La matinée était fraîche, mais Max suait déjà. Installée dans la cour intérieure du manoir Delatour, elle enchaînait les pompes sans effort apparent, en brassière et en short, les écouteurs dans les oreilles, musique en fond. Seule. Concentrée. Maîtrisée.
Elle aimait ce moment de silence, loin de Garence et de ses remarques arrogantes.
Mais ça ne dura pas.
Une ombre se dessina au-dessus d’elle. Max s’arrêta à la 127e pompe, retira un écouteur et leva les yeux.
Garence, en peignoir, tasse de café à la main, la fixait depuis le balcon.
— Je me disais bien que je sentais l’odeur d’effort et de testostérone, lança-t-elle d’un ton moqueur.
— Bonjour à toi aussi, répondit Max sans se lever.
— Tu comptes me surveiller en faisant des pompes ?
— Je suis polyvalente. Et pas encore en service.
— J’ai hâte, alors.
Garence rit doucement, puis but une gorgée.
— Tu devrais essayer autre chose, Maxou. Bien que j’aime te voir transpirer... t’as déjà pensé à un brushing ? Ou peut-être un peu de blush ?
— Je laisse ça aux filles qui veulent plaire.
— T’as pas envie de plaire, toi ?
— Pas quand je suis en mission.
— Mais moi, tes muscles, ça me plaît déjà beaucoup.
Garence haussa un sourcil et repartit sans un mot.
Max soupira. C’était reparti pour une journée de provocations.
Plus tard dans la matinée, Max reçut un message sur sa tablette sécurisée :
"Déplacement non autorisé : Garence Delatour – Café Montmartre – 9h15."
Elle bondit. La gamine s’était échappée. Encore.
Elle mit son blouson, claqua la porte, et sa moto rugit quelques instants plus tard.
Max la retrouva en terrasse, entourée de fils et filles à papa trop apprêtés pour être sincères, ricanant autour de cafés hors de prix.
Garence la repéra aussitôt et leva les yeux au ciel.
— Oh, tiens… voilà ma nounou.
— On rentre. Maintenant, grogna Max.
Les autres la regardèrent avec un mélange de moquerie et de peur mal dissimulée. Max ne jouait pas. Jamais.
— Détends-toi, Superwoman. On parle juste politique. T’as peur qu’on débatte jusqu’à la mort ?
— Ce quartier est vulnérable. Il y a eu une alerte ce matin. T’es sous protection, Garence. Et tu le sais.
Un silence tendu s’installa.
Garence reposa sa tasse, plus sérieuse tout à coup. Elle se leva, attrapa son sac de marque et se pencha vers Max.
— Je suis pas une gamine, tu sais.
— Alors arrête d’agir comme une.
Garence ne répondit pas. Max lui tendit un casque en s’approchant de sa moto.
Garence lui lança :
— Tu me parles comme si j’étais une charge. T’as jamais pensé que si je vis comme je veux, c’est peut-être parce que j’ai pas le choix ?
Max la regarda brièvement.
— Je suis pas là pour te fliquer. Si tu veux sortir, tu viens me voir, et je fais en sorte que ça se passe en sécurité.
Un silence se fit entre elles.
Garence s’installa derrière Max, glissant ses mains autour de sa taille. Max sentit la pression. Malgré sa colère, elle ne pouvait pas s’empêcher de sentir cette chaleur la parcourir.
Dans l’après-midi, un briefing avait lieu à la résidence. Max dut assister à la réunion de sécurité avec le ministre lui-même. Entourée de costumes sombres et de visages fermés, elle resta silencieuse, prenant des notes.
— Ma fille reçoit des menaces claires. Des mails, des messages, et même une enveloppe laissée devant notre domicile la semaine dernière. C’est allé trop loin.
— Nous avons augmenté le niveau de surveillance. Max assure sa protection personnelle 24h/24, répondit Thomas.
— Elle ne doit jamais être seule, insista le ministre.
— Compris, dit Max. Je suis sur elle comme son ombre.
À la sortie de la réunion, elle croisa Garence dans le couloir.
La jeune femme portait une robe dos nu et des talons de douze centimètres, en route pour un gala de charité.
— Tu viens aussi ? demanda-t-elle, faussement innocente.
— Je te suis. Pas par plaisir, précisa Max.
