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1 - 1 - Entrée en gare
2 - 2 – « Attention à l’ouverture des portes »
3 - 3 - Monter dans le train
4 - 4 - « Attention à la fermeture des portes »
5 - 5 - Départ du train
6 - 6 - Les à-coups du démarrage
7 - 7 - Prendre de la vitesse
8 - 8 - Les remous de la rame
9 - 9 - Les remous de la rame 2
10 - 10 - Le bruit assourdissant du tunnel [partie 1]
11 - 11 - Le bruit assourdissant du tunnel [partie 2]
12 - 12 - Arrêt inopportun
13 - 13 - Bloqué sur la voie
14 - 14 - Wagon restaurant
15 - 15 - Remise en marche
16 - 16 - Station d’arrivée
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13 - Bloqué sur la voie

Le lendemain, je m’éveillais dans un état vaseux. Une lumière agressive filtrait par mes rideaux trop fins. Je me retournai dans mon lit et me renfonçai sous les couvertures, incapable de me lever. Je fus réveillé une nouvelle fois par des caresses enfouies dans mes cheveux. J’ouvris les yeux, sans pour autant remuer le moindre muscle. J’étais courbaturé à tel point que me mouvoir ne serait-ce que d’un millimètre m’aurait à nouveau causé une crise de larmes, car mon esprit s’en retrouvait au moins aussi douloureux que mes muscles.

— Éliah…, murmura la voix de Léonie. Est-ce que tout va bien ?

— Laisse-moi, s’il te plaît, répondis-je d’un ton que je tentais vainement de rendre moins morne.

Elle quitta ma chambre sans un mot de plus, sans me questionner. Je fermai les yeux encore une fois, souhaitant me rendormir, mais seulement quelques minutes plus tard, on toqua à ma porte. Le battant s’ouvrit puis se referma avant que mon matelas ne s’enfonce. Le parfum de Delphine, allongée à mes côtés, enivra mes sens. Plus que ma grande sœur, pour moi, elle avait toujours été plus proche d’une mère aimante que celle que l’on m’avait octroyée. Ce matin, après cette désastreuse soirée, j’avais besoin de ma maman. Alors, sans plus me retenir, je me retournai vers elle et me fondis dans son étreinte, laissant ma peine refaire surface.

Elle me serra contre elle. Elle ne me dit pas que tout irait bien, elle ne tenta pas de savoir ce qu’il se passait. Elle me laissa extérioriser ma tristesse, se contentant de couvrir mon crâne de baisers et de me tenir entre ses bras protecteurs. Durant de longues minutes je ne fus pas capable de parler. Trop d’images de la veille me revenaient en tête. Ma peur, qui hier avait été couverte par l’adrénaline et l’alcool, était aujourd’hui bien présente. Je me noyais dans les images qui passaient en boucle dans ma tête ; leurs mains sur moi, leurs mots dénués de raison et surtout, mon incapacité à me battre. Je ne comprenais pas pourquoi mon corps s’était statufié, pourquoi je ne m’étais pas défendu. Il m’avait trahi. La vérité était là, elle me raillait dans mon esprit ; j’étais faible et sans défense. Pour couronner le tout, c’était le monstre qui était venu me sauver. Ça n’aurait pas pu être pire.

Après que mes pleurs se soient taris, je me rendormis, épuisé et ne fus tiré du sommeil qu’une fois le soir venu, lorsque Léonie me proposa de venir manger. Mon ventre répondit à ma place d’un grognement plaintif et je fis l’effort de me lever, emmitouflé dans ma couverture. Je rejoins le salon d’un pas lent et fatigué, puis allai m’effondrer dans le canapé sous le regard médusé de mes sœurs, toutes assises à table.

Deux parts d’une pizza fumante aux chorizos furent déposées devant moi et un coca suivit. Même sans vérifier, je savais que les filles avaient leurs yeux braqués sur moi. Aucune d’entre elles n’osait parler et quelque part, je les en remerciais. Je n’avais ni l’envie de converser, ni la force de sourire. Mon corps réclamait du carburant, alors il allait en avoir, mais ça s’arrêterait là.

