Une bonne partie de la nuit, je discutais avec Nightmare. Le peu que je découvris de lui me plut vraiment. Il semblait être gentil. Pas seulement poli, mais foncièrement gentil. Il me posa des tonnes de questions sur mon travail, mes passions, nous en étions même venus à parler un peu cuisine.
Quand mon réveil hurla aux alentours de six heures du matin, j’eus beaucoup de mal à ouvrir les yeux. Pour la première fois depuis longtemps, le snooze dû faire son travail.
Je me levai en bâillant à m’en décrocher la mâchoire, puis me dirigeai d’un pas lent vers la cuisine en enfilant un gros sweat en « pilou-pilou » qu’Eva m’avait offert à noël dernier. J’allumai la cafetière, posai le lait ainsi que sept tasses sur le plan de travail. Elles furent suivies d’autant de petites cuillères, puis du sucre, de la confiture, du pain, des viennoiseries et le chocolat en poudre.
Tandis que le café coulait, remplissant la cuisine silencieuse d’un gargouillis peu élégant, j’ouvris un sac chiffonné, posé au-dessus du micro-onde. Je pris le tube à l’intérieur et en sortis une pilule que je déposai dans un verre avant de le mélanger à de l’eau. Une fois le tout bien dissous et le mélange bien orange, j’ôtai la cuillère que je léchai par mégarde. Je regrettais immédiatement mon geste malheureux. Ces vitamines avaient un goût horrible. Je déposai le couvert dans ma tasse en grimaçant et retournai dans la partie des chambres, le verre en main.
Je me rendis jusque devant la porte de l’une de mes sœurs, que j’ouvris doucement. Je fus content de voir que pour une fois, elle avait dormi dans son lit. Ces derniers temps, ça lui arrivait souvent de s’endormir sur son bureau, elle en sortait avec plusieurs jours de maux de dos. Je posai le verre sur sa table de nuit, puis m’assis sur le bord de son lit. Ses longs cheveux noirs dépassaient du matelas, pendant vers le sol. Toutes mes sœurs avaient de magnifiques cheveux d’ébène. Chez certaines, ils étaient plus ondulés que chez d’autres, mais elles avaient toutes les cheveux d’un noir profond que j’enviais. Et moi ? Un rire forcé m’échappa. J’étais le seul roux de la famille.
— Léonie, l’appelai-je doucement. Léonie, il est six heures passées, c’est le matin.
Elle grogna puis se plaignit.
— Mais Morphée est encore là…
Je ris.
— Eh bien il va falloir qu’il parte. Les hommes bien laissent leurs femmes se lever quand elles le doivent.
Ses épaules tressaillirent sous un rire.
— Il dit qu’en tant qu’homme bien, tu pourrais me laisser encore cinq minutes.
— Si je sors d’ici et que tu n’es pas levée, tu vas te rendormir et on finira en retard. Je le sais, tu le sais et il le sait maintenant. Alors ne le déçois pas, lève-toi, dis-je en caressant une nouvelle fois ses cheveux.
Elle grommela, mais se redressa tout de même. Posant les pieds au sol, puis bâillant en s’étirant, elle me sourit tandis que je lui montrai le verre.
— Je t’ai préparé tes vitamines, tu vas en avoir besoin. C’est aujourd’hui le gros contrôle d’histoire ?
— Ouais, c’est aujourd’hui, me confirma-t-elle. Je pense que je vais m’en sortir, je suis confiante. J’ai bien révisé et puis la prof m’aime bien. On a la même approche des choses.
Elle leva les deux pouces et je sortis de sa chambre en souriant, la laissant finir de se lever. Je passai ensuite dans la chambre des jumelles. Avec elles, le rituel était bien plus rapide ; J’ouvris la porte sans faire grandement attention, me dirigeai vers la baie vitrée donnant sur leur petit balcon. Puis, dans un grand geste théâtrale, j’ouvris les rideaux de velours, laissant la lumière matinale inonder la pièce.
