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1 - 1 - Entrée en gare
2 - 2 – « Attention à l’ouverture des portes »
3 - 3 - Monter dans le train
4 - 4 - « Attention à la fermeture des portes »
5 - 5 - Départ du train
6 - 6 - Les à-coups du démarrage
7 - 7 - Prendre de la vitesse
8 - 8 - Les remous de la rame
9 - 9 - Les remous de la rame 2
10 - 10 - Le bruit assourdissant du tunnel [partie 1]
11 - 11 - Le bruit assourdissant du tunnel [partie 2]
12 - 12 - Arrêt inopportun
13 - 13 - Bloqué sur la voie
14 - 14 - Wagon restaurant
15 - 15 - Remise en marche
16 - 16 - Station d’arrivée
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Pythonisse
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4 - « Attention à la fermeture des portes »

Quand il fut enfin dix-huit heures trente, j’éteignis mon ordinateur puis étirai mon dos en basculant contre le dossier de mon fauteuil. Chris était parti depuis un peu moins d’une heure, mais je devais absolument terminer de vérifier un ensemble de documents dont il manquait des pages. Je quittai mon bureau après m’être assuré que tout était bien éteint, puis me rendis – avec un entrain non réprimé – devant celui de mon chef. Je toquai plusieurs petits coups et attendis son autorisation avant d’ouvrir la porte, stressant un maximum.

Attablé derrière son grand bureau, de nombreux papiers s’étalaient devant lui. Il me jeta un petit regard puis m’invita à prendre place sur le fauteuil en face de lui. Je m’exécutai en silence, tout en scrutant ce sur quoi il travaillait. Il avait l’air concentré et cette intense réflexion créait une ride de souci entre ses deux sourcils. De toute façon, quoi qu’il fasse, je le trouvais sexy. Il aurait pu se balader en tenue d’infirmière que je… ouais… sexy…

J’eus du mal à réprimer un sourire, imaginant mon boss dans une tenue si loin de celles qu’il portait actuellement et ce fut sa voix qui me ramena à la réalité.

— Tu as une idée d’où tu veux aller ? Il y a un bar que tu apprécies plus que d’autres ? me demanda-t-il sans lever les yeux.

Je secouai la tête.

— Je ne bois pas beaucoup d’alcool, je ne tiens pas bien. Alors, je n’ai pas de préférence concernant le bar. On peut aller où vous voulez.

Pendant la demi-heure suivante, nous ne parlâmes plus. Je le laissai finir tout ce qu’il avait à faire tout en l’admirant consciencieusement. Pendant ce laps de temps, je reçus un sms de Delphine qui m’avertit que ce soir, elle voyait son amoureux et serait donc absente, peut-être jusqu’à demain. Je lui répondis immédiatement que j’espérais qu’elle passerait une bonne soirée. J’étais heureux de la voir commencer à s’épanouir avec un homme. Jusqu’à il y a quelques mois, l’amour ne l’intéressait pas. Elle avait toujours eu un comportement un peu renfermé, pas réfractaire aux rencontres, juste plus encline à travailler sur son art.

Soudain, mon boss se mit à ranger ses papiers. M’informant à mi-mot que nous pouvions y aller, je me redressai, impatient. Nous sortîmes du bâtiment pour nous diriger vers le centre-ville et ses bars.

Nous déambulâmes dans la rue piétonne, entourés d’une petite foule de gens pressés de rentrer chez eux. Le printemps rallongeait les jours et le soleil commençait à descendre après une journée de travail acharné. Après quelques minutes de marche, nous nous arrêtâmes devant un établissement.

— Je viens souvent ici, ça te va ?

Je hochai la tête pour acquiescer et nous entrâmes. J’étais content qu’il me demande tout de même mon avis. Certes je n’avais pas de préférences, mais je savais qu’il y avait des bars plus fréquentables que d’autres. Encore une fois, il me prouvait qu’il était parfait.

Nous fûmes placés à une table près du fond, dans un petit coin discret et intimiste. Alors que je m’asseyais, mon portable vibra. Je l’extirpai de ma poche pour voir le logo de l’application s’afficher dans mon résumé de notifications. Ça pouvait donc attendre. Je remis l’appareil dans ma poche tandis qu’il apostrophait un serveur.

— Tu prends quoi ?

— Un coca, s’il vous plaît, répondis-je.