Une fois mon repas englouti, je me levai afin de rejoindre ma chambre mais Léonie me barra la route.

— Tu veux pas un dessert ? me proposa-t-elle en me tendant une petite assiette surmontée d’une part de gâteau trois chocolats, l’un de mes préférés.

Je secouai la tête pour refuser et la poussai délicatement afin de passer. Sans plus de cérémonie, je réinvestis mon lit et m’endormis presque dans l’instant. Je n’ouvris à nouveau les yeux que le lendemain matin, assez tôt.

Mon corps semblait être assez reposé et je me précipitai sous la douche. Avec l’eau chaude, j’eus l’impression que mes courbatures s’étaient faites plus discrètes. J’avais toujours des raideurs, mais rien de bien méchant. Je m’habillai, me coiffai un minimum puis allai assouvir mon besoin de caféine. Planté devant la machine à café, je me servis une tasse, puis deux et allai boire la troisième devant la télé, m’abrutissant bien volontiers devant une série stupide à l’humour douteux. J’avais du mal à me réveiller totalement. Quand mon portable vibra, je l’examinai, me rendant compte avec horreur que beaucoup de messages m’avaient été envoyés la veille.

Le premier que je lus fut celui d’Eva. Elle s’excusait. Platement. Elle s’en voulait. Sa longue plainte ne m’arracha même pas un sourire. Je ne lui en voulais pas. Je savais qu’elle pensait réellement que j’étais en sécurité en venant. Malheureusement, j’étais tombé sur les mauvais gars. Je lui répondis que tout allait bien, qu’elle ne devait pas s’en vouloir et que je l’aimais très fort.

Ensuite, je répondis aux messages laissés tour à tour par le trio d’amoureux, utilisant tous le portable d’Andy pour me contacter. Eux, m’avaient fait rire par leurs mots bien choisis.

Et puis, finalement, je m’autorisais à ouvrir ceux de Nightmare.

« Je pense que nous avons tous une part d’ombre, petite ou grande. On est pas simplement méchants ou gentils, la dualité de ces deux facettes est obligatoire. C’est pour ça que ton voisin bien sous tout rapport peut en fait être un véritable psychopathe et que la mamie qui te gueule dessus au supermarché est en fait très seule et très triste. Je pense qu’il faut avoir une vision globale avant de juger quelqu’un de monstre ou d’ange. Qu’est-ce qui se passe petit Peach ? »

« Ça m’inquiète de ne pas avoir de réponse. »

« Je ne vais pas t’embêter plus que ça, n’hésite pas à me parler si tu as besoin. Je suis là pour t’écouter. »

Ses messages remuèrent quelque chose en moi et pour la première fois, enfoncé dans le canapé, j’utilisais la fonction vocale des messages.

— Nightmare, j’en ai marre de jouer. Je voudrais te voir et pouvoir te parler en face. Je ne comprends pas pourquoi tu ne veux pas qu’on se rencontre. Je t’avoue que ça me fait de la peine, dis-je la voix tremblante. En ce moment, tu es la seule personne avec qui je me sens bien. Tout est trop compliqué. Je n’y arrive pas.

Le message s’envoya et presque immédiatement, il apparut en ligne.

« Que fais-tu debout si tôt petit Peach ? »

Le fait qu’il se connecte à la seule vision de mon message me fit plaisir à un point indécent. Il n’avait même pas ouvert mon vocal, mais s’inquiétait déjà pour moi. Ma réponse suivit dans l’instant.

« Tu veux bien prendre le train avec moi ce matin ? Mais… Est-ce que je peux juste avoir un câlin ? Je veux rien de plus, mais j’ai envie de te voir. »

Durant quelques minutes, je fixai mon écran, jusqu’à enfin voir la réponse s’afficher.

