Max referma la porte blindée derrière elle. Le bruit métallique résonna dans l’appartement vide. Son sac de sport tomba au sol dans un ploc étouffé, et elle soupira en passant une main sur ses cheveux courts. La journée avait été longue. Trois heures d'entraînement physique, deux heures de tir, et un briefing interminable sur la sécurité privée. Rien qu'une journée normale dans sa vie.
Jusqu'à ce coup de fil.
Son téléphone vibra. C’était Thomas, son supérieur.
— Max, j’ai une mission pour toi, dit-il sans préambule. Une mission de la plus haute importance. — Encore un politicien parano ? demanda-t-elle en attrapant une bouteille d'eau. — Pire. Sa fille.
Max haussa un sourcil, intriguée malgré elle.
— Quel âge ? — 25 ans. Fille unique du ministre Delatour. — Qu’est-ce que j’ai à voir avec une gamine pourrie gâtée ? — Le ministre est en affaires avec un dirigeant étranger. Il veut quelqu'un d'efficace, discret, et... patient. Lui et sa fille ont reçu des menaces sérieuses. Très sérieuses.
Max roula des yeux. Patient. Super.
— D'accord. Je serai opérationnelle dans l’heure, répondit-elle, sans enthousiasme.
Max prépara un sac, puis enfila son uniforme sobre : pantalon cargo noir, t-shirt moulant gris, veste en cuir. Pas de fioritures. Pas de maquillage. Juste son efficacité naturelle.
Elle grimpa sur sa moto et fila vers le quartier chic de la ville, un endroit où tout respirait l'argent et l'apparence.
Devant une immense bâtisse aux murs blancs et aux balcons en fer forgé, elle ralentit. Deux gardes la laissèrent passer après vérification.
À l’intérieur, tout était trop propre, trop aseptisé. Max détestait déjà cet endroit.
— C’est vous le garde du corps que Thomas a envoyé, je suppose ? lança un homme en costume trois pièces. — Max, grogna-t-elle.
Il esquissa un sourire crispé.
— Très bien. Garence vous attend à l'étage. Bonne chance, ajouta-t-il d’un ton qu’elle trouva franchement moqueur.
Max monta les escaliers. Au sommet, elle entendit déjà de la musique électro pulser derrière une porte entrouverte. Elle frappa, sans attendre de réponse, et entra.
La pièce ressemblait à un champ de bataille. Vêtements éparpillés, talons aiguilles sur le lit, bouteilles de champagne vides sur le bureau. Et, au milieu de tout ce chaos, Garence.
Assise sur le rebord de la fenêtre, les jambes croisées, en robe de soie rouge vif, elle regardait son téléphone sans lever la tête. Ses cheveux blonds cascadaient sur ses épaules, parfaitement coiffés malgré l'heure matinale.
— Qui t'es, toi ? lança Garence sans même lever les yeux.
Max resta calme.
— Ta nouvelle garde du corps.
Garence éclata d'un rire léger, moqueur.
— Sérieux ? Toi ? Je m'attendais à... je sais pas... un mec de 2 mètres, bodybuildé.
Max serra la mâchoire. Elle connaissait ce genre de filles. Gâtées. Insolentes. Convaincues que le monde tournait autour d’elles.
— Je fais 1m75, j'ai un 5e dan en judo, et je peux mettre K.O. n'importe qui en moins de 10 secondes. Ça suffira ? répondit Max d’un ton sec.
Garence leva enfin les yeux.
Et à cet instant précis, quelque chose changea.
Un éclair invisible traversa l’espace entre elles. Un choc silencieux, étrange, perturbant.
Max soutint son regard sans broncher. Garence la dévisagea, intriguée. Ce n'était pas l’image de l'autorité en uniforme qu’elle avait imaginée. C'était une femme athlétique, les traits marqués par la détermination, les yeux d’un gris orageux, une énergie brute qui imposait le respect.
Garence esquissa un sourire en coin.
— Bon, tu as de la gueule au moins. — Merci du compliment, lâcha Max sans sourire.
