SUN
Adam se gare devant le nouveau domicile, le sourire aux lĂšvres. Jâai le cĆur qui bat un peu plus en rĂ©flĂ©chissant Ă la nouvelle vie qui se prĂ©sente Ă moi. Elle dĂ©butera au moment oĂč je quitterai cette caisse, quand les semelles de mes baskets fouleront le sol de cette charmante petite villa de deux-cents mĂštres carrĂ©s.
Non loin, prĂšs du centre de la terrasse, lâeau de la piscine creusĂ©e est Ă©clairĂ©e sous la lumiĂšre des LED incrustĂ©es dans le bassin, visible Ă travers le carreau de la caisse de mon meilleur ami. Quelques transats sont disposĂ©s autour, et un grand barbecue se trouve prĂšs des baies vitrĂ©es de lâentrĂ©e de la maison.
Franchement, j'avais demandĂ© une petite maison de quatre piĂšces, ou un appartement mâaurait amplement suffi, mais pas ce palace ! pensĂ©-je.
Andrew voit toujours en grand quand il s'agit de sa fille, câen est presque chiant. Mais bon, je ne vais pas me battre avec lui. Il veut se rattraper, aprĂšs toutes ces annĂ©es Ă ne pas m'avoir Ă©duquĂ©e comme un vrai pĂšre le ferait avec ses enfants.
â Tu as besoin dâaide, Sun ? me questionne mon acolyte.
Je peine Ă sortir de la voiture Ă cause des raideurs qui sâĂ©lancent dans mes omoplates, je pose mes mains sur mes jambes et respire un bon coup.
â  Je refuse pas !
Dâun pas vif, Adam fait le tour de la voiture. Il ouvre la porte dâun geste Ă©lĂ©gant, puis me tend la main pour mâaider Ă me relever.
Une fois sortie, les douleurs me traversent le dos, et mes prunelles scrutent chaque détail de la façade gris béton du logement.
Câest hallucinant que la baraque soit de la mĂȘme couleur que mes meubles.
Se pourrait-il quâAndrew lâait construite uniquement pour moi ? Non, trois ans, ça me paraĂźt impossible ou alors, ses pauvres constructeurs nâont pas eu une seule pause, soumis Ă sa grosse autoritĂ©, entre le New Jersey et New York, avec les deux entreprises quâil doit gĂ©rer. Andrew est trĂšs connu, surtout quand il fait la une des magazines en aidant une jeune femme. Les paparazzis sâen donnent Ă cĆur joie et lui attribuent une nouvelle relation Ă chaque fois, bien que tout ça soit complĂštement infondĂ©.
â Tu en fais une tĂȘte ! Tu nâaimes pas la maison ? me demande Adam.
â Si, jâaime bien ! Dis, tu sais comment mes parents se sont rencontrĂ©s ? Parce que ma mĂšre nâen a jamais parlĂ©.
â Je sais juste quâAndrew Ă©tait fou amoureux de ta mĂšre quand ils Ă©taient Ă Harvard, aprĂšs quâil a Ă©tĂ© adoptĂ© par la Britannique, fait-il en rĂ©fĂ©rence Ă sa grand-mĂšre quâil nâapprĂ©cie pas, pour le sortir des galĂšres quâil avait avec les bagarres Ă lâuniversitĂ© et la justice.
Lorsque jâĂ©coute le discours dâAdam, je me dis que mon pĂšre, câĂ©tait un vrai branleur Ă lâĂ©poque. Heureusement que je sais me tenir et que je nâai pas dĂ©teint sur lui. Une vraie petite fille modĂšle, mais avec un sacrĂ© caractĂšre.
Une nouvelle Ăšre sâoffre Ă moi quand je franchis le seuil de la maison. Nous rentrons Ă peine dans la maison que lâespace de vie nous offre un petit confort, un nouveau souffle chaud pour apaiser les bruits du monde extĂ©rieur. Les murs en pierre grise dĂ©corent lâintĂ©rieur, et son sol en carreaux blancs, reflĂšte la clartĂ© de la couronne ronde de la lumiĂšre blanche suspendue au plafond. Les meubles sont encore peu nombreux dans le salon, mais chacun trouve naturellement sa place dans lâharmonie discrĂšte de la piĂšce.