— Les filles, il est six heures quinze, vous avez trente minutes pour passer toutes les deux à la salle de bain, à partir de maintenant. Vous devriez déjà être debout. Maman et papa ont signé vos autorisations de sortie pour le musée, tout est sur la commode de l’entrée, ne les oubliez pas en partant. Constance, maman m’a dit que ton cours de danse de ce soir est annulé, ton prof est malade.
— Éliah, se plaignit Constance en se cachant sous la couette. Pourquoi tu nous agresses dès le matin ? Comment tu veux qu’on retienne tout ça ?
— Ne t’inquiète pas, je vais tout vous envoyer par sms. En attendant, les minutes passent et la salle de bain ne sera pas libre encore longtemps. Alors, vous devriez vous dépêcher si vous voulez toujours faire votre « look chic pour la fac ».
À ces mots, Annabelle – qui jouait la morte depuis mon arrivée – se redressa comme un robot, dans un geste fluide et complètement flippant.
— J’avais oublié ! Constance ! Debout ! On a un look magnifique à faire !
Je quittai la chambre, ravi que ce ne soit pas la bagarre ce matin. En rejoignant la cuisine, Delphine passa à côté de moi et déposa un baiser sur ma joue.
— Bonjour Éliah. Bien dormi ?
— Pas assez longtemps. Je suis fatigué.
— Salut vous deux, nous lança Caroline, déjà assise au bout de l’îlot central, buvant une gorgée de café.
Nous la saluâmes, puis nous approchâmes de la cafetière. Tandis que je servais une tasse à Delphine, je lui parlai de ma nuit.
— En fait, j’ai discuté une bonne partie de la nuit avec un gars.
Lui tendant sa tasse, elle prit une gorgée, un sourire taquin sur les lèvres.
— Voyez-vous ça. Et alors ?
Je haussai les épaules.
— Ben, je sais pas, il est sympa. Je crois qu’on s’entend bien.
Elle se pencha vers moi et me murmura :
— Et ton boss sexy, alors ? C’est pu une option ?
Je ris, un peu gêné.
— Tu sais, je crois pas que je l’intéresse. Je sais même pas s’il est gay. Je pense que je me fais des idées avec lui. Ça fait des mois que je bave littéralement dès qu’il est dans la même pièce que moi. Je pense qu’il m’a grillé depuis un moment, mais qu’il est simplement trop gentil pour me faire la moindre remarque. C’est à moi de bien me tenir au travail, pas à lui de me rappeler à l’ordre.
— D’accord. Je comprends. En attendant, tu as tout à fait le droit de croquer du gars sexy. De ce que j’ai entendu dire, c’est sucré sous la dent.
Elle me regarda très sérieusement avant que nous éclations de rire.
— Ne répète jamais ça à personne, ok ? me supplia-t-elle en riant.
J’opinai de la tête en me servant du café à mon tour, puis j’y ajoutai une bonne rasade de lait, ainsi qu’un sucre. Léonie arriva, mit son verre vide dans l’évier, puis prépara son chocolat chaud avant de prendre place au grand îlot qui faisait face à la cuisine et dos au salon. J’allai m’asseoir à côté d’elle et elle laissa sa tête retomber sur mon épaule.
— Les vitamines, c’est dégueulasse.
— Oui, c’est vrai que ce n’est pas très bon, mais ça va te faire du bien. T’as besoin de force. Du coup samedi, on dit pas debout avant dix heures.
Elle grogna.
— Mais samedi je voulais aller à la bibliothèque pour travailler et c’est mieux le matin, y a moins de monde à l’ouverture !
— Dix heures, dis-je inflexible. Hier, je t’ai encore retrouvée à dormir sur ton bureau. Alors samedi, je veux que tu dormes un peu. Je vais aller te racheter un casque aujourd’hui, comme ça, tu pourras te couper des autres. Ça te convient ?
Un large sourire fendit son visage et elle m’enlaça.
— Oui, merci Éliah. T’es le meilleur grand frère du monde.