Un silence tendu s'installa. Puis Garence sauta du rebord de la fenêtre avec grâce.
— Bien, Superwoman. Je vais prendre une douche. Essaie de pas mourir d'ennui.
Elle laissa sa robe glisser sur le sol, puis disparut dans la salle de bain en claquant la porte.
Max resta figée, les bras croisés, une pensée insistante tournant dans sa tête :
Ça va être long. Très long.
Et pourtant... au fond d’elle, elle sentait que cette mission ne serait pas comme les autres. Cette fille la déroutait.
Elle secoua la tête, agacée. Hors de question de se laisser distraire. Ce n'était qu'une mission, simple : surveiller et protéger.
Max avait passé les dernières heures à organiser la surveillance de l'événement. Elle avait envoyé des messages à ses contacts pour sécuriser des points clés autour de la galerie. Il y aurait deux agents en civil dans la foule, capables de repérer toute situation anormale. Un autre serait à l’extérieur pour bloquer les issues principales. Max, quant à elle, resterait sur place, toujours dans l’ombre, toujours prête à réagir. Max avait passé les dernières heures à organiser méticuleusement la surveillance de l'événement. Elle avait contacté ses sources, activé des contacts dans le quartier et mis en place un réseau d'agents bien dissimulés autour de la galerie. Deux agents en civil seraient intégrés à la foule, assez discrets pour passer inaperçus, mais suffisamment vigilants pour repérer tout comportement suspect. Un autre agent se tiendrait à l’extérieur, assurant un contrôle constant des issues principales, prêt à intervenir si nécessaire. Max, quant à elle, resterait sur place, dans l’ombre, prête à réagir à la moindre alerte. L’intensité de l’événement ne lui faisait pas oublier la fragilité de la mission : protéger Garence à tout prix, sans se faire remarquer.
Max conduisait, silencieuse. Garence, à côté, pianotait sur son téléphone, indifférente.
— Dis, t'as toujours cette tête d'enterrement ou c’est juste pour moi ? demanda soudain Garence.
Max esquissa un sourire minuscule.
— Seulement pour toi.
Garence rit, un rire léger qui, contre toute attente, ne lui déplut pas.
Max se força à reporter son attention sur la route. Mais elle sentait la présence de Garence comme une décharge continue contre sa peau. Cette fille allait lui faire perdre plus que son calme si elle continuait.
Max était dans une posture d’observation parfaite, son regard glissant sur chaque individu avec une précision de chirurgien.
Elle balayait la pièce du regard, analysant chaque mouvement. Garence, elle, se fondait parfaitement dans le décor. Elle adorait être le centre de l’attention. Max, quant à elle, n'était pas là pour s'amuser. Elle remarqua plusieurs groupes qui se formaient autour de Garence, des hommes plus âgés échangeant des compliments avec la jeune femme, des femmes élégantes la scrutant avec un mélange de curiosité et d'envie.
Puis, une silhouette attira son attention. Un homme. Il se tenait dans un coin sombre de la galerie, immobile. Son regard fixé sur Garence, bien que ses traits fussent difficilement lisibles dans l'ombre. Max se redressa légèrement, ses muscles tendus. Il ne faisait pas partie de l'événement. Et surtout, il ne regardait pas l'art.
Elle fit signe discrètement à l'un de ses agents en civil, un jeune homme bien bâti, qui se fondait parfaitement dans la foule. Il acquiesça et se dirigea vers l'homme suspect.
Max n'attendit pas plus longtemps. Elle se leva, marchant d’un pas calme et assuré à travers la salle, le regard toujours fixé sur l'homme qui ne bougeait pas. À chaque pas, elle sentait les regards se détourner pour se poser sur elle. Son uniforme, sa posture, tout chez elle criait la sécurité et l'autorité. Mais ce n'était pas sa mission de ce soir. Sa mission, c’était de protéger Garence, et tout ce qui risquait de la perturber, elle devait l'identifier immédiatement.
Lorsqu'elle arriva à la hauteur de l'homme, elle s'arrêta net, son regard se braquant sur lui. L'air devint soudainement plus lourd. Il leva les yeux, ses pupilles dilatées, un sourire figé sur ses lèvres.
