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Chapitre 6 : Loyauté à la lame

Ren.

Cela fait une semaine. Une semaine depuis que je l'ai croisée.

La rencontre avait été banale, presque insignifiante — une de ces innombrables coïncidences comme il en arrive chaque jour dans cette ville tentaculaire. Je ne l'avais pas oubliée mais je ne m'étais pas non plus attardé sur elle.

Il y a dans ce royaume, des urgences autrement plus pressantes : la guerre imminente, le pays qui s'effondre lentement, et mes propres responsabilités de Général.

Mais tout de même, quelque chose en elle a réussi à me frapper. Cette curiosité, sans doute ?

Elle me suivait dans la ville, sans une seule question. Un peu comme un animal sauvage qui vous suit docilement, sans qu'on vous le demande. Ça m'a amusé plus qu'autre chose. Peut-être espérait-elle éveiller un intérêt quelconque, surtout après m'avoir défendu — un geste surprenant, pour une étrangère.

Bien sûr, elle avait sa beauté. J'ai vu les regards qu'elle recevait des passagers. Oui, elle était belle, mais j'ai appris à ne pas m'arrêter à ces choses-là. Pour les avoir explorées de long en large, je sais combien les femmes peuvent être des êtres sensibles et imprévisibles.

Celles que j'ai connues n'ont jamais été autre chose que de passage.

Ou peut-être étais-je toujours celui qui partait.


Je me lève de mon bureau, l'esprit encore pris dans ces pensées. Dehors, le vent balaie la poussière des rues. Mon regard traverse la vitre sans vraiment la voir, se perdant au loin, comme à la recherche de quelque chose ou de quelqu'un. Mais il n'y a rien. Rien d'autre que le vide.

Contrairement à ce que mon uniforme peut laisser croire, je suis né dans un village pauvre, à la péninsule du royaume.

Une vie de misère, semblable à tant d'autres.
Je me rappelle encore la chaleur suffocante de l'été, et le froid mordant de l'hiver.

Mes parents, eux, étaient de simples agriculteurs. Quelques fois, je me surprends à redessiner dans ma mémoire nos champs de blé, ondulant sauvagement devant notre maison.

Mais même le plus simpliste des bonheur ne dure jamais.

J'avais six ans, ou peut-être huit, lorsque mon fragile quotidien s'éteignit. Les barbares, déferlant sans pitié, ravagèrent nos terres, emportant avec eux nos larmes et notre sang.

Ma mère — comme tant d'autres femmes, fut violée puis exécutée sous les yeux de mon père, qui agonisait entre la vie et la mort.

Nous autres enfants, avons finis bien tristement.

Certes, j'avais survécu, j'étais en vie.

Mais à quel prix ?

Mon sort ne fut pas plus rose. On me vendit comme un chien, un esclave... et jusqu'à mes douze ans, je comptais les jours priant en silence pour que le suivant soit le dernier.

Les chaînes autour de mon cou étaient si lourdes qu'elles m'étranglaient, m'empêchaient de marcher droit. Mais mes maîtres, eux, avaient depuis longtemps abandonné ce qui restait de leur humanité pour épargner le petit garçon que j'étais.

Puis un miraculeux jour, un conseiller royal m'a acheté, m'emmenant loin des terres martyres. À ce moment, des pensées naïves traversèrent mon esprit : on m'avait choisi, moi, le petit esclave.

Mais en réalité, on manquait cruellement d'hommes à la capitale, et la guerre approchait de nouveau. L'armée devait former sa prochaine génération de soldats.

Une fois à la capitale on me tailla à la pierre.
Mes capacités devinrent hors-normes, mon corps me surprenait moi-même, car après tout, je n'étais qu'un simple esclave.

De mes prouesses, je pu rencontrer le Roi, un homme bon, bien que distant. Épaté par mon talent, il me prit sous son aile, m'offrant alors tout ce dont je ne pouvais imaginer, même pas en rêve.

De par cette rencontre fortuite, j'ai finis par grandir dans les couloirs du palais, silencieux et invisible — étranger parmi les visages trop connus.

Mais pourtant, c'est entre ces murs froids et majestueux que j'avais enfin trouvé une forme de rédemption.

Les années qui suivirent, je servis dans l'armée, d'abord en tant que simple soldat, puis en tant que général. Un titre lourd pour ce que j'étais, mais je l'avais accepté, avec une loyauté sans faille envers la famille royale.

Le Roi m'avait offert bien plus qu'un rang ou un avenir — il m'avait offert une place, un sens, un foyer. Mon respect pour lui dépassait les serments d'allégeance. Il frôlait l'amour filial.

Mais il n'y avait pas que lui. Il y avait aussi son fils, le prince.

Un jeune homme bien plus fragile que son père, mais dont la présence apportait une forme de paix immense en moi. Je le voyais comme un petit frère, un frère que j'avais choisi.

Au fond, je savais très bien que je n'étais passé que d'esclave à serviteur. Mais j'acceptais cette réalité, non pas par résignation, mais par volonté. Car étrangement, je me sentais responsable de ce prince et reconnaissant envers ce Roi.

Et j'étais prêt à tout pour les protéger.




Le temps file sans que je m'en rende compte, et lorsque je lève les yeux, les étoiles ont déjà envahi le ciel, parsemant l'obscurité de leurs lueurs scintillantes. La nuit est tombée avant même que j'aie songé à quitter mon bureau. Je repousse les parchemins éparpillés sur la table et me lève. Il est temps.

Depuis mon retour, je ne lui ai pas rendu visite. Pas une seule fois. Pourtant, je sais que je dois le voir.

