SUN

D’un pas décidé, j’arrive au point du rendez-vous. Mon regard détaille le petit café cosy où la façade noire et les poutres sont ornées de verdure qui ressemble à des guirlandes de lierre.

Sans plus attendre, je franchis le seuil du coffee shop, une douce odeur de café fraîchement moulu et de chocolat chaud m'enveloppe immédiatement. Je scrute rapidement la pièce chaleureuse. L’ambiance est feutrée, mais l’éclairage tamisé ne cache pas la silhouette de la personne qui m’a m’invitée, assis à une table isolée au fond. À côté d’elle, l’autre, qui se prend pour un pilote de Formule 1 quand il roule sur les nationales.

Mon regard croise celui de Carter, qui se force à me lancer un sourire.

Je hausse un sourcil. Qu’est-ce qu’il lui prend au juste ?

Je m’avance vers eux et fais entendre ma présence.

— Tu es rapide, commente Angelo, se levant pour tirer la chaise et me permettre de m’asseoir.

— Désolée, j'ai dû fuir des tarés à l’université.

Carter ricane dans son verre, sans vraiment chercher à cacher son amusement.

Je m’assieds, croise les jambes, prête à entendre ce qu’ils ont à me dire. Ils ne m’ont pas fait venir ici juste pour siroter un verre avec eux. Si ?

— Un problème avec ses étudiants ?

Je soupire et me penche légèrement en avant, les coudes posés sur la table.

— Juste une vidéo de moi en train de voler des examens qui circule sur les forums de l’université.

— Et les images ont été montées pour que l’on t’accuse toi ? Pourquoi ?

J’avoue la vérité à Angelo sur mon arrivée à la fac, la fameuse étrangère qui avait besoin d’aide et ce montage fait à mon insu.

— Après ce vol, je suis devenue la risée de l’université et tout le monde m’appelle « La voleuse de Princeton ». Mais avec la discussion que j’ai eu ce matin, je crois que…

Carter prend soudainement la parole :

— Tu crois avoir une piste sur la personne qui a fait cette vidéo pour te virer de l’équipe ?

— Elle te connaissait avant l’université ou juste parce qu’elle voulait avoir une reconnaissance qu’elle ne pouvait pas avoir à cause toi ? survient Angelo.

Quand ils en parlent, une drôle de pensée s’insinue en mon esprit.

Et si cet enfoiré voulait juste passer incognito ? Et s’il avait donné des instructions à Bethany pour me pourrir la vie à cause de ce qui s’est passé au Minnesota ?

Je secoue la tête.

Non. Il n'aurait jamais pu organiser un plan pareil. Trop con pour réfléchir avec son cerveau. Lui, c’est plutôt du genre à foncer dans le tas.

Alors, si c’était Bethany la seule à tirer les ficelles ? Peut-être qu’elle lui a menti en se faisant passer pour la capitaine, et qu’en sachant qu’il allait débarquer ici, elle a tout monté pour qu’il continue à y croire à tout ce qu’elle dit. Sauf que ce matin, il m’a posé la question. Donc, soit il n’est pas sûr d’elle, soit tout le monde couvre Bethany dans son mensonge parce qu’elle est devenue populaire.

Je connais ce milieu. Trop bien, même. Quand t’as atteint ce foutu sommet à Princeton, les gens sont juste là pour te lécher les pieds, espérant gratter une place dans ton petit cercle d’amis parfaits juste pour se sentir aussi supérieurs que toi.

— Je crois que je sais qui est la personne, tous les éléments reviennent toujours au point de départ, mais ce sont que des mots et je n’ai pas de preuves.

— Des preuves, c’est facile quand on cherche au bon endroit, mais si je vous aide, Sun, cela ne sera pas gratuit, me déclare Angelo Suan.

— Vous voulez de l’argent en échange ? lui demandé-je alors que je sais que le vieux est plein aux as.

Sa réponse paraît tellement ironique que j’ai cru qu’il allait s’étrangler lorsqu’il a dégusté une gorgée de café au caramel, le même que le mien.

— Un petit conseil, jeune fille ! Avec moi, on parle affaires ou contrats, mais jamais d’argent.

Il me tend un dossier, je le réceptionne rapidement et lis le contenu :

1-) Si par malheur, vous avez lu un seul mot de cette ligne, sachez que vous avez déjà signé ce contrat par vos yeux.

Est-ce que je suis dans la merde ?

2-) Si vous refusez ce contrat, vous êtes redevable d’un trillion de dollars.

Oui, je me suis vraiment mise dans la merde là !

3-) Si vous suivez ce contrat à la lettre, la famille Suan vous garantira une sécurité jusqu’à la fin de ce contrat.

Ah, bah il offre quand même une protection à ceux qui négocient avec lui. J’avais peur pour les précédents qui ont eu affaire avec lui.

Je tourne le support rigide pour découvrir le contrat. J'espère que le vieux ne me demande pas de devenir tueur à gages ou de me lancer dans un autre truc aussi farfelu. Sinon, je l'achève avec le club USA Taekwondo. J'en suis ressortie ceinture noire autour de la taille avant même de rentrer à Princeton. J'utilise rarement cette méthode de combat, de peur de tuer quelqu'un sans le vouloir.

