"Entre la vie et la mort, il y a un espace silencieux où l'âme se cherche, suspendue entre deux mondes."
-Anonyme
Je suis là. Ou je ne suis pas là. C’est comme si le monde entier s’était effacé, comme si je n’étais qu’une ombre flottante dans un vide immense, un espace sans contour, sans direction. Une sensation de flottement, sans poids, sans forme. L’univers autour de moi semble avoir cessé de tourner, et tout est d’un blanc éclatant, presque irréel. Le temps n’existe plus, tout est suspendu, figé. Il n’y a plus de passé, plus de futur, il n’y a que cet instant, étendu, infini, où je suis à la fois présente et absente.
Je n’entends rien. Pas même mon souffle. C’est un silence oppressant, comme si le monde m’avait oubliée. Un silence lourd, imprégné de l’écho des derniers moments avant l’obscurité. Et puis, un bruit… des bips. Ces sons froids, réguliers, qui me rappellent quelque chose, mais je n’arrive pas à remettre le doigt dessus. Mon cœur… il ne bat plus. Je ne le sens pas. Je tente de respirer, mais mon corps semble m’avoir abandonnée. Il n’y a plus rien, rien d’autre que ces bips qui, à force, deviennent des cloches funèbres dans un grand vide.
Est-ce que… est-ce que je suis morte ? C’est ça ? C’est la fin ? Une partie de moi refuse de le croire, de l’accepter. Une autre part de moi, pourtant, le ressent profondément, dans chaque fibre de mon être. Je ferme les yeux, mais tout reste noir. Et dans ce noir, tout est encore plus confus. J’ai l’impression que le temps s’est arrêté. Pourquoi rien ne se passe ? Pourquoi je ne peux pas bouger ? Pourquoi je ne peux pas crier, appeler à l’aide ? Je suis coincée, perdue dans cet espace, entre la vie et la mort, entre l'existence et l'oubli. Je suis impuissante, totalement déconnectée de tout, et ça me fait mal. Une douleur profonde, sourde, qui m’envahit, mais que je ne peux exprimer.
Puis, une voix. Une voix que je reconnaîtrais parmi mille. Mon père. Je sais que c’est lui, mais sa voix semble si loin, presque éthérée. Il est là, mais il ne l’est pas. C’est comme si son âme, sa voix, traversait des dimensions invisibles, un écho d’un autre monde.
-Lila…
C’est lui. Je suis sûre que c’est lui. Pourtant, je n’arrive même pas à lui répondre. Mes lèvres sont gelées, comme figées dans cette immobilité. Mes yeux ne veulent pas s’ouvrir. Je veux lui parler, lui dire que je suis là, que je l’entends, que je ne suis pas prête à partir, que je veux qu’il m’aide. Mais rien ne sort. Juste un souffle, juste un murmure. Je n’arrive pas à articuler, tout est trop flou. C’est comme si je ne pouvais pas exister vraiment. Comme si tout était suspendu dans un état intermédiaire, un entre-deux.
-Lila, tu m’entends ?
Je tente de lui répondre. J’essaie de crier, mais les mots ne viennent pas. Je veux lui dire que je suis là, que je suis encore vivante, que je suis juste… coincée, dans ce vide. Mais mes pensées s’égarent. Les bips des machines se mêlent à ma confusion. Tout est flou, irréel. J’entends, mais je ne comprends plus. Je suis perdue, coincée entre deux mondes.
-Papa…
C’est tout ce que je peux murmurer, tout ce qui sort de ma bouche. Et pourtant, il m’entend. Il est là. Je le sens dans ma poitrine, dans chaque battement, même si ce n’est qu’une sensation diffuse.
Il se rapproche, mais il reste flou, comme une apparition. Sa silhouette vacille dans cette brume épaisse où le réel et l’irréel se confondent. Il me parle encore, mais sa voix se fait plus douce, plus lointaine. Elle semble se perdre dans un océan de silence. Je suis à moitié là, à moitié ailleurs. Ses paroles se mêlent aux bruits des machines, à la distance qui se creuse entre nous. L’espace entre nous devient un gouffre que je ne sais pas franchir.
-Ce n’est pas ton heure, Lila.
Je ne comprends pas tout, mais j’entends assez pour savoir qu’il veut me dire quelque chose de crucial.
“Ce n’est pas ton heure..“
Ces mots résonnent en moi, comme une onde qui se propage lentement à travers un silence lourd. C’est étrange, mais ça me réveille un peu. Comme un écho dans ma tête. Il faut que je me batte. Il faut que je me réveille. Mais tout est tellement lourd. Je suis fatiguée de tout ça. Fatiguée de la souffrance, de la peur, de la solitude. Fatiguée de ce vide, de cette incertitude qui m’envahit. Mais je sais que je ne peux pas rester ici, à me perdre dans ce néant. Non, il faut que je me relève. Pour lui. Pour ceux que j’aime.
-Lila, tu n’es pas prête.
Il me regarde avec cet amour infini, mais aussi cette tristesse que je connais si bien. Une tristesse d’adieu, mais aussi une tendresse, un souffle d’espoir. C’est comme si tout se passait dans un autre monde, et que je ne pouvais pas le suivre. Il est là, mais il me laisse. Je n’arrive pas à le retenir. Pas comme avant. Mais je sens, au fond de moi, que je dois l’écouter. Je dois me battre. C’est ce qu’il veut. Ce que je dois faire.
-Papa, je ne veux pas…
Les mots viennent à peine. Je veux lui dire que je n’ai pas envie de le quitter, que je veux revenir. Mais ma voix est à peine un souffle, une brise perdue dans ce vide. Et déjà, il s’éloigne. Sa silhouette se dissipe, comme un mirage fragile dans cette pièce trop blanche, trop distante. Ses derniers mots résonnent dans ma tête, mais tout se brouille de plus en plus. Tout est flou. Il disparaît, lentement.
Je suis seule. Ou presque. Parce qu’à cet instant, une autre voix se fait entendre. Plus douce, plus familière, de plus en plus forte. C’est Aaron. Je ne le vois pas, pas encore, mais je le sens près de moi, presque palpable, comme une présence qui me réchauffe dans ce froid absolu. Il me parle, mais tout est perdu dans ce tourbillon de confusion. Ses mots, je ne les comprends pas tout à fait. Il y a un mélange de chaleur et d’inquiétude dans sa voix. Mais il est là. Il ne m’abandonnera pas. Il est là, dans cette brume où je n’arrive même pas à le percevoir. Et malgré tout, il parvient à me toucher, à me faire sentir sa présence.
-Je ne te laisserai pas partir, Lila.
C’est tout ce dont j’ai besoin pour me raccrocher à la vie. Pour me dire que je dois me réveiller. Que je ne peux pas rester ici, perdue dans ce monde flou, entre la vie et la mort. Il me pousse à revenir. Il me pousse à lutter, à ne pas me laisser emporter. Parce qu’il est là. Parce qu’il me le promet. Parce qu’il m’aime. Et même si ses paroles se mélangent aux bips des machines, elles parviennent à me toucher. Elles résonnent dans mon âme. C’est tout ce dont j’ai besoin pour me dire que je dois revenir, que ce n’est pas encore mon heure.
Je ferme les yeux, et dans l’obscurité, je me laisse glisser, une dernière fois, dans ce sommeil. Mais cette fois, je le fais avec la certitude que je reviendrai. Parce que je sais qu’ils ont raison. Ce n’est pas encore mon heure.