— C’est ça, jusqu’à la prochaine fois où je dirai non, ricanai-je.
Elle pouffa aussi puis entama sa boisson chaude. Soudain, Les jumelles débarquèrent, apprêtées à l’extrême. C’était fou de voir à quel point elles parvenaient à penser à chaque détail quand il s’agissait de leurs tenues.
— Aujourd’hui, je vais enfin faire ma déclaration à Jordan ! clama Constance. Alors dites-moi, je suis canon ou pas ?
Sous mon regard amusé, elle défila jusqu’au milieu de la pièce et tourna sur elle-même.
— Magnifique ! lança Caroline.
— Superbe, surenchérit Delphine.
— Trop belle ! s’exclama Léonie.
Elle se tourna vers moi, attendant mon avis et je souris.
— Tu es parfaite, il ne pourra que te tomber dans les bras.
Un sourire sincère traversa son visage et elle rejoignit sa jumelle pour récupérer son repas. J’en profitai pour investir la salle de bain. En quelques minutes j’étais prêt. Je sortis et tombai sur Delphine qui m’attendait.
— Samedi, on va faire des courses, il faut que je m’achète des vêtements, me dit-elle en scrutant ma tenue du jour.
Je savais ce que ça voulait dire et je refusai immédiatement.
— J’ai besoin de rien, je t’assure ! J’ai encore plein de vêtements en bon état.
Son regard foudroya le mien. Il ne trompait pas, elle savait.
— Je t’ai vu jeter plein d’anciens t-shirts, la semaine dernière. Et si toi tu jettes, ça veut dire que c’est vraiment immettable. Donc, j’imagine qu’il ne te reste plus grand-chose ? De toute façon, je suis pas là pour en discuter, je te prévenais juste de te tenir prêt pour samedi, parce qu’on va faire du shopping !
Ah, voilà le ton du « t’as pas le choix, acceptes ou meurs ». J’abdiquai.
— D’accord. On part juste après dix heures ? Comme ça, je suis sûr que Léonie se lèvera pas plus tôt.
— Vendu ! Allez, je vais travailler. À ce soir, bon courage pour ta journée, tu m’en diras plus sur ton gars sexy avec qui tu papotes.
Elle m’enlaça rapidement puis s’éloigna afin de dire au revoir à tout le monde. Caroline débarqua soudain comme un boulet de canon pour prendre la salle de bain, me bousculant légèrement au passage.
— Désolée, p’tit frère !
— Y a pas de mal, fais attention à ne pas tomber !
Je rejoignis ma chambre afin de préparer mon sac à dos. J’y rangeai souvent des dossiers que je rapportai à la maison afin de travailler dessus. Je n’y pouvais rien. Mon travail pouvait sembler nul, mais moi, il me passionnait. J’avais l’impression d’être un flic de la série « Cold case ». Le temps de retourner dans la cuisine, j’envoyai le sms aux jumelles et m’installai debout, penché sur l’îlot pour avoir une vue d’ensemble sur la pièce de vie. Les petites étaient toutes les trois sur le canapé, regardant une chaîne de télé musicale et dansant un peu. J’avais donc un bon quart d’heure de libre. J’en profitai pour retourner sur la conversation de l’appli. À force de discussion, nous en étions venus à un commun accord qu’il irait doucement et que pour une première fois, je ne voulais pas de peau à peau, à part celle qui était découverte.
Au début, il avait semblé déçu, mais accepta tout de même mes conditions. Ensuite, il m’avait demandé de lui envoyer des vidéos que j’avais bien aimées et dont il pourrait s’inspirer. J’étais resté un peu perplexe devant son message. Il voulait que je lui envoie du porno ? Vraiment ? Je lui avais donc demandé confirmation et il avait malheureusement confirmé… durant la dizaine de minutes suivantes, j’avais paniqué. Le lien était prêt à être envoyé, mais ce fut une véritable épreuve. Je finis par fermer les yeux et tapotai sur mon écran, en me disant que si je loupais mon coup, je refuserais. Mais en ouvrant les yeux, je vis que le lien avait été transmis. Je dus attendre de longues minutes afin qu’il me réponde un énigmatique : « ok, je vois, c’est cool ! ». Il enchaîna ensuite sur quelques règles à mettre en place qui n’étaient pas négociables et quand je l’encourageai à m’en parler plus, il m’envoya :
« 1, tu ne chercheras pas à me voir/à me regarder.
