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Chapitre 1 : Le diamant

Blue.

L'aube se glisse lentement à travers les paravents. Le parfum de la nuit dernière s'accroche encore aux draps — mélange de musc, de sueur et de sexe. J'ouvre les yeux avec cette lenteur étudiée qui n'appartient qu'aux femmes qui me ressemblent.

Le réveil était un art et il fallait renaître chaque matin, encore intacte, même lorsqu'on avait été souillée.

À mes côtés, le corps nu et massif d'un jeune soldat repose encore, les lèvres entrouvertes rougie après avoir trop de fois embrassées. Il a payé une fortune pour passer la nuit avec moi et mieux encore, dormir près de moi. C'est la règle pour pouvoir bénéficier de mes services, car la matrone n'offre pas mon corps pour cent pièces d'or.

Cela fait un mois depuis que Kazuo est venu me rendre visite, deux autres hommes me sont passés dessus depuis. Ce jeune soldat est le troisième.

Je me glisse hors du matelas, laissant le poids du monde derrière moi. L'habitude rend mes gestes légers et dans la glace polie je croise mon reflet.

Blue.

La plupart des noms chuchotés ici n'appartiennent pas à celles qui les portent : Blue, Snow, Flower, Pearl... Leurs véritables identités étaient mortes dès l'instant où elles avaient franchi les portes du Chaste&Purity, mais moi, j'étais née ici, dans cette débauche.

Ces noms sont façonnés par la vieille Madame Yi, pour nous arracher de la réalité. Elle nous baptise toutes de mots anglais. Selon elle, les prénoms japonais ne sonnent pas assez raffinés et elle nous rabâche tout le temps que l'inconnu et le mystère plaisent aux hommes d'ici.

Je me souviens alors que l'une de mes collègue, Flower, vient de tomber enceinte d'un de ses clients. Si c'est une fille la matrone la nommera Melody, si c'est un garçon, alors l'enfant ne tiendra pas une journée ici. Car pour elle, les femmes sont des trésors à exploités, mais les hommes ne valent rien car ils n'ont rien à lui donner.

Je passe un peigne dans mes cheveux, démêlant les nœuds laissés par les mains robustes de l'homme derrière moi. Le ciel n'est presque plus rose ; je devrais me dépêcher, mais je prends mon temps refusant que cette maison m'avale tout entière.

Un léger claquement de langue m'arrache à mes pensées. Je reconnais Snow derrière la porte, sa petite voix étouffée.

— Il est parti ?

— Pas encore, répondis-je.

— Je peux rentrer ?

— Non, j'arrive. Attends que je m'habille.

Je m'enfile un vêtement simple et propre, le tissu froid contre ma peau encore marquée par la chaleur de la nuit. Je me dirige vers la sortie mais une voix d'homme rauque et ensommeillée m'arrête.

— Où allez-vous ?

À travers les murs fins, je perçois la silhouette de Snow, figée près de la porte, prête à capter le moindre murmure. L'enfant écoute toujours aux portes, attirée par ce qui ne lui est pas destiné.

— On m'appelle, dis-je, me retournant face à lui.

Le jeune soldat est allongé sur mon lit, le regard posé sur moi. Puis il se lève et avance, réduisant la distance entre nous.

— Vous étiez fabuleuse hier soir.

Pff.

Un sourire involontaire, presque imperceptible, se dessine sur mes lèvres. Hélas, c'en ai un qui n'a rien d'authentique, juste un mouvement naturel de ma bouche... une sorte d'habitude.

— Je vous remercie.

Ses yeux s'attardent sur ma poitrine tout en continuant, un peu plus audacieusement de parler de la nuit dernière.

— Cette façon que vous aviez de me guider, de bouger... C'était incroyable, j'aimerais le refaire avec vous ce matin si possi...

Je l'interromps d'une voix glaciale.

— Les murs ont des oreilles.