— Oh, mais moi j’aime quand tu me suis.
Max soupira. Ce serait une longue soirée.
Le gala se tenait dans un musée d’art contemporain.
Max, en costume sombre, oreillette en place, restait discrète. Garence brillait sous les projecteurs, papillonnant de groupe en groupe.
Mais Max ne la quittait pas des yeux.
Et c’est là qu’elle le vit : l’homme de la galerie.
Même posture rigide. Même regard figé.
Elle informa aussitôt son équipe.
Elle traversa la foule sans hésiter et s’interposa juste avant qu’il ne s’approche de Garence.
— Foutez le camp, murmura-t-elle.
— C’est un gala public. J’ai le droit d’être ici.
— Et moi, j’ai le droit de vous coller au mur si vous faites un pas de plus.
L’homme recula. Max nota son visage. Elle ferait un signalement.
Garence l’avait vue faire. Elle la rejoignit un peu plus tard, un verre de vin à la main.
— J’ai jamais vu quelqu’un d’aussi parano.
— C’est mon boulot, d’être parano.
— Tu me protèges pour l’argent ou parce que je te plais ?
Max s’arrêta. Ce n’était pas la première fois que la voix de Garence portait une telle provocation.
— Je fais ça parce que ta vie est menacée. Et qu’en dépit de ta personnalité insupportable, j’ai pas envie qu’il t’arrive quoi que ce soit.
Garence haussa un sourcil. Puis, doucement :
— Tu sais que t’es plutôt sexy quand tu me protèges avec cette rage silencieuse ?
Max la fixa, déstabilisée.
Garence était trop proche. Trop souriante. Elle pouvait presque sentir sa main la frôler.
Elle recula d’un pas.
— Tu joues à un jeu dangereux.
— Peut-être. Mais j’aime jouer.
Le retour fut tendu.
Dans la voiture, le silence était épais.
Max conduisait. Garence l’observait.
— T’as toujours été comme ça ?
— Comme quoi ?
— Fermée. Froide.
— Professionnelle.
— C’est pas incompatible, tu sais. On peut être humaine et professionnelle.
Max serra le volant. Ce n’était pas le moment d’ouvrir la boîte de Pandore. Pas maintenant. Pas avec elle.
— J’ai l’impression d’être une distraction pour toi, Maxou.
— Tu ne l’es pas.
— Mens encore une fois. Juste pour voir.
Max tourna la tête vers elle.
Le regard de Garence était intense. Et Max se sentit vaciller. Juste une seconde.
Elle freina. Fort.
Garence fut projetée vers l’avant, rattrapée par sa ceinture.
— Qu’est-ce que tu fais ?!
— Arrête ça. Tout de suite.
— Je comprends pas ?
— T’es sérieuse ? Je suis pas là pour jouer !
Un silence s’installa dans la voiture.
Puis Max redémarra, direction le manoir.
Arrivées au manoir, elles montèrent les escaliers sans échanger un mot. Max suivait Garence à quelques pas, toujours tendue.
Garence s’arrêta devant la porte de sa chambre. Elle posa la main sur la poignée, mais ne l’ouvrit pas.
— Tu vas camper devant ma porte aussi cette nuit ? demanda-t-elle doucement, sans se retourner.
— Si c’est nécessaire.
Garence se tourna. Lentement.
— T’as pas envie d’entrer ?
Max leva les yeux vers elle.
— Ce serait pas une bonne idée.
Garence s’approcha. Un pas. Puis un autre. Jusqu’à ce qu’il n’y ait plus qu’un souffle entre elles.
— Embrasse-moi.
— Garence…
— Embrasse-moi, et ensuite fais ce que tu veux. Ignore-moi. Protège-moi en silence si ça t’arrange. Mais arrête de faire semblant.
Max la regarda. Longtemps. Trop longtemps.
Tout en elle criait de reculer.
Et pourtant…
Leurs visages se frôlaient presque.
Mais au dernier moment, Max ferma les yeux et fit un pas en arrière.
— Je suis pas là pour ça.
Garence hocha doucement la tête, sans dire un mot. Elle entra dans sa chambre et ferma la porte derrière elle.
Max s’installa juste devant. Dos au mur, genoux pliés, regard fixé sur le vide.
Elle resta là toute la nuit.