Max se réveille avant l’aube, les premiers rayons de lumière filtrent à peine à travers les rideaux. Elle jette un regard furtif sur Garence, encore endormie, et son cœur se serre un instant. Elle aurait voulu que tout soit plus simple, mais la réalité de son métier la rattrape toujours. Elle se lève doucement, pour ne pas la réveiller. La maison est calme, l’atmosphère paisible, mais elle sait que tout cela est temporaire. Thomas doit arriver avec les micros, ils n’auront pas beaucoup de temps pour les placé sans que Léo ne s’en rende compte.
Max effleurai la surface froide du plan de travail, avant de croiser les yeux de Thomas. Son regard est aussi tranchant que la situation, mais une tension palpable flotte autour d'elle. Les micros doivent être placés discrètement, mais tout ça semble plus risqué que prévu.
— Salut Max, lui lance Thomas, en entrant avec une rapidité évidente. Faut se dépêcher avant le débrief avec l’équipe.
Max hoche la tête, mais son esprit est ailleurs, suspendu à mille questions. Le temps est compté, et tout semble fragile.
— On est sur du plan ? interroge Max, l’air tendu. Et si il arrive quelque chose à Garence ?
Thomas remarque instantanément le poids du doute dans sa voix, mais il garde son calme, sa posture professionnelle toujours aussi implacable.
— Si on veut intercepter Léo, faut qu’il se sente en confiance. Il pose le matériel sur la table et lui adresse un regard compatissant, comme pour briser un peu de la tension qui l’étouffe. Il faut lui laisser croire que rien n’a changé.
Max le fixe un moment, avant de reprendre son travail. Son souffle s'accélère légèrement, mais elle fait bonne figure. Ils n'ont pas le luxe de se laisser envahir par le stress. Thomas, cependant, perçoit son inquiétude dans la façon dont elle ajuste ses gestes, la façon dont ses yeux scrutent chaque recoin, chaque ombre.
— J’ai établi une planque à deux blocs d’ici, tu resteras là-bas pour écouter tout ce qui se passe ici. Thomas continue, cherchant à la rassurer. Ça nous permettra de faire des regroupements avec Léo, le ministre, et les groupes qui veulent le mettre à terre.
Max hoche la tête, cherchant à se concentrer sur ce qu’il dit. L’idée de rester en retrait, loin de Garence, ne l’enchante pas. Mais c’est le jeu, et elle n’a pas le choix.
— OK, dit-elle, presque pour elle-même, je pourrai intervenir au moindre problème.
— Et mon remplaçant ? demande-t-elle, les sourcils froncés. On est sûrs qu’il est safe ?
Thomas hésite un instant, son visage se durcit légèrement. Il n’aime pas répondre à ce genre de question, mais il doit le faire.
— Honnêtement, je ne sais plus de qui je peux être sûr. Il la regarde dans les yeux, et l’honnêteté dans sa voix fait écho à une vérité amère. Mais son dossier est blanc. Aucun signe d’appartenance à un réseau opposant.
Max pousse un léger soupir, mais cette réponse ne la soulage pas totalement. Tout est incertain, comme toujours dans ce métier.
Une fois les micros installés, Max et Thomas s’étaient installés dans le salon, à l’écart, attendant le début du débrief. L’atmosphère était tendue, lourde, et Max sentait son cœur battre un peu plus vite que d'habitude. Le moment approchait, mais avant tout ça, elle devait encore faire face à la réalité qui les entourait, et la réalité, pour elle, c’était de devoir partir, de laisser Garence derrière elle.
À cet instant-là, Garence entra dans la pièce, et leur regard se croisa immédiatement. Un regard qui en disait plus que n'importe quel mot, un regard lourd de non-dits. Garence ne semblait pas pouvoir détacher ses yeux de Max, comme si elle cherchait à graver chaque détail, chaque instant, dans sa mémoire. Un regard qui disait tout ce qu’elles ne s’étaient pas dites : "Tu vas tellement me manquer." Max sentit son cœur se serrer. Elle aurait voulu se lever, la prendre dans ses bras et lui dire qu'elle ne serait pas loin, qu'elle veillerait sur elle, mais elle ne pouvait pas. Les circonstances ne lui en laissaient pas le droit.
