La nuit était tombée sans qu’aucune d’elles ne s’en rende vraiment compte. La petite planque, silencieuse, semblait flotter hors du temps. Max était restée longtemps assise dans le salon, les coudes sur les genoux, la tête pleine de ce que Garence avait dit. De ce qu’elle avait réveillé.
Garence était partie dans la chambre sans un mot de plus. Mais elle n’avait pas fermé la porte.
Max se leva finalement. Elle hésita un instant dans le couloir, la main effleurant le chambranle de la porte entrouverte. Puis elle entra.
Garence était allongée sur le lit, les yeux ouverts. Elle ne dormait pas. Elle ne se redressa pas non plus quand Max s’approcha. Elle la regarda simplement, comme si elle l’attendait.
— Je ne sais pas quoi faire de ce que je ressens, dit Max à voix basse.
Garence tendit la main sans un mot.
Max la prit.
Il n’y avait plus de mensonge possible. Plus d’échappatoire dans la mission, ni dans les responsabilités. Plus rien pour faire écran. Juste elles deux, dans le silence battant de la chambre.
Garence se redressa, se rapprocha, posa son front contre celui de Max.
— Tu peux arrêter de te battre, juste ce soir ? murmura-t-elle. Laisse-moi veiller sur toi, pour une fois.
Et Max lâcha prise. Le souffle de Garence frôla ses lèvres, et dans ce frisson suspendu, tout vacilla.
Max la regarda longuement, comme pour graver chaque détail de son visage avant de se perdre. Puis elle céda.
Leurs bouches se trouvèrent. Ce n’était plus un baiser d’hésitation, mais une déferlante. Leurs lèvres se cherchaient, se goûtaient, se retrouvaient comme si elles s’étaient toujours connues.
Max sentit le corps de Garence contre le sien, brûlant, vibrant. Elle la serra plus fort, comme pour la retenir d’un monde qui voulait les séparer. Les mains de Garence glissèrent sous son tee-shirt, curieuses, affamées, traçant des chemins de feu sur sa peau nue.
Max ferma les yeux, la tête rejetée en arrière, quand les lèvres de Garence vinrent se perdre dans son cou. Elle gémit, bas, rauque, surprise par l’intensité du désir qui la traversait.
Elles se déshabillèrent sans mots, avec cette urgence tranquille qu’ont les choses inévitables. Chaque vêtement ôté était une barrière qui tombait, un pan de contrôle qui se dissolvait.
Garence se pencha sur elle, douce et féline, le regard brillant d’une assurance nouvelle. Max se laissa faire, s’offrit à cette bouche lente, à ces mains qui ne tremblaient plus. Quand elle la toucha, vraiment, Max se cambra sous la vague. Un souffle. Un cri presque. Et tout son corps vibra au rythme de Garence.
Ce n’était plus seulement une étreinte. C’était une promesse charnelle, une déclaration de peau contre peau, de souffle mêlé, de plaisir partagé. Elles se perdirent ensemble, plusieurs fois, leurs corps entremêlés, moites, haletants, portés par cette soif d’elles qui ne voulait plus s’arrêter.
Quand enfin le calme revint, quand leurs cœurs battirent à l’unisson dans un silence apaisé, Max enfouit son visage dans le creux de l’épaule de Garence.
L’espace d’un instant, elle crut qu’elle pouvait être heureuse.
Garence passa une main dans ses cheveux courts.
— Tu vas disparaître demain ?
Max releva les yeux, interloquée.
— Tu veux dire… faire comme si rien ne s’était passé ? reprit Garence. C’est ce que tu comptes faire ?
— Même si je le voulais… cette fois, je ne pourrais pas. Mais...
Elle racla sa gorge, gênée.
— Si mon supérieur apprend que j’ai franchi la ligne pro, je vais avoir des problèmes.
Garence se redressa, attrapa le drap qu’elle enroula autour d’elle, et éleva la voix :
— Ça veut dire quoi, ça ? Que tu ne veux pas faire comme si rien ne s’était passé, mais qu’il ne faut surtout pas que ça se sache ?
Max s’était levée, tentant de lui attraper le bras pour la calmer. En vain. Garence tournait en rond dans la chambre, énervée, agacée. Les mots fusaient sans pause, sans retenue.
Jusqu’à ce que Max la saisisse brusquement, la tire sur le lit, monte à califourchon sur ses hanches et pose une main sur sa bouche.
