JAGGER
La boßte blanche soigneusement emballée dans du papier cadeau rose, je la tiens fermement dans mes bras.
Et si elle la refuse ?
Ne sachant plus quoi en penser, je finis par hausser les épaules.
Le regard rivĂ© sur le carreau, je pousse un soupir et je regarde Ă peine le paysage qui sâoffre Ă moi et qui dĂ©file sous mes yeux. Je privilĂ©gie de protĂ©ger Sun et la tenir Ă lâĂ©cart, plutĂŽt que de la laisser entre les griffes de cette folle de Bethany.
Si je nâavais pas entendu leurs voix Ă©touffĂ©es dans le vestiaire des cheerleaders, puis surpris Bethany en train de mordre sa lĂšvre pour ne pas crier sous les coups de rein de lâex de Sun. Et aprĂšs leur baise fiĂ©vreuse, jâai vu ces deux-lĂ comploter salement sur le dos de Sun.
DâaprĂšs ce que jâai compris, Bethany mâa menti depuis le dĂ©but. Aucune capitaine de lâĂ©quipe des cheerleaders ne lui a passĂ© le flambeau. Elle a simplement repris lâhistoire de Sun et de sa meilleure amie, Cameron, pour me faire croire et faire croire aux autres quâelle avait du talent. Mais aprĂšs avoir vu ses chorĂ©graphies Ă lâuniversitĂ©, je peux avouer quâelles sont un dĂ©sastre. Certaines filles ont fini avec une jambe cassĂ©e, dâautres avec un bras foulĂ© en lâespace de deux semaines.
Bethany lui a dĂ©jĂ tout pris, et pourtant, je ne comprends toujours pas ce quâelle cherche encore chez Sun. Sa beautĂ© ? Son corps attirant ? Ou sa dĂ©termination face au surnom que lui donnent tous les Ă©tudiants ?
Le silence dans lâhabitacle est soudain rompu par la voix grave dâAndrew, qui me tire de mes pensĂ©es.
â Tu es sĂ»r que tu nâas rien fait Ă Sun ? Ma fille mâa appelĂ© une fois, mais jâĂ©tais en rĂ©union, et quand je lâai rappelĂ©e, elle nâa jamais dĂ©crochĂ©. Câest mĂȘme pour ça que je suis rentrĂ©, quelques jours.
Je roule des yeux au ciel, exaspéré. Andrew préoccupé par le silence radio de sa fille.
â Tu nâaurais jamais dĂ» me demander de surveiller, Sun. Ăa nâa fait que lui attirer des problĂšmes.
Suite à mes propos, Andrew se tourne légÚrement vers moi, le regard acéré.
Sa voix tranche lâair tendu de la voiture.
â Comment ça, des problĂšmes ? Tu peux mâexpliquer, Jagger ?
Mon dos sâenfonce un peu plus dans le siĂšge quand je lui avoue que Bethany a partagĂ© son plan diabolique avec lâex de Sun.
Maintenant, je vois que Bethany et le fameux Caleb sont tous les deux les mĂȘmes.
Je me rends compte quâil y a quelque chose de bizarre chez ce type.
â Cameron ? lâinterpellĂ©-je alors quâAndrew est littĂ©ralement collĂ© Ă elle.
â Oui, Jagger ?
â Lâautre jour, tu mâas bien dit que Sun ne connaissait pas son copain avant que Bethany ne lui prĂ©sente lui et son fameux ami ?
â Alors dĂ©jĂ Caleb Ă©tait lâami de Bethany, elle nâa rencontrĂ© que lui. Elle lui a fait tout un tas dâĂ©loges sur lui Ă la sororitĂ©. Sun a dĂ©couvert quâil lâavait trompĂ©e pendant une soirĂ©e universitaire avec Bethany, dit-elle comme si elle nâĂ©tait pas Ă©tonnĂ©e. Dâailleurs, jâavais dĂ©jĂ prĂ©venu Sun de faire gaffe Ă ce type, je le sentais pas.
