La pluie tombait depuis l’aube, sans discontinuer, comme si le ciel lui-même cherchait à effacer les traces de tout ce qui se tramait dans cette ville.
Je n'avais presque pas dormi. La photo trouvée la veille, les mots échappés au déjeuner, la tension dans le regard de Jayden... tout tournait en boucle dans mon esprit.
Assise sur le bord de mon lit, j'enfilai machinalement mes baskets. Mon cœur battait vite.
Aujourd'hui, je le sentais, tout pouvait basculer.
Le téléphone vibra sur ma table de nuit.
Un message.
Je m'en saisis, encore à moitié engourdie, puis je vis que c'était un numéro masqué.
J'ouvris.
"Arrête de chercher si tu tiens à ta vie."
Simple. Brutal.
Mon sang se glaça.
Mes mains tremblaient, serrant l’appareil si fort que mes jointures devinrent blanches.
Je me levai d’un bond et fis les cent pas dans ma chambre.
Quelqu’un savait.
Quelqu’un me surveillait.
Pas Jayden, je le sentais. Son regard, la veille, portait de la tristesse, pas de menace.
Non, c'était autre chose. Quelqu’un d’autre, caché, tapi derrière les murs du lycée.
Je bloquai le numéro et verrouillai mon téléphone.
Pas question de céder.
Pas question de reculer.
J’étais venue pour découvrir ce qui était arrivé à Kylie.
Et même si la peur me nouait le ventre, je savais que je devais continuer.
Je descendis dans la cuisine où mon "père" lisait le journal, une tasse de café à la main.
Je pris une pomme au vol, lançai un "à ce soir" rapide, puis sortis sous la pluie.
Le trajet jusqu’au lycée fut brumeux, effacé par la pluie qui brouillait les vitres du bus.
Quand je descendis, je sentis les regards peser sur moi.
Des regards furtifs, mais présents.
J’entrai dans le hall, gardant la tête baissée.
Je ne devais pas attirer l'attention.
Mais en rejoignant mon casier, je remarquai immédiatement quelque chose de différent.
Un petit papier plié était coincé dans l'interstice.
Je le tirai discrètement, le glissai dans ma poche et fermai mon casier d'un geste brusque.
Je décidai d’attendre la pause pour l’ouvrir.
Pas ici. Pas maintenant.
Les cours du matin furent un enfer.
Je n'entendais rien de ce que disait le professeur de maths, ne voyais que les aiguilles de l'horloge tourner lentement.
Chaque bruit de chaise, chaque chuchotement me semblait suspect.
Enfin, la sonnerie libératrice retentit.
Je fonçai dehors, vers le vieux terrain de basket, derrière le gymnase, là où personne ne traînait par temps de pluie.
Je dépliai le mot, le cœur tambourinant.
"Tu n’es pas la bienvenue ici. Rentre chez toi."
Simple. Sans fioritures.
Pas de signature.
Pas d’indice.
Je respirai profondément.
Je serrai le papier dans ma main.
Ils savaient.
Et ils essayaient de me faire peur.
Mais ils ne me connaissaient pas.
Je rangeai le mot dans mon sac et levai les yeux vers les bâtiments gris du lycée.
Un rire s'éleva non loin, me faisant sursauter.
Je vis un groupe de garçons, dont Jayden, appuyés contre le mur.
Il me regardait.
Fixement.
Pas de sourire.
Pas d'excuse.
Juste ce regard intense, presque inquiet.
Je détournai les yeux et m'éloignai.
Je passai l'après-midi à réfléchir.
Chaque détail comptait maintenant.
Chaque mouvement.
En arts plastiques, je remarquai que certains élèves m’observaient, chuchotant derrière leur main.
Peut-être étaient-ils simplement curieux.
Ou peut-être... bien plus que ça.
À la fin des cours, je quittai la classe la première, impatiente de retrouver l'air libre.
Mais en passant devant le panneau d’affichage près de l’administration, quelque chose attira mon attention.
Une photo.
Encore une.
Accrochée à la va-vite.
C’était une image floue, mais je reconnus Kylie au premier regard.
Elle souriait, un sourire éclatant, celui que j’avais toujours aimé.
Sous la photo, quelqu’un avait griffonné à la main :
"Certains sourires cachent de terribles secrets."
Je restai figée.
C'était une provocation.
Un avertissement.
Ou peut-être un appel à l’aide, laissé par quelqu’un qui voulait que je continue.
Je sortis discrètement mon téléphone pour prendre une photo de l'affiche.
Puis je tournai les talons et fonçai vers la sortie.
Il fallait que je rentre.
Il fallait que je réfléchisse.
Une heure plus tard, chez moi, je déversai sur mon lit toutes mes trouvailles.
Les deux messages.
La photo prise au lycée.
La vieille photo trouvée au club de photo.
Le flyer du tournoi de basketball.
Un fil rouge invisible reliait tous ces éléments.
Et au centre de tout ça... Jayden.
Mon instinct me criait qu’il n’était pas celui qu'on voulait me faire croire.
Je sortis mon ordinateur portable, décidée à en savoir plus.
Je tapai son nom sur les réseaux sociaux.
Des dizaines de photos apparurent.
Des soirées. Des matchs. Des sourires.
Mais aussi des silences.
En creusant un peu, je trouvai un ancien post de Kylie.
Une photo prise au bord d’un lac.
La même fête que celle sur le tirage du club photo.
Sur la publication, un simple commentaire :
"Parfois, les monstres ne se cachent pas sous votre lit. Ils vous tiennent la main."
Mon cœur se serra.
Kylie avait eu peur.
Elle avait essayé de prévenir.
De dire quelque chose sans vraiment le dire.
Soudain, une idée surgit dans mon esprit.
Si elle avait laissé des messages codés... peut-être en avait-elle laissé ailleurs.
Je fouillai frénétiquement ses anciens réseaux sociaux.
Des publications anodines. Des selfies. Des citations.
Et puis, un détail.
Sur plusieurs photos, un symbole discret, toujours au même endroit : un petit dessin au stylo, sur sa main.
Un dessin d’une clef.
La clef.
Un symbole.
Un indice.
Je pris mon carnet et notai tout.
Demain, je chercherai.
Demain, je trouverai la clef.
Et peut-être, enfin, je comprendrai ce qui est réellement arrivé à ma sœur.
Je fermai les yeux un instant, écoutant la pluie tambouriner contre la vitre.
Demain, tout commencerait vraiment.