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Chapitre 9 : Mensonges

Blue.

Akira et moi nous sommes assoupis sans même nous en rendre compte, emportés par les heures passées à parler de tout et de rien, à tisser des silences doux entre les mots. Sa chaleur contre la mienne avait quelque chose d'étrangement rassurant, comme un rempart fragile contre le reste du monde.

Pourtant, malgré cette présence apaisante, mes cauchemars n'ont pas manqué de me rattraper. Je me suis réveillée en sursaut, le souffle court, la nuque trempée, la peau collante. Étouffée par une moiteur sourde, presque honteuse.

J'avais l'impression d'étouffer dans mes draps, comme si la nuit elle-même s'était refermée sur moi. Alors, doucement, en retenant ma respiration, je me suis extraite du lit, priant pour qu'Akira ne s'éveille pas.

Dehors, à l'extérieur de la bâtisse, la nuit s'accroche aux toits, épaisse et moite. Le parfum des fleurs de prunier se mélange à ceux du poisson séché et fumée, créant cette odeur familière des bas-quartiers.

Je suis vraiment sortie... me précipitant sans réfléchir, drapée d'un simple kimono suivit d'une cape sombre, j'ai glissé dans la ruelle comme une ombre. Je pourrais me mentir, prétendre que l'air nocturne me manque, que je veux simplement m'éloigner des murmures et des désirs moites qui dégoulinent des cloisons. Mais je me connais mieux que ça.

Je sais qu'au fond, une partie de moi espère revoir l'homme des rues. Je longe les pavés, les rues, les avenues... les pas feutrés, le cœur battant sans raison. Peut-être que je ne le reverrai jamais. Peut-être que cette nuit sera comme toutes les autres.

— Blue...

Je sursaute violemment, mais ce n'est qu'une voix surgie d'une fenêtre, celle d'un ivrogne dont je ne me souviens même plus du visage. Je baisse la tête et presse le pas.

Je devrais rentrer. Je devrais... Akira est mon client, et par-dessus tout c'est un homme bon, alors pourquoi je cherche un autre homme ?

Cela fait des heures que je le cherche, mais à cette heure-ci, ça ne m'étonnerait pas qu'il soit déjà en train de dormir. Je bifurque vers une petite place, celle d'un petit marché déserté à cette heure tardive.

Le vent agite les bannières rouges et noires des maisons de thé, fait claquer les tissus usés comme des battements d'ailes. Je scrute du regard chaque recoin de cette place en priant qu'il soit ici.

Et là, comme si mes prières avaient été entendues, je le vois.

Il est là.

Je pourrais repartir. Faire demi-tour, disparaître. Mais mes jambes ne bougent pas. Adossé à la pierre, un livre entre les mains, comme si le temps s'était figé depuis la dernière fois. Un morceau de nuit devenu homme.

Je m'arrête à l'ombre d'un porche. Je pourrais rester là. L'observer sans qu'il ne me voie. Mais il lève la tête, lentement, comme s'il m'avait sentie avant même de me voir. Ses yeux accrochent aux miens. Un long silence s'étire entre nous, comme une corde tendue prête à céder. Et là, il me reconnaît.

— Toi...

Sa voix est grave, un peu rauque, comme s'il ne parlait pas souvent. Je déglutis.

— Vous... vous n'avez toujours pas trouvé ce que vous cherchiez ?

Je ne sais même pas pourquoi je parle, ne reconnaissant à peine cette voix qui se glisse hors de ma bouche. Je ne suis pas la courtisane. Pas cette nuit. Je suis juste moi. Et malgré cette hésitation dans ma voix, il me sourit.

— Pas encore.

Il me dévisage comme la première fois, sans avidité, sans cette lumière torve que je connais trop bien. Juste une curiosité tranquille, presque lasse.

— Et vous ? murmure-t-il. Qu'est-ce qu'une femme comme vous fait dehors à cette heure-ci ?

Une femme comme moi... Il ne sait toujours pas. Je pourrais répondre mille choses, le chasser, l'envoyer au diable. Mais au lieu de ça, je me surprends à dire la vérité :

— Je cherchais quelque chose, moi aussi.