Les meilleures amies quand elles nâarrivent pas Ă sentir le copain de leurs copines, ça se voit tout de suite.
Le coude posé sur la bordure de la portiÚre, ma main vient frotter mes yeux, comprenant certaines choses grùce à Cameron.
Putain⊠Je viens de capter. Mais quelle salope !
Je me disais bien quâil y avait un truc louche quand Bethany a voulu sâinscrire Ă Princeton, comme ça, du jour au lendemain. Elle a mĂȘme demandĂ© lâautorisation Ă mes grands-parents pour y aller. Et eux, vu quâils ne lâont jamais apprĂ©ciĂ©e, ils ne se sont pas fait prier pour la foutre dehors. Ils lâont fait avec plaisir.
Par contre, elle mâen a parlĂ© le jour oĂč elle a reçu une rĂ©ponse positive du directeur de lâacadĂ©mie. Je me rappelle, elle mâavait dit quâelle avait un ami lĂ -bas, et quâelle ne se sentirait pas perdue.
Tu mâĂ©tonnes⊠Si câĂ©tait pour se perdre dans son plumard, ouais, elle ne risquait pas de se sentir dĂ©boussolĂ©e.
Sans attendre, je saisis mon tĂ©lĂ©phone et passe un appel sur Messenger Ă mon grand-pĂšre, qui, malgrĂ© lâheure, deux ou trois heures du matin chez lui, est dĂ©jĂ rĂ©veillĂ©.
â Bonjour, mon petit-fils adorĂ©. Je me suis demandĂ© quand est-ce que tu allais me donner des nouvelles, fait-il, en rĂ©fĂ©rence Ă lâaltercation quâon a eue Ă lâaĂ©roport avant mon dĂ©part pour le New Jersey.
Toutes nos disputes tournaient autour de Bethany. Mon grand-pĂšre me disait des choses quâil ne pouvait pas accepter venant dâelle. Et moi, jâai juste Ă©tĂ© un parfait connard, aveuglĂ© par cette fille. Jâai eu de la pitiĂ© pour elle. Sa mĂšre passe son temps Ă offrir son corps Ă tous les types dâAngleterre, et son pĂšre est un junkie accro Ă la cocaĂŻne et au whisky.
Au dĂ©but, je me suis intĂ©ressĂ© Ă elle parce quâelle avait des maniĂšres qui me rappelaient une ancienne amie du Minnesota. Mais avec du recul, je comprends que câĂ©tait moi qui projetais cette relation sur les autres, comme si je cherchais Ă combler un vide qui me collait Ă la peau. Cette amitiĂ©, ou du moins ce que je croyais ressentir, nâa fait que me hanter.
Pourquoi, aprĂšs toutes ces annĂ©es, nâai-je toujours pas rĂ©ussi Ă tourner la page ?
â Oui, je vais bien, papi. Je voulais te demander une chose, si tu veux bien sĂ»r.
â Me dis rien, tu veux que jâachĂšte une robe de mariage ?
Il est vrai que je voulais venir au New Jersey pour demander la main de Bethany. Deux ans sans la voir, Ă part quand elle rentrait pour les vacances scolaires. Et Ă plus de cinq mille six cents kilomĂštres, elle me donnait Ă peine de ses nouvelles. Jâai quittĂ© Londres pour en avoir le cĆur net, pour savoir si ce quâon avait valait encore quelque chose. Mais en revoyant Sun, ce jour-lĂ , parmi la fratrie des pom-pom girls⊠câest Ă ce moment-lĂ que jâai commencĂ© Ă douter de mon choix.
Mon sourcil se lĂšve, puis un fou rire retentit dans la voiture.
â Une robe ? Tu veux que jâen fasse quoi avec que je la porte ?
â Ah oui, il a enfin lĂącher la sorciĂšre, rĂ©plique Andrew derriĂšre moi.
Un sourire esquissé vient élargir les lÚvres de Papi quand il apprend la bonne nouvelle.