CONTRAT D’ENGAGEMENT POUR LE POSTE DE CAPITAINE

DE L’ÉQUIPE « STARS »

Entre les soussignés :

M. Suan Angelo, Président-directeur général de Suan Corporation, ci-après désigné “Le Partenaire”, domicilié à une adresse confidentielle,

et

Mme Miller Sun, capitaine de l’équipe “Stars”, étudiante à l’université de Princeton, ci-après désignée “La Capitaine”, résidant au New Jersey,

Il a été convenu ce qui suit :

1. Objet du contrat

Le présent contrat a pour objet de désigner La Capitaine en tant que capitaine de l’équipe “Stars”. Cette équipe, bien que n’étant actuellement pas la plus performante, bénéficie de l’opportunité d’évoluer rapidement sous la direction de La Capitaine.

2. Engagement de La Capitaine

La Capitaine s’engage à :

Diriger l’équipe “Stars” lors des entraînements et compétitions.

Appliquer le programme d’entraînement défini par Le Partenaire ou ses représentants.

Représenter publiquement l’équipe et Suan Corporation de manière respectable et conforme aux attentes fixées.

Signatures :

Le Partenaire

Suan Angelo

La Capitaine

Miller Sun

Alors le vieux savait en m’envoyant ce message que j’allais venir sans même se dire que je pourrais ne jamais me pointer ? Et ses stars là c’est censé être une équipe de quoi ?

*

* *

Énervée, mes pieds cognent lourdement contre l’asphalte, les yeux rivés sur le ciel étoilé.

Je viens de signer pour les Stars, l’équipe que je ne connaissais pas puisqu’elle est la plus pourrie de Princeton. Leur domaine de sport : évidemment le hockey !

Putain… j’avais juré de plus jamais remettre des patins de ma vie.

Et voilà que, à cause d’Angelo Suan, je replonge en plein dans le hockey. Je ne suis même pas sûre de pas me casser la gueule à la première glissade.

Lorsque je rentre dans la villa pour récupérer mes affaires et Rainbow, afin de revenir définitivement chez Jack, une silhouette se lève à travers la baie vitrée.

D’un grand coup sec, j’ouvre la porte sans regarder la personne qui s’est levée du canapé, puis je vais dans ma chambre, ferme à clé et commence à faire ma valise tranquillement.

— Sun, écoute-moi…

Angelo ne voulait rien faire pour moi concernant Jagger. Il voulait que j’accepte son contrat pour lui mettre une bonne raclée à cet enfoiré, comme il a bossé dur pour devenir, à ses yeux, la version de ma mère : une hockeyeuse brillante et parfaite.

Angelo a vu l’opportunité s’offrir à lui, ou alors ce vieux a beaucoup plus de chance que moi dans la vie.

Revenir dans un monde où j'ai tout oublié. Je n'aurais jamais cru qu'il reviendrait de sitôt dans ma vie.

C’est le deal d’Angelo.

Le deal avec les Stars.

Une fois mes affaires parées dans mes deux baluchons, je sors de la piaule.

Jagger essaie de me barrer la route, mais devant moi, dans cette maison, je ne vois rien d’autre que moi.

Un sourire s’affiche sur mon visage quand je remarque que Rainbow joue avec son jouet, puis je l’attrape dans mes bras.

— Tu seras plus heureux ailleurs que dans cette poubelle.

— Sun… dit Jagger en saisissant mon bras.

Mais il est bien trop tard cette fois-ci. Il a eu le temps d’arrêter de me surveiller pour être avec elle.

Je ne peux plus supporter de partager cette maison avec lui.

Désormais, je suis devenue son ennemie. Sa rivale. Et bon sang, ce que j’aime ça, finalement.

— Lâche-moi, maintenant !

Si je ne trouve pas une excuse rapidement, il me lâchera.

— Adam ne sera pas très ravi que tu touches à sa petite copine.

Le pauvre, je lui enverrai un message pour le prévenir et qu’il vienne me chercher chez Jack, comme à son habitude.

Jagger n’insiste pas plus longtemps et desserre sa main de mon bras.

— Me dis pas que tu es avec cet enfoiré ?

*

* *

Au moment où je cogne une troisième fois contre le verre de la porte, c’est là que Jack descend des escaliers. Il allume la lumière du couloir et ouvre la porte d’entrée.

— Sun ? dit-il intrigué de me voir chez lui, à cette heure-ci.

— Salut, papa. Est-ce que je peux revenir à la maison ?

— Bien sûr, tu es chez toi ici ! Un problème à la villa d’Andrew ? me demande-t-il en posant une main sur mon épaule.

— Oui, mon colocataire et l’autre qui n’a même pas eu le culot de m’avouer que c’était mon père. Je vais couper tout lien avec eux.

L’autre est un poison, et mon père n’a pas été capable de me rappeler une seule fois.

Jack, bienveillant comme toujours, me donne le canapé pour que je puisse me coucher sans me demander ce qu’il se passe pour que je retourne ici. Peut-être que s’il me refusait d’avoir un logement ou un appartement, il savait que tôt ou tard j’allais revenir.

J’envoie un message à Adam avant d’aller dormir :

[Viens me chercher

chez Jack.

Je suis retournée

chez lui. Je t'expliquerais

demain.

PS : ton connard de

frère croit que je

sors avec toi. Dis-lui,

ce que tu veux, je

m'en fou. Sun, come

back, avec ses patins <3. S]