Je mâavance doucement sur ma droite et mes doigts effleurent les rebords froids de la table de la cuisine. Je laisse mes yeux sâhabituer Ă cette nouvelle demeure qui est devenue mienne.
Au moment oĂč je mâapproche du canapĂ© pour fouiller dans mon sac de voyage Ă la recherche de ma ceinture dorsale, Adam ouvre le frigo et extirpe une biĂšre posĂ©e dans lâun des bacs. Un sourcil levĂ©, je vois quâil est intriguĂ© par cette derniĂšre.
â Tâen fait une drĂŽle de tĂȘte, toi ! Un problĂšme avec la biĂšre ? dis-je alors que je nâen bois pas.
â Ce sont des biĂšres anglaises et les prĂ©fĂ©rĂ©es deâŠ.
Adam nâa pas eu le temps de finir sa phrase que la porte dâentrĂ©e sâouvre Ă la volĂ©e. La mĂšre de Jagger entre en premier, suivie dâAndrew, puis de Jagger, qui referme la porte derriĂšre lui, les mains chargĂ©es de bagages. Ils font quoi ici ?
Monica ne mâadresse aucun regard aprĂšs lâaltercation que jâai eue avec elle. Contrairement Ă mon pĂšre, qui tient dans sa main une boule de poils blanche et vivante, et la jette presque dans le canapĂ©, face Ă la tĂ©lĂ© et Ă la cheminĂ©e.
Quand je mâapproche vers cette chose qui miaule, je comprends câest un petit chat qui doit avoir au moins trois mois.
â Tu peux pas y aller doucement avec cette bĂȘte, au lieu de la balancer comme ça sur le divan ?
â Le chauffeur vient dâĂ©craser la mĂšre, qui sâest jetĂ©e sous les roues de la berline, dĂ©clare Jagger, saoulĂ© de me voir ici. Ton pĂšre a rĂ©cupĂ©rĂ© les deux petits chatons qui Ă©taient sur le trottoir.
â Jâen vois quâun ici, moi, rĂ©pliquĂ©-je.
â Câest normal, rĂ©agit Monica. Le petit roux angora lui faisait penser Ă Caramel, son chat.
Alors Caramel, celui qui se glissait sous mes couettes pour dormir avec moi au chaud, câĂ©tait le chat dâAndrew, et non celui de ma mĂšre. Et dire que je lâai eu jusquâĂ mes seize ans, avant quâil ne meure de vieillesse et dâune tumeur. On a dĂ» le piquer pour quâil ne souffre plus.
Depuis, je nâai plus jamais eu de chats. Ăa fait trop mal quand les ĂȘtres qui te sont chers finissent par disparaĂźtre.
â Sun, tu peux toujours garder le blanc. Je sais que tu donnais beaucoup dâamour Ă Caramel qui sâest dĂ©tournĂ© de moi pour rester avec toi.
En mĂȘme temps, sâil nâĂ©tait jamais lĂ Ă cause de son boulot de prĂ©sident-directeur gĂ©nĂ©ral, qui aurait dĂ» sâoccuper de Caramel ? Ă part moi, Jack ou Josh Ă la rigueur ? Je ne pense pas quâil aurait eu le temps de jouer avec lui aprĂšs ses grosses journĂ©es.
â Dâaccord, je vais voir si je dĂ©veloppe un lien avec lui, comme je lâai fait avec Caramel. Sinon, je chercherai Ă lâidentifier, Ă lui faire ses premiers vaccins et Ă le donner Ă une bonne famille, si jamais je nâarrive pas Ă mâattacher.
 *
*Â *
Les faibles rayons du soleil filtrent Ă travers les petites fentes du volet roulant. Ma ceinture lombaire me gĂȘne quand jâessaie de me tourner sur le cĂŽtĂ©. Puis, je sens quelque chose de doux me dĂ©manger au bord de la lĂšvre.
Chatouilleuse, mes doigts viennent gratter à cet endroit avant que j'ouvre une paupiÚre, à moitié endormie. Rainbow, le chaton, est collé à mon front. Sa petite queue pend juste au-dessus de mon nez, et il ronronne tout en mùchouillant mes cheveux.