« Je vois bien que tu as envie de plus avec moi, mais je ne suis pas prêt à te donner ce que tu veux, petit Peach. Du moins, pas tout de suite. Tu pourrais patienter ? Quant à ce matin, je n’y vois pas d’inconvénient. J’ai l’impression que tu ne vas pas bien et malgré tout, si je peux t’aider, je le ferai. »

Je serrai mon portable contre mon buste, soupirant d’aise. Même s’il ne cessait de repousser mes demandes, il restait gentil et prenait soin de moi à sa façon. Après quelques secondes où mon cerveau ne sut sur quel pied danser, je rouvris la conversation.

« Merci d’être là. Merci de m’avoir contacté sur l’appli et d’être… comme tu es. À tout à l’heure ! »

En fixant mon fond d’écran, je vis qu’il était cinq heures du matin à peine passées. Je ne pensais pas m’être levé si tôt. J’en profitais pour faire la vaisselle laissée par les filles la veille au soir, pour préparer le petit déjeuner et engloutir le mien. Je lançai aussi une machine et pliai le linge propre. Un peu reboosté par le fait de voir Nightmare, j’allais réveiller les filles quand il fut l’heure.

Décontenancées par mon attitude bien plus enjouée que la veille, elles se levèrent toutes sans faire d’histoire. Léonie avait encore quelques jours de renvoi à passer et je me rendis compte que je n’avais pas repris mon petit interrogatoire, mais que surtout, Mme Clivera ne m’avait pas encore recontacté. Les filles déjeunèrent sans brouille ou piques, ce qui me permit de rester calme. Je n’aurais pas été capable de supporter une de leurs disputes futiles. Les jumelles partirent de bonne heure, voulant de rejoindre des amis avant le début des cours. Caro s’enfuit presque, promettant de revenir avec le dîner ce soir, ce qui m’ôta une belle épine du pied.

La porte se referma derrière ma grande sœur et Delphine vint près de moi. Rien à croiser son regard, je savais qu’elle voulait en savoir plus, mais qu’elle n’osait pas demander. Je ne savais pas si j’étais prêt à tout lui avouer, alors je lui ai souri. Ça sembla la rassurer un peu, mais je me doutais que ce ne serait que passager et qu’elle repasserait à l’attaque dès qu’elle le pourrait.

Sentant la tension qui s’installait doucement, Léonie fila sans demander son reste et partit s’enfermer dans sa chambre, ce qui sembla conforter mon aînée. Elle s’adossa aux plans de travail et me toisa.

— Est-ce que tu veux me parler ?

Tournant négligemment ma cuillère dans ma tasse presque terminée, je haussai les épaules.

— Je suis pas sûr.

Elle but une gorgée de café tout en me fixant, puis se décida tout de même à parler.

— Je ne t’obligerai pas à tout me dire. Mais si tu as besoin de parler, je suis là. N’oublie pas ça.

Je hochai la tête.

— Tu travailles à la maison aujourd’hui ? lui demandai-je afin de changer de conversation.

— Oui, je vais emmener Léonie au restaurant ce midi, ça la fera sortir un peu.

— Bonne idée. Si tu peux aussi essayer de lui tirer les vers du nez, concernant le nom des gens qui lui font du mal…

Elle soupira.

— Je vais essayer.

— Merci. Bon, j’y vais. Occupe-toi bien de notre petite sœur ! lançai-je avec un sourire.

— Et toi, fais attention à toi, me taquina-t-elle.

Je lui fis un signe de la main et quittai la maison. Je n’aimais pas particulièrement laisser ma grande sœur dans cette situation, pour autant, je ne voulais pas lui raconter ce qu’il s’était passé. C’était peut-être de la honte ou le fait de ne pas vouloir l’inquiéter, mais dans tous les cas, je ne voulais pas la mêler à ça.

