La porte s’était refermée sans bruit.
Un bruit sourd, presque respectueux. Comme si la maison elle-même attendait ce moment depuis longtemps.
Je restai figée, la main crispée autour de la photo. Celle de moi, prise quelques heures plus tôt. À cet instant précis, je compris que ce n’était pas qu’un jeu de piste. C’était un rituel.
Une répétition.
Je n’étais pas la première.
Et je ne serais peut-être pas la dernière.
- Paul ? appelai-je à nouveau, la gorge serrée.
Pas de réponse.
Je fis un pas dans le couloir à l’étage. L’air y était plus lourd, chargé d’une odeur de moisissure et d’ancien sang. Les murs semblaient se rapprocher, lentement, imperceptiblement.
Un frisson me parcourut la colonne vertébrale.
Une porte entrouverte attira mon attention.
J’y entrai.
La pièce était tapissée de vieux journaux jaunis, collés comme un patchwork délirant. Tous parlaient de disparitions. D’enfants. D’adolescents. De jeunes femmes.
Toujours dans un rayon de quelques kilomètres.
Toujours "inexpliquées".
Sur le mur du fond, un vieux tableau noir. Des mots griffonnés à la craie, presque effacés :
“Tout recommence avec elle.”
Mon cœur rata un battement.
Je m’approchai lentement. Sous le tableau, un bureau d’écolier. Sur lequel reposait un vieux journal intime.
Je m’assis, lentement, comme si ce geste pouvait briser quelque chose.
J’ouvris le carnet.
L’écriture était nerveuse, désordonnée. Les premières pages étaient datées de vingt ans en arrière.
“La voix est revenue cette nuit. Elle me dit que je dois recommencer. Que je ne suis qu’un outil. Que la lignée doit continuer.”
“Je l’ai vue. La petite fille aux cheveux noirs. Elle m’a regardé à travers la fenêtre. Elle savait. Elle savait que je l’attendais.”
“Ma sœur a eu une fille. Je l’ai vue à l’hôpital. Elle est parfaite. C’est elle. C’est elle, la clé.”
Je refermai le carnet, les mains tremblantes.
Je venais de lire les pensées de mon oncle Elias.
Et il avait parlé de moi.
Dès ma naissance.
Un cliquetis me fit sursauter. Je tournai brusquement la tête. Une trappe dans le mur venait de s’ouvrir, révélant un passage étroit, en contrebas.
Un murmure monta de l’obscurité.
- Ali...
Ce n’était pas Paul.
Mais c’était familier.
Je pris la lampe torche tombée au sol, respirai profondément, et rampai dans le passage.
Le couloir étroit sentait la terre, la pierre humide. Les parois étaient couvertes de symboles gravés à même la roche. Des cercles, des yeux, des croix brisées.
Une odeur de fer me prit à la gorge.
Puis j’atteignis une petite salle souterraine.
Au centre, une chaise.
Et, à côté, une caméra.
Un projecteur éteint pendait du plafond.
Des câbles électriques couraient au sol comme des serpents.
Et sur les murs, des portraits.
Des filles.
Kylie.
Une autre, que je reconnus soudain : une camarade de lycée, disparue en seconde. On avait parlé de fugue. De dépression.
Mais elle avait été là. Ici.
Elias avait tout documenté.
Un écran de télé allumé dans un coin se mit à grésiller.
Puis, sans prévenir, une image apparut.
Moi.
Attachée à la chaise.
Une vidéo.
Je ne comprenais pas. Je n’avais jamais été ici auparavant.
Mais l’image, elle, était réelle.
Et dans l’ombre derrière moi, on distinguait… Elias.
Ou quelqu’un qui lui ressemblait. De trop près.
- Ce n’est pas possible, soufflai-je.
- Tu comprends, maintenant ?
La voix me fit sursauter. Paul venait d’apparaître à l’entrée du couloir.
Mais son visage avait changé.
Plus fermé. Plus sombre.
- Tu savais tout ça, dis-je, la voix blanche.
Il baissa les yeux.
- J’ai menti. Pas sur Elias. Mais sur moi. Je ne suis pas ici pour te protéger.
Il avança, lentement.
- J’ai été envoyé pour t’amener ici. Pour que tu voies. Que tu te rappelles. Tu n’étais pas qu’un bébé ce jour-là. Tu as vu des choses. Oubliées, oui. Mais pas effacées.
Je reculais, tremblante.
- Pourquoi ? Pourquoi moi ?
Il leva les mains, presque en prière.
- Parce que tu es la seule survivante. Tu es la seule à pouvoir le contenir.
- Contenir quoi ?!
Il s’approcha du mur et appuya sur une pierre. Un mécanisme se déclencha.
Une trappe s’ouvrit au sol, révélant un escalier en spirale qui s’enfonçait encore plus profondément.
- Tu veux connaître la vérité ? demanda Paul.
Je ne répondis pas.
Je n’avais plus le choix.
Je descendis.
Chaque marche semblait avaler la lumière. L’air se faisait glacial.
Et tout en bas, un couloir aux murs lisses. Sculptés. Anciens.
Presque inhumains.
Et une porte.
De métal.
Avec un seul mot gravé dessus :
KASSY.
Mon prénom.
J’avais été attendue.
Je m’arrêtai juste devant.
Derrière, je le savais, se cachait l’origine de tout.
Ce qu’Elias avait réveillé.
Ce que Paul protégeait.
Ce que Kylie avait découvert trop tard.
Et moi… moi, j’allais devoir l’affronter.