— J’ai aimé ça, lui murmura-t-elle. Je veux recommencer. Plusieurs fois. Alors tu te calmes, et tu m’écoutes. Il faut juste être prudentes. Une fois que tout ça sera terminé… je ne serai plus ton garde du corps. Et je pourrai t’inviter à sortir.
Elle retira lentement sa main, plongeant ses yeux dans les siens.
— D’accord ?
— Un vrai rendez-vous ?
— Oui, répondit Max dans un souffle. Un vrai rendez-vous.
Et elle l’embrassa de nouveau.
La nuit s’écoula au rythme de leurs deux corps enflammés. Les heures passèrent, lentes et intenses, et au fil de cette nuit suspendue, les deux femmes apprirent à connaître chaque recoin de l’autre. Chaque courbe, chaque marque, chaque cicatrice, chaque grain de beauté devint familier, précieux, intime.
Au petit matin, Max s’éveilla la première. Leurs corps étaient encore collés l’un à l’autre, enchevêtrés sous les draps. Elle resta immobile un instant, à contempler la beauté paisible de Garence endormie. Un sourire discret effleura ses lèvres. Puis, avec une douceur infinie, elle se glissa hors du lit, prenant soin de ne pas la réveiller.
Elle fila sous la douche, laissant l’eau tiède effacer les traces de la nuit, mais pas la sensation. Elle s’habilla ensuite, mécaniquement, renouant avec les gestes précis du quotidien. Car malgré l’intimité de ces heures volées, la réalité de sa mission était toujours là. Intransigeante.
Max reprit son rôle. Professionnelle. Attentive. Elle fit le tour de la résidence, vérifia les entrées, salua les collègues postés dans les voitures devant le portail. Son masque tenait bon. Impeccable. Mais à l’évocation d’un regard, d’un frisson sur sa peau, d’un soupir au creux de la nuit, un sourire fugace lui échappa.
Aujourd’hui, elle allait passer la journée aux côtés de Garence. Et même si elle devait jouer la neutralité, tout en elle vibrait encore de cette nuit.
Ce n’est que quelques heures plus tard que Garence se réveilla. Elle ouvrit les yeux sur un lit vide, légèrement déçue. Puis, entendant des bruits venus de la cuisine, elle se leva. L’anxiété et l’impatience s’entremêlaient à mesure qu’elle descendait les escaliers. Une odeur douce, sucrée, mêlée à celle d’un café frais, flottait dans l’air.
Sur la pointe des pieds, Garence entra dans la cuisine. En souriant, elle s’approcha de Max par-derrière, se colla contre son dos, ses mains glissant sur ses hanches pour venir se poser sur son ventre.
Max sursauta violemment.
— Oh putain ! Garence !
Mais Garence ne bougea pas, son rire léger enveloppant la pièce.
— Tu m’as fait peur, grogna Max. Je te rappelle que je suis censée assurer ta sécurité, pas sursauter comme une idiote.
— Dommage… tu es mignonne quand tu sursautes, murmura Garence.
Max tenta de s’écarter, son regard balayant la pièce, un reste de prudence dans les gestes.
— Tout va bien, souffla Garence à son oreille. Y’a personne. Et… j’ai pas pu m’en empêcher.
Elle déposa un baiser rapide sur ses lèvres.
— Que nous vaut ce super petit dej’ ?
— Je cuisine quand je suis heureuse.
— Quoi ? Attends... tu veux dire que toi, Maxou, tu es heureuse ?
— La ferme. Et mange tes pancakes avant qu’ils refroidissent.
Le reste de la journée fut un étrange ballet entre la tendresse volée et la retenue imposée. Comme si elles dansaient sur un fil, entre l’intime et le professionnel. Chaque fois qu’un collègue de Max franchissait la porte pour faire son rapport, les deux femmes retrouvaient cette distance de façade, ce jeu de regards neutres et de gestes maîtrisés. Mais à chaque départ, c’était une respiration. Un retour à elles.
C’étaient des petits riens, presque anodins. Mais qui, pour elles, voulaient dire beaucoup.
Alors que Max s’astreignait à sa série de pompes dans le salon, Garence s’approcha à pas de loup. D’un geste fluide, elle vint s’asseoir à califourchon sur le bas de son dos, un sourire mutin aux lèvres. Max grogna, ploya un peu plus sous le poids, puis reprit ses mouvements sans rien dire. Juste un souffle, plus fort. Une tension de plus. Garence se pencha alors, sa bouche effleurant son oreille.