2, les jours où on se verra, je veux que tu mâches du chewing-gum. Il servira à deux choses ; la première, si tu as quelque chose dans la bouche, tu seras obligé de la garder fermer et tu feras moins de bruit, deuxième, s’il y a le moindre problème, tu fais éclater une petite bulle et j’arrête tout.
3, Je ne parlerai pas. Donc, nous devrons mettre en place un palier à chaque fois avant de se voir. Parce que sur le moment, la seule chose qui m’arrêtera, ce sera la bulle qui éclate. »
J’étais resté un long moment pantois devant ces règles. Je lui avais donc demandé pourquoi le bonbon était nécessaire. Ne pouvait-il pas simplement écouter si je disais « non » ? Il m’avait répondu que beaucoup de gens aimaient dire non, pour être dans le rôle de l’agressé, mais qu’il ne fallait pas en tenir compte, parce que ça faisait partie du jeu. Il avait donc mis la règle de la bulle en place, « un peu comme les mots de sécurité utilisés dans le BDSM ». Là encore, je fus perdu entre gêne et curiosité. J’avais, de toute façon, fini par accepter ses règles. Elles me semblaient réfléchies et il me plaisait bien. Ce ne serait peut-être pas suffisant pour oublier mon boss inaccessible, mais au moins, j’aurais un autre point d’accroche mentale. Autre que lui.
Ensuite, nous nous étions mis d’accord sur la limite pour la première fois. Sur les vêtements. Il serait plus question de voir comment je réagissais que de réellement « jouer », mais je lui avais avoué que faire comme ça me convenait très bien. Je m’étais alors dit que c’était quand même du boulot d’organiser quelque chose que je pensais simple. Nous avions encore pinaillé sur un ou deux détails puis la conversation avait dérivée.
Soudain, Caroline traversa le salon en courant, son sac et son manteau en main, se précipitant pour saisir une paire de chaussures.
— Je suis en retard ! J’y vais, à ce soir mes amours !
Elle nous envoya un baiser de la main tandis que les filles lui criaient au revoir, puis elle claqua la porte.
— Léonie, tu devrais passer à la salle de bain, c’est bientôt l’heure, lui rappelai-je.
Elle se leva et vint ranger sa tasse dans le lave-vaisselle.
— Ouep ! J’y vais de ce pas !
— Nous aussi on va y aller, Éli ! me lança Annabelle. Tu comprends, Constance elle a besoin de retrouver son calme une fois qu’on sera au lycée.
Je souris, amusé.
— Pas de soucis, passez une bonne journée. À ce soir !
Elles s’emparèrent de leurs sacs et filèrent plus vite que le vent. J’eus le temps de faire réchauffer la fin de mon café et de le boire avant que Léonie ne revienne. Nous prîmes chacun nos affaires et sortîmes à notre tour.
Dans les escaliers, elle s’accrocha à mon bras.
— Du coup, il s’est passé quoi avec ton casque ? lui demandai-je une fois que nous fûmes arrivés dans la rue.
— Je l’ai fait tomber et j’ai marché dessus. Je suis désolée, j’ai vraiment pas fait exprès, s’excusa-t-elle.
— Je sais, t’inquiète pas. Ça va aller pour le bus, ce soir ? Tu finis plus tard que les jumelles alors tu vas devoir rentrer seule.