En arrivant à la gare, je pris mon portable la affichai la réponse de Nightmare :

« À tout à l’heure, petit Peach. »

J’attendis le train avec impatience. Avoir un câlin, de la tendresse, de quelqu’un qui voulait bien m’en donner, c’était ce dont j’avais besoin. Je restai fixé sur mon portable patientant afin de savoir quel wagon je devais prendre. Aujourd’hui, pas de chewing-gum. Nous ne faisions pas du vrai chikan, alors, je n’en avais pas besoin.

Quelques minutes avant que le train n’arrive je reçus enfin le message tant espéré et je ne pus m’empêcher de sourire comme un idiot. Cependant, je me trouvais un peu étrange d’accorder tant d’attention à ce gars que je ne connaissais pas. Nous nous étions vus deux fois et même si nous parlions régulièrement sur l’application, il était plutôt avare en information. Peut-être que j’étais du style naïf, mais c’était plus une question de ressenti. Oui, ça devait être ça ; je le « sentais bien ».

À ce moment précis, toutes les publicités prônant une attention et une protection à chaque rencontre sur internet me revinrent en mémoire. Il était vrai que je jouais peut-être à un jeu dangereux. Peut-être qu’un jour Nightmare me ferait du mal. Ce n’était pas impossible. Mais pour le moment, il restait, en dehors de l’inatteignable Mickaël, le seul homme dans ma vie qui me donnait envie de plus. Il y avait aussi, peut-être, le fait qu’il m’avait touché qui jouait… C’était certainement le cas, mais même là, il était si délicat avec moi, si doux, que j’avais du mal à l’imaginer en prédateur. De mon point de vue, il était seulement un gars comme moi, qui passait du bon temps a faire de l’exhib’ avec des compagnons consentants.

Cette dernière pensée me fit pincer les lèvres. Jusque-là, je n’y avais jamais pensé, mais, il avait peut-être d’autres compagnons de jeux ? Voire, même des compagnes de jeux ? Et si c’était le cas, est-ce que j’avais le droit de lui en vouloir ou d’être jaloux ?

Je relevai les yeux sur le train qui s’arrêtait et me rapprochai de la bonne voiture. Je pris ma place habituelle, près de strapontins qui ne tenaient plus vraiment en l’air, face à la vitre. Je savais que dans une station, il serait là. Qu’à ce moment, je pourrais enfin me détendre un peu et lui voler de l’attention. En attendant, je me devais de ronger mon frein en espérant que les minutes passeraient vite.

Les portes mirent des heures à se refermer. Évidemment, plus on était impatient, plus les secondes s’allongeaient. C’était l’une des vérités insupportable de la vie et je devais m’en accommoder. Ça ne durerait qu’une seule station après tout, ce n’était pas la mort.

Sans que je le veuille, je repensais à la soirée. J’avais été stupide de boire autant. Au final, je ne devais peut-être pas m’étonner d’être tombé dans ce genre de traquenard. C’était prévisible et assez bête de ma part de m’être cru en sécurité. Mais je m’étais laissé avoir par l’ambiance festive et mes sorties trop peu nombreuses. Comme on dit ; je m’étais enflammé et le résultat était là, la soirée avait fini en queue de boudin.

Repensant à mon altercation avec Logan, je secouai la tête, voulant m’ôter ces souvenirs. Ils n’étaient pas très nets à vrai dire. Je me souvenais qu’on avait eu des mots, mais lesquels… J’aurais été incapable de le dire. Vraiment, c’était la pire chose qui aurait pu arriver.

Pour me changer les idées, je fixai le paysage qui défilait devant moi. Enfin nous nous approchions de la station. Je me redressai un peu, me collai à la paroi à ma droite afin de laisser la place de sortir aux divers passagers présents avec moi. Quelques secondes plus tard le train ralentit. Il s’arrêta, laissant tout le loisir à mes comparses humains de nous rejoindre ou de nous quitter puis les portes se refermèrent et j’inspirai un grand coup. Mon câlin allait arriver !

