Loading...
Link copied
Loading...
Loading...
Mark all as read
You have no notification
Original
Fanfiction
Trending tags

Log In

or
@
Xian_Moriarty
Share the book

*

Ella fut ponctuelle à son rendez-vous du lendemain. Elle s’étonna de trouver Kerviller dans son bureau, frais comme un gardon. La métallieuse ne se priva pas d’une remarque sarcastique :

— Mais il vous arrive de ne pas être ivre ?

— Parfois de temps en temps, quand je suis de mauvaise humeur, persifla-t-il.

Ella comprit que l’inspecteur et elle ne possédaient pas la même définition de « mauvaise humeur » puisque ce dernier affichait un semblant de sourire. Ce qui n’était pas vraiment le cas lorsqu’il était saoul et de « bonne humeur ». Ou son sens de l’ironie méritait d’être revu. À moins que ce soit elle qui soit devenue aigrie avec le temps et les épreuves.

Kerviller trifouillait dans son bureau, soulevant des liasses de papier et des boites. Entre deux recherches, il caressait son gros chat roux qui n’hésitait pas à donner de la patte pour récupérer une main.

— Avez-vous besoin d’aide ?

— J’en doute. Une chatte n’y retrouverait pas ses petits.

— Il n’y a donc pas d’espoir pour vous.

Il lui lança un regard assassin. Puis ses yeux s’illuminèrent. Il se dirigea vers elle, la dépassa et arracha deux documents accrochés à un mur.

— Voilà qui va nous être utile. Mais avant, allons manger, voulez-vous ?

Ella n’eut pas l’impression d’avoir vraiment le choix quand l’inspecteur la poussa hors de son bureau qu’il ferma à clé. La métallieuse se contenta de le suivre sans broncher. Lui marchait d’un pas vif et rapide, elle trottinait contre son gré pour rester à sa hauteur. Kerviller cavala comme un lièvre, surtout à l’extérieur du commissariat.

— Allez, ne traînez pas.

Sans aucune hésitation, il lui saisit le bras pour la forcer à prendre le rythme. Ella se sentit gênée par ce geste. À vrai dire, elle trouva très étrange que quelqu’un la « tienne ». Les contacts physiques, il devait se compter sur les doigts d’une main depuis son veuvage. Bon peut-être un peu plus avec toutes les embrassades de Dame Amaranthe après l’incendie du manoir Michinski.

Ella se dégagea et le suivit d’un bon pied, préférant cela à son bras. Ce dernier la conduit dans une petite brasserie qui ne payait pas de mine à moins de dix minutes du poste de police. La patronne et le serveur – le fils de la première sans doute – saluèrent les nouveaux convives. Le garçon invita l’inspecteur à l’une des tables les plus éclairées près des vitrines, mais il choisit un coin plus discret.

— Georges, comme d’habitude pour commencer.

La métallieuse eut peur de ce « pour commencer ». Elle ne désirait pas vraiment ramener un inspecteur ivre mort à son bureau. Quelques secondes plus tard, le jeune homme revint avec deux verres et une bouteille de rouge.

— Un pichet d’eau s’il vous plaît, le reprit Ella qui n’appréciait pas vraiment le vin.

— Pas même une petite bière, mademoiselle ? Nous avons une superbe cuvée du nord.

— Je vous remercie, mais juste de l’eau.

L’inspecteur n’attendit pas que Georges rapporte la commande de son invitée pour commencer à siffler sa vinasse. Entre deux verres, il déposa sous les yeux d’Ella deux documents.

— J’ai bataillé avec ma hiérarchie. Vous êtes fichée dans nos dossiers (Ella grimaça). Les pièces à conviction ont été examinées par pas moins de trois personnes. Toutes de confiances. Tout affirme qu’il n’y a aucune empreinte. Si vous voulez toucher les animécas, vous devez remplir ces papiers. Ils stipulent que vous allez manipuler et lire ces objets, ce qui pourrait expliquer la présence de vos empreintes. Mais cela ne vous met pas à l’abri de poursuite si jamais on devait à découvrir que vous apparaissez d’une autre manière dans cette affaire.

Le sang d’Ella quitta ses veines. Au début de la tirade de l’inspecteur, un sentiment d’excitation l’avait envahi. Hélas, ce nouvel enthousiasme fuyait avec son hémoglobine.

