JAGGER
Trois mois se sont Ă©coulĂ©s depuis que jâai goĂ»tĂ© aux lĂšvres de Sun. Douces et si envoĂ»tantes. Je lui ai demandĂ© dâoublier cette soirĂ©e, mais câest moi qui nâarrive pas Ă me dĂ©tacher dâelle. Câest plus fort que moi ! Ă chaque fois que je lutte, je finis par craquer, et en pleine nuit, je la rejoins, juste pour la sentir contre moi.
La musique poussĂ©e Ă son paroxysme, les hurlements des Ă©lĂšves saturent le calme de la maison. Clopes et joints coincĂ©s entre les lĂšvres, la fumĂ©e sâĂ©lĂšve lentement, mĂȘlant lâodeur Ăącre du tabac Ă celle, plus terreuse et Ă©picĂ©e, de lâherbe. Dans ce mĂ©lange Ă©touffant, ça pue la sueur, lâalcool renversĂ©, le parfum trop chargĂ© et un truc cramĂ© quâon nâa pas vraiment envie dâidentifier. Les pom-pom girls attirent tous les regards, surtout quand elles montent sur les tables pour se trĂ©mousser. Les Ă©tudiants, invitĂ©s Ă une soirĂ©e organisĂ©e par lâun de mes coĂ©quipiers du hockey, se dĂ©chaĂźnent et vident Ă tour de rĂŽle les gobelets dâalcool posĂ©s sur la table basse et les canettes sur les plans de travail.
Mark, le dĂ©fenseur des Warriors, se marre comme un roi pendant quâune nuĂ©e de nanas se tassent sur lui, les yeux brillants dâespoir Ă lâidĂ©e de se faire secouer par les quelques coups de reins quâil daignera leur filer dans son plumard.
Bethany, collĂ©e Ă Caleb, affiche clairement que câest son mec et que personne nâa intĂ©rĂȘt Ă y toucher.
AffalĂ© sur le canapĂ©, les yeux rivĂ©s Ă lâĂ©cran de mon tĂ©lĂ©phone, je vois deux nanas sâembrasser sur le canapĂ© dâen face. Comme coupĂ© du monde, je suis absorbĂ© par ce quâil se passe sur les rĂ©seaux, mĂȘme en plein milieu de cette derniĂšre fĂȘte avant les vacances dâhiver.
Je porte mon gobelet Ă mes lĂšvres et vide ma biĂšre dâune traite. Une nana que jâai sautĂ©e la semaine derniĂšre, alors que jâĂ©tais bien trop bourrĂ©, vient sâinstaller Ă cĂŽtĂ© de moi sur le divan.
â Je vois que le capitaine des Warriors reste sage aujourdâhui, lance Lana.
â Je me suis dĂ©jĂ vidĂ© avec une gonzesse, dis-je comme si cela pouvait me faire oublier les lĂšvres de la blonde.
Ce nâest pas la fĂȘte ni les nanas qui me dĂ©rangent, ce sont les photos que Sun a postĂ©es sur son compte Instagram.
Aussi belle quâune vraie mannequin, je vois dĂ©filer les commentaires dâhommes, surtout des pervers, qui rĂȘveraient de lâavoir dans leur lit. Et savoir quâAdam lâaccompagne Ă la foire, au lieu dâĂȘtre avec nous, ça me gave quâil soit avec elle.
Je sais bien quâelle est une Stars, et que son Ă©quipe, pourtant mĂ©diocre, progresse Ă une folle allure. Si elle nâa pas Ă©tĂ© invitĂ©e ici, comme Ă la plupart des soirĂ©es oĂč je suis allĂ©, câest parce quâon continue de lui coller cette histoire de vol dâexamen. Et malgrĂ© cela, ça ne semble mĂȘme pas la dĂ©ranger.
â Sun te plaĂźt ? me questionne Lana.