J’en trépignais presque et lorsqu’une main effleura la mienne, je perdis toute substance physique. Je venais de me transformer en chamallow fondu. Je dus lutter contre une forte envie de me retourner et de le regarder. Je me demandais à quoi il ressemblait. S’il avait pu ressembler de près ou de loin à Mickaël, il ferait de moi un homme comblé. Mieux encore, s’il pouvait être Mickaël… Parfois, les mots de Nightmare lui ressemblaient. Ce serait si simple…

Tandis que je rêvais à mon boss sexy tout en rangeant mon portable et que je lâchai mon sac à dos au sol, deux bras m’enlacèrent. Je retombai contre le torse de mon compagnon de voyage, m’accrochant à ses poignets. Immédiatement, le sentiment de bien-être que je cherchais depuis deux jours m’enveloppa et cette constatation crispa mon cœur. Je ne comprenais pas pourquoi je me sentais si bien avec lui alors que nous ne partagions rien de plus que du sexe en extérieur. Est-ce que j’étais devenu le dernier des pervers ou est-ce que j’avais toujours été un gars facile ? Est-ce que c’était ce qu’il avait vu, celui de la soirée ? Un mec facile et bourré, facile à…

La boule dans mon ventre revint en même temps que mes yeux s’humidifiaient. Je pris une longue inspiration, refusant de céder à ce qui me broyait les entrailles. Est-ce que Nightmare se disait ça aussi ? Que j’étais une pute ? Qu’il m’aurait à l’usure ? Et si jamais il le pensait, aurait-il vraiment tort ?

Une larme roula sur ma joue sans que je puisse la retenir. Je ne savais plus quoi penser de tout ça, de lui, d’un impossible nous… à quoi est-ce que je jouais ? Il ne fallut que quelques secondes pour que mes joues soient recouvertes d’un liquide lacrymal rempli de honte. J’avais honte de moi, de ce qu’on pouvait penser de moi. Ce n’était donc pas suffisant d’être homosexuel, il fallait en plus que j’accumule les tares de naissance en aimant me faire tripoter dans des lieux publics. J’étais une personne affreuse. Si ma famille savait ça… J’imaginais déjà leurs regards dégoûtés, leurs moues de rejet.

Un hoquet m’échappa et Nightmare réagit. Il saisit mon menton et tourna mon visage vers lui. Je fermai les yeux, autant pour respecter notre accord que pour faire en sorte qu’il ne me voie pas pleurer. J’avais le maigre espoir enfantin que si je ne le voyais pas alors, il ne me verrait pas non plus. Pourtant, l’un de ses bras se détacha de moi et il essuya ma joue du bout des doigts.

Ça aurait dû m’apaiser, mais ce geste d’une tendresse infinie me rendit plus triste encore. Ma gorge se serra et j’eus du mal à déglutir. C’était douloureux. Je ne savais pas vraiment où j’avais mal, mais la douleur était bien présente et elle se montrait de plus en plus agressive. Je tournai la tête pour éviter son regard, mais il fut plus rapide que moi ; en une fraction de seconde, il me fit tourner sur mes pieds, manquant de me faire tomber à cause de mon sac et m’enlaça de nouveau, m’englobant de ses bras et enfonçant mon visage dans son torse.

Il me maintenait contre lui avec force tout en caressant mes cheveux d’un geste délicat. Je m’agrippai à son pull avec la force du désespoir, laissant s’extérioriser ma peine, à l’abri des regards. Il me serrait tellement fort qu’il me faisait presque mal, mais je m’en fichais. Avoir du mal à respirer m’empêchait d’inspirer trop fort. Ça me calmait aussi, un peu. Juste ce qu’il fallait pour que je m’effondre pas en pleurs au milieu de la rame.

— Je suis désolé, parvins-je à articuler au bout de quelques minutes.

