SUN
AprĂšs avoir passĂ© la journĂ©e Ă essayer dâentraĂźner les Stars, je suis bien la seule Ă ĂȘtre restĂ©e tard sur la glace.
Jâai, en quelque sorte, sĂ©chĂ© les cours, me vint-il Ă lâesprit.
Rien de bien mĂ©chant : Ă©tant la meilleure Ă©lĂšve de Princeton, je sais que cette journĂ©e, je la rattraperai sans difficultĂ©. Cameron mâa envoyĂ© les rĂ©visions et les fiches, prises depuis son tĂ©lĂ©phone, par mail, pour que je ne loupe rien.
Cameron est une jeune femme incroyable, bien que lâidylle quâelle a eue avec mon pĂšre nâait pas tenu. Il lâa sĂ»rement quittĂ©e en dĂ©couvrant quâelle Ă©tait bien trop jeune pour lui, et a prĂ©fĂ©rĂ© ne pas poursuivre, sĂ»rement Ă cause de son statut social.
Je vois dĂ©jĂ les gros titres sortir sur les magazines et sur les rĂ©seaux sociaux : Andrew, le multimilliardaire : passionnante idylle avec une Ă©tudiante de lâuniversitĂ©.
Il est seize heures et il nây a plus personne. Tout le monde a dĂ©sertĂ© les lieux, tandis que je me suis entrainĂ©e sans relĂąche pour me familiariser avec le patinage et les patins usĂ©es de lâuniversitĂ©.
Je termine le dernier axel que mâapprĂȘte Ă exĂ©cuter.
Je prends de lâĂ©lan et glisse sur la courbe extĂ©rieure de mon patin gauche. Mon regard reste fixĂ© droit devant, pour prendre une bonne bouffĂ©e dâoxygĂšne.
Le froid de la plaque de glace mord mon nez et mes joues rouges. Je ne suis pas dâhabituĂ©e Ă la fraicheur hivernale.
Dâun mouvement souple, je plie le genou, ouvre les bras de façon coordonnĂ©e puis lance ma jambe libre vers lâavant pour un arc prĂ©cis, celui que maman utilisait pour tromper ses ennemis. Le silence de la patinoire est inaudible, seuls les lames de mes patins Ă©mettent du bruit. Mon corps quitte le glace sâĂ©lĂšve dans les airs, les bras refermĂ©s contre ma poitrine, je me sens presque capable de toucher le ciel. Je fais un demi-tour sur moi-mĂȘme et avant lâatterrissage, en arriĂšre mon pied droit retouche une nouvelle fois la patinoire. Mon genou amortit lâimpact et les bras se dĂ©ploient en grand pour stabiliser la sortie.
Maman tu peux ĂȘtre fiĂšre de moi. Jâai enfin rĂ©ussi Ă surpasser les dĂ©mons qui me tourmentaient depuis notre accident. Jâai compris quâil faut se battre pour avoir ce quâon veut.
Cette annĂ©e, je peux retourner dans une patinoire et je suis prĂȘte Ă dĂ©molir les Warriors.
Une fois mon spectacle terminĂ©, je me dirige dĂ©libĂ©rĂ©ment vers les vestiaires pour prendre une douche. Je tire le battant du casier et jâattrape mes affaires. Un bruit surgit de nulle part, mes yeux se posent sur les interstices de la porte en mĂ©tal. Ă ma gauche, une silhouette se tient adossĂ©e contre les compartiments et son soupir brise le silence de la salle.
Qui peut bien ĂȘtre restĂ© ? Je n'ai vu personne entrer.
Alors que je repousse le battant, je surprends Jagger en train de jeter un regard dans ma direction.
â Quâest-ce que tu fous ici, Jagger ? lui demandĂ©-je.
â Et toi, pourquoi tâas repris cette Ă©quipe ? Pourquoi tâes revenue au hockey ? me questionne-t-il intriguĂ©.
â Je te pose des questions, moi ? Non. Alors Ă lâavenir, Ă©vite de venir me faire chier.
En quelques grandes enjambĂ©es, il rĂ©duit la distance entre nous. Il saisit ma main, prĂȘte Ă lui dĂ©crocher une claque, et la plaque violemment contre le casier.
Ses lĂšvres frĂŽlent lobe de mon oreille avant de me susurrer :
â Je crois que finalement je vais lâaimer cette Sun.
â Ne tây habitue pas trop, Jagger. Jâai un vrai don pour la vengeance et pour les coups bien placĂ©s.
â Alors je nâai pas besoin de tâexpliquer pourquoi jâai racontĂ© ça devant lâautre lĂ . On se revoit bientĂŽt sur le terrain, capitaine des Stars !