— Tu tiens pas l’alcool à ce point ? se moqua-t-il.

— J’ai vraiment une mauvaise résistance, ris-je à mon tour. Je n’ai pas bu très souvent. Généralement, je le fais aux réunions de famille, mais… ça m’est arrivé plusieurs fois de dépasser mes limites.

Il sourit, se moquant à moitié, puis commanda un whisky et un coca. Lorsque le serveur s’éloigna, il posa ses avant-bras sur la table, tournant vers moi un regard sérieux.

— Alors, est-ce que tout va bien en ce moment ?

Sa question me surprit.

— Oui, ça va. Merci de vous en inquiéter, Monsieur.

— Appelle-moi Mickaël. Monsieur, c’est un peu trop formel. Et puis, tutoie-moi. Nous sommes entre collègues.

Son prénom résonna en moi. Bien entendu, je le connaissais depuis des mois, rien que parce qu’il était noté sur la porte de son bureau, mais qu’il me donne l’autorisation de l’utiliser… J’avais envie de le répéter des centaines de fois en boucle ! Mickaël, Mickaël, Mickaël, Mickaël, Mickaël, Mickaël, Mickaël, Mickaël, Mickaël, Mickaël !

— D’accord… Mickaël, osai-je, tout de même un peu pataud.

Il sourit un instant avant de reprendre un air plus sérieux.

— Je sais que les chefs vous en demandent beaucoup à Chris et toi. Vous vous en sortez bien, alors ils pensent qu’ils peuvent vous en demander plus. Je vais essayer de retarder cette histoire de compta’ de 2013.

Mon cœur se gonfla d’affection pour lui. Il était tellement gentil et avenant ! Comment est-ce que je pouvais ne serait-ce qu’espérer l’oublier ? La vie était cruelle. Cet homme, il était mon idéal. Il était tout ce que j’espérais trouver chez un compagnon potentiel. Il était là, à seulement quelques centimètres de moi et pourtant, il était inatteignable.

— Merci beaucoup, dis-je en souriant.

Soudain, il attrapa ma main sur la table et la serra entre ses doigts. Mon corps entier réagit et essaya de retenir tout ce qu’il pouvait. Sa main, elle était si grande autour de la mienne, si chaude, si rassurante, si… elle était trop de choses plaisantes.

— Tu sais que tu peux venir me parler si ça ne va pas, n’est-ce pas ? Je ne suis pas que ton supérieur hiérarchique, j’aimerais aussi qu’on puisse être ami.

Je fis comme si je recoiffai mes cheveux pour l’empêcher de voir mon visage rougissant. Heureusement pour ma santé mentale, il lâcha ma main quand le serveur réapparu afin de nous donner nos verres. J’en profitai pour glisser les deux sur mes cuisses, pour les dissimuler tant elles tremblaient. Mon portable vibra une seconde fois, mais je n’y fis même pas attention, car dans ma tête, il n’y avait que le visage inquiet de mon boss qui me répétait « soyons amis ».

Je bus la moitié de ma boisson d’une traite, tentant de me remettre les idées en place. Tout ça ressemblait trop aux fantaisies qui fleurissaient dans mon cerveau quand je pensais à lui. Il était vraiment gentil et j’étais vraiment trop stupide de prendre ça pour de l’affection.

— Tu me disais que ta grande sœur était une artiste peintre ?

— Ah ? Oui ! Delphine. Elle prépare une expo, justement. Je vais l’aider à tout organiser. On imagine pas toute la paperasse que demandent les galeries d’arts quand on veut y exposer des œuvres.

— J’imagine que ce ne doit pas être de tout repos. Cependant, fais attention à ne pas trop tirer sur la corde, depuis quelque temps, tu as l’air plus fatigué qu’avant.

Je ris, un peu embarrassé.

— Mes sœurs ont besoin de moi. Je fais toujours mon possible pour les aider et les accompagner autant que je peux.

— Tu les aimes vraiment, dit-il en buvant une gorgée.

— Oui, avouai-je. Ce sont les personnes les plus importantes à mes yeux.

Il rit, attendrit.

— Et tu ne te sens pas seul, parfois ?

Je secouai la tête.

— J’ai la chance d’être le seul garçon parmi une fratrie de sept enfants. Je suis le petit préféré. Elles m’aiment toutes et bien qu’elles se crêpent parfois le chignon, ça n’a jamais été le cas avec moi. J’ai l’immunité « frère chéri ». Les plus grandes me voient comme une petite chose mignonnes et les plus petites me voient comme un confident. J’ai la place parfaite.