Les larmes coulaient sans discontinuer. J’avais l’impression de mourir de l’intérieur et alors que je me demandais comment j’allais me sortir de là, il déposa un baiser sur le haut de mon crâne. La surprise stoppa ma respiration l’espace d’une seconde. Sa prise sur moi se raffermit davantage et je conservai la tête baissée. Je devais résister à l’envie de le regarder. Pourtant, lorsqu’il embrassa ma tempe, l’idée de lever les yeux vers lui fit plus que m’effleurer.

Alors pour palier à ce manque visuel, je fis passer mes bras autour de sa nuque. Il était si grand que je dus me mettre sur la pointe des pieds, mais en le serrant contre moi, le sentiment que je pouvais me raccrocher mentalement à lui s’amplifia.

Dissimulant mon visage entre mes bras et le creux de son cou, j’en profitais pour inspirer son odeur. Il ne fallut qu’un instant pour que mon esprit la range dans la case « rassurante », je m’en gavais alors avec une délectation malsaine.

Je savais que j’abusais, que je dépassais les bornes, mais je m’en foutais. J’avais besoin de soutien, parce que sinon, j’allais tout abandonner. Heureusement, même s’il ne comprenait pas le fond du problème, Nightmare m’accordait ce dépassement de ligne. Il n’était pas bête, il voyait bien que quelque chose n’allait pas. Je m’en voulus bientôt de l’embêter.

Je me délectais d’être étreint si étroitement. J’avais l’impression que je pouvais totalement disparaître de la surface de la terre si je restais contre lui et cette idée me plut. Il enfouit aussi sa tête dans le creux de mon épaule et je pus sentir son souffle glisser sur ma peau, ses cheveux caresser mon oreille, sa peau toucher la mienne.

J’en vins à espérer plus. Plus qu’un câlin en tout bien tout honneur et je sentis qu’il ressentait la même chose quand il me fit un petit bisou dans le cou. Il avait été furtif, à peine appuyé et pourtant mes bras se serrèrent automatiquement davantage autour de lui. Les siens firent de même alors qu’il embrassait de nouveau la peau fine sous ma mâchoire.

Partager si peu me rendait presque fou ; mon corps frissonnait, se blottissant encore plus contre le sien. Je me fichais que nous soyons dans un train, à la vue de tous. Je me fichais qu’il ne veuille pas de moi en dehors de ces voyages ferroviaires, je voulais simplement qu’il continue. Parce que pendant ces moments-là, il m’appartenait complètement.

Si j’avais été un tant soit peu plus courageux, j’aurais fait basculer son visage vers moi et je l’aurais embrassé. Un vrai baiser. Il aurait été mon premier et tout aurait été parfait. Malheureusement, je n’avais jamais été doté de courage ou de bravoure. Je ne savais ni me battre, ni tenir tête aux autres. Ce n’était pas pour rien que mes sœurs avaient le dessus sur moi. Elles qui avaient toutes un comportement plus fort que le mien.

« Tu dois prendre soin de tes sœurs, Éliah ! Si tu n’es pas là, elles n’auront personne ! » me rappelait souvent ma mère. Mais elle avait tort. Mes sœurs n’avaient pas besoin de moi autrement que pour palier à leur flemme de s’occuper des corvées. Au fil du temps, j’étais devenu la bonniche de la maison plutôt que le mâle alpha que ma génitrice attendait de moi. Mon père n’était pas en reste, bien-sûr. Il portait toujours sur moi un regard mêlant peine et déception. « Tu dois devenir un homme », ne cessait-il de me répéter. Mais… C’était quoi « être un homme » ? J’étais certain que s’il voyait Mickaël, il me dirait que lui en était un et je ne pourrais réfuter l’évidence. J’étais entouré d’mâles tous plus « alphas » que moi. J’avais l’habitude de décevoir mes parents, mais ces derniers temps, ça devenait de plus en plus dur à accepter.

