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Chapitre 3 : Première fois

Blue.

— J'ai reçu une offre ce matin.

Je baisse les yeux sur ses mains, sur la bague d'or qui brille à son annulaire. Je sais déjà ce la matrone s'apprête à me dire.

— Un portrait nu de toi, les jambes écartées.

Mon estomac se serre, mais mon visage reste impassible.

— Pour qui ?

— Un client important, très important. Il a payé assez pour que tu ne touches plus aucun homme pendant un mois.

Mensonges.

Quelque chose en moi se tord, se détruit. Quand l'argent est assez élevé pour qu'on m'épargne, c'est simplement une autre façon de me vendre. Une illusion de liberté, cousue de fils d'or.

— Il te veut telle que tu es, sans artifices. Tu poseras demain, durant une semaine.

Je sens ses yeux sur moi, guettant la moindre fissure dans mon masque.

— D'accord, dis-je simplement.

La matrone me gratifie d'un sourire satisfait avant de tremper ses lèvres dans son thé. Elle sait que je n'ai pas le choix. Refuser, ce serait condamner mon corps à une centaine d'hommes, jusqu'à ce qu'une telle somme coule à nouveau dans ses poches.

Je quitte la pièce sans attendre, et le reste de la journée ne prend pas en compte mon cœur encore chamboulé par cette nouvelle. Car le temps file et je dois encore prendre mon bain, encore me parfumer, encore me maquiller, et encore divertir les clients. Cette fois-ci, je joue aux échecs avec un riche marchand de soie, je chante pour un célèbre médecin venu de la ville voisine et danse avec cinq autres filles pour un public d'hommes affamés.

Le soir tombe rapidement, me rapprochant de demain. La maison s'anime beaucoup plus. Les rires montent à étages, les portes claquent, les verres s'entrechoquent. Je traverse tout ça sans y prêter grandement attention. Quand je regagne ma chambre, il reste quelques braises dans l'âtre. Je me déshabille lentement, laissant glisser mon kimono sur mes épaules et m'allonge, nue, sur les draps froids de mon lit.

Dans l'obscurité, je repense à ce portrait.

Je me demande si l'homme sera là quand le peintre fera courir ses pinceaux sur ma peau. Je me demande s'il aura mon portrait dans sa chambre, accroché au-dessus de son lit, ou caché au fond d'un coffre, comme un secret précieux.
Je me repli sur moi-même, serrant mes bras autour de mon corps, comme pour me protéger.

— J'ai honte...





Le lendemain, on frappa à ma porte bien trop tôt. Snow se tenait là, les yeux pleins de compréhension. Elle savait. Cette enfant, bien trop jeune pour comprendre la complexité du monde semblait pourtant connaître tous les secrets de cette maison. Sans que je puisse l'en empêcher, elle se précipita pour m'aider à me préparer, malgré mes nombreux refus. Mais elle insista, sachant exactement quand il fallait faire preuve de douceur, sans poser de questions. Je laissa alors mon corps tremblant à cette petite fille qui me brossait les cheveux avec toute la délicatesse du monde. Elle s'apprêtait par la suite à m'appliquer un rouge à lèvres rose, mais je l'arrêta.

Sans artifices, voulait le client.

Elle comprit. Ses grands yeux noirs me regardaient avec pitié ou compassion. Ou peut-être les deux.

— Blue... prononça-t-elle, à deux doigts de craquer.

Mon dieu que cette enfant prenait sur elle.

Je la pris alors dans mes bras, l'enlaçant fortement contre moi, comme on enlace un ami qui s'en va pour toujours, lui assurant que tout irait bien, que ce n'était qu'une épreuve parmi tant d'autres, une de celles qui me renforçaient. Mais ce n'était que des mensonges racontés pour la rassurer, car au fond de moi j'avais peur, j'étais terrifiée, mais il fallait que je porte la douleur pour la soulager.

— Blue ? Une voix douce brisa notre étreinte.

C'était Pearl, une autre courtisane, celle qui se faisait discrète mais qui savait toujours quand intervenir.

— Le peintre est là.