*
* *
Café à la main, je porte le gobelet à mes lÚvres et déguste la boisson chaude.
La nouvelle recette aux noix de pĂ©can est une tuerie ! Jâavais dĂ©jĂ adorĂ© celle aux noix la semaine derniĂšre. Puis, par gourmandise, je me suis fait plaisir en prenant deux cookies au chocolat blanc et quatre au caramel pour calmer mes envies, une fois mes huit heures passĂ©es Ă patiner et Ă jouer au hockey toute seule, sans manger.
Ouais, je devrais aussi prendre des barres protĂ©inĂ©es, au lieu dâĂȘtre accro Ă mon placard rempli de toutes sortes de sucreries. Les bonbons, une bonne dose de drogue, suffisamment pour risquer de finir avec un diabĂšte de type quatre.
Je sors du coffee shop oĂč jâai bu un cafĂ© au caramel avec Angelo et traverse la rue juste en face de moi pour aller au petit magasin de sport et regarder les modĂšles de patins.
Adam, Ă mes cĂŽtĂ©s, ne comprend toujours pas ma dĂ©cision de reprendre le hockey alors que jâai tout abandonnĂ© du jour au lendemain.
â Câest trĂšs simple ! Je veux me venger et donner une bonne leçon Ă Jagger.
â Ne joue pas trop au feu, tu vas risquer de te bruler, Sun ! Ma famille du cotĂ© de ma mĂšre peut-ĂȘtre quâelle est sympa, mais attention au loup quiâŠ
Il nâa pas le temps de finir sa phrase que je le coupe soudainement :
â Au dĂ©but, je voulais mâen prendre Ă la famille Sullivan, lui avouĂ©-je sincĂšrement. Mais je me suis dit que je devais me dĂ©brouiller pour rendre la monnaie de sa piĂšce au capitaine des Warriors.
Faire perdre lâĂ©quipe de mes adversaires !
Soudain, une question tournoie dans mon esprit. Pourquoi, ce matin, Jagger nâa-t-il pas dit Ă ses coĂ©quipiers que jâĂ©tais la fille dâAgathe Miller ? Lâhockeyeuse mondialement connue pour ses tirs incroyables et son don cachĂ© pour marquer le but de la victoire quelques secondes avant la fin du temps imparti.
Ce mec est bien mystĂ©rieux⊠Quâest-ce quâil cherche au juste ? Surtout avec moi ?
DÚs qu'on franchit les portes de l'enseigne dédiée aux sportifs, je prends le temps d'observer les lieux.
Une multitude de rayons s'Ă©tendent devant moi. Ils sont organisĂ©s par catĂ©gories. PrĂšs de moi, mes yeux perçoivent des chaussures de foot, des vĂȘtements de running, des planches de surf et des raquettes de tennis. Chacun des articles est dĂ©limitĂ© par des pancartes suspendues en hauteur, reliĂ©es au plafond par une ficelle. Les Ă©tagĂšres sont chargĂ©es d'articles et d'odeurs neuves.
Je laisse mon regard se promener sur les produits, à la recherche de la section hockey et patinage artistique. Une fois au fond du magasin, je trouve mon bonheur quand je tombe sur les crosses et les palets. Mais c'est alors que mon attention se porte sur une paire de patins, juste à cÎté, bien exposée sur une étagÚre. Elle est magnifique, avec ses couleurs bleues et blanches, comme la tenue de mon équipe.
â Est-ce que vous cherchez quelque chose en particulier ? nous demande la jeune femme qui a surgit derriĂšre nous.
â Oui, avez-vous cette paire de patins en taille 5,5, sâil vous plaĂźt ? dis-je en pointant le patin exposĂ© du bout de mon doigt.
â Attendez deux minutes, je vais vĂ©rifier en rĂ©serve sâil en reste.
Pendant que la jeune femme se dirige vers lâentrepĂŽt oĂč ils stockent la marchandise, Adam met un casque de hockey sur glace sur sa tĂȘte, ajuste la visiĂšre et prend un air grave.
â Alors poupĂ©e, tu me crois comment ?
â Incroyable moche ! Je te prĂ©fĂšre dans ta tenue de quarterback tâes plus sexy !
Face à notre complicité profonde et indéfectible, un éclat de rire nous échappe. La jeune vendeuse revient, un sourire en coin quand elle nous voit en train de rigoler.
â Excusez-moi de briser cette bonne ambiance, il nous reste quâune paire en 5,5.
â Je vous la prends ! rĂ©plique une voix familiĂšre.