Tout le temps où je déblatérais, il sourit.

— Pardon. Quand il s’agit de mes sœurs, je suis une vraie pipelette.

— Ça me dérange pas. Ça me permet d’en apprendre plus sur toi.

— Et vous ? Enfin… toi ? me rattrapai-je. Tu as des frères et sœurs ?

— Je suis fils unique. Chéri par ses parents, souvent pourri-gâté. Je n’ai jamais eu à me plaindre d’un manque quelconque d’attention. Au pire, si j’avais été tatillon, j’aurais pu me plaindre de leur amour trop démonstratif.

Nous rîmes ensemble. Durant une heure, nous parlâmes comme des amis. Il me fit rire de nombreuses fois de part son esprit vif, il me raconta un peu sa vie en dehors du bureau et quand nos verres furent terminés, nous nous apprêtâmes à sortir. Je me dirigeai vers la caisse et alors que je sortais ma carte bleue, il me stoppa.

— Laisse, ce soir c’est pour moi. Mais la prochaine fois, je compte sur toi.

La prochaine fois ? Il prévoyait déjà une prochaine fois ? Cette nouvelle me mit en joie. Alors j’avais le droit d’espérer un peu plus qu’une amitié platonique ? J’acquiesçai sans attendre.

Il paya puis m’entraîna dans la rue tandis que je le remerciai une nouvelle fois. Tout en marchant afin de nous rapprocher de l’entreprise, il me proposa de me ramener. Prétextant que ce serait plus rapide qu’en train. Je dus redoubler d’effort pour accepter et ne pas fuir en courant. Il me guida donc jusqu’à un parking puis nous nous stoppâmes devant une voiture.

Il passa du côté conducteur et nous nous installâmes dans l’habitacle. Rien que l’idée de rentrer dans sa voiture me rendait fou. J’avais déjà imaginé tant de scénarios possibles que mon cerveau les ressortait tous en même temps. Je dus me concentrer afin de lui donner mon adresse sans paraître troublé et il démarra rapidement. Durant le trajet, il me posa des questions sur mes sœurs, sur ma famille en général et je répondis aussi honnêtement que possible.

— Et… demanda-t-il en hésitant un peu. L’expo de ta sœur est bientôt ?

— Oui, dans quelques semaines.

— Ça te tenterait qu’on y aille ensemble ? Je suis plutôt amateur d’art mais ça fait longtemps que je n’ai pas été à une exposition.

Je fus bien plus troublé par sa demande que je le laissai transparaître. Il prévoyait donc des sorties avec moi si loin dans le temps ?

— Ça me ferait plaisir, oui, avouai-je.

— Super. On fera ça alors. Tiens-moi au courant dès que tu as une date et une heure, ok ?

— Ok !

Vraiment, passer du temps avec lui en dehors du boulot était tout bonnement rafraîchissant. Il était encore plus parfait que dans mes rêves, plus drôle que je ne pourrais jamais l’être et il était si beau ! C’était un véritable régal pour tous les sens que j’avais l’autorisation d’utiliser…

Une fois arrivés devant ma maison, il se stationna tandis que je triturai mes mains de gêne, le regard fixé sur mes genoux. Du coin de l’œil, je le vis se rapprocher de moi et au moment où il allait parler, mon portable sonna. Surpris, j’attrapai mon appareil en m’excusant platement. Je décrochai en voyant le nom de Caroline s’afficher.

— Allô ?

— Éli, je sais pas où t’es, mais il faut que tu rentres ! J’arrête pas de t’envoyer des sms mais tu réponds pas ! J’ai besoin de toi, là.

Je soupirai et envoyai un regard désolé à mon boss.

— J’arrive.

Je raccrochai et me tournai vers lui.

— Je suis désolé, je dois rentrer. Elles ont besoin de moi.

Il me sourit.

— Pas de problèmes. On se voit demain au boulot, super grand frère.

Le surnom me fit sourire plus que de raison.

— Oui. Merci encore pour le verre, c’était vraiment sympa, dis-je en sortant de la voiture.

— J’ai trouvé aussi. On se refera ça.