— Un problème ? demanda-t-elle d'une voix qui ne laissait aucune place à la négociation.
L’homme s’éloigna légèrement, ses yeux se détournant. Il sembla hésiter, puis il fit un pas en arrière, mais pas assez vite pour éviter que Max ne l'attrape au vol.
— T'as rien à faire ici, toi, dit-elle froidement.
Il leva les mains en signe de soumission.
— Je… je pensais juste regarder… j’adore l’art, murmura-t-il, tout en reculant.
Max observa ses mains. Aucune arme visible, mais la nervosité, elle, était évidente. Trop évidente. L’homme recula encore, mais avant qu'il n'ait le temps de tourner les talons, Max leva la main, son doigt effleurant l’oreille de son oreillette.
— Individu suspect, dit-elle, toujours sans changer d'expression. Prépare une extraction à la sortie arrière.
L'homme commença à se diriger vers la porte sans demander son reste. Max suivait chaque mouvement de ses yeux, et dès qu’il disparut de la salle, elle fit signe à son collègue pour qu'il le suive à distance. Un petit frisson de soulagement la traversa, mais il était trop tôt pour se détendre. Tout ceci n’était qu’une distraction. La vraie menace pouvait se cacher ailleurs.
De retour auprès de Garence, Max se faufila silencieusement à ses côtés. Garence, qui avait été témoin de la scène, la regarda de haut en bas avec un regard curieux.
— Tu sais, c’est presque sexy, cette façon que t’as de grogner sur les gens, murmura-t-elle, un sourire moqueur aux lèvres.
Max n’eut même pas à répondre. Elle savait que Garence aimait jouer à ce jeu-là, et Max n'était pas là pour en faire un enjeu. Mais, étrangement, elle sentit un frisson dans son dos. Ce n’était pas la première fois qu’elle se faisait complimenter de cette manière, mais il y avait quelque chose dans la voix de Garence qui la perturbait.
Elle se força à ne rien montrer, à rester concentrée sur la sécurité.
— Ça va être une longue soirée, marmonna Max, plus pour elle-même que pour Garence.
Garence, elle, haussait les épaules, indifférente.
— Tant que je peux m’amuser, tout me va, répondit-elle, insouciante.
Le reste de la soirée se déroula sans incident majeur, bien que Max n’en laissa rien paraître. Le temps semblait filer plus vite qu’elle ne l’aurait voulu, chaque seconde de plus étant un pas vers une tension de plus en plus palpable. Elle restait en alerte, chaque mouvement de Garence, chaque regard déplacé, chaque bruit pouvait être un signal de danger.
Finalement, à la fin de la soirée, alors qu’ils prenaient la direction du manoir Delatour, Max soupira intérieurement. La mission n’était pas terminée. Ce n’était que le début. Mais dans le fond de son esprit, une question persistait : serait-elle capable de rester détachée de Garence, cette fille à la fois insupportable et… irrésistible ?
Le soir, de retour au manoir Delatour, Max raccompagna Garence jusqu’à sa chambre. La maison était silencieuse, presque trop calme, à l’exception des échos des talons aiguilles de Garence qui résonnaient contre les pierres du couloir. Max suivait la silhouette de la jeune femme avec une attention silencieuse, ses yeux toujours en alerte, analysant chaque recoin, chaque mouvement autour d'elles. La sécurité était primordiale, mais il était difficile d'ignorer la tension palpable dans l’air entre elles.
Garence s’arrêta devant la porte de sa chambre, se tournant légèrement pour la regarder. Max s’approcha, glissant discrètement une main dans sa poche pour vérifier la présence de son téléphone, s’assurant qu’elle pouvait réagir à la moindre alerte.
— Tu restes pas pour la nuit, Superwoman ? C’est dommage, lança Garence, son ton léger, mais tranchant.