Il incline la tête, intrigué.

— Et vous l'avez trouvé ?

Je soutiens son regard.

— Pas encore.

Un silence se glisse entre nous, fil fragile dans la nuit. Je ne devrais pas rester là, mais il y a quelque chose dans cet homme, dans sa façon de me regarder, de me voir. Elle me donne envie de rester un peu plus longtemps.

— Vous n'avez pas peur ? finit-il par demander.

Je ris doucement, presque malgré moi.

— La peur monsieur, ça fait bien longtemps qu'elle ne me visite plus.

Il me fixe, comme s'il pesait mes mots, comme s'il voyait quelque chose sous ma peau que personne n'a jamais cherché à voir.

— Vous devriez rentrer. Les rues ne sont pas sûres.

Je hausse les épaules.

— Elles ne l'ont jamais été.

Un autre de ses sourires s'élargit, si léger que j'aurais pu le manquer.

— Alors vous, vous êtes aussi têtue que vous en avez l'air, dit-il en fermant le livre entre ses mains.

Je souris. Je devrais lui demander son nom à lui aussi. Je devrais savoir qui il est, mais je n'ose pas briser cet équilibre fragile, cette illusion que nous sommes juste deux âmes anonymes perdues dans la nuit.

— Bonne nuit, monsieur, prononçais-je après un long silence.

Je tourne alors les talons, mon cœur cognant si fort que j'eu peur qu'il l'entende.

— Attendez.

Je me retourne et ses yeux ne me quittent pas. Il a ce regard de ceux qui voient trop, qui devinent ce que vous cachez sans même poser de questions. Ça me trouble. Je devrais partir, mais je m'avance. Mes pas résonnent doucement sur les pavés secs. Je viens m'asseoir à côté de lui, sans vraiment comprendre pourquoi. Peut-être pour défier quelque chose en moi. Peut-être parce qu'il y a une solitude dans ses yeux qui répond à la mienne.

Je devrais être enfermée dans ma chambre, à écouter le souffle du vent frappé sur mes fenêtres, près de la présence d'Akira. Je devrais préparer mes danses pour demain, mon sourire parfait, mes mensonges bien polis. Mais cette nuit, il me fait réaliser que je suis une femme qui ne sait plus très bien qui elle est.

— Vous reviendrez demain ? Dit-il en brisant ce lourd silence.

La question m'étonne mais je ne sais pas comment y répondre.

— Peut-être, je ne sais pas.

Il regarde le vide un instant avant de me fixer longuement. Puis se lève sans un bruit. Je devrais rester assise. Je devrais le regarder partir sans rien dire. Mais mes doigts se ferment sur le pan de sa manche. Il s'arrête. Et mon cœur aussi. Je ne comprends pas ce que je fais.

— Comment vous appelez-vous ?

Il me regarde encore de cette manière, comme s'il pesait le pour et le contre de sa réponse. Puis il répond, doucement :

— Uzo.

Uzo. Je répète ce nom en silence, comme on garde une pierre brûlante dans le creux de la main. Puis, je le relâche enfin.

— Et vous, comment vous appelez-vous ?

Je serre les poings sous mes manches. Blue.

— Sana, prononçais-je d'un calme effrayant.

Un mensonge oui, mais peut-être le plus beau que j'ai jamais prononcé de toute mon existence sur cette terre. Il hoche la tête, comme pour approuver.

— Bonne nuit, Sana.

Puis il s'éloigne, sans un mot de plus. Je reste seule, assise contre le mur pendant une dizaine de minutes, la nuit tout autour de moi. Mais cette nuit-là, quelque chose s'est déposé en moi — quelque chose d'invisible, de fragile, qui me serre la poitrine et qui refuse de partir.

Je ne sais pas si je le reverrai demain. Je ne sais même pas si je le veux. Mais une certitude me brûle au creux des côtes : Je reviendrai. Je reprends ma marche sans me retourner.

Je n'ai pas trouvé ce que je cherchais.
Mais je sais que lui non plus.
Et quelque part dans le creux de cette nuit, j'espère qu'il continuera à chercher.

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