Elle entra dans la pièce, ses cheveux encore blondis par Pandora. Le soleil frappa en même temps qu’elle à la porte de la salle. La pièce, subitement, devint un désert. Des perles d’eau s’amassèrent sur le dessus de mon crâne, ma respiration était forte et les battements de mon cœur encore dans les tumultes.
[BOOM BOOM]
Je ne savais quoi dire ni quoi faire face à la situation qui, encore une fois, s’était accélérée d’un coup. J’avais l’impression que ma vie était un Holter, cet objet qui permet d’enregistrer nos battements de cœur. Il y a une semaine, il me donnait un résultat linéaire, et aujourd’hui voilà tout le contraire. Lorsqu’elle me vit, elle semblait quelque peu contrariée, mais aussi peinée et gênée.
Elle s’arrêta face à moi. Tandis que le tableau me servait d’appui pour le dos, mes jambes tremblaient, j’avais chaud et j’étais tendu…
Elle se mit à pencher sa tête sur la gauche, à faire un mouvement de bouche, ses lèvres s’étaient rétractées entre ses dents. Et d’un coup, elle se mit à hurler de rire, si fort qu’elle se tordit le ventre, si fort qu’elle en pleura, si fort qu’elle fut obligée de s’asseoir un moment.
Tandis que moi je la regardais dans l’incompréhension, elle continuait de rire, mais ce qui était chouette, c’est que moi aussi je riais. Enfin, je souriais de la voir ainsi me combler… Non, la voir ainsi me réconfortait. La plus belle des courbes qu’elle possédait était ses yeux quand elle riait, si doux à regarder, si impossibles à oublier. La forme de son sourire me faisait penser à un croissant de lune. Quant à ses yeux, deux diamants possédant autant de carats que l’infini le permet.
Le soleil reflétait sur ses quelques mèches rousses qui dépassaient de sa perruque.
D’un coup, elle essuya ses yeux des quelques larmes qui coulaient. Elle enleva sa perruque, fit un mouvement que les femmes font pour remettre leurs cheveux en place, et cela naturellement. Elle passa sa langue sur la lèvre inférieure et la pinça avec ses dents du haut. Puis sourit.
Et puis ce qui arriva, arriva. Mes jambes, toutes flageolantes, me lâchèrent une fois pour de bon.
Elle ria toujours assise et dit
— “Je savais que tu viendrais, Orion. Ta peur prend le dessus sur ce que tu es vraiment !”
— “Je n’ai pas peur de toi, mais uniquement de ce que l’avenir me réserve.” Dis-je
Elle baissa les yeux et avança à quatre pattes vers moi, comme pour rester à mon égal, pour éviter de montrer la supériorité qu’elle avait sur moi. Bien que Vénus était bien là, je voyais à la place d’elle la lionne qui était présente dans la salle il y a quelque instant : son visage, ses cheveux, son odeur de fleur que je ne savais définir. Tout, y compris ses courbes féminines…
Je secouai la tête d’un coup. Je devais réfléchir, c’était cela mon arme. Je baissai la tête et dis sans regarder Vénus :
— “Vénus, stop s’il te plaît, je n’ai pas envie de rire. Je voulais venir te voir pour m’excuser de ce que j’ai fait… partir comme un lâche, je voul…”
— “CHUUUUUT, dit-elle tout en mettant son majeur sur ma bouche.”
La voilà en face de moi, au niveau de mon visage. Elle me regarda et me donna un coup dans le genou pour que je me concentre sur son regard. La scène me faisait penser à celle dont maman me parlait dans ses histoires d’amour. L’amour face à l’amour, mais… moi, j’étais réellement…
Face au reflet de mon avenir ? Ou face au reflet de ma chute ?
[BOOM BOOM]
— “Sais-tu ce qui fait que nous sommes pareils, Orion ?”
— “Non”, répondis-je spontanément.
— “Nous sommes pareils pour une unique chose : nous avons tué ce que nous avons détesté, nous avons enterré ceux que nous étions. Nous avons aspiré à une meilleure vie, mais nous expirons au fil du temps qui passe. Je sais ce que tu veux, je sais ce que je veux. Toi et moi avons la même ambition : réussir là où nous avons échoué et venger ce que nous avons perdu.