Je hochai la tête puis refermai la portière. Il démarra, me fit un signe de la main et s’éloigna en faisant ronronner son moteur. J’attendis qu’il ait dépassé l’angle de la rue avant que mon visage ne rougisse une nouvelle fois. Je venais de passer la soirée avec lui ! Pour de vrai ! De nouveau, un sourire idiot s’imprima son mon visage écarlate.

Il me fallut une longe minute afin de reprendre un peu mes esprits, faire à nouveau circuler mon sang autre part que dans mon visage et calmer mon cœur tout affolé. Une fois redevenu normal et présentable, je me dirigeai vers la maison. En entrant, je n’eus pas une seconde avant qu’Annabelle ne me saute dessus.

— Enfin ! T’étais où ? Constance elle est dans le mal !

Je ne pus même pas enlever mes chaussures qu’elle me traînait déjà dans sa chambre où la seconde jumelle pleurait, allongée sur son lit.

— T’avais dit qu’il pourrait pas me résister, hurla-t-elle quand je pris place sur la couette en appelant doucement son nom.

Je caressai ses cheveux et leurs grosses boucles.

— Je suis désolé. Les peines de cœur ça fait mal, je sais. Il ne sait pas ce qu’il rate. Tu es une jeune fille formidable, avec un sacré caractère. Je sais que tu dois être très triste, mais je te promets que ça ira mieux dans quelques jours.

Elle se redressa, le visage trempé de larmes et me tomba dans les bras, recroquevillant son petit corps contre le mien. La voir dans un tel état me brisa le cœur. Cet imbécile de Jordan ! Je passais alors un long moment à la tenir contre moi en la berçant un peu, tandis qu’elle pleurait. Tout le reste de la soirée, j’oscillai entre passer du temps avec Constance et m’occuper de la maison. Comme les parents étaient absents, je devenais le responsable de la tribu.

Depuis quelque temps, Delphine fréquentait un jeune homme et apparemment, ça se passait bien. Ça m’enchantait pour elle, elle avait le droit d’être heureuse. Mais quand elle n’était pas là, c’était à moi de tout faire dans la maison. Les autres ne m’aidaient pas vraiment à la tenue de la maison ou aux corvées et si je voulais que ce soit fait, je devais m’en charger. Bien que Caro passait parfois un coup d’aspirateur, les autres se tenaient loin des instruments de ménage. Quant à nos parents… Depuis que Léonie avait eu seize ans, ils s’absentaient régulièrement. Déjà que depuis petit, j’avais été formaté à m’occuper de la maison, mais depuis qu’ils vivaient leur vie sans nous, voyageant aux quatre coins du monde, j’étais complètement devenu le référent de mes sœurs. D’ailleurs, quand il y avait des problèmes au lycée ou à la fac des plus petites, c’était moi qu’on appelait.

Donc, encore ce soir, je préparai le repas pour nous, Constance constamment accrochée à moi. J’avais l’impression de la revoir quand elle était petite, quand Annabelle et elle ne pouvaient pas se passer de moi. Ce soir, elle restait agrippée à mon t-shirt et me suivait à la trace. J’essayai un peu de l’inclure dans la préparation du repas ou la mise en place de la table, mais si elle me perdait de vue, elle recommençait à pleurer.

Après le repas, elle m’aida pourtant à tout ranger dans le lave-vaisselle, puis nous discutâmes un peu lorsqu’elle partit se coucher. Ce ne fut qu’une fois dans mon lit que je repensais à la notification de l’appli. J’ouvris le message.

« On commence demain ? Ça te tente ? »

Je répondis immédiatement positivement. J’avais un peu peur, mais je devais me lancer. Au pire, si ça ne me plaisait pas, je n’avais qu’à faire éclater une bulle de mon chewing-gum et tout serait fini. Puis son message suivant me fit tiquer.

« Envoie-moi une photo de ta tête. J’aimerais pas me planter de gars, demain. Envoie-moi tes horaires de train aussi. »

Je fis la moue. Depuis combien de temps je n’avais pas pris de photo de moi ? C’était un exercice qui m’avait toujours paru d’une complexité affligeante. Et si jamais je n’étais pas à son goût ? Est-ce qu’il refuserait de continuer ? Je pensais que oui. J’aurais du mal à toucher un gars qui ne me plaisait pas. Mais d’ailleurs… s’il ne me plaisait pas, à moi ? À la vue des photos dont je disposais, je pouvais facilement dire que son corps était… comme il fallait. Mais sa tête ? Est-ce que j’avais le droit de l’imaginer comme je le voulais ? Par exemple… identique à celle de mon boss chéri ?