â Nâimporte quoi. Je suis juste intriguĂ© de ce quâelle fait avec mon frĂšre, câest tout.
â Ouais, câest ça. Tâes intriguĂ© Ă vingt-trois heures en train de mater ses stories Insta.
Je lĂšve les yeux au ciel, mais mon pouce continue de faire dĂ©filer lâĂ©cran. La lumiĂšre sombre du tĂ©lĂ©phone Ă©claire Ă peine mon visage, juste assez pour trahir ce demi-sourire que je tente dâĂ©touffer.
â Elle poste tout le temps, je suis tombĂ© dessus par hasard, rĂ©pliquĂ©-je.
â Ah ouais ? Et tâes restĂ© bloquĂ© dessus par hasard aussi ? Parce que lĂ , tâas dĂ©jĂ regardĂ© la mĂȘme vidĂ©o quatre fois, ricane Lana.
Je soupire, puis me laisse tomber contre le dossier du canapé.
â Fous-moi la paix, ça vaudrait mieux !
â TrĂšs bien ! Mais fait attention quâun autre homme ne te la vole pas, comme Adam.
SecouĂ© par la rĂ©vĂ©lation, je jette une Ćillade Ă Lana, incrĂ©dule.
â Adam ?
Elle se lÚve et pose une main sur mon épaule.
â Ouais, tâas dĂ©jĂ vu un meilleur ami mater le corps et le cul de sa pote ?
*
* *
Je trace sur la route principale avec la caisse que jâai piquĂ©e Ă mon pote, jâappuie sur lâaccĂ©lĂ©rateur pour que le turbo hurle Ă plein rĂ©gime. Je suis prĂȘt Ă finir en garde Ă vue si ça me permet de la croiser ne serait-ce quâun instant. Comment ai-je pu me tirer Ă Londres ?
Quand jâarrive comme une flĂšche sur le parking en gravier de la fĂȘte foraine, je balance mon plus beau dĂ©rapage, digne dâun film dâaction. La caisse crisse, la poussiĂšre et les cailloux volent, et pendant une seconde, jâai lâimpression dâĂȘtre dans un putain de blockbuster. Je coupe le contact, scrute les allĂ©es illuminĂ©es puis me fond dans la foule, dans l'espoir de voir Sun.
Les odeurs de churros et de barbe Ă papa me montent aux narines, un contraste brutal avec lâadrĂ©naline qui continue de pulser dans mes veines. Les gens crient sur les manĂšges Ă sensation, les lumiĂšres clignotent dans tous les sens. Je marche dâun pas rapide et esquive les groupes dâamis qui se prennent en selfie et les mĂŽmes qui courent partout.
Alors que je contourne un stand dâartisan nougatier, jâaperçois Adam et Sun, en train de piocher dans les sucreries offertes en dĂ©gustation, celles quâon pose devant les articles pour donner envie aux gens dâacheter.
â Combien coĂ»te le bloc de nougat au caramel ?
â Six cent cinquante dollars.
Je vois direct la moue de Sun, ce petit froncement de sourcils qui trahit la frustration. Elle fixe la grosse meule de nougat, les lĂšvres pincĂ©es, les bras croisĂ©s, incapable de dĂ©tourner le regard. Elle hĂ©site, tiraillĂ©e entre envie et abandon. Je nâai plus le choix ! Je mâavance vers elle et pose un bras sur ses Ă©paules. Adam se demande ce que je fous ici.
â Tu veux autre chose, princesse ? Je suis d'humeur Ă te dire oui Ă tout.
Sun sâĂ©vente discrĂštement du bout des doigts.
â Franchement, tu as bu combien de verres, toi ? me demande Sun.
â Juste assez pour laisser en plan les autres et te rejoindre, lui rĂ©ponds-je en effleurant sa lĂšvre infĂ©rieure de mon index.
â Dâaccord, promets-moi juste dâarrĂȘter de faire le mec hyper intentionnĂ© car tâes trop bizarre quand tâes comme ça, lance-t-elle.