Il se fige et ses joues rougissent. Le garçon est visiblement trop jeune, trop naïf. Je devine sans peine qu'il s'agit de sa première fois, et c'est tout à fait évident au vu de l'hésitation dans ses gestes.

Je fixe ses yeux, lui les miens, puis je détourne mon regard, un instant plongée dans mes pensées.

Il y a trois types d'hommes dans cette ville.

Les renards, ce sont des hommes de la trempe de Kazuo, des créatures froides et rusées. Ils ont un regard perçant et savent exactement quand et comment vous faire tomber sans jamais se salir eux-mêmes.

Les lapins, comme ce jeune soldat, naïf et maladroit, prêts à se perdre dans une nuit qu'ils croient magique. Ils s'égarent dans l'instant, oubliant la réalité du monde.

Et puis, il y a les loups. Ceux qui se faufilent dans les ombres et qui, une fois la chasse lancée, n'en finissent jamais. Ceux-là me répugnent, car ce sont eux qui laissent une odeur de peur et de sang dans l'air.

Je le fixe un instant encore, me retenant d'ajouter quoi que ce soit. Il se contente de baisser les yeux, honteux. Je vois très bien qu'il n'a pas encore compris, peut-être ne comprendra-t-il jamais. Mais il sait désormais que dans cet endroit, il n'est rien d'autre qu'un petit lapin, cuit à point par Madame Yi.

Je sors de la pièce sans un mot. Snow se tient encore là, me regardant avec les mêmes yeux que les femmes d'ici.

Elle, par contre, a déjà tout saisi.

Je lui attrape la main et la guide hors des quartiers des courtisanes, nous dirigeant vers la cour arrière, loin des gémissements et de la chaleur transpirante de la grande bâtisse.

Je regarde l'enfant, marchant à mes côtés, les pieds traînant sur le sol poussiéreux de la cour. Le vent du matin fait doucement onduler ses cheveux mais elle ne semble pas vraiment s'en soucier.

— Tu es fatiguée ? je lui demande.

Elle secoue la tête sans répondre, ses yeux fixés sur le sol devant elle. Je comprends rapidement qu'elle n'est pas dans son assiette dû à ce qu'elle a assisté. Je m'assieds sur un banc, Snow toujours à mes côtés.

— Tu veux qu'on joue à quelque chose ?

Elle me regarde, puis hoche doucement la tête.

— À quoi tu veux jouer, dis-moi ?

Elle mordille son ongle, un petit geste nerveux. Je sais qu'elle aime jouer, mais qu'elle ne sait jamais vraiment à quoi.

— Je sais pas... On pourrait jouer à celui qui tient le plus longtemps sans rire.

— C'est facile ça.

— Pas pour moi, je rigole tout le temps, dit-elle en riant déjà.

J'esquisse un sourire, elle est mignonne.

— D'accord commençons, mais je vais gagner.

Snow me regarde d'un air malicieux, croisant les bras.

— On verra bien.

Je ferme les yeux un instant, le vent sur mon visage. Snow fait une petite grimace et se prépare à retenir son rire. Je la regarde, amusée. Elle fronce les sourcils, se concentre, mais ses lèvres tremblent déjà et un son émane de celle-ci. Je me mets à sourire sans pouvoir m'en empêcher.

— Tu rigoles déjà ! je lâche.

Elle se mord la lèvre, essayant de se contrôler, mais cela ne dure qu'une seconde avant qu'elle ne laisse échapper un petit rire, léger et contagieux.

— Tu me laisses jamais gagner ! dit-elle en se laissant tomber sur l'herbe.

Je me joins à elle, me couchant à côté de son petit corps, le regard vers le ciel. Il doit déjà être huit heures, mais je ne m'en soucie pas car il y a une paix étrange ici, dans cette petite bulle loin de tout. Pour un instant, il n'y a ni hommes ni obligations. Juste nous deux, à profiter du silence présent.

— T'as pas de chance, je suis trop douée, dis-je en la taquinant davantage.