Nous sommes pareils, la seule différence entre nous est que tu caches ta soif autant que tu te caches toi-même, alors que moi, ma soif m’a fait devenir la reine absolue. Un jour, lorsque j’aurai ce que je souhaite, le monde sera à mes pieds.
Je suis le reflet de ton avenir dans tous les sens du terme, et… dans chaque endroit !”
Elle finit son discours par un clin d’œil. Je ne retins presque rien, mis à part la lenteur de son monologue ainsi que la sensualité de sa voix.
Avait-elle deviné tout cela simplement en m’observant ? Elle avait à la fois tort et raison, vrai et faux. Dans un sens, je voulais me venger, et il était vrai que je le cachais. Mais comment l’avait-elle deviné ? Comment savait-elle que je n’étais pas celui que je prétendais être ?
D’un coup elle s’installa au creux de mon épaule et dit d’une voix douce et agréable
— “Je te comprends, Orion… fais-moi confiance.”
Me comprenait-elle vraiment ? Impossible. Jamais, au grand jamais, elle ne pourrait comprendre ce que j’ai fait…
— “Fais-moi confiance”, insista-t-elle d’une voix fatiguée.
Confiance. Je ne sais pas ce qu’est la confiance. La confiance n’est rien. Aucun être sur Terre n’a assez de bravoure pour garder la confiance que l’on donne. Que diable, la confiance est le terme le plus dérisoire. Donne à l’homme une marguerite, il en arrachera chacun de ses pétales le sourire aux lèvres. Plus de……
je t’aime un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout, mais plutôt
Un coup de couteau, dans le ventre, dans le dos, dans le cou, dans le cœur… jusqu’à sentir la chaleur de son sang traîner sur le flanc de ma lame.
Je hais ce mot. À mes yeux, faire confiance, c’est donner la hache au bourreau, lui apprendre à s’en servir, se placer sur le tronc et lui dire C’est pour t’entraîner, vise à côté de mon cou, mon ami, mon frère !
— “Orion… s’il te plaît, parle-moi de tes parents, parle-moi de ce que tu caches tant3 !”
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Une minute à peine s’écoula, le temps que j’encaisse la question, le temps que je perde la colère que j’emmagasinais.
— “Pardon, Vénus, si je ne m’abuse, mais j’aimerais d’abord en savoir plus sur toi. Quelle est cette soif dont tu parlais ?”
Elle frotta l’arrière de sa tête sur mon épaule, plaça ses mains croisées sur son ventre, prit une grande inspiration et se mit à parler
— “Je suis Vénus Kilo, née le 13 juillet 2004. Je suis née dans une église, dans une petite ville appelée l’église Sainte-Morgane…”
Le…..Le 13 juillet….!
— Tu es née dans une église, Vénus ? dis-je d’une voix calme et basse.
— Oui. Enfin, je ne sais pas réellement. Je n’ai jamais connu mes parents. Ma seule vraie famille est celle de l’église, enfin de l’orphelinat de l’église. Souvent, quand les parents ne voulaient pas de leurs enfants, c’était la porte de l’église qui grondait d’un grand bruit. Les portes de la maison de Dieu s’ouvraient, et devant elles se trouvait un petit panier fait d’osier avec à l’intérieur des lettres demandant d’accueillir et d’aimer leurs enfants comme s’ils étaient les leurs.
Pour moi, je n’ai ni mère, ni père. Mais j’ai Sœur Sarah, la sœur la plus sympa, car même si je ne crois pas en Dieu, elle m’aimait comme son Dieu lui avait demandé. C’est elle qui m’a appris à me laver, m’habiller, lire, étudier, coudre, cuisiner, et même à me défendre. À mes yeux, ma mère, c’est Sœur Sarah.
Comme une mère le ferait, elle me racontait un tas d’histoires. Elle me regardait toujours avec le même regard quand je lui demandais : Qui sont papa et maman, Sœur Sarah ? J’avais beau être qu’une enfant, je voyais sa peine dans ses yeux. Je voyais le champ de blé prendre feu à chaque fois qu’elle me parlait de mes parents. Les petits grains de blé finissaient moulus par la chaleur. Ils se mélangeaient aux cendres, aux cendres des anciennes histoires qu’elle racontait, aux cendres du champ d’avant auquel je ne croyais plus.
