Le moteur de ma voiture hurla en démarrant.
Je n’avais même pas bouclé ma ceinture.
Je voulais juste mettre le plus de distance possible entre moi et elle.
Dans le rétroviseur, la silhouette étrange se découpait sous la lumière blafarde de la lune.
Elle ne courait pas.
Elle marchait lentement.
Comme si elle savait que de toute façon, je n’irais pas bien loin.
Je serrai le volant à m’en blanchir les phalanges et pris la route en dérapant.
Le chemin de terre se transforma rapidement en un chaos de nids-de-poule et de racines.
Chaque cahot menaçait de m’envoyer dans le décor.
Je jetai un coup d’œil à la médaille autour de mon cou.
Elle brûlait contre ma peau, comme une pierre chauffée à blanc.
Et pourtant, je n’osais pas l’arracher.
Jayden avait dit que c'était ma seule chance.
Soudain, un bruit.
À l’arrière de la voiture.
Comme un frottement, un raclement léger contre la tôle.
Mon cœur s’arrêta.
Quelque chose était monté avec moi.
Je ne voulais pas regarder.
Je savais que si je regardais, je ne pourrais plus jamais effacer cette image de mon esprit.
Mais l’instinct fut plus fort.
Je levai les yeux vers le rétroviseur.
Et je la vis.
Assise à l’arrière.
Le visage vide.
Le sourire fendu jusqu’aux oreilles.
Les yeux... noirs.
Aucun blanc.
Juste deux abysses sans fond.
Mon hurlement déchira l’habitacle.
La voiture dérapa sur le chemin glissant.
Je luttais pour garder le contrôle, mais c’était comme si elle pesait sur moi, sur tout l’air autour de moi.
- Sors ! criai-je.
Je priai, suppliai intérieurement.
- Sors de ma voiture !
Un rire.
Faible, grinçant.
Puis un mot, murmuré tout près de mon oreille :
- À bientôt.
Un claquement sec.
Et la pression disparut.
Je repris le contrôle du volant de justesse, évitant de peu un arbre qui surgit devant moi.
Quand je me retournai, l'arrière était vide.
Mais je savais qu’elle n'était pas loin.
Je roulai sans m’arrêter jusqu'à la ville, les nerfs à vif.
Je ne savais pas où aller.
Pas chez moi.
Pas là où Paul pourrait être en danger.
Pas chez Jayden – s’il était même encore en vie.
La vieille femme avait dit que certaines portes, une fois ouvertes, ne se refermaient jamais.
Et je sentais que la mienne était grande ouverte, battante, appelant tout ce qui se cachait derrière.
Je finis par garer la voiture sur le parking désert d'une vieille station-service abandonnée.
La ville semblait morte à cette heure.
Même les lampadaires grésillaient faiblement, projetant des ombres tremblantes sur l'asphalte fissuré.
Je pris mon sac, le pendentif toujours brûlant contre ma peau, et sortis du véhicule.
Le vent froid gifla mon visage.
Je marchai jusqu'à un banc rouillé et m'y laissai tomber, la tête entre les mains.
- Qu'est-ce que je fais... ? murmurais-je.
- Tu survis, répondit une voix.
Je sursautai et levai les yeux.
Jayden.
Debout devant moi, blême, épuisé, mais vivant.
Je me levai d’un bond.
- Tu es en vie ! criai-je presque.
Il acquiesça en silence.
Ses yeux étaient cernés de noir, comme s'il n'avait pas dormi depuis des jours.
- Ils te cherchent, dit-il d'une voix rauque.
- Qui "ils" ?
Il regarda autour de lui nerveusement, puis fit un signe de tête vers un bâtiment abandonné.
- Viens. Pas ici.
Je le suivis.
Chaque pas sonnait comme une alarme dans le silence de la nuit.
À l'intérieur, l'obscurité nous engloutit.
Jayden alluma une vieille lampe torche, projetant une lueur tremblante sur les murs sales.
- Tu dois comprendre, Ali, souffla-t-il.
Ce n'était pas censé aller aussi loin.
- Alors explique-moi ! explosai-je, la voix brisée.
Il serra les poings.
- Rachel... c'était elle qui a tout commencé.
Elle a trouvé le premier livre, celui qui parlait des rituels.
Je fronçai les sourcils.
- Quel livre ?
Jayden hésita, puis sortit quelque chose de son sac.
Un carnet.
Vieux, usé, couvert de symboles étranges.
Il me le tendit.
Je l'ouvris avec précaution.
À l'intérieur, des dessins.
Des rituels de passage.
Des invocations.
Des signes de pactes.
Et toujours, ce même symbole : celui gravé sur la médaille.
Mon sang se glaça.
- Elle voulait du pouvoir, murmura Jayden.
Mais elle a invoqué autre chose.
Il posa sa main sur la couverture.
-Pas quelque chose qu'on contrôle.
Quelque chose qui... choisit.
Je refermai le carnet d’un geste brusque.
- Et maintenant ?
Jayden planta son regard dans le mien.
- Maintenant, elle t'a choisie.
Un frisson remonta le long de ma colonne vertébrale.
Je voulus parler, mais un bruit nous figea.
Des pas.
Lents.
Approchant.
Jayden éteignit la lampe d'un geste précipité.
Nous nous plaquâmes contre le mur, retenant notre souffle.
À travers une fissure dans le mur, je vis la silhouette.
Elle était là.
Juste dehors.
Elle passa lentement, comme un chien flairant sa proie.
Un frôlement.
Un souffle glacé sous la porte.
Je serrai la médaille jusqu'à m'enfoncer les ongles dans la paume.
Après une éternité, les pas s’éloignèrent.
Nous restâmes encore de longues minutes dans l'obscurité.
Quand Jayden ralluma enfin la lampe, je vis son expression.
Terrifiée.
Résignée.
- On n'a plus beaucoup de temps, dit-il.
Elle va devenir plus forte.
Et bientôt, même ça, il montra la médaille, ne suffira plus.
Je déglutis difficilement.
- Alors qu'est-ce qu'on fait ?
Il me fixa, les yeux sombres.
- On doit trouver la deuxième porte.
Et la refermer.
Je plissai les yeux.
- Quelle deuxième porte ?
Jayden baissa la tête.
- Celle que toi seule peux atteindre.
Un silence.
Puis il ajouta, presque inaudible :
- Mais pour ça, Ali... tu devras entrer dans ses rêves.
Mon sang se figea.
- Dans ses rêves ?
Dans l’esprit même de cette chose ?
Je compris alors que ce cauchemar était loin d'être terminé.
Il ne faisait que commencer.