AussitĂŽt, je jette une Ćillade Ă mon frĂšre jumeau qui me prend Ă part, avant que je ne file le code et la carte bancaire Ă Sun.
â Tâas venu Ă Princeton câĂ©tait pour rejoindre Bethany ou pour Sun ?
Je me fige un instant, surpris par la question. Mon regard se plante dans celui dâAdam qui a les yeux marron foncĂ©, alors que moi, ils sont plus clairs que les siens.
â Au dĂ©but câĂ©tait pour Bethany, rĂ©ponds-je.
Adam finit la phrase que je nâai pas osĂ© dire.
â Mais en revoyant Sun, ce jour-lĂ , tâas su que ça allait changer ?
â Je te prĂ©viens, balancĂ©-je Ă Adam, Ă©vite de la mater ni mĂȘme de la toucher.
Suite Ă mes propos, Adam part dans un fou rire, incontrĂŽlable.
â Pourquoi jâirais mater ma meilleure amie ? Câest qui qui tâa racontĂ© ces conneries ? Sache que, me murmure-t-il, jâai dĂ©jĂ des vues sur une meuf, je vais pas te la voler, ta petite Sun.
Je roule des yeux, frustrĂ©, mais un sourire finit par mâĂ©chapper.
â Quelle salope, cette Lana !
Adam arque un sourcil, mi-amusé, mi-surpris et me tape dans le dos.
â Lana aime se taper des mecs, mais elle a le don aussi pour jouer cupidon.
Lana savait trĂšs bien que si Sun ne mâavait pas attirĂ©, je ne me serais jamais donnĂ© la peine de venir jusquâĂ cette foire.
Quand je repose enfin les yeux sur Sun, elle esquisse un sourire, un peu troublée, le sac dans une main. Je le prends, ainsi que ma carte.
â Merci, Jagger.
â De rien, dis demain...
Je n'ai pas le temps de terminer ma phrase que Sun me coupe dans mon élan.
â Oui, jâai passĂ© la soirĂ©e avec Adam car demain je pars Ă Londres avec mon pĂšre.
â Et les Stars, tu les as oubliĂ©s ?
â Jâoublierai jamais mon Ă©quipe. On va juste devoir faire les entraĂźnements en visio. Puis on a un nouveau coach, Brett. Il faisait partie des anciens, un vrai mec du terrain et il est gĂ©nial.
Dâun coup, je me sens rassurĂ©. Mais en mĂȘme temps, lâidĂ©e quâelle rencontre ma famille me stresse. JâespĂšre quâils ne seront pas trop durs. On parle dâune famille aisĂ©e, avec des rĂšgles strictes, rien Ă voir avec les parents que Sun a connus.
â Fais attention Ă ma grand-mĂšre, lui dis-je. Elle est trĂšs pointilleuse dans tous les domaines et elle a Ă©tĂ© Ă©levĂ©e Ă la dure. Ne la contredis pas, sinon elle risque de te haĂŻr.
â Je dirais que ça vient de toi, pour voir lequel de nous deux, elle va haĂŻr.
â Tu nâoserais pas me faire ça ?
Un rictus ne peut sâempĂȘcher dâĂ©tirer ses lĂšvres charnues.
â Je vais pas gĂȘner, puisque tu es lourd. Je comprends pas ce que tu veux de moi.
Je ne peux pas la mettre en danger Ă cause de mon statut. Jâai lâimpression de ressembler Ă Andrew et Agathe.
â Rien, je profite de ma rivale comme autrefois. Ăa faisait longtemps que je lâavais pas revue.
Le pire, câest que je mens comme un pro. Quâelle continue de jouer lâinnocente pendant que moi, je savoure chaque moment, avant de disparaĂźtre pour de bon, quand viendra le moment de prendre ma place Ă la tĂȘte de lâempire des Sullivan.