Il me fallut une dizaine de minutes pour revenir à ce que je faisais avant d’avoir laissé mon cerveau prendre le contrôle de ma réflexion. Perdu devant les messages, j’allumai pourtant le plafonnier de ma chambre et mon appareil photo. Est-ce que je devais faire une tête spéciale ? Je devais sourire ou être neutre ? Alors que le flash se déclenchait, prenant une photo au hasard, juste pour essayer, ma porte s’ouvrit sur Léonie.

— Grand frère, qu’est-ce que tu… tu te prends en photo ? Oh je peux te prendre ? S’il te plaît !

Les bras encore tendus devant moi, j’étais pris en flag’. Il se passa alors une seconde pendant laquelle je vis très bien ce qu’il se déroulait dans la tête de ma petite sœur, mais avant que je ne puisse me lever pour l’attraper, elle courait déjà dans le couloir en hurlant que je me prenais en photo. Immédiatement, j’entendis les autres se ruer vers ma chambre et en moins d’une minute, j’avais quatre de mes six sœurs assises sur mon lit ou faisant les cents pas dans mon espace.

— Nan mais les filles, j’ai pas besoin de vous, je vous assure !

Elles rirent toutes, ce qui me vexa un peu.

— Parce que tu comptes te prendre en photo en portant ça ? se moqua Constance en pointant mon t-shirt.

Je fus soulagé de voir que la crise de larmes était passée, cependant, j’avais l’impression que cette histoire de photo lui donnait une excellente excuse pour penser à autre chose. Ce qui était une bonne nouvelle, mais seulement pour elle.

— Eh bien quoi ? Il est très bien ce t-shirt, me défendis-je.

— C’est ça, dit-elle en se levant pour rejoindre mon armoire. Mais on va quand même le changer.

Tandis qu’elle fouillait parmi mes habits, Léonie se pencha vers moi.

— Pour qui tu prends une photo ?

— Pour personne en particulier, me dédouanai-je.

— Le menteur, me taquina Caroline. Je suis sûre que c’est pour un gars ! Allez, avoue !

Je baissai la tête, vaincu.

— Ah ! Il rougit ! On a raison, c’est pour un gars ! s’exclama Annabelle. Raison de plus pour te faire canon !

— Et c’est qui ce gars ? S’informa Caro.

— Tu le connais d’où ? demanda Léonie.

— Il est sexy ? me questionna Constance.

Devant ce flot de questions qui m’engloutirent en moins d’une minute, je sentis mon visage perdre de ses couleurs.

— Je…, balbutiai-je. C’est pas… enfin… c’est… Il est pas…

Je m’embrouillai tout seul. Caro finit par poser sa main sur mon genou et me sourit.

— Stress pas, tout va bien. Tu nous le présenteras quand tu seras prêt.

Un rire embarrassé s’extirpa de moi. Leur présenter, mais bien sûr ! Quelle merveilleuse idée ! je m’y voyais déjà : « les filles, je vous présente un gars dont je connais ni le prénom, ni la tête et qui me touche sexuellement dans le train quand je vais au boulot. Alors ? Il vous plaît ? » Il allait finir en charpie.

Je détournai le regard quand Constance revint vers moi et me tendit un t-shirt.

— Tiens, mets ça !

Je m’exécutai et me changeai alors qu’elles se retournaient toutes pour ne pas me voir torse-nu, bien qu’il n’y ait pas grand-chose à voir. Elle avait choisi un t-shirt noir, simple, peut-être un peu plus à ma taille que celui dans lequel je déambulai dans la maison. Ensuite, les jumelles se mirent en tête de me coiffer. Annabelle courut donc dans leur chambre et revint avec du gel.

— J’ai pas besoin de gel, dis-je en tentant de l’arrêter. Je me coiffe jamais en plus !

— Alors, déjà, c’est pas du gel, c’est de la cire coiffante. Ça n’a rien à voir, me reprit Constance avec un ton désapprobateur. En plus, ça te coûterait pas grand-chose de te coiffer le matin. T’es mignon, je suis sûre que tu pourrais avoir du succès si tu t’en donnais les moyens…

— Si tu te la jouais un peu moins carpette, surenchérit Annabelle.