Soudain, quand jâessaie de bouger, des bras tatouĂ©s sâenroulent autour de moi et quelque chose de dur frĂŽle mes fesses.
â Ne dis rien Ă Bethany⊠me lance une voix rauque aux creux de mon oreille.
Jâessaye de me dĂ©gager de ses bras musclĂ©, mais il me retient de toutes ses forces.
Depuis quand quâun type mâa rejoint dans le lit ? Je nâai rien senti, cette nuit !
La tension monte en moi quand je sens la bosse de son boxer grossisse de plus en plus vite derriĂšre moi.
ExaspĂ©rĂ©, mes yeux s'Ă©carquillent aussitĂŽt, mon cĆur rate des battements sans comprendre la vraie raison. Alors que jâessaie de me dĂ©gager de cet enfoirĂ©, il serre encore plus fort et me ramĂšne contre lui, me bloquant complĂštement dans son Ă©treinte.
â Que je lui dise quoi que son mec se soit glissĂ© dans mon lit sans permission ou alors quâil a une Ă©rection juste en se collant contre moi ?
Il est vrai que mon pĂšre mâa offert cette maison comme cadeau, mais je dois aussi vivre en colocation avec Jagger jusquâĂ la fin de lâannĂ©e. Pourquoi lui ? Pourquoi pas Adam ? Lui, il mâaurait respectĂ©e ! Pas comme Jagger, avec le coup dâhier et sa meuf. Ăa, ça ne passera jamais.
Jagger soupire, puis pouffe de rire.
â Au moins, en onze ans, je peux affirmer que tu rĂ©ussis Ă me donner des envies que Bethany nâa jamais su Ă©veiller en moi, sauf si je me force. Dommage que tu ne sois pas Ă moi, tu nâaurais pas Ă©tĂ© déçue.
En fait, il m'avoue qu'il arrive Ă avoir la gaule juste parce qu'il est contre moi.
Je pourrais toujours jouer sur ça si Bethany vient mâemmerder, histoire de lui faire comprendre que son mec nâest pas si fidĂšle que ça.
Une fois bien rĂ©veillĂ©e, je me redresse pour vĂ©rifier si ce nâĂ©tait pas un rĂȘve que je faisais de Jagger, mais la rĂ©alitĂ© me percute de plein fouet. Il est bien dans mon lit, les yeux rivĂ©s sur moi, il dĂ©taille scrupuleusement la tenue que je porte pour aller me coucher.
â Sexy, la petite nuisette ! Tu mâĂ©tonnes pourquoi jâai eu une trique dâenfer Ă cause de ces belles fesses bien rebondies.
SoulĂ©e, je rĂ©plique dâun ton faussement calme. Mes bras se croisent contre ma poitrine et mon regard noir se fige sur Jagger, qui s'assoit et s'avachit sur la taie d'oreiller.
â Dâailleurs, pourquoi t'es allĂ© dans mon lit, alors qu'il y a cinq chambres dans cette maison ?
â Je suis quelquâun de frileux, et je nâarrivais pas Ă me rĂ©chauffer. Quand jâai vu que ton lit Ă©tait bien chaud, je ne me suis pas posĂ© de questions et je me suis collĂ© Ă toi pour avoir moins froid.
â Ouais, je vois bien le nouveau capitaine du hockey en train de nous faire une hypothermie sur la glace, fais-je en tournant les talons.
Je me retourne pour rĂ©cupĂ©rer Rainbow au passage, calĂ© dans mes bras, alors quâil tentait une seconde plus tĂŽt de se battre avec les cheveux de Jagger. Il essaye de grimper le long de mon bras pour sâĂ©chapper, mais je le retiens, puis je quitte ma chambre pour aller prendre mon petit-dĂ©jeuner. Il faut aussi que je me prĂ©pare : aujourdâhui commence ma derniĂšre annĂ©e Ă lâuniversitĂ©.
Ne tâinquiĂšte pas Jagger ! Quand je trouverai le moyen de me venger, je ne vais pas me gĂȘner.
Par contre, il devra s'attendre au pire avec moi. Mes vengeances sont bien vaches et trĂšs salĂ©es. Il ne va plus du tout aimer dormir Ă mes cĂŽtĂ©s, ni mĂȘme se glisser dans mon lit.