Un jour, mes parents étaient de grands photographes parcourant le monde à la recherche des plus beaux endroits. Un autre, ils étaient chasseurs de braconniers, arrêtant les vilains et protégeant la nature. Puis espions : lui, espion russe, elle, espionne américaine, contraints de cacher le fruit de leur union dans les bras de Dieu. Astronautes, politiciens rivaux, stars mondiales, défenseurs des baleines, pompiers, gendarmes, scientifiques écologistes… et même héros. Héros sauveurs de notre monde.
Je me rappelle qu’à chaque fois que les graines étaient replantées, le soleil de mon sourire venait remplacer la chaleur des flammes. Et sœur Sarah… Sœur Sarah était heureuse de me voir ainsi. Mais dans son bonheur résidait une peur : la peur que je grandisse. Car à chaque fin d’histoire, je venais faire tomber la pluie sur ses joues en lui posant toujours la même question
Mais sœur Sarah, c’est super. Mes parents sont les plus forts… Mais dites-moi, sœur Sarah, quand est-ce que mes parents vont redevenir les héros de ma vie ?
Bientôt, bientôt, disait-elle, le sourire grand aux lèvres.
Dans le fond, je savais que son sourire était un mensonge, et la naïveté de la fillette que j’étais s’est rapidement transformée en un espoir inutile. Alors chaque matin, après le lever, j’allais attendre devant les grandes portes de bois. Dans le froid de l’hiver, dans la douce rosée des matins d’été, sous le vent d’automne et la pluie printanière. Chaque jour qui passait, mon espoir continuait de mûrir… jusqu’à ce qu’un jour, il finisse par pourrir. Le jour de mes 12 ans.
Un anniversaire, c’est fait pour être heureux, non ? Dis, Orion… dis-moi ?”
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Elle tremblait. Elle avait froid de peine. Ses mains n’arrêtaient pas de bouger, de se mouvoir dans tous les sens. Je la voyais apeurée de continuer son histoire. Sa tête était ancrée dans mon épaule, comme cette encre sur cette page blanche. Vénus était dénudée, nue. Pas une goutte de maquillage pour cacher ses imperfections, pas même de rouge à lèvres. Je la voyais se fissurer au fur et à mesure qu’elle parlait. Elle craquelait à chaque nouveau mot qu’elle prononçait. Sa peau se tordait. Elle était asséchée par le désir de pleurer chaque larme de son corps. Mais l’océan où baignaient ses lèvres restait encore sec. Elle résistait à l’idée de se montrer sous son vrai jour.
Je disais d’elle qu’elle était l’immuable reine soleil. Mais ce que je voyais n’était nul autre qu’une éclipse. Le soleil que je connaissais était factice, fabriqué de ses propres mains. Ce que je voyais sous mes yeux, c’étaient ses vrais rayons, plus faibles, mais plus fiables.
— “Les anniversaires que j’ai connus étaient pour la plupart joyeux, remplis de bonheur et vides de tristesse. Un anniversaire, c’est fait pour être heureux…”
— “J’aurais aimé connaître ces anniversaires… Celui de mes 12 ans, j’ai eu comme cadeau la vérité, celle que je redoutais par-dessus tout.”
Le panier dans lequel sœur Sarah m’avait trouvée n’était pas un panier, mais un vieux carton tout mouillé, avec pour couverture un journal froissé et plein d’huile de moteur. La lettre que j’espérais tant, celle où j’aurais enfin su la raison de leur abandon, n’existait pas. Il y avait juste, sur un petit bout de papier, le mot :
Adieu.
Moi, je le comprenais comme À Dieu. Mes parents s’en remettaient au divin pour éduquer leur enfant. C’est dingue de se dire à quel point l’espoir fait vivre… Chaque jour, je me levais dans l’espoir de les voir revenir me récupérer. Mais rien. Jamais. Tout cela n’était que les mensonges de la vie.
Alors, j’ai fini par décider que le changement commencerait avec mon départ. Sœur Sarah a fait venir beaucoup de parents, et j’ai choisi une famille. J’en ai vu bon nombre passer, car ce que je voulais, c’était une famille aussi pauvre que moi, qui n’avait rien à me donner. Pas d’argent, pas de belles chambres, pas de beaux vêtements, mais juste une belle et grande sincérité.
Ce que j’ai appris de plus beau à l’orphelinat s’est avéré être véridique au lycée.