— Éliah c’est pas une carpette, me défendit Léonie.

— C’est sûr qu’à côté de toi, il fait super-héro, répondit Constance.

Les jumelles rirent alors que je fronçai les sourcils en attrapant la main de Léonie.

— Les filles, vous êtes méchantes. Excusez-vous immédiatement, ordonnai-je d’un ton ferme.

Les intéressées me regardèrent, un peu surprises, mais s’excusèrent néanmoins à leur petite sœur.

— Allez, on y va. Transformons notre frère en super beau gosse de la mort ! s’exclama Caroline.

Pendant la demi-heure qui suivit, je fus donc transformé en poupée pour mes quatre sœurs. Tandis que Léonie s’amusait à m’appliquer de la crème hydratante sur le visage et le cou, les jumelles tentaient de se mettre d’accord sur ma nouvelle coiffure. Quant à Caro, elle prenait plein de photos. Finalement, cette dernière m’apporta un miroir et me dit de me regarder. Les quatre se placèrent devant moi, attendant le moment où j’oserais fixer mon reflet.

Je baissai les yeux sur le miroir et restai figé. C’était moi, ça ? Mes cheveux, un peu trop longs, car je tardai à prendre rendez-vous chez le coiffeur avaient été ramenés vers l’avant, me donnant un look plus actuel que ma coiffure « je jette tout sur le côté parce que j’ai la flemme ». Mine de rien, la crème avait « réveillé mon teint » comme le disait si bien Annabelle et le t-shirt noir faisait ressortir ma peau de roux, plutôt palote.

— Alors ? s’impatienta Constance. Tu te trouves comment ?

Je relevai la tête vers elle avec un grand sourire.

— Plutôt beau gosse ?

Elles hurlèrent toutes en cœur tandis que je me bouchai les oreilles. Les filles et leurs voix suraiguës ! Les jumelles tombèrent autour de moi et là où Constance balança un bras sur mes épaules, Annabelle s’accrocha à ma taille.

— Photo, photo ! cria Constance. Souris grand frère !

Elle tendit mon portable devant nous et les deux prirent la pose pendant que je tentai de montrer que j’étais à l’aise.

— Moi aussi je veux une photo avec lui, couina Léonie.

Les jumelles se levèrent donc et ma dernière petite sœur s’assit à côté de moi. Cette fois, ce fut moi qui l’enlaçai. Nous fixâmes l’appareil que Constance tenait encore et le flash nous prévint que nos portraits avaient été immortalisés.

— Bon, si on s’occupait de la photo qu’il doit envoyer à son prétendant, proposa Caroline. Tu veux quoi comme photo ? Normale, BG, aguicheuse ?

Je ris, un peu embarrassé.

— Normale, ce sera largement suffisant.

— Ok, alors souris !

Pendant une bonne quinzaine de minutes, les filles se succédèrent derrière mon portable, prenant toujours plus de photos de moi. Elles finirent tout de même par quitter ma chambre, me laissant avec une centaine de photos à trier. Soudain, mon portable vibra.

« Tu t’es endormi ou tu veux pas m’envoyer de photos ? »

Je répondis immédiatement.

« Désolé, j’ai été pris en flag’ de selfie par mes sœurs, du coup, elles ont voulu me glow up un peu. »

« Intéressant ! Je peux voir le résulta du glow up ? T’as combien de sœurs ? »

Sa réponse me fit plaisir. J’aimais qu’on puisse discuter d’autre chose que de ce qu’on prévoyait de faire. Ça rendait le tout un peu moins stressant.

« J’ai 6 sœurs. 3 plus jeunes et 3 plus vieilles. Voilà la photo et mes horaires ! »

J’en transmis une où je ne fixais pas mon portable, regardant légèrement plus haut, vers la photographe. Ensuite, je pris le temps de supprimer toutes les autres, n’en gardant qu’une où j’étais seul ainsi que celles où j’étais avec mes sœurs. Ensuite, je passai de longues minutes à fixer mon écran, attendant une réponse.

