En arrivant au bureau, je me rendis directement aux WC, afin de vérifier l’état de ma tête. J’avais les yeux enflés et rouges. Évidemment… Tout le monde comprendrait bien vite que j’avais pleuré.
Dans un geste empressé, j’attrapai des serviettes en papier, les empilai et les passai sous l’eau avant de me les appliquer sur les paupières. La fraîcheur soulagea les gonflements, mais pas le tourment dans mon esprit. De retour à mirer mon reflet à la suite des quelques minutes de soin, je me souvins du voyage en train, de Nightmare et de notre baiser. Je virai écarlate en un instant. Je l’avais embrassé ! Vraiment ! Je plaquai mes mains sur mes joues, tentant de réprimer l’immense sourire qui scindait mon faciès pivoine.
Je sortis des toilettes quelques minutes plus tard et rejoignis mon bureau, prétextant une allure calme. Chris, déjà au travail leva à peine les yeux vers moi.
— Salut ! T’as passé un bon week-end ?
Je fis la moue.
— Pas grand-chose à raconter. Et toi ?
— Pareil, malheureusement, toujours pas de grand amour en vue ! J’vais commencer à penser que je vais finir vieux garçon.
Je me moquai discrètement en prenant place à mon poste.
— Je ne m’en fais pas pour toi, t’es beau, marrant, tu cuisines bien. Tu trouveras.
Il releva la tête vers moi, un sourcil levé et un sourire en coin.
— Serait-ce une déclaration, Éliah ?
Je m’empourprai.
— Quoi ? Non ! Enfin ! Ce que je veux dire, c’est que quelqu’un saura te reconnaître à ta juste valeur !
— Tu me brises le cœur. Dire que j’attendais un signe de ta part pour te séduire ! surjoua-t-il.
Je ne pus m’empêcher de rire à nouveau. Chris avait toujours été un boute-en-train et même s’il m’était impossible de le considérer en tant que potentiel amoureux, j’avais la certitude que la personne qu’il choisirait un jour serait chanceuse. C’était un homme bien et j’étais heureux de pouvoir le compter parmi mes amis.
Durant la matinée, me mettre au travail fut beaucoup moins compliqué que je ne le pensais. Me plonger à corps perdu dans ces vieux documents me permit d’empêcher mon cerveau de s’engluer dans des souvenirs que je ne voulais pas voir remonter. À l’heure du déjeuner, Mickaël débarqua dans le bureau, nous proposant d’aller au restaurant.
— Je passe, nous informa Chris. Désolé, mais j’ai déjà quelque chose de prévu.
— Un rendez-vous ? s’enquit notre boss.
Chris ne répondit pas, se contentant d’un sourire énigmatique.
— Dans ce cas, on y va tous les deux ? me proposa-t-il.
Je souris à Mickaël, enchanté de pouvoir passer un peu de temps avec lui. Même si notre précédent restaurant m’avait laissé un petit goût amer, cela m’avait permis de me rendre compte que finalement, il était humain. Il lui arrivait aussi d’être maladroit sans le vouloir.
En entrant dans l’ascenseur, je blêmis en remarquant la présence de Logan. Il était en compagnie d’un autre jeune homme. Ce dernier avait la peau basanée et les cheveux noirs. Il me tournait le dos, me cachant à moitié le monstre, qui lui, me repéra immédiatement.
Je détournai les yeux et me positionnai aux côtés de mon chef, à l’extrémité de la cage de métal, tandis que la conversation des deux nous parvenait sans mal.
— Franchement, à vingt-huit ans, tu penses pas qu’il serait temps que tu charbonnes un peu ? C’est triste que tu sois toujours célibataire, se moqua son compagnon.
— La ferme, Beryl. Ce que je fais de ma vie ne te regarde pas, rétorqua Logan.
— C’est clair et pourtant, en tant qu’ami, je me dois de te dire que tu fais de la merde. Ça devient triste à force, de te voir venir tout seul aux fêtes.
D’une oreille discrète, je ne perdais pas une miette de ce qu’il se tramait à côté de moi. Alors, il était tout aussi aimable avec les autres qu’avec moi ? Je fis la moue, tentant de me remémorer la conversation que nous avions eue durant la soirée. Je me souvenais d’avoir été en colère, mais rien sur les mots que nous avions partagés.
La main de Mickaël frôla la mienne, comme pour attirer mon attention. Je relevai les yeux vers lui alors qu’il me souriait. Est-ce qu’il s’inquiétait pour moi à cause de la présence de Logan ? Mon palpitant sursauta à cette idée. J’étais touché qu’il prenne mon confort autant à cœur. Heureusement, à ses côtés, l’ombre menaçante de notre collègue me semblait moins sombre. Je lui renvoyai un sourire sincère, m’empêchant de m’accrocher à son bras comme une midinette. Pourtant, j’en mourrais d’envie.