C’est dans la pauvreté que la richesse est la plus belle, car nous n’avons rien à donner, à part ce que nous sommes de plus vrai. Tandis que c’est dans la richesse que nous sommes les plus pauvres, car l’argent peut tout acheter, même l’amour…
Voilà mon histoire, voilà qui je suis. Je suis Vénus Kilo, une orpheline… et rien de plus.”
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Il me fallut un moment pour me remettre de ses derniers mots. L’océan sec et aride qu’étaient ses lèvres se transforma, peu à peu, en torrent d’eau. Avec une délicatesse infinie, ses larmes vinrent recouvrir un sol fissuré, asséché depuis bien des années. Vénus était plus vraie que nature, une déesse abaissée au niveau des mortels. Elle pleurait des gouttes d’eau, tremblante, le cœur meurtri et lourd.
Elle devait sûrement penser que je la trouvais laide, ridée, odieuse. Mais ce qu’elle ignorait sur moi, c’est que les femmes sans maquillage étaient, à mes yeux, les plus belles. Les plus rayonnantes. Je les aimais plus que les autres, car en elles, je ne voyais pas mon propre reflet : celui d’un clown maquillé, d’un masque dissimulant ma faiblesse. Non, dans leur sincérité, je voyais l’enfant faible que j’avais été, que je cachais encore.
À cet instant précis, Vénus était, à mes yeux, la plus belle mortelle que j’aie jamais rencontrée.
C’est sûrement à cause de cette authenticité que je finirai, un jour ou l’autre, par tomber amoureux d’elle. Et c’est aussi sûrement à cause de cette même authenticité que je finirai par la détester.
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— “« Merci, Vénus… Pardon de ne pas avoir parlé pendant un moment. Mais j’ai apprécié le calme après ta tempête. J’ai apprécié voir le soleil sécher tes larmes et le vent emporter les feuilles. Comme si le poids qui les clouait au sol venait soudain de les faire s’envoler.
Tu es… enfin… Je veux dire… Tu es forte, même si tu penses le contraire. Et je sais que tu le penses. Tu m’as appris, en ce jour, qu’on ne connaît jamais réellement une personne, même en l’observant pendant des heures, des jours, voire des mois ou des années. Je suis fort pour deviner qui sont les gens, mais faible pour comprendre ce qui les a rendus ainsi.
Alors, aujourd’hui, je tiens à te dire que je suis désolé. Je sais que je ne fais que m’excuser depuis qu’on se parle… Mais tu sais, moi aussi, j’ai peur. Peur d’être à nouveau abandonné. Peur surtout de mettre en danger ce qui m’importe… et ceux que j’aime.
Je pense qu’il est temps que je te dise qui je suis réellement…”
Elle se redressa brusquement. Sa tête quitta mon épaule, engourdie par le poids de son propre crâne. L’une de ses mains était encore appuyée sur ma hanche droite, tandis que l’autre reposait sur le bord de mon buste. Elle était de travers, proche de moi. Son souffle chaud effleurait mon visage.
Quelques mèches de ses cheveux, emmêlées, retombaient devant ses yeux. Elle passa sa langue sur ses lèvres, essuyant les dernières larmes qui traînaient encore, vestiges de son passé. Puis, toute heureuse, avec une voix que je ne connaissais pas, un ton inconnu, elle dit :
— “Oui… Oh oui, dis-moi, Orion ! “
[TAC TAC]
Au loin, des bruits de pas s’intensifièrent. Je la regardai et souffla :
— « Un autre jour… Un autre lieu. Au calme. Juste toi et moi. »
Elle acquiesça d’un sourire en coin, le regard comblé. Puis, sans un mot, elle sortit par la porte de derrière menant à la salle 205.
Quant à moi… Je me préparais. Comme si une bataille allait se livrer.
[TAC TAC]
Les pas se rapprochaient. Ils étaient lourds, pressants, presque menaçants. Je pris une grande inspiration et avançai à mon tour. J’étais presque à l’extérieur de la salle.
Le soleil avait disparu, caché derrière les nuages.
Je posa ma main sur la poignée, ouvris la porte, sortis la tête…
À ma gauche, les pas qui c’étais dessiner sur le sol n’étais t’as nul autre que……
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— “Tiens, bien le bonjour, Orion… !”