Au moment où elle aurait pu se lever, la porte s’ouvrit brusquement, et plusieurs collègues entrèrent dans le salon, interrompant ce moment suspendu entre elles. Max ne pouvait qu’effacer cette pensée et se recentrer. Les deux gardes postés devant la maison avaient déjà commencé à détailler les allées et venues, leur œil perçant balayant chaque mouvement autour de la propriété. Rien de particulier à signaler, à part l’arrivée de Thomas, qui pénétra dans la pièce avec une démarche assurée, mais une légère tension dans ses gestes.
— Je vous présente le nouveau garde du corps de Garence, annonça Thomas d’une voix ferme, comme s'il introduisait un nouveau collègue.
Un homme entra alors, la quarantaine, tiré à quatre épingles. Son costume trois pièces impeccablement coupé ne laissait aucune place à la décontraction. Il était froid, ses traits sévères, et aucun sourire n'effleurait son visage. Même Garence, toujours en retrait, avait bien compris qu’avec lui, les choses seraient différentes. Il n’y aurait pas de place pour la légèreté ni pour les moments tendres comme ceux qu’elle avait partagés avec Max.
— Il remplacera Max, qui doit partir pour des raisons personnelles.
Les mots de Thomas résonnèrent dans l'air comme un coup de marteau. Remplacer Max... Le temps était venu de quitter Garence. Ce n’était plus une mission, mais un adieu déguisé en obligation professionnelle. Max sentait le poids de ce moment, et l'absence de chaleur dans l'attitude du nouveau garde du corps ne faisait qu’aggraver la situation. Garence le regarda de haut en bas, visiblement perturbée par l'homme qui allait désormais veiller sur elle. Une vague de malaise traversa la pièce, mais rien ne pouvait changer la réalité de ce qui venait de se jouer.
Les présentations étaient faites, les micros posés, tout était en place. Il ne restait plus qu’une chose à faire : partir. Max monta à l’étage pour récupérer son sac. Garence, le cœur battant, la suivit sans un mot, espérant un dernier contact, même bref. Un instant volé. Une échappée douce avant l’absence.
Elle entra dans la chambre et referma la porte derrière elle.
— T’allais quand même pas partir sans me dire au revoir ? dit-elle d'une voix basse, teintée d’une colère contenue.
Max se retourna, les yeux sombres d’émotion. Elle s’approcha rapidement, posa une main sur la bouche de Garence.
— Chut, souffla-t-elle. Y a des micros partout.
Garence se figea. C’était vrai. Quelques heures plus tôt, Max et Thomas avaient équipé la maison d’un dispositif complet d’écoute. Chaque mot pouvait être enregistré, analysé. Aucun faux pas possible.
Alors Max se pencha, tout contre son oreille, son souffle chaud glissant sur sa peau.
— On se dit pas aurevoir. Je t’écoute. Je suis là, tout près de toi. Tu dis mon nom, et j’accours. Tu te souviens bien de ça ?
Un silence.
— Tu dis mon nom, et j’arrive.
Garence ferma les yeux. Elle hocha la tête, comme un pacte scellé dans le silence.
Max laissa s’échapper un baiser, rapide mais chargé de tout ce qu’elle ne pouvait pas dire. Un contact fragile sur ses lèvres, un adieu qui n’en était pas vraiment un.
Puis elle se détourna, ouvrit la porte, et redescendit au salon.
Il était temps. Elle monta dans la voiture aux côtés de Thomas, jeta un dernier regard au porche, aux fenêtres… et son cœur se serra.