Elle me regarde d'un air faussement vexé et me donne un léger coup d'épaule.

— T'es forte à tout les jeux, c'est pas juste !

On rigole toutes les deux, comme si le monde autour de nous n'avait aucune importance. Je la fixe longuement et ne vois qu'une petite fille insouciante, qui n'a pas encore vu la noirceur du monde.

C'est beau, mais ça me fait aussi un peu mal.

— On devrait faire ça plus souvent ! dit-elle soudainement, le regard brillant.

— De ?

— Rire comme ça, toi, moi et les autres, sans penser à rien d'autre.

Je la regarde, un peu surprise par la simplicité de ses mots mais aussi par la vérité qui y est cachée. Je hoche la tête, un sourire plus doux cette fois.

— Oui. On devrait.

Et dans ce moment, je me permets de rêver un peu.



— Vous vouliez me voir Madame ?

— Oui, assieds-toi.

La matrone m'a convoquée ce matin, et je n'en connais pas la raison exacte, mais cela doit concerner soit mon salaire, soit le client d'hier.

— Le soldat est satisfait ?

J'acquiesce simplement de la tête. Elle enchaîne.

— Tu ne prendras plus de clients dans ton lit à partir d'aujourd'hui. Les hommes viennent trop nombreux pour toi.

Effectivement, plus un produit est acheté, plus il perd de sa valeur.

— J'attends quelqu'un à la hauteur de ta beauté, un homme assez riche pour offrir à cette maison la sécurité qu'elle mérite.

Je comprend son raisonnement dans le fond. Madame Yi est une commerçante, elle sait gérer son business.

— Je comprends Mada...

Mais à peine ai-je pu finir ma phrase qu'un bruit strident, soudain et perçant, me fait sursauter. C'est le son des tambours martelant l'air, suivi des crépitements secs des pétards.

Des bruits de pas précipités envahissent les couloirs, et des têtes curieuses se pressent déjà aux fenêtres, balcons et portes de la maison.

Impossible de le rater, l'annonce est là : brutale, implacable, le Général Ren est de retour.
Le fameux chien du Roi.

Depuis un mois, la ville entière ne parle que de lui. Ici, même les filles n'évoquent plus que son nom, le murmurant dans chaque recoin.
Mais personne ne savait exactement quand il reviendrait. Et pourtant aujourd'hui, était le jour-J. Le bruit des tambours frappe les murs comme un avertissement, annonçant son retour d'une façon que personne n'aurait pu prévoir.

Je lâche un soupir, lassée par cette agitation. C'était toujours la même chose. À chaque fois qu'un nom comme le sien résonne dans les rues, c'est la folie collective. Mais au fond, qu'est-ce que ça changeait ? Ce n'est rien de plus qu'un homme...

Madame Yi me tire de mes pensées en me tendant une bourse pleine.

— Ton salaire du mois, prononce-t-elle.

Je la saisis.

— Merci Madame.

Sur ces mots, je me retire de son bureau et m'en vais vers mes appartements. Il est déjà midi trente, le jeune soldat est partit depuis trois bonnes heures.

Une fois dans ma chambre, je range précieusement mon argent dans le tiroir de ma commode. Mes pas s'en vont ensuite naturellement vers le balcon et mon regard se pose sur la scène qui se déroule en bas. La garde royale frappe les tambours avec un rythme imposant, comme un défilé du Nouvel An. Ils sont nombreux, très nombreux, comme si la guerre à la frontière ne les avait à peine blessé.

Vêtus de beige ou encore de marron, les soldats se déplacent avec une certaine lenteur, mais quelque part, parmi eux, un détail attire mon attention. Un homme, assis sur son cheval, vêtu d'une simple tunique rouge. Je ne distingue pas son visage à cette distance, mais je devine à son habillement qu'il n'est pas un simple soldat.

J'en suis persuadée, ça ne peut être que lui.

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