— C’est pour travailler ta résistance mentale, chuchota-t-elle.
Max ne répondit pas, mais le frémissement de ses omoplates trahit son trouble.
Plus tard, alors qu’elle passait en revue les images de surveillance sur l’écran du bureau installé dans un coin de la pièce, concentrée, professionnelle, Garence s’approcha par-derrière. Elle ne dit rien. Elle posa simplement sa main sur le dos de Max, au creux de ses reins, paume chaude et rassurante. Un geste tendre, presque protecteur, qui resta là une seconde, deux… puis disparut, aussi discrètement qu’il était venu.
Leurs échanges étaient pleins de silences éloquents. Un regard un peu trop long lorsqu’elles se croisaient dans le couloir. Une caresse sur une épaule nue en passant. Des sourires qui s’échappaient malgré elles.
Quand Max parlait avec ses collègues, Garence se tenait un peu à l’écart, respectueuse, mais attentive. Et quand le dernier agent avait quitté la maison, elle revenait vers Max avec cette nonchalance douce qui la désarmait complètement. Parfois, elle s’asseyait sur le plan de travail pendant que Max vérifiait les accès sur sa tablette. D’un geste lent, elle balançait ses jambes, l’observait avec un demi-sourire.
— T’as toujours cette petite ride là, entre les sourcils, quand tu bosses, disait-elle en tendant le doigt.
Et Max, incapable de la réprimander, secouait juste la tête avant de reprendre son activité… sans réussir à cacher le coin de ses lèvres qui se soulevait.
La tension, si longtemps contenue, s’était changée en une complicité brûlante, intime, mais toujours silencieuse. Elles savaient toutes les deux que cet équilibre était fragile. Que rien n’était acquis. Mais pour l’instant, elles avaient ces instants. Et c’était tout ce qui comptait.
La soirée s’étira doucement, baignée par la lumière tamisée d’une lampe oubliée dans un coin du salon. Max avait cédé aux insistances de Garence pour une pause film. Elles s’étaient installées sur le canapé, un plaid négligemment jeté sur leurs jambes, l’écran diffusant une comédie romantique que Garence avait choisie sans trop lui laisser le choix.
Au bout d’un moment, Garence s’était lovée contre Max, la tête posée sur ses genoux, ses doigts dessinant des cercles lents sur sa cuisse. Max, les mains dans ses cheveux, caressait distraitement sa nuque, le regard perdu entre le film et le visage paisible de la jeune femme. Le silence entre elles était confortable. Dense. Plein.
Et peu à peu, sans qu’elles s’en rendent compte, le sommeil les avait gagnées. Garence s’était endormie la première, sa respiration régulière vibrant doucement contre Max. Et Max, apaisée par cette chaleur contre elle, avait fini par fermer les yeux à son tour, la tête posée contre le dossier, une main toujours glissée dans les cheveux bruns de Garence.
Un bruit sec à la porte d’entrée la fit sursauter. Elle se tendit aussitôt, en alerte, le regard fixé sur le couloir.
La porte s’ouvrit à la volée. Max eut à peine le temps de se lever à moitié qu’une voix familière retentit, un peu surprise :
— Max ? Désolé, j’me suis permis, j’avais besoin des toilettes. J’ai frappé, mais…
C’était Léo, l’un des agents en rotation. Il venait d’apparaître dans l’encadrement de la porte du salon. Et il s’arrêta net.
Ses yeux passèrent de Max à Garence, toujours profondément endormie contre elle, puis à la main de Max posée sur sa hanche, figée en pleine caresse.
Le silence se fit lourd.
Max se figea, un peu trop raide, comme si elle venait d’être prise en faute. Son esprit carburait, mais rien de crédible ne lui venait.
— Elle a entendu un bruit… Elle a eu peur. J’ai voulu la rassurer. Elle s’est endormie là, c’est tout.
Léo cligna des yeux, une expression difficile à lire flottant sur son visage. Il ne dit rien pendant une seconde, puis hocha doucement la tête.
— Ok. J’ai rien vu. Je vais aux toilettes.
Max acquiesça, raide, pendant qu’il disparaissait dans le couloir. Une fois seule, elle soupira en silence, la gorge un peu serrée.
Garence, toujours blottie contre elle, n’avait pas bougé. Max baissa les yeux sur elle, les doigts immobiles dans ses cheveux.