Je la scrutai le temps qu’elle réponde. Depuis quelques semaines, Léonie souffrait d’une peur qu’elle n’arrivait pas à expliquer. Elle avait peur de sortir. Que ce soit pour aller en courses, en cours, nous devions l’accompagner au maximum. Encore, si elle avait sa musique, elle était généralement capable d’aller au lycée, car il n’y avait qu’un bus à prendre pour moins d’un quart d’heure de trajet. Mais tout le reste demeurait compliqué. J’avais plusieurs fois essayé de la questionner, mais elle assurait que tout allait bien. Alors, depuis quelque temps, je l’accompagnai au lycée le matin quand les jumelles partaient sans elle.
Ayant cassé son casque il y a un peu plus d’une semaine, elle se retrouvait vraiment sans défense. Sans cet objet, elle avait vraiment du mal à passer de bonnes journées. Une fois dans le bus, assise et m’ayant pour la séparer des autres, elle se détendit légèrement, tenant tout de même fortement ma main. Elle eut l’air moins stressé et nous parlâmes même un peu. Je la déposai rapidement devant son lycée puis pris le chemin du RER le plus proche.
En arrivant au bureau, j’étais déjà épuisé. Durant toute la matinée, Chris et moi dûmes courir un peu partout, comme tous les jours, afin de retrouver un maximum de dossiers demandés. Avant la pause déjeuner, le boss débarqua.
— On a les grands chefs qui demandent à ce que la compta de 2013 soit terminée au plus vite, ils vont en avoir besoin d’ici quelques semaines.
— Quoi ? s’insurgea Chris. Toute la compta de tous les services ? Ils se rendent compte du temps que ça va nous prendre ? On va devoir décaler tout notre emploi du temps !
Le haut de mon corps retomba à plat sur mon bureau suite à mon désespoir.
— Regarde, même Éliah trouve que c’est abusé !
Je me redressai immédiatement, levant les mains pour me dédouaner.
— Non, c’est pas ça ! Je suis juste fatigué aujourd’hui, me justifiai-je.
Le boss s’approcha de moi et me scruta de ses grands yeux bleus.
— C’est vrai que tu as de sacrées cernes. Bon, arrêtez-vous, on va manger. Je vous emmène vous requinquer !
Chris et moi nous regardâmes, interloqués.
— Allez, on se bouge, on y va ! Insista-t-il. Vous me posez tout ça, on va manger !
Nous ne nous fîmes pas prier et moins de dix minutes plus tard, nous quittâmes le bâtiment pour rejoindre un restaurant non loin. Sur le chemin, je me sentais comme sur un nuage. J’aimais aller au restaurant avec lui, nous passions toujours du temps à parler d’autre chose que du boulot. C’était revigorant. En tant que chef, il prenait vraiment soin de nous, ses employés.
Une fois assis dans l’établissement qui proposait une cuisine méditerranéenne, les deux prirent un apéritif alcoolisé tandis que je contentai d’un soda. Je ne tenais pas bien l’alcool et en plus, je n’aimais pas particulièrement ça. Mon homme idéal prit le temps de me demander des nouvelles de mes sœurs. Je fus flatté qu’il se souvienne de leur nom ainsi que de la plupart des choses que j’avais partagées avec lui. Puis il s’attaqua à l’histoire de recherche de copine de Chris lorsque les entrées furent servies.
— Et du coup, ton genre de femme ?
— Je la vois gentille, attentionnée, bien roulée…, réfléchit Chris à voix haute.
— Une petite madame parfaite, rit-il.
— C’est ça !
— Et toi ? C’est quoi ton genre de femme ? me demanda-t-il soudainement alors que je prenais une bouchée de ma salade.
« Le genre masculin » ai-je eu envie de répondre, mais je me contentai de sourire en secouant la tête.
— Je veux juste quelqu’un de gentil. Je n’ai pas de grandes attentes.
— Tout de même, tu dois avoir des préférences, non ? me demanda mon boss.
Je triturai mes mains sous la table.
— J’aime bien… J’aime bien les blondes.
— Il y a beaucoup de roux dans ta famille ?
Chris rit. Il savait que c’était quelque chose que je n’aimais pas mentionner. Je soupirai avant de sourire piteusement.