En sortant enfin de cette boîte exiguë ; je ne pus m’empêcher de jeter un coup d’œil par-dessus mon épaule. Je croisai le regard de Logan, braqué sur moi tandis qu’ils s’éloignaient dans la direction opposée.
— Qu’est-ce que tu aurais envie de manger ? Si ça te tente, je connais un très bon restaurant marocain. On va devoir prendre le train, mais il n’y aura qu’une station.
J’acceptai volontiers. De toute évidence, il était connaisseur dans ce domaine et pour le moment, je n’avais jamais été déçu par ses choix, alors, je le laissais mener la danse. J’avais confiance. Nous utilisâmes nos cartes de transport et quelques instants plus tard, nous nous trouvions sur le quai. L’enfilade de wagon apparue en un instant. Nous montâmes dans le plus proche et nous installâmes d’une manière naturelle devant les portes.
Me savoir ici, avec lui, déclencha quelques envies lubriques en mon for intérieur. Je me raclai la gorge et pris une longue inspiration. Ce n’était vraiment pas le moment de lui montrer ce que j’aimais. Pourtant, lorsque sa main frôla une nouvelle fois la mienne, je ne pus m’empêcher de tressaillir devant une évidence. Ce matin, Nightmare avait eu exactement la même approche.
Lors de mes rencontres avec lui, j’avais régulièrement imaginé Mickaël à sa place, mais là, tout de suite, sa présence était palpable quand, à mes côtés, il touchait mes doigts du bout des siens. Alors, dans un mouvement fou, conforté par mes sentiments, je glissais mes premières phalanges contre sa paume, le regard fixé sur le paysage.
Il les entrelaça avec les siennes dans un geste qui ne reflétait que de la douceur. Mon cœur sursauta, puis battit plus vite, plus fort. Je voulais plus. C’était la première fois qu’il se passait quelque chose de tangible entre nous et je devais reconnaître que j’adorais ça.
En lui jetant un coup d’œil, je déglutis avec difficulté. Le parallèle avec Nightmare était difficile à omettre. Ils avaient approximativement la même taille, la même carrure, du moins, pour ce que j’avais pu constater. Je fus troublé, bien plus que j’aurais voulu l’admettre.
Sous les remous du wagon, je percutai son épaule avant de m’excuser, sentant le rouge me monter aux joues. Mes doigts glissèrent plus loin entre les siens et il ferma la main, m’emprisonnant avec lui.
Lorsque les portes s’ouvrirent, il avança en me tenant et nous sortîmes de la gare, puis nous dirigeâmes vers le restaurant sans qu’il me lâche. Déambuler dans la rue avec lui était reposant. Je l’avais toujours trouvé charmant et charismatique, mais ces derniers temps, il m’enveloppait dans une aura de protection où je me fondais avec plaisir. J’avais la sensation qu’avec lui, rien de mal ne pourrait m’arriver. Il veillait sur moi.
Nous atteignîmes le restaurant et sa devanture ocre, richement décorée. En passant l’entrée, nous débouchâmes dans un espace où plusieurs petits salons colorés, agrémentés de tapis traditionnels, se partageaient l’espace. Une serveuse vint vers nous et Mickaël demanda une table pour deux. La demoiselle nous fit signe de la suivre. Nous quittâmes le vestibule pour nous diriger dans une cour intérieure entourée de belles arches en arc brisé qui reposaient sur de somptueuses colonnes sculptées. En son milieu un bassin peu profond garnissait l’espace. Nous étions coupés des bruits de la ville et la fontaine qui ne cessait de remplir le point d’eau nous offrait une musique mélodieuse et relaxante. Je ne pus m’empêcher de réagir en voyant ces ravissants décors.
— L’endroit te plaît ? me demanda Mickaël, un sourire aux lèvres.
— Oui, c’est magnifique ! Et puis, ça sent vraiiiment bon !
Il rit, semblant attendri tandis que je le regardai avec une admiration non dissimulée. Nous fûmes menés dans une petite pièce, désignée entant que « salon privé » par la jeune femme. Un large et profond canapé en demi-lune entourait une belle table ronde en bois foncé où des menus et des apéritifs furent déposés.
Je m’installai entre deux énormes coussins moelleux, prenant plaisir à humer l’air gorgé d’épices tandis que Mickaël prenait place à côté de moi, retirant sa veste de costume. À côté de lui, j’avais l’allure d’un enfant, affublé de mes baskets, d’un jean et d’un gros sweat bordeaux. Lui qui était toujours impeccablement habillé et coiffé, il me donnait à entrevoir à quoi devait ressembler l’homme que mon père aurait voulu que je sois.
Des apéritifs furent servis et nous trinquâmes joyeusement.
— Merci de m’avoir emmené ici. C’est vraiment magnifique, dis-je en fixant la fontaine par la grande porte archée qui nous séparait de la cour afin d’éviter son regard trop perçant.