Max haussait les sourcils, l’énigmatique sourire qui flottait sur ses lèvres en réponse à cette remarque ne faisait qu’ajouter une couche à la complexité de cette situation. Elle avait vu ce genre de jeu de pouvoir auparavant, mais Garence avait un petit quelque chose de différent qui la déroutait.
— Je suis là pour te protéger, pas pour passer la nuit, répondit Max d'une voix calme, presque neutre.
Garence émit un petit rire moqueur, puis se tourna pour ouvrir la porte de sa chambre, mais avant de rentrer, elle s’arrêta net, se retournant à nouveau vers Max.
— Tu sais, tu pourrais être plus… sympathique. T’es peut-être là pour protéger, mais ça ne te fait pas de mal de montrer un peu plus d’humanité, non ?
Max fixa Garence, ses yeux se durcissant légèrement. L’ironie dans la voix de la jeune femme laissait entendre qu’elle jouait un autre jeu, un jeu que Max n’était pas prête à comprendre. Mais elle savait mieux que de se laisser emporter par ces provocations. Sa mission était claire.
— Je n’ai pas de temps à perdre avec des jeux, Garence, répondit Max, d’un ton net, avant de se détourner pour quitter le couloir.
Cependant, elle n’avait pas fait trois pas que la voix de Garence la rattrapa.
— Attends. Je… j’ai pas fini.
Max se retourna, ses instincts aiguisés par des années de formation et d’expérience. Garence semblait incertaine, un léger dégoût flottant dans ses yeux, mais aussi quelque chose d’autre. Quelque chose de plus fragile, de plus humain.
— Je sais pas ce que tu attends de moi, Superwoman. Je n’ai jamais demandé ta protection. Mais, au fond… c’est toi qui me déroutes. Tu as un regard qui me dit que tu en as vu des tonnes, mais moi, je… je suis toujours là, coincée dans ce rôle de princesse à protéger.
Il y avait une tension palpable dans la pièce alors qu’elles se fixaient, l’atmosphère se chargeant d’une sorte de vulnérabilité insoupçonnée, venant de Garence. Max, malgré elle, se sentit interpellée par cette confession inattendue. Elle resta figée un moment, puis secoua lentement la tête.
— T’es pas une princesse, Garence. T’es juste… une cible.
Le regard de Garence s’adoucit une fraction de seconde, avant de se redresser brusquement, comme si elle cherchait à reprendre le contrôle de la situation. Elle entra dans sa chambre, refermant la porte derrière elle avec un claquement sec.
Max se tourna alors vers son collègue, qui attendait toujours plus loin dans le couloir. Elle lui fit un signe discret de la tête pour indiquer qu’il pouvait commencer son poste de surveillance. Elle aurait voulu qu’il n’y ait rien d’autre à gérer, mais elle ne pouvait s’empêcher de penser à la situation fragile dans laquelle Garence se trouvait, malgré ses airs de jeune femme indomptable.
Max s’éloigna du couloir, se dirigeant vers la chambre qui lui avait été attribuée au bout du corridor. Pourtant, en traversant le manoir, elle se sentait étrangement préoccupée par ce qui venait de se passer. Peut-être que Garence ne le dirait jamais, mais Max avait perçu un éclat de vérité dans son regard. Peut-être qu’au fond, cette mission allait l’amener à comprendre plus de choses qu’elle ne l’aurait voulu. Pas seulement sur Garence, mais aussi sur elle-même.
Alors qu’elle se glissait dans son lit, son téléphone vibra sur la table de chevet. Max se tendit, prête à intervenir en cas de besoin. Mais rien ne venait. Le silence de la nuit s’étendait comme un voile sur le manoir. Elle posa son téléphone, soupira profondément et éteignit la lumière.
Elle se coucha, les yeux fixés sur le plafond, son esprit tourmenté par des questions qui n’avaient pas lieu d’être. Garence… Cette mission allait bien plus loin que de simplement protéger une jeune femme privilégiée.
Max ferma les yeux, sentant l’épuisement s’emparer d’elle. Mais quelque part dans la nuit, une pensée persistante tourna dans son esprit.
Elle n’aurait jamais dû la laisser seule cette nuit.