— Mon arrière-grand-mère… apparemment…
— Personne de plus proche ? s’étonna-t-il.
Je secouai négativement la tête.
— En tout cas, moi j’aime bien, me dit-il avec un petit sourire. C’est une couleur de cheveux naturelle rare, je trouve que ça te va bien.
Je pris la décision intelligente et logique de détourner le regard, sinon, mon corps entier aurait implosé. Durant tout le reste du repas, je ne fus plus capable de grand-chose. Mon cerveau était en ébullition, ressassant sans cesse ses mots dans mon esprit. Cette émotion dans ses yeux, le petit sourire qui accompagnait sa remarque… C’était du flirt ? Pas vrai ? Pitié que je ne me fasse pas des films !
Ça, c’était tout moi. Me faire un monde d’un tout petit évènement, me focaliser dessus, l’analyser sous toutes les coutures, pour au final me rendre compte que je m’étais monté la tête.
En rentrant à l’entreprise, nous dûmes nous frayer un chemin jusqu’à l’ascenseur, comme tous les autres employés. Nous fûmes donc beaucoup trop à entrer dans la boîte de métal et lorsque les portes se fermèrent, nous étions tous collés les uns aux autres. Je savais que le boss n’était pas loin, il était entré juste avant moi, mais j’avais beau fureter autour de moi, je ne le trouvais pas.
Mon esprit fut parasité par des pensées impures. Je fantasmais beaucoup sur les trains, mais l’ascenseur, ça pouvait être pas mal aussi ! Personne ne verrait rien et pourtant, je sentirais ses mains sur moi. Il me toucherait prudemment, gentiment et je me laisserai faire… Soudain, une main se posa sur mon épaule et je fus tiré sur le côté jusqu’à me cogner contre lui. Mon corps se tendit immédiatement. Est-ce qu’il allait me toucher ? Là ? Avec tout le monde autour ?
— Ce soir, viens dans mon bureau quand tu auras fini ta journée. J’aimerais t’emmener boire un verre, me chuchota-t-il à l’oreille.
Mon visage se transforma de nouveau en tomate et je hochai la tête, sans oser parler. Sa main, toujours sur mon épaule glissa sur mon sweat jusqu’à venir effleurer mon cou. Tout mon corps fut secoué de frissons et je mordis l’intérieur de ma bouche pour m’empêcher de faire ou dire n’importe quoi d’autre, les mains cramponnées à mon sweat.
La sonnerie indiqua que nous étions à notre étage, je sortis donc, toujours escorté par mon chef qui ôta sa main de moi.
— Chris, tu files me voir la DRH. J’en ai marre qu’elle me prenne la tête avec cette histoire de dossier.
L’intéressé leva les bras en soupirant, demandant pourquoi on lui infligeait ça, mais il se dirigea tout de même dans la direction demandée. Mon chef retourna dans son bureau et je fis de même. J’en profitai pour envoyer un message à ma mère.
« Ne m’attendez pas pour manger. Mon patron m’invite à boire un verre après le travail, je vais peut-être rentrer tard. »
La réponse arriva en moins de dix minutes.
« Tu as un bon salaire, invite-le. C’est ton patron, alors sois gentil et surtout essaie de te le mettre dans la poche. Je sais que nous devions rentrer ce soir, mais nous serons absents encore quelques jours, j’attends de toi que tu t’occupes bien de tes sœurs. Aide aussi Delphine, son exposition approche, je sais qu’elle a besoin d’aide. Il faudrait aussi que tu passes faire des courses. On t’a laissé les clés de la voiture au même endroit que d’habitude. Les factures d’eau vont arriver d’ici un ou deux jours, occupe-t’en. On se revoit bientôt. Embrasse tes sœurs. »
Je ris, cynique. Ma mère tout craché. Durant l’après-midi, je travaillai d’arrache-pied. J’étais impatient d’être à ce soir pour passer un peu de temps avec mon boss sexy. C’était inespéré qu’il m’emmène boire un verre, tout seul, avec lui. Et ça me rendait vraiment heureux.