J'ai juste le temps de me retourner et dĂ©couvre Jagger qui sâintĂšgre Ă notre petit groupe alors quâil nâest pas invitĂ© et se rapproche de moi.
â Câest ma rivale sur la glace, je lui dois bien ça.
En entendant ses paroles, je croise les bras sur ma poitrine et lui dĂ©coche une Ćillade meurtriĂšre.
â Tu deviens lourd, Jagger ! Pourquoi tâirais mâacheter des patins, sĂ©rieux ?
â Jâen ai juste envie, Sun ! balance-t-il en arrachant la boĂźte des mains de la vendeuse. Et oublie pas que ton pĂšre rentre ce soir.
Un souffle moqueur franchit mes lĂšvres, accompagnĂ© dâun haussement dâĂ©paules.
â Ăa me fait une belle jambe. Garde tes patins, je prendrais les usĂ©s de lâuniversitĂ© !
Je tourne les talons sans lui accorder un regard et embarque Adam avec moi. Son frĂšre est un vrai parasite. Un jour, il finira peut-ĂȘtre par comprendre que je ne suis pas sa distraction.
Jagger a bien une copine, non ? Sinon, il doit vraiment sâemmerder avec cette fille pour traĂźner ici.
Avant de partir pour rentrer chez Jack, je jette un coup dâĆil vers Jagger, qui se dirige vers le comptoir pour payer les patins avec sa carte bancaire.
Il doit sûrement essayer de se faire pardonner.
Mais pourquoi change-t-il de comportement ? Est-ce quâil essaie de se jouer de moi, ou est-ce quâil flippe juste Ă lâidĂ©e quâAndrew finisse par lâapprendre ? Ou bien câest quelque chose dâautre que jâignore ?
*
* *
AprĂšs le rush du soir dans lâĂ©tablissement, jâencaisse les derniĂšres commandes passĂ©es par les clients, juste avant la fermeture du restaurant de Jack. Du dĂ©but Ă la fin de la soirĂ©e, je suis restĂ©e aux cĂŽtĂ©s de Jack, dĂ©bordĂ© par les demandes incessantes des convives qui affluaient sans relĂąche dans lâenseigne.
Toutes les deux minutes, la porte effleurait le grelot, signalant une nouvelle arrivĂ©e, et nâarrĂȘtait pas de sâouvrir.
Depuis que mon beau-pĂšre a ouvert son propre restaurant, je nâavais jamais vu autant de monde. CâĂ©tait bien la premiĂšre fois que je voyais ce lieu aussi plein Ă craquer.
Les ampoules suspendues Ă lâenvers baignent la salle de leur lumiĂšre jaune. La tĂ©lĂ©vision, encore allumĂ©e mais sans le son, diffuse des images muettes dâun match de foot. Des notes de musique sâĂ©chappent doucement du poste radio, oĂč lâon entend une vieille chanson nostalgique.
Je mets hors tensions les appareils et me dirige vers le meuble de service.
Je mâempare du nettoyant multi-usage au citron et au magnolia, puis je frotte Ă lâaide de mon torchon les taches laissĂ©es par les clients, aprĂšs quâils ont sirotĂ© leur whisky ou leur vodka. Ensuite, mon regard glisse sur les verres Ă alcool suspendus Ă lâenvers sous lâĂ©tagĂšre du bar Ă cocktails.
Ma main attrape le chiffon posĂ© juste Ă cĂŽtĂ©, et je frotte la derniĂšre tache sur le grand comptoir en bois verni. PlutĂŽt que de jeter lâeau des carafes dans lâĂ©vier en inox, je la verse dans les pots de fleurs, histoire quâelles en profitent un peu, elles aussi.
Jack oublie souvent de les arroser, et je suis la seule Ă lui rappeler quâil faut au moins penser Ă donner de lâeau de temps en temps pour quâelles ne finissent pas Ă la poubelle comme la plupart quâil a achetĂ©es.
Une fois que tout est propre dans le restaurant, jâĂ©teins les ampoules. Les jambes lourdes, je me regagne lâarriĂšre-cuisine, prĂȘte Ă goĂ»ter le nouveau menu que Jack nous a concoctĂ©.
â Bordel ! Je suis crevĂ©e de cette journĂ©e, moi !
Juste au moment oĂč je mâĂ©croule sur la chaise, je remarque cinq assiettes dĂ©jĂ dressĂ©es sur la table. Les deux premiĂšres sont pour nous, mais les trois derniĂšres⊠ne me dites pas que Jack a invitĂ© dâautres personnes au lieu de passer la soirĂ©e entre beau-pĂšre et fille ?