â Si un jour jâapprenais que tu allais avoir un enfant, je ne serais mĂȘme pas aussi heureux quâen ce moment. JâespĂšre que tu as compris tes erreurs, Jagger. Jâaimerais savoir⊠comment tu as eu ce dĂ©clic ?
â DĂ©solĂ©, grand-pĂšre, câest assez personnel, lui rĂ©ponds-je en poussant un ricanement.
Je mords ma lÚvre en regrettant un peu mes mots, mais ça le fait rire.
â Ce dĂ©clic ne serait-il pas⊠une autre femme ? Bien meilleure que Bethany, peut-ĂȘtre ?
Sa question me percute de plein fouet. Confus, je secoue la tĂȘte.
â Non, pas du tout. Mais jâai appris quâelle mâavait trompĂ©. Avec plusieurs Ă©tudiants, apparemment, Adam ne sâest pas gĂȘnĂ© pour le dire Ă tout le monde Ă la rentrĂ©e. Je peux pas faire comme sâil ne sâĂ©tait rien passĂ©.
Je ne pardonnerais jamais une tromperie bien que la femme soit la plus riche du monde.
Papi reste figĂ©, les yeux Ă©carquillĂ©s derriĂšre ses lunettes. Son sourire sâefface, remplacĂ© par une expression incrĂ©dule.
â Quoi ?! rĂ©pĂšte-t-il, estomaquĂ©. Elle tâa fait ça ? Et tu es restĂ© avec elle aprĂšs ça ? Mon pauvre garçon, tu mĂ©ritais tellement mieux.
â Ne tâen fait pas, je suis bien entourĂ©, mais peux-tu arrĂȘter de lui envoyer de lâargent et le compte que tu as ouvert pour elle.
â TrĂšs bien, Jagger. Je mâen charge dĂšs que possible.
Elle nâa pas besoin de notre famille pour aller voir ailleurs, donc elle nâa pas besoin de moi pour lâentretenir non plus. Profite du peu dâargent quâil te reste avant de revenir Ă la rĂ©alitĂ©, celle dont je tâai sorti. Quant Ă moi, je vais te faire comprendre ce que tu as perdu en trahissant ma confiance.
*
* *
Lorsque le chauffeur se gare sur le parking du restaurant, je me précipite pour sortir hors de la berline avec le cadeau collé à mon bras et entre par la porte arriÚre du bistrot.
Jack sursaute quand la porte sâouvre Ă la volĂ©e tandis quâil se trouve le nez plongĂ© sur les diverses bouteilles posĂ©es sur lâĂ©tagĂšre dans lâespoir de trouver un bon vin pour ce soir.
â Bonjour, Jack.
â Bonjour, Jagger. Comment tu vas depuis la derniĂšre fois ?
â TrĂšs bien ! Tu sais oĂč est Sun ? Jâaimerais lui parler en privĂ©.
â Normalement, elle est au bar, elle prĂ©pare des cocktails pour nous tous.
â Parfait, merci !
Je mâĂ©lance sans attendre et je longe le couloir qui mĂšne Ă la cuisine du restaurant. En entrant dans la grande salle, une voix douce et traĂźnante attire mon attention. Elle fredonne une chanson. Ă quelques pas de moi, Sun sâaffaire Ă disposer des verres sur le comptoir pour faire les cocktails, puis elle pousse un bĂąillement.
â Ses invitĂ©s se font dĂ©sirer ou quoi ? Je suis crevĂ©e, moi !
Je ne peux mâempĂȘcher de pouffer de rire.
La soirĂ©e semble bien organisĂ©e et elle a sĂ»rement aidĂ© son pĂšre au restaurant aprĂšs sâĂȘtre entraĂźnĂ©e Ă la patinoire. Je lâai vue de mes propres yeux, donc je peux dire quâelle a du talent pour le hockey.
En revanche, en ce qui concerne le reste, câest difficile Ă dire. Elle nâa que les bases quâelle a apprises de sa mĂšre avant quâelle nâarrĂȘte.
Soudain je mâapproche vers elle puis met ma main sur ses yeux.
â Est-ce que jâai une tĂȘte Ă jouer, Jagger ?