— Ça me fait plaisir de passer du temps avec toi. J’aimerais le faire plus souvent, au boulot comme en dehors.
Je bus une gorgée fruitée de la boisson.
— Ça me plairait aussi, avouai-je.
Je saisis le menu, laissant mes yeux divaguer entre les différents plats. Quelques minutes plus tard, la serveuse récupéra nos commandes et repartit presque aussitôt.
— Comment tu as connu ce restaurant ? m’intéressai-je.
— J’aime beaucoup la cuisine, alors je fais mon possible pour aller manger dans de bons établissements. Celui-ci est proche de mon appartement, je suis venu un soir après avoir fait quelques recherches sur internet. Ils avaient des avis positifs et j’ai été agréablement surpris. En plus, de nuit, la fontaine et le bassin sont éclairés, ce qui donne une véritable ambiance tamisée.
Encore une fois, j’eus du mal à détacher ses paroles des maigres informations que je détenais de Nightmare. Les restaurants exotiques… Les plats furent servis sans que l’attente soit trop longue et nous nous régalâmes. Il me fit goûter le sien, bien plus épicé que le mien et ma bouche en feu le fit rire. J’étais comblé de me trouver si proche de lui, que ce soit physiquement ou psychiquement.
Après avoir dévoré un plateau de petits gâteaux trop sucrés pour que je reste sans problèmes d’hyperglycémie, la jeune femme vint nous proposer des cafés. Mickaël en prit un et commanda un thé à la menthe pour moi. Une fois la serveuse éclipsée, il se pencha dans ma direction.
— Pour le thé, j’ai bien fait ? J’ai constaté que tu ne prenais jamais de café au bureau.
— Oui, merci ! Je ne bois du café que le matin, sinon, je suis trop énervé. La caféine fonctionne trop bien sur moi. En plus, j’aime beaucoup les boissons et aliments sucrés. C’est un de mes péchés mignons.
Je fus touché qu’il ait pris le temps de remarquer ça. L’attention qu’il me portait fit battre mon cœur plus vite et lorsqu’il se tourna vers moi, il ne pus voir que le large sourire qui habillait mon visage.
— Eliah… débuta-t-il avant d’hésiter.
Je le fixai, attendant qu’il continue. Il prit ma main dans la sienne, caressant le dos de ma paume avec une douceur addictive.
— Tu sais, je t’apprécie vraiment beaucoup et quand je disais tout à l’heure que j’aimerais passer plus de temps avec toi, c’était vrai. J’aimerais…
Une nouvelle fois, il s’interrompit, semblant chercher ses mots.
— Je sais que je n’ai pas été très subtile la dernière fois et je crois même t’avoir mis mal à l’aise. Je tenais à te dire que je suis vraiment désolé. Aborder le sujet de ton orientation si crûment alors que nous ne l’avions jamais évoqué était plus que maladroit de ma part. Est-ce que tu veux bien m’excuser ?
Je hochai la tête avec force, presque incapable de parler tant ce qu’il se passait entre nous était puissant. Cette journée demeurait la plus déstabilisante que j’aie vécue. À ma réponse, il sembla soulagé et me sourit tendrement.
— On ne se connaît pas vraiment, mais si tu es d’accord, je souhaiterais que l’on se voie un peu plus sérieusement tous les deux. Nous pourrions nous connaître un peu plus, découvrir des choses sur l’autre que nous ne connaissons pas.
— J’adorerais aussi, avouai-je sans parvenir à cacher le rougeoiement de mes joues.
— Ça me fait plaisir, me dit-il en raffermissant sa prise.
La demoiselle revint, plaçant nos boissons chaudes devant nous. Nous bûmes tranquillement, dans un silence que je trouvais relaxant. Ensuite, il fallut malheureusement quitter cet endroit idyllique. À la caisse, il insista pour régler pour nous et quelques minutes plus tard, nous étions de nouveau à la gare, attendant le train. Je massai mon ventre rebondi.
— J’ai trop mangé, soupirai-je. Mais c’était tellement bon ! Merci encore !
Il attrapa ma main une nouvelle fois, la serrant dans la sienne et entrelaçant nos doigts.
— J’espère qu’on pourra faire beaucoup d’autres sorties.
J’acquiesçai, trop heureux qu’il me le propose à nouveau. Malheureusement, nous nous retrouvâmes bien trop tôt de nouveau dans nos bureaux personnels, séparés par un long couloir à la moquette grisâtre.
En fin de journée, je rentrai, l’esprit paisible quand un détail me fit tiquer ; depuis que j’avais quitté Nightmare ce matin, je n’avais eu aucune nouvelle. D’habitude, nous conversions avec une régularité presque militaire après nos rendez-vous ferroviaires, mais aujourd’hui, le silence était apparemment de mise. J’en vins à me demander si ce baiser n’avait pas été une mauvaise idée.
Entre les paroles de Logan et ses demandes direct je suis perdu 👀