L’immeuble où Max avait une planque était très loin des standards de Garence. Les néons de l’enseigne grésillaient comme une mauvaise promesse, baignant l’entrée d’une lumière livide. Max poussa la porte, Garence sur ses talons, silencieuse.
Elle récupéra une clé derrière une vieille boîte aux lettres défoncée, puis monta les escaliers grinçants en vérifiant chaque étage d’un œil exercé. L’appartement était au dernier, discret, minable. Murs défraîchis, odeur de poussière et de renfermé, sol couvert d’un vieux lino écaillé.
Garence entra, inspecta les lieux du regard, puis lâcha avec un sourire en coin :
— Charmant. Tu me gâtes, Max.
— Je sais, c’est loin de ta villa luxueuse, mais ici y’a pas de caméras, pas de voisins curieux. C’est ça qu’on veut.
Garence s’assit sur le lit. Il grinça aussitôt.
— C’est… pittoresque. On est où exactement ?
— Une planque que j’ai gardée de mes premières missions. On nous apprend à avoir des refuges comme ça, hors réseau, au cas où.
Tout en parlant, Max jeta un œil à la fenêtre, scrutant la rue en contrebas, s’assurant qu’elles n’étaient pas suivies.
Garence enleva ses talons, puis son manteau. Une robe noire froissée, une éraflure rouge au niveau du cou. Max fronça les sourcils.
— Laisse-moi voir ça.
— Tu veux m’enlever mes vêtements, Max ? railla Garence, mi-taquine, mi-fatiguée.
— Je veux voir si t’as besoin de points de suture.
Garence ne bougea pas quand Max s’agenouilla devant elle.
Max désinfecta la plaie en silence, concentrée. Garence retint un frisson.
— Ça pique, murmura-t-elle.
— J’avais prévenu.
Mais Max sentait sous ses doigts la chaleur de sa peau, la tension de ses muscles, le battement irrégulier d’un cœur encore secoué. Et son propre souffle se dérégla, imperceptiblement.
Elle recula, trop vite.
— C’est superficiel. T’auras juste une petite cicatrice de badass.
Garence la regarda, yeux brillants.
— Tu trembles.
— Non.
— Tu mens toujours aussi mal.
Elle s’approcha. Trop près. Max sentit son parfum, mêlé à la poussière et au sang séché.
— Dis-moi, Max... T’as pas eu peur pour toi, tout à l’heure. C’était pour moi, pas vrai ?
Max ne répondit pas. Elle détourna les yeux, recula.
— Je dois appeler mon équipe.
Elle se réfugia dans la pièce voisine, composa rapidement.
— Thomas, c’est Max. On a été prises dans une embuscade. Deux hommes armés nous attendaient à la sortie de l’université.
— Rapport.
— Deux neutralisés. Aucune blessure grave. J’ai extrait la cible et l’ai mise en sécurité dans une planque. On attend vos ordres pour l’évacuation.
— Pas d’opération cette nuit, trop risqué. Restez sur place. Une équipe viendra au petit matin. Bon boulot, Max.
Elle raccrocha.
Et souffla.
Juste un instant. Dos au mur, la main sur la nuque, le cœur encore en vrac. Puis elle retourna dans la pièce principale.
Garence était debout, l’attendait. Sans un mot.
— Alors ? demanda-t-elle.
— On reste ici jusqu’à demain matin. Ensuite on bouge.
— Bien. Et en attendant, on fait semblant que rien ne s’est passé ?
Max s’immobilisa.
— C’est mieux, dit-elle.
Garence s’approcha. Elle marchait pieds nus, en silence.
— Tu peux me mentir autant que tu veux, Max. Mais je t’ai sentie trembler quand tu m’as tenue. Et je t’ai vue fermer les yeux quand je t’ai embrassée.
Max détourna encore le regard. Mais Garence toucha son bras. Juste un effleurement. Une étincelle.
— Tu m’as pas repoussée.
— Parce que j’ai pas eu le temps.
— Tu l’as pas voulu, surtout.
Max recula.
— Faut qu’on dorme.
— Tu vas dormir là ? demanda Garence en montrant la chaise bancale près de la porte.
— Poste de garde.
— Ou barrière.
Max s’installa, bras croisés. Raide.
Garence s’allongea, tira une vieille couverture râpeuse sur elle.
Le silence s’étira.
Puis, dans un souffle :
— Tu vas finir par craquer, Max.
Max ferma les yeux.
— C’est bien ce qui me fait peur.
Un bruit résonna soudain dans la cage d’escalier. Un craquement métallique. Les deux femmes se figèrent.
Max bondit vers la porte, l’œil à l’œilleton. Rien.
Un bruit de griffes sur le carrelage. Un halètement. Puis un jappement étouffé.
Max souffla, relâchant ses épaules.
— C’est juste le chien du voisin, dit-elle.
Garence se remit à respirer. Mais son regard restait écarquillé, les pupilles dilatées.
— Fiou… Tu vois, dit-elle en tentant un sourire, l’extérieur est peut-être plus dangereux que ce qu’il y a ici.
Mais Max voyait bien, dans ses yeux, la peur qui n’était pas partie.
Alors elle se leva.
S’approcha doucement du lit.
Et sans un mot, elle s’assit à côté d’elle.
Lentement, elle posa sa main sur le dos de Garence. Sous le tissu.
Un simple contact. Calme. Présent.
Garence ne dit rien. Ne bougea pas.
Et dans le silence, leurs souffles s’accordèrent peu à peu.