Ma peur de plus tôt revint. Si je ne lui plaisais pas ? Est-ce que je devrais recommencer avec quelqu’un d’autre ? Chercher à nouveau un homme qui aurait envie de me toucher ? Cette question me fit froncer les sourcils. Ça faisait un peu « désespéré » quand même… bien que je n’en étais pas loin, du désespoir. À mon âge, beaucoup de jeunes avaient déjà pu expérimenter, mais moi, j’avais toujours eu un petit train de retard. Vers quinze ou seize ans, quand les jeunes de mon âge commençaient à trouver des partenaires, moi, je m’étais aperçu que j’étais gay. Et c’était arrivé de la pire des façons.

À l’époque, j’avais un groupe d’amis assez soudé. Nous étions cinq à traîner constamment ensemble et quand ils commencèrent tous à se trouver des copines, moi, je fantasmais sur le délégué. Ils disaient que nous étions amis, que nous pouvions être honnêtes les uns avec les autres. Alors, j’ai cru que ça valait aussi pour moi. Je leur ai dit que j’aimais les garçons. En plus de m’avoir tiré les vers du nez pour que j’avoue tout à propos du délégué, ils avaient été lui rapporter mes paroles ainsi que mes sentiments. Ensuite, tout avait empiré. Déjà, je m’étais pris le pire râteau de la terre et puis, mes « amis » ne m’avaient plus parlés. C’était limite si je n’avais pas fini par être harcelé à cause de ça. Alors, depuis, je cachais mon homosexualité ainsi que mes crushs. C’était plus simple. Je ne tenais pas à redevenir la bête noire, celui qu’on approche pas, de peur qu’il nous contamine ou qu’il tombe amoureux…

Lorsque je baissai à nouveau les yeux sur mon portable, une réponse était apparue.

« J’te trouve très mignon. Tout à fait mon type de mec. On va bien s’amuser 😏 À demain Peach. »

Un petit sourire, fier, traversa mon visage avant que je ne réponde à mon tour.

« Bonne nuit, Nightmare. »

J’allai ensuite me laver les cheveux afin d’éliminer toute la cire puis me replongeai au fond de mon lit. Ce soir-là, je me couchai avec la satisfaction d’une journée positive dans l’ensemble. Je repensais un long moment au verre que j’avais été boire avec Mickaël – Mickaël, Mickaël, Mickaël. Il avait vraiment su me mettre à l’aise. J’étais tellement heureux d’être en contact avec cet homme. Même au-delà du fait qu’il me plaisait, c’était quelqu’un de bien.

Après une nuit compliquée où trouver le sommeil fut presque impossible tant la peur me taraudait, je me levai et allai réveiller les filles. En allant dans le salon, je m’aperçus que Delphine n’était pas rentrée de la nuit. Je lui fis donc un petit sms pour lui demander si tout s’était bien passé et préparai le petit déjeuner. Comme la veille, les filles se levèrent sans faire trop d’histoires et je pus même partager un café avec les jumelles encore somnolentes, donc calmes. Constance resta une nouvelle fois collée à moi et je fis mon possible pour la soutenir dans son épreuve de cœur brisé.

Pourtant, plus les heures passaient, plus mon angoisse augmentait. Aujourd’hui, j’allais enfin le faire ! J’allais réaliser un de mes fantasmes ! Ma réflexion se scinda en deux. J’étais heureux d’enfin pouvoir me lancer dans cette expérience, mais… Est-ce que ce n’était pas bizarre de réaliser un de ses fantasmes alors qu’on avait pas encore embrassé la moindre personne ? Ça l’était un peu, non ? Ça faisait pervers… Est-ce que j’étais un pervers ?

— Allôôôô, la terre appelle Éliah !

Revenant à la réalité, je sursautai en trouvant Annabelle penchée vers moi sur l’îlot central de la cuisine.

— Oui ?

— Je disais, on prend Léonie avec nous ce matin, donc tu peux partir tranquille, m’expliqua-t-elle alors que les deux autres étaient déjà devant la porte.

Soudain, un souvenir me revint en tête.

— Léonie, je n’ai pas pu t’acheter ton casque hier, je te promets de m’en occuper aujourd’hui.

Elle me sourit en me remerciant et les trois partirent, me laissant seul. Une fois la porte refermée, je pris une grande inspiration et expirai lentement. J’avais la trouille ! J’avais envoyé les horaires de mon trajet à Nightmare la veille et il m’avait dit qu’il me dirait où me placer ce matin. Jusqu’à ce que ce soit l’heure de partir, je ne pus rien faire d’autre que de me ronger les ongles et en partant, je glissai un paquet de chewing-gum dans ma poche.

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