Son visage pâle alerta la patronne. La grosse matrone vint plaquer son épaisse main sur la table. La bouteille de vin sauta tout autant que la métallieuse ainsi que l’ensemble des tablées du restaurant. Cependant, la tenancière plissait ses yeux sombres sur le policier qui ne semblait pas en avoir cure.

— Écoute mon biquet, si tu continues de faire peur à cette petiote, je te jure que celle-là (elle leva la main sous le nez de Kerviller), elle te loupera pas.

— Du calme Laufey. Je lui explique juste certaines choses. Je ne la menace pas.

— Bichette, si jamais il vous fait du tort, venez me le dire. Je lui remettrais les idées en place.

— J’apprécie quand tu te prends pour mon père, Laufey.

— Je n’en doute pas une minute.

Puis la patronne retourna à son comptoir, hurlant à la cuisine pour que les plats soient envoyés.

Kerviller, lui, tendit un verre de rouge à Ella. C’est vrai qu’elle affichait une sale gueule, autant par son expression dévastée

- Buvez, cela vous redonnera des couleurs.

La métallieuse ne se fit pas trop prier. L’alcool lui brûla la gorge puis réchauffa doucement l’ensemble de son corps, comme si la boisson remplaçait le sang.

— Ne vous inquiétez pas. Je crois que vous êtes capable de beaucoup de catastrophe et d’imprudence, mais pas de tuer un homme.

— Ce n’est pas ce qu’ont pensé vos prédécesseurs…

— Des imbéciles comme beaucoup dans la police.

Laufey revint avec le plat du jour, sans même que l’inspecteur et la métallieuse ne commandent.

— Dis Laufey, est-ce que tu imagines cette fille en tueuse ?

La patronne plongea ses yeux dans ceux d’Ella. Lors de sa première rencontre avec Kerviller, elle avait eu l’impression d’être sondée de la tête au pied. La cheffe fit plus. Elle l’écorcha littéralement, jusqu’à l’os. Ella baissa le regard, mais une puissante main lui releva le menton.

— Mon biquet, cette petite, elle peut bien être beaucoup de chose, mais pas une tueuse. Même pas accidentel ! Il y a de la culpabilité, certes, pas celle de ceux qui ôtent des vies. Tu veux savoir autre chose ?

L’inspecteur la remercia. Ella se sentit comme dépouillée de sa personne. Son repas lui apparut comme une sorte de parasite qui risquait de rapporter tous ses faits et gestes à la patronne. Kerviller descendit encore quelques verres, puis, l’alcool aidant peut-être, parla de Laufey. Elle fut l’une des Forte des Halles. Elle installa sa renommée quand elle porta une carcasse de bœuf tout en allaitant l’un de ces petiots. Plusieurs légendes circulaient à son sujet. Laufay aurait été la nourrice de nombre des parrains du crime de la Capitale ; elle aurait défoncé un cogne à coup de mamelle alors qu’il voulait mettre en cabane un petit mendiant ; elle aurait réglé son compte à un truand en l’écrasant avec son ventre de femme enceinte. Dans les Halles, les marchants et autres manutentionnaires parlaient avec respect d’elle. Peut-être plus par peur de sa poigne que de sa grande gueule.

— Mais revenons à nos moutons. Je ne vous oblige à rien. Si vous ne voulez pas signer ces papiers, je comprendrais.

Ella regarda les feuillets. D’un côté, un désir de savoir, de s’assurer que l’animéca était bien d’elle. Que son minable d’ancien époux avait juste retiré des lignes sur son travail, car personne n’aurait osé vérifier l’authenticité de la pièce. Mais si elle prenait ce risque, elle remettait les pieds dans une affaire de police et elle n’appréciait pas cette idée. Puis le souvenir de son incursion chez Louise-Anne d’Ys lui rappela qu’elle était déjà impliquée de toute façon. Sans oublier son animéca. Perdue pour perdu, elle signa.

— Vous êtes sûr de vous ? Je peux encore les déchirer.

— Non, ça ira. Je veux voir les pièces.

— Elles sont dans mon bureau. Mangeons.

Comment this paragraph

Comment

No comment yet