera et on passera te chercher… en fin d’après-midi ? Ça ira ?
— C’est parfait ! jubila-t-elle. Je vais avoir le temps de bosser !
Le programme de la journée enfin terminé, j’appelai toute ma petite troupe afin que nous nous mettions à table. Ce soir, tout le monde était là et un joyeux brouhaha remplit le salon, les filles racontant leurs semaines et partageant des anecdotes. Quand il fut l’heure du dessert, tandis que je débarrassais et que Caro distribuait les petites cuillères, constance m’interpella.
— Et du coup, la photo, ça a donné quoi ? Il a aimé ?
Je vis soudain leurs yeux se braquer tous sur moi et la gêne s’empara de mon esprit.
— Hum… Eh bien, je crois que oui.
Elles gloussèrent toutes, me gênant davantage.
— T’as pas une photo de lui à nous montrer ? demanda Annabelle.
Je secouai la tête.
— Non, je suis désolé.
— Mais ! Ça veut dire que tu lui as envoyé une photo de toi et que tu sais pas à quoi il ressemble ? C’est pas juste ! s’indigna Delphine.
— C’est même bizarre ! réfléchit Caro.
— Pas du tout ! C’est juste que je ne lui en ai pas demandé ! me justifiai-je afin de mettre fin à cette conversation.
Je m’empressai de servir les yaourts, puis filai dans la salle de bain, fuyant carrément la compagnie de mes sœurs et leurs questions. Je ne tardai pas à m’enfoncer dans un bain mousseux réconfortant. Un peu plus tôt, j’avais reçu un message de Nightmare que j’ouvris.
« Et c’est quoi l’image que tu as de moi, exactement ? »
Je me mordis la lèvre, me demandant si je pouvais me permettre d’être totalement honnête. La dernière fois, il m’avait un peu mis un stop quand je lui avais proposé à mi-mot de nous rencontrer, alors, c’était peut-être dangereux de lui dire que j’avais passé ma journée à penser à lui.
« À vrai dire, ce sont plutôt des impressions, parce que je ne te connais pas assez. Mais tu as l’air d’être assez « ouvert » en ce qui concerne le sexe. »
Je posai mon téléphone sur le plateau en travers de ma baignoire puis me laissai couler un peu plus profondément dans l’eau. Je n’eus pourtant pas le loisir de m’ennuyer, car sa réponse arriva rapidement.
« Ça te gêne ? »
« Non, pas du tout ! C’est vrai que la photo et la vidéo m’ont surpris, je ne peux pas le nier. Mais en fait, je trouve ça plutôt sexy. Et puis… comme ça je peux aussi voir un peu… ton corps. »
Le temps que j’envoie le message, mon visage avait tourné vermillon.
« Tu voudrais le voir un peu plus ? 😏 »
« Oui ! »
L’espoir naquit en moi. Celui de peut-être pouvoir enfin découvrir son visage !
« Que veux-tu voir ? »
« Ton visage ? »
J’envoyai le message avec une boule au ventre. S’il vous plaît, faites qu’il dise oui, faites qu’il dise oui !
« Tout ce que tu veux sauf ça. »
Je soupirai, faisant la moue et lui envoyai ma déception.
« 🥺 »
« Désolé petit Peach. Ce sera tout ce que tu veux, sauf ça. »
« Pourquoi tu refuses de me montrer ton visage ? »
Je posai mon portable et me lavai consciencieusement avant d’enfiler mon pyjama et de retourner au calme, dans ma chambre. Soudain, mon téléphone sonna et je décrochai immédiatement.
— Salut Eva !
— Salut mon petit chou à la crème ! chanta-t-elle. Demain soir, j’ai une soirée, tu viens avec moi ? On va te dévergonder un peu !
Depuis des semaines, elle voulait absolument m’entraîner dans ses soirées douteuses.
— Tu sais bien que j’ai pas envie. C’est ton monde, ça, pas le mien.
Elle soupira.
— S’il te plaîîît, viens avec moi ! J’te jure que ce sera une soirée soft !
Je soupirai.
— C’est où ?
— Dans un endroit cool ! J’te jure ! Alors tu veux bien venir ?
Je soupirai, presque vaincu et l’entendis trépigner.
— Je passerai te chercher ! Tu vas voir, on va s’éclater et je vais te faire rencontrer du monde ! Qui sait, ton futur chéri d’amour sera peut-être là !
Je ris, amusé par sa mission toujours active de me trouver quelqu’un. Eva avait toujours été ouverte. Elle avait eu un nombre impressionnant de petits copains, mais elle se lassait vite. Pourtant, ils se bousculaient tous pour avoir droit à un minimum d’attention de sa part. Et qui leur en aurait voulu ? Elle était magnifique, magnétique et intelligente. La femme parfaite s’était réincarnée en ma meilleure amie. À côté d’elle, je faisais pâle figure. Même au lycée, elle avait toujours eu cette aura de célébrité qui la faisait briller. Pourtant, même si elle avait toujours été plus populaire que moi, elle ne m’avait jamais laissé de côté. Elle demeurait la meilleure amie qu’on pouvait avoir et même si nous nous voyions peu, nous nous retrouvions toujours avec plaisir dès que l’occasion se présentait.
— Ok, je viens.
Elle hurla derrière son portable.
— Trop bien ! Oooh, je suis trop contente ! Tu vas voir, tu vas passer une bonne soirée, je te le promets ! Je viendrai te chercher vers vingt-deux heures, c’est bon ?
— C’est parfait.
— Ok, ça marche ! Alors à demain petit chou !
— À demain.
Nous raccrochâmes et je rouvris la conversation avec Nightmare.
« Simplement parce que je ne veux pas que tu le connaisses. Tu n’as pas besoin de le connaître. »
Je relus sa réponse plusieurs fois, triste qu’il ne veuille pas partager plus de choses avec moi.
« On ne pourra jamais se rencontrer ? »
« Pourquoi ? Tu craques pour moi petit Peach ? Qu’en est-il de ton Don Juan dont tu me parlais ce matin ? »
Mes lèvres se pincèrent. Je repensai à ce midi, à l’altercation avec Logan, à la façon dont Mickaël m’avait repoussé puis à sa main sur ma cuisse…
« Je suis simplement curieux. Je t’apprécie, alors je voudrais en savoir plus sur toi. »
« Tu peux me poser des questions si tu veux. Peut-être que je répondrais pas à toutes, mais tu peux essayer. »
À partir de cet instant, je me sentis investi d’une mission. Je passais alors ma soirée à le questionner. J’appris qu’il habitait seul, qu’il travaillait dans une petite entreprise, qu’il était fan de restaurants exotiques et que plus jeune, il avait eu un labrador marron du nom de Croquette. Discuter avec lui était si facile que je regrettai vraiment de ne pas pouvoir partager plus avec lui. C’était frustrant, car il ne me laissait aucune ouverture.
Je finis par m’endormir assez tard, après une série de questions-réponses assez évasives.