D'un pas mesuré, je traverse les couloirs silencieux du palais, la lumière vacillante des torches projetant des ombres mouvantes sur les murs de pierre. Lorsque j'arrive devant la chambre royale, je remarque immédiatement que quelque chose a changé. Non pas deux, mais quatre gardes montent la garde devant la porte massive. Une précaution excessive... ou un aveu d'impuissance ?

Je soupire, déjà las de l'échange qui va suivre.

— Je suis venu voir Sa Majesté, dis-je d'un ton détaché.

L'un des gardes me jauge, impassible.

— Pour quelle raison ?

Un rictus amusé m'échappe.

— Le second fils du Roi a-t-il désormais besoin d'un motif pour voir son père ?

Aucune réaction. Leurs visages restent de marbre. Général, prince ou domestique, peu importe le titre : personne ne franchit cette porte sans justification.

Décidément, mon Roi, vous êtes bien protégé.

— Navré, Général Ren. Comme tout le monde, vous devez présenter une raison valable.

Cette fois, je tourne mon regard vers l'homme qui a parlé. Je le reconnais immédiatement : c'est moi qui l'ai formé, il y a six ans de cela. Ironique.

Je souffle, agacé par cette mascarade.

— Ren... ?

Une voix fatiguée, éraillée par le poids des années, traverse la porte.

Je la reconnaîtrais entre mille.

— Laissez-le entrer.

Aussitôt, les gardes s'exécutent sans un mot. La porte s'ouvre devant moi, dévoilant un gouffre d'obscurité. L'air est épais, lourd, saturé par l'odeur des herbes médicinales et de la cire fondue. Seule une bougie vacille sur une table d'appoint, projetant des ombres incertaines sur les tentures de velours.

Je plisse les yeux pour distinguer la silhouette étendue dans le grand lit royal.

— Approche, mon enfant.

Sa voix est faible, si faible que le vent pourrait l'emporter.

Je m'avance sans hésitation, laissant la porte se refermer derrière moi. Lorsque j'arrive à son chevet, son regard s'accroche au mien. Il me scrute, longuement, comme un père qui retrouve son fils après une décennie d'absence.

Et à cet instant, je le vois.

Le Roi est mourant.

Ce n'est pas une rumeur, ce n'est pas une exagération des couloirs. C'est une réalité, frappante, inéluctable.

Ses yeux, jadis perçants, sont ternes, presque éteints. Sa peau a perdu sa chaleur, virant au gris, se flétrissant sous le poids de la maladie. D'énormes cernes creusent son visage, tandis que ses cheveux blancs, autrefois taillés courts en signe de rigueur et de puissance, tombent désormais en mèches longues sur ses épaules affaiblies.

Il n'a plus l'étoffe d'un roi.

Seul demeure un homme à l'agonie, s'accrochant à ce qui lui reste de dignité.

— Je suis rentré de guerre, Votre Majesté, prononcé-je en m'agenouillant devant lui.

Il sourit.

— Je croyais m'éteindre avant ton retour... Quel soulagement. Viens là, dit-il en tapotant un espace vide sur son lit.

Je m'exécute sans hésiter. À peine suis-je assis qu'il me prend dans ses bras. Une chaleur familière s'empare en moi, me ramenant des années en arrière à l'époque où cet homme imposant m'apprenait la stratégie militaire, où il posait sa main sur mon épaule avec cette même bienveillance.

Ne mourrez pas...

— Comme je suis heureux de te revoir... souffle-t-il, sa voix brisée par l'émotion.

Je resserre doucement son étreinte. Son corps, autrefois puissant, n'est plus qu'un amas de chair et d'os. Je peux sentir sous mes doigts la fragilité de ses muscles disparus, la maigreur inquiétante qui le ronge.

Dire que cet homme, autrefois aussi robuste qu'un buffle, capable d'inspirer la crainte et le respect d'un simple regard, n'est plus qu'une ombre d'un roi alité.

La vieillesse est effrayante.

— Pardonne-moi, Ren...

Sa voix est un murmure à peine audible. Il s'écarte légèrement, et je croise son regard. Un détail me frappe : son œil droit est étrangement clair, presque vitreux.

Aveugle... Depuis quand ?

— J'ai une dernière requête à te confier...

Je reste silencieux, préparé à entendre tout ce qui sortira de sa bouche.

— Protège Akira. Je t'en supplie. Protège mon fils... au péril de ta vie.

Ses mots résonnent avec une force inattendue.

Je ne vois en lui que l'amour inconditionnel d'un père pour son fils. Mais malgré tout, quelque chose se tord en moi — un pincement désagréable, une sensation que je n'arrive pas à nommer.

Je force un sourire, cherchant à alléger le poids de l'instant.

— N'est-ce pas mon devoir depuis quinze ans déjà ? plaisanté-je avec légèreté.

Mais son regard ne vacille pas. Il est grave, inébranlable. Je perds aussitôt mon sourire.

Le roi n'a jamais été aussi sérieux.

— Lorsque je mourrais, Akira sera en danger.
Il est l'avenir de ce royaume, Ren. Il est le seul à pouvoir le faire changer. Je crois en sa force.

Je crois en votre parole.

D'un ton empreint de loyauté, je déclare :

— Je protégerai le prince jusqu'à ma mort, et j'éliminerai quiconque osera menacer sa vie.

Le roi esquisse un sourire, un sourire remplit de confiance, de soulagement. Puis, il s'enfonce lentement dans son oreiller, l'épuisement reprenant ses droits.

Mais il n'a pas fini de parler. Il veut savoir mon périple de ces deux dernières années. Alors je lui raconte et il m'écoute avec une attention particulière, les yeux toujours rivé sur ma personne.

S'entame alors une longue conversation jusqu'à l'aube, comme si quelque part, nous savions tous les deux que celle-ci pourrait bien être la dernière.

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