â Comment sais-tu que câest moi ? lui rĂ©ponds-je.
Au lieu de sâĂ©carter, elle pointe droit devant elle, vers le grand miroir oĂč nos deux silhouettes se reflĂštent.
â Je me demande pourquoi tu continues encore Ă traĂźner avec moi. AprĂšs, tu vas aller raconter Ă tout le monde que je te veux dans mon lit.
La boĂźte posĂ©e sur le comptoir, jâenlace sa taille et lâattire contre moi. Mes lĂšvres frĂŽlent son oreille. Sun remue lĂ©gĂšrement les Ă©paules, frissonnante.
â Pour ton info, je ne suis pas un connard comme tout le monde peut croire juste parce que jâai du caractĂšre et des tatouages. AprĂšs ce que jâai entendu, je devais te protĂ©ger.
Un soupir lourd sâĂ©chappe de la bouche de Sun. Elle se retourne brusquement, me forçant Ă reculer contre lâĂ©vier.
â Je sais me battre et me dĂ©fendre ! Jâai pas besoin que tu me protĂšges, ça ne te servira Ă rien.
Son regard lance des Ă©clairs, mais je ne bouge pas. Mon index sâĂ©lĂšve presque de lui-mĂȘme, frĂŽle le coin de ses lĂšvres pour enlever un petit morceau de citron restĂ© lĂ .
Elle reste une femme magnifique.
Non, mais quâest-ce que je raconte, moi ?
â Par contre, tu ne sais toujours pas manger, Sun, dis-je avec un demi-sourire.
â Alors comme ça tu nâes pas un connard et donc tu mâas protĂ©gĂ© de quoi en fait ?
Je lui dois bien la vĂ©ritĂ©. Depuis la patinoire avec lâautre, cette image nâarrĂȘte pas de me hanter.
â Bethany Ă©tait au courant de ta relation avec Caleb ?
â Non, il Ă©tait bizarre Ă ce sujet. Il ne voulait pas quâelle le sache avant quâelle lâapprenne par une nana, pourquoi ?
â Caleb et Bethany Ă©taient dĂ©jĂ en couple quand tu tâes mise avec lui. Elle sâest vengĂ©e parce que pour elle tu lui a volĂ© son mec.
VoilĂ , câest dit.
â Je te demande pardon ?! hurle-t-elle.
Elle crie tellement fort quâAndrew et Cameron se ramĂšnent en vitesse pour voir ce quâil se passe entre nous.
â Jagger, quâest-ce que tu fais Ă Sun ?
â Merci ! Du coup, je ne suis pas une folle narcissique ni une jalouse maladive. Ce nâĂ©tait pas normal de voir Bethany assise sur ses genoux et que lui ne disait rien. Mais au moment oĂč il allait me voir il me passait pour une folle.
Dans un geste rapide, Andrew se jette dans les bras de sa fille. Il recule un peu pour prendre son visage dans ses mains, mais elle fuit son regard.
Depuis que je lui ai dit la vĂ©ritĂ© sur Caleb et Bethany, Sun nâest plus la mĂȘme.
Elle sait désormais que son tout premier copain était un vrai connard avec elle.
Il mâa fallu du temps Ă moi aussi pour oublier mon premier amour. Et encore, je ne suis pas sĂ»r de lâavoir vraiment oubliĂ©.
â Pourquoi es-tu partie de la villa avec la plupart de tes affaires ?
â Je vais revenir, papa. Mais toi, dit-elle en se retournant vers moi, si tu veux me protĂ©ger, prĂ©viens-moi avant ou utilise ton cerveau deux minutes, je veux pas que mon rival sur la glace devienne mon pire ennemi. Puis, je ne suis pas sĂ»re que je vais gagner contre toi car tu tâes amĂ©liorĂ© dans le hockey contrairement Ă moi, jâai tout arrĂȘtĂ©, mais je ferais en sorte que les Stars vous dĂ©molisse.
Attends câest vraiment une menace quâelle vient de me faire ?