Plusieurs fois, j’avais pensé à partir. À me trouver un petit appartement, rien qu’à moi. Mais si je fuyais la maison, qui s’occuperait de mes sœurs ? Qui verrait le désespoir grandissant de Léonie ? Qui comprendrait la peur des jumelles derrière leur comportement effronté ? Qui percevrait la solitude de Delphine ? Et qui encouragerait Caroline qui se dépréciait de plus en plus ? Je ne pouvais pas les abandonner. Elles avaient encore besoin de moi et je les aimais beaucoup trop pour penser à les délaisser.

De nouvelles larmes ruisselèrent sur mes joues. J’aurais voulu naître différent de ce que j’étais à l’heure actuelle. Être un jeune homme plus courageux, plus imposant. Ne pas avoir été enfanté par ces deux humains qui se targuaient d’être nos parents et pourquoi pas, être fils unique.

J’essuyai ma peau humidifiée avec ma manche et l’une des mains de Nightmare engloba l’arrière de mon crâne. Il fit pivoter mon visage vers lui et je conservai les paupières clauses, à contrecœur. Il embrassa ma joue, appuyant bien plus que dans mon cou et un soupir de soulagement m’échappa. J’aimais ça. Il me donnait de la tendresse à l’état pur et je prenais mon shoot comme un camé avec sa dose.

Ce fut pour ces raisons que lorsqu’il m’embrassa au coin des lèvres, mon corps réagit plus vite que moi. Ma main glissa de sa nuque, se stoppa sur sa mâchoire et je la tournai complètement vers moi, demandant implicitement plus. Il y eut quelques secondes de battement. Peut-être une seule ou dix, je n’aurais pas été capable de le dire mais quand ses lèvres se posèrent enfin sur les miennes, j’en profitais pleinement. La paume à plat sur sa joue, je l’encourageais à me donner plus et il m’accorda tout ce que je quémandais.

Sa langue convia la mienne à un exercice inconnu et je me laissais guider avec béatitude. Je n’aurais jamais cru que mon premier baiser se passerait comme ça ; les larmes aux yeux, dans un train en compagnie de dizaines de personnes et sans même connaître celui qui me l’accordait. Il y avait plus romantique, mais au final, ça me correspondait.

Je me perdais dans les sensations qu’il daignait m’offrir. Ses mains passèrent sous mon pull afin de m’enlacer avec une étroitesse qui me fit expirer de plaisir. Je découvrais actuellement une nouvelle chose à propos de lui qui me rendrait encore plus accro. Peut-être était-ce dû à mon inexpérience, ou simplement au fait que c’était mon premier, mais j’adorais ça.

Lorsqu’il rompit notre baiser, encourageant mon visage à rejoindre sa cachette dans son cou, mon cœur se serra. Je savais. Je m’étais aussi rendu compte que le train ralentissait. Incessamment, je devrai le lâcher, m’écarter de son étreinte si plaisante et retrouver le froid de la fin du printemps. Il partirait de son côté et moi du mien. Nous recommencerons à nous envoyer des messages, mais tout serait différent.

Une secousse nous avertit de l’arrêt prochain du train et comme s’il était lui aussi triste de me laisser, il embrassa une dernière fois ma joue, puis me fit pivoter afin que je puisse ouvrir les yeux. Il ébouriffa mes cheveux et partit. Voyant la gare, je pris mon sac, le lançai sur mes épaules et sortis du train sans un regard en arrière quand les portes s’ouvrirent.

Tout ceci avait été difficile. Dans les comédies romantiques que regardaient parfois les filles, je me serais retourné, engouffré à nouveau dans le train et j’aurais hurlé son surnom jusqu’à ce qu’il me retrouve. Mais la vie était bien différente. Nous avions convenu de certaines règles et même si nous venions d’en briser certaines, tout ne se passait pas comme dans les films.

En remontant les marches de la gare pour me rendre au travail, je restais perplexe quant à mes sentiments. Est-ce qu’on pouvait être amoureux de deux personnes ? Le trio me revint en tête. Apparemment oui, et l’alchimie que j’avais vue entre eux me le confirmait. Dans ce cas, j’allais aux devants d’énormes problèmes personnels.

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