Je n'avais pas la force de répondre, ni l'envie. Je me redressa tout de même, me forçant à me tenir droite. Chaque geste était lourd, chaque mouvement semblait dénué de sens. La douleur s'infiltrait dans mes os, tout comme cette étrange sensation d'être déjà exposée avant même d'avoir posé. Je savais ce qui m'attendait : l'enfer sur terre.

Je pris une inspiration profonde et ouvris la porte, accueillant le regard compatissant de Pearl. Snow s'éclipse rapidement, me faisant un léger signe de tête, disparaissant comme une ombre dans les couloirs.

Le peintre était là, une mallette et une toile immense entre les mains. Tout semblait parfaitement préparer, comme si chaque coup de pinceau était destiné à être un acte parfait. C'était un jeune homme dans la vingtaine, et bien que son visage restait impassible, je pouvais sentir cette petite gêne en lui. Mais lui aussi avait un contrat à honorer.

Son regard m'effleura à peine. Une salutation presque inaudible fut la seule chose qu'il m'adressa. Il se contentait d'examiner la pièce derrière moi, captant les jeux de lumières que ma chambre avait à lui offrir. Pearl regagna ses appartements, nous laissant seuls.

— Entrez, prononçai-je.

Il s'exécuta et immédiatement s'installa, apprêtant sa toile, sans aucune parole. Il n'était pas là pour me voir, seulement pour m'immortaliser. Je me sentis presque transparente, mais en même temps cette invisibilité me faisait du bien. Quand il eut fini ses préparations, ses yeux glissèrent dans les miens.

— Nous pouvons commencer, dit-il d'un calme mesuré.

Je me déshabilla alors lentement, chaque mouvement était un effort, tout en sachant que je n'étais qu'un objet, un reflet du désir d'un autre. Le silence lourd me remplissait de cette étrange sensation de ne plus être moi-même, mais d'appartenir à quelque chose de plus grand. Gênée, je ne savais pas par où commencer. Devais-je m'allonger sur le lit, m'asseoir quelque part ou rester debout ? Ce jeune peintre, avec toute la bonté du monde, m'aida en me dirigeant.

— Asseyez-vous sur ce fauteuil si cela ne vous dérange pas.

Je m'exécuta, trop gênée pour protester quoi que ce soit. Mes bras et mes jambes se croisèrent naturellement, comme pour protéger ce que je pouvais encore. Je savais que cette position n'était pas gracieuse, ni séduisante, mais cela m'effrayait de me montrer vulnérable, de me dévoiler.

— Si cela vous gêne, regardez par la fenêtre, suggéra-t-il avec bienveillance.

Les yeux alors rivés vers la fenêtre, je me concentrais sur l'extérieur encore hésitante.

— Je peux commencer par votre visage aujourd'hui, nous ferons le reste plus tard, me dit-il en me tendant un drap.

Honnêtement, ça m'a frappé.

Ce n'était pas un geste de pitié ou de je ne sais quoi, mais plutôt une forme de tendresse, presque d'humanité. Je pris ce qu'il me tendait et me redressa, cherchant une position qui m'offrirait un minimum de confort tout en facilitant son travail.

Il prit pour commencer un crayon minuscule, taillé par les années de travail. Ses gestes étaient précis, mesurés, chaque coup de poignet semblait personnel, comme si lui aussi y laissait une part de son âme.

Peut-être y avait-il dans son regard quelque chose de plus que de l'indifférence, sûrement de l'intérêt car je restais après tout la muse de son œuvre . Son regard attentif à chacun de mes traits me gênait, mais plus le temps passait et plus cela ne m'importait.

Les heures défilèrent sans que je m'en rende compte. Lorsqu'il s'en alla, aussi silencieusement qu'il était venu, la solitude retrouva sa place dans la pièce. La chaleur de mon corps exposé semblait encore flotter dans l'air, mêlée à l'écho de sa présence. Demain, la gêne reviendrait sûrement entre nous, mais je savais désormais que je pourrais la supporter. Cette journée passée sous son regard m'en avait appris davantage sur lui que bien des conversations. Alors, contrairement à la veille, je m'endormis sans cette boule rongeante au creux du ventre, enveloppée par le silence apaisant de la nuit.

Un agneau était-il.

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