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LylliaBrume
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Chapitre 6

J’essayais de rester concentrée, droite, ancrée, les épaules basses, les bras détendus. Mais c’était difficile. Parce que son regard me piquait la peau. Il ne me regardait pas comme un partenaire de danse. Il me regardait comme quelqu’un qui veut comprendre ce que je cache, ce que je refuse de montrer.

Monsieur Ravel lança la musique.
Une mélodie lente, douce, presque suspendue, jouée au piano. Pas de rythme clair, juste des vagues de notes qui montaient et retombaient comme une respiration.

Je fermai les yeux une seconde. Inspira. Expira.

Puis j’ouvris les bras, lentement, dans un mouvement fluide, et Kay fit de même. En miroir.
Je le regardai à peine, concentrée sur ma sensation. Mon souffle. L’espace autour de moi.

Mais il était là. Présent. Silencieux.
Je le sentais.

Je fis un demi-tour, léger, puis ouvris un bras vers le haut. Kay suivit sans hésiter, presque à l’instant.
Je tendis la jambe sur le côté. Il répondit.

À chaque mouvement que je lançais, il répondait avec précision, sans en faire trop. C’était fluide. Naturel.
Comme si, malgré nos différences, nos corps parlaient un langage commun.

Petit à petit, on commença à jouer.
Je m’élançais un peu plus vite : il me suivait avec une fraction de seconde de retard, exprès. Je ralentissais : il devançait le geste, comme pour me défier.

Un jeu silencieux s’installa. Une sorte de duel dansé, sans contact, mais brûlant.

À un moment, je tournai sur moi-même et revins face à lui.
Nos regards se croisèrent de nouveau.

Il avait ce sourire... discret, presque invisible... mais qui disait tout.
Tu crois que tu peux me devancer, Elina ? Regarde comme je t’attrape.

Je sentis mes joues chauffer. Pas de gêne. De rage douce. De compétition.

J’aimais dominer la scène.
Et là, il commençait à me pousser hors de mon contrôle.

La musique s’arrêta.
Le silence retomba dans le studio. Pas un mot. Juste nos souffles, un peu courts.

Kay planta ses mains sur ses hanches, légèrement penché vers moi.

— Pas mal, murmura-t-il.
— Pour une ballerine.

Je haussai un sourcil, la voix calme mais coupante :

— Toi aussi.
— Pour un garçon en jogging.

Il éclata d’un rire court, surpris. Puis il reprit, plus sérieux :

— T’es forte. Je pensais pas que tu jouerais le jeu.

— Je ne joue pas. Je danse.

Il s’approcha d’un pas. Juste un pas.
Pas assez pour envahir, mais assez pour que je le sente.

— Alors danse avec moi. Vraiment. Pas juste pour l’exercice.

Avant que je puisse répondre, Madame Farnier se leva de son banc et s’avança :

— Bien. C’est un début. Il y a de l’instinct, de l’écoute. Mais il manque encore quelque chose. Vous vous observez. C’est bien. Mais maintenant, vous devez vous faire confiance.

Je me raidis.

La confiance. Le mot le plus dur à entendre.
Je n’ai jamais fait confiance à personne en scène.
Pas même à mes anciens partenaires. Encore moins à lui.

— Demain, reprit Monsieur Ravel, vous travaillerez sur le contact. Les gestes partagés. Les appuis. Les portés. Ce sera la vraie première épreuve.

Il ferma son carnet. La séance était terminée.

Je récupérai ma bouteille, essuyai mon front, et passai près de Kay sans un mot. Mais il me souffla, assez bas pour que seul moi l’entende :

— Tu vas devoir me faire confiance, Elina.

Te faire confiance ? Sérieux ? lâchai-je en reculant d’un pas.
— Ça fait même pas deux heures qu’on se connaît, et tu me parles déjà de confiance ? Et pourquoi tu me parles comme si tu savais tout de moi ?

Ma voix avait claqué dans l’air calme du studio.
Kay se figea. Son regard perdit un instant cette étincelle arrogante, comme s’il ne s’attendait pas à ce que je lui balance ça en pleine figure.

Pendant une seconde, juste une seconde, je crus lire quelque chose dans ses yeux. De la surprise. Peut-être même un brin de blessure.

Mais très vite, il reprit son masque. Ce sourire en coin, cette posture désinvolte qu’il portait comme une armure. Il passa une main dans ses cheveux, haussa les épaules et dit, d’un ton plus froid :

— Tu as raison. Je vais pas te forcer. Mais sache que…
Il s’approcha d’un pas. Je ne bougeai pas.

— … avant que t’arrives, la directrice m’a annoncé que je rejoins ta classe dès demain. Et que pour les pas de deux, on sera partenaires.

Il planta ses yeux dans les miens, comme un défi.

— Donc tu peux grogner autant que tu veux, Elina. À partir d’aujourd’hui, c’est ton devoir de rester… et de m’apprendre. Puisque t’es la meilleure ici, non ?

Son ton m’irrita encore plus que ses mots.

Je soupirai, détournais le regard, le cœur serré. Il ne comprenait rien. Ou peut-être qu’il comprenait trop bien.

— Si tu veux des conseils, va voir quelqu’un d’autre, murmurai-je, plus calmement.
— Je gère en solo. Les duos, c’est pas pour moi.

Je tournai les talons sans lui laisser le temps de répondre.
Je marchai d’un pas rapide vers la sortie, mon sac à la main, la respiration un peu trop rapide, comme si je venais de danser une variation complète.

Avant de sortir, je jetai un dernier coup d’œil derrière moi.
Il était resté là, seul au milieu du studio. Il ne bougeait pas. Et même à cette distance, je voyais son regard fixé sur moi.

Je refermai la porte.
Et le laissai seul.


Le couloir était vide. Silencieux. J’avançais, le cœur encore battant, un tourbillon dans la tête. Pourquoi j’étais comme ça ? Pourquoi il me provoquait autant ? Pourquoi ça me touchait autant ?

J’arrivai à l’angle, quand une voix aiguë me tira brutalement de mes pensées.

Oh, t’as l’air tendue.

Je me figeai.

Camille.

Elle était adossée contre le mur, bras croisés, un sourire carnassier sur les lèvres. Sa tresse impeccable tombait sur son épaule, son regard me détaillait comme un prédateur.

— T’inquiète, je comprends. C’est dur de résister à un garçon comme lui. Même moi j’ai failli lui proposer de répéter ensemble, tout à l’heure...

Je ne répondis pas. Je savais qu’elle attendait que je craque. Que je dise un mot de trop.

— C’est fou qu’elle t’ait choisie, continua-t-elle en avançant lentement vers moi.
— Je veux dire, avec ton caractère fermé , le nombre de retards que tu as , ton côté "je-me-la-pète", c’est pas ce qu’on appelle un binôme naturel.

Je serrai les poings. Inspirer. Expirer.

— Tu veux quoi, Camille ? demandai-je finalement, la voix posée.

Elle me dévisagea, un éclat de malice au fond des yeux.

— Moi ? Rien. Juste te prévenir. Si tu tombes, je serai juste derrière toi pour prendre ta place. Comme toujours.

Elle me lança un clin d’œil, puis s’éloigna d’un pas léger, comme si elle dansait.

Je restai plantée là un moment, seule.

Je n’avais aucune envie de pleurer. Mais j’avais envie de hurler.

Hurler contre elle.
Contre Kay.
Contre moi-même.

Mais à la place, je pris une grande inspiration… et rentrai à ma chambre.

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