Elle partait, oui. Mais elle n’était pas loin.
Après le départ de Max, Garence ressentit un vide immense. Une solitude qu’elle n’avait plus connue depuis son arrivée dans cette planque, depuis que Max avait occupé l’espace, son quotidien, son cœur.
Les heures passaient avec une lenteur exaspérante. Le silence pesait comme une couverture trop lourde. Allongée sur le lit, elle fixait le plafond, se demandant comment remplir l’absence.
Mais si Max l’écoutait... autant en profiter.
Elle commença à parler, doucement, à voix haute. Des phrases anodines en apparence. Des remarques sur la météo, sur ce qu’elle lisait, sur les plantes de la cuisine. Mais entre les lignes, il y avait autre chose. Des messages glissés, presque codés, qui pourraient ne rien signifier… sauf pour quelqu’un qui connaissait la musique.
Elle s’amusait à brouiller les pistes, comme dans un jeu. Un mot par-ci, une intonation par-là. Une confession dissimulée dans une remarque désinvolte. Juste assez pour que, si Max écoutait vraiment… elle comprenne.
En vérité, tout lui manquait.
La manière dont Max la protégeait.
Son regard discret mais présent.
Sa façon de préparer le petit-déjeuner en silence, comme si c’était un rituel sacré.
Avec ce nouveau garde du corps, c’était autre chose.
Froid.
Silencieux.
Strict.
Ils ne mangeaient pas ensemble.
Ils ne regardaient pas la télé.
Ils ne s’entraînaient pas.
Il passait ses journées debout, à vérifier les fenêtres, à faire des rondes, à pianoter sur sa tablette.
Elle, elle s’ennuyait.
De son côté, Max n’avait pas tardé à rejoindre la planque. Un petit studio sobre, fonctionnel. Deux pièces, une cuisine ouverte sur le salon, et une chambre. Suffisant pour travailler. Pas pour vivre.
À peine arrivée, elle enfila son casque et activa les récepteurs. Les voix de la maison lui parvinrent aussitôt. Celle de Garence — douce, familière, un baume et une torture à la fois. Puis celle de l’autre : Roche. Froid, rigide, mécanique.
Il énonçait les nouvelles règles de sécurité, le protocole, les zones à éviter. Max percevait le ton de Garence : poli, distant, mais résigné. Elle n’aimait pas cette situation. Et Max non plus.
Puis une autre conversation attira son attention.
Léo.
Il parlait avec un collègue.
Une discussion banale, en apparence. Du quotidien. Des détails insignifiants.
Mais Max avait appris à écouter ce qui ne se disait pas.
Léo évoquait des « soucis personnels ». Elle fronça les sourcils. Léo n’avait jamais eu de soucis personnels. Léo vivait pour ses missions. Elle connaissait ce type de discours : le genre qu’on utilise quand on veut détourner l’attention.
Il mentait. Elle en était sûre.
Et au fond d’elle, elle savait aussi pourquoi.
C’était à cause de lui qu’elle n’était plus sur cette mission.
C’était lui qui avait glissé quelque chose.
Une suspicion. Une accusation.
Parce qu’elle était un obstacle. Parce qu’elle protégeait trop bien Garence.
Le traité que le ministre devait signer approchait. Deux jours.
Si Léo devait passer à l’action, ce serait bientôt.
Très bientôt.
Max reporta son attention sur l’écran. Elle n’avait même pas pris le temps de découvrir les lieux. Elle avait posé son sac, ouvert son ordinateur, et plongé tête baissée dans les dossiers.
Elle épluchait les états de service, les affectations passées, les cercles de contacts.
Tout ce qui pouvait relier Léo à un groupe opposant.
Tout ce qui pouvait trahir une faille.
Elle s’était mise dans un mode de travail presque obsessionnel.
Rien ne comptait plus que ça.
Rien, sauf cette voix, qu’elle gardait en fond sonore…
La voix de Garence.