“L'esprit de cette lueur qui nous guide, même lorsque tout semble perdu.“
-Emily Dickinson
La pluie ne cessait de tambouriner contre ma fenêtre depuis des jours, un bruit presque apaisant, mais qui n’aidait en rien la tempête qui faisait rage dans ma tête. Mon esprit ne cessait de rejouer en boucle mon dernier rendez-vous chez le docteur Lefèvre. Là où j’avais appris que, malgré mon état fragile, une association de bienfaisance était prête à financer mes soins… et surtout cette transplantation.
Un don. Une chance de vivre de nouveau.
Mais aussi un fardeau.
Je ne savais pas si je devais accepter cette aide ou non. Comment réagir face à une telle nouvelle ? Comment ne pas me sentir coupable de ce cadeau, de cette vie qui m’était offerte, alors que tant d’autres luttaient sans jamais atteindre cette même opportunité ?
Ce soir-là, Aaron était venu me voir, son sourire habituel accroché à ses lèvres magnifiques, son téléphone à la main pour me montrer un mail fraîchement reçu. Mais son regard trahissait une inquiétude qu’il ne cherchait même pas à dissimuler.
-Lila, tu sais que s’ils te proposent ce don, ce n’est pas par charité, mais parce qu’ils croient en toi. Tout comme moi, je crois en toi. Ce n’est pas un geste de pitié, c’est une opportunité.
Sa voix était douce, mais ferme. Il avait pris ma main, la serrant avec tendresse, comme s’il voulait m’inculquer cette vérité, me la transmettre à travers ce simple contact.
Je secouai la tête, la gorge serrée.
-Je ne veux pas être un fardeau pour eux, Aaron. Et si… et si je n’y arrivais pas ? Si je ne survivais pas à l’opération ?
-Et si tu ne tentais rien ? répondit-il doucement.
Il marqua une pause, cherchant mes yeux.
-Lila, tu n’as rien à perdre. Tu as une chance de te battre, une chance de vivre, une vraie chance. Pourquoi ne pas la saisir ? Pourquoi laisser la peur t’empêcher d’essayer ?
Ses mots résonnèrent en moi comme un écho. Il avait raison. Chaque jour où je restais indécise, où je choisissais de ne pas me battre, je perdais un peu plus de moi-même. Ce n’était pas la douleur qui me terrifiait, ni même l’échec. Ce qui me faisait le plus peur, c’était de ne pas tout donner. De ne pas avoir tout tenté. De les décevoir… de les attrister encore plus qu’ils ne l’étaient déjà, si jamais ça ne marchait pas.
-Je ne veux pas que tu sois déçu, murmurai-je, les larmes au bord des yeux.
-Je serai là, quoi qu’il arrive, répondit-il, avec cette détermination qui faisait battre mon cœur un peu plus fort.
Il serra ma main, ancrant ses mots dans la réalité.
-Ce n’est pas une question de déception, Lila. C’est une question de vivre pleinement. Peu importe combien de temps il te reste, tu as le droit d’être heureuse.
Je le regardai, débordante d’émotions. Une flamme d’espoir, aussi fragile soit-elle, s’alluma en moi. Peut-être que je pouvais me battre. Peut-être que je devais me battre. Pour lui. Pour ma mère, qui avait déjà tant perdu.
Je pris une profonde inspiration, et pour la première fois depuis longtemps, j’entrevoyais un chemin possible.
-Bon c'est d'accord, Je vais accepter le don. Je vais me battre.
Il sourit, soulagé, et sans un mot, il m’enlaça, comme si ce simple geste pouvait sceller ma promesse.
Un poids invisible se dissipa en moi. Aaron, avec sa présence silencieuse mais réconfortante, m’offrait ce qu’il avait de plus précieux : sa confiance. Une confiance que j’avais du mal à accepter, mais que je commençais doucement à comprendre.
Je fermai les yeux un instant, me concentrant sur la pluie qui continuait de frapper la fenêtre. Elle semblait accompagner ce moment, comme une mélodie apaisante à ce tournant de ma vie.
-Tu es prête, murmura Aaron contre mes cheveux.
Je n’en étais pas sûre. Comment l’être, quand chaque pas m’éloignait de tout ce que je connaissais, de tout ce que j’avais aimé ?
Mais au fond de moi, une part de moi savait que je devais le faire.
Refuser cette chance, ce don, ce serait un abandon. Pas seulement envers moi-même, mais envers ceux qui croyaient en moi.
-Je suis prête, dis-je finalement, ma voix se brisant légèrement, mais plus forte qu’auparavant.
Aaron s’écarta légèrement pour me regarder dans les yeux, cherchant une hésitation, une crainte. Mais je savais qu’aucune décision ne serait facile.
Le plus grand acte de courage, parfois, c’est d’accepter de vivre, malgré la peur.
-Tu n’es pas seule dans tout ça, dit-il enfin. Je serai là, à chaque étape. Peu importe ce qui arrivera.
Je hochai la tête, sentant une chaleur douce se répandre en moi. Une chaleur qui me disait qu’il y avait encore de l’espoir, même dans l’adversité.
Et c’est peut-être là que je compris enfin ce que je devais faire.
Pas juste accepter le don.
Vivre pleinement.
Sans regrets.
Sans plus regarder en arrière.
La pluie battait toujours contre la fenêtre, mais cette fois, elle ne me semblait plus froide ni menaçante. Elle était douce. Comme un signe.
Je pris la main d’Aaron à nouveau, plus fermement cette fois.
-Je vais le faire, dis-je d’une voix plus calme, plus résolue.
-Pour moi. Pour toi. Pour ma mère… Pour tous ceux qui croient en moi.
Un sourire illumina son visage, si sincère qu’il fit battre mon cœur un peu plus fort. C’était comme si chaque mot, chaque promesse tissée entre nous, renforçait cette conviction : tout n’était pas encore perdu.
Aaron resserra son étreinte, comme s’il voulait m’ancrer dans la réalité, m’empêcher d’être emportée par mes doutes. Dans ses bras, je n’étais pas seule. Il portait une partie de mes peurs avec moi, mais aussi cette étincelle d’espoir qui, bien que fragile, grandissait à chaque mot échangé.
-Lila, tu as toujours eu cette force en toi, murmura-t-il doucement, ses doigts effleurant ma joue.
-C’est dans ton regard, dans ta façon de faire face aux choses, même quand tout semble impossible. Tu m’as prouvé, encore et encore, que tu pouvais te relever.
Ses mots me transpercèrent l’âme, et malgré la peur, je me sentis un peu plus légère.
Peut-être qu’il avait raison.
Peut-être que j’avais toujours trouvé un moyen de me relever.
-J’ai peur, Aaron, soufflai-je, la voix brisée.
-Peur de l’opération. Peur de tout perdre.
-Mais surtout, peur de te décevoir.
Il releva mon menton, son regard ancré dans le mien.
-Tu ne me décevras jamais, Lila, dit-il dans un murmure.
-Tu as le droit d’avoir peur. Mais tu ne dois jamais douter de ta valeur. Et je serai là, à chaque étape.
Ces mots, si simples, contenaient tout ce dont j’avais besoin.
La peur ne me définissait pas.
Même dans l’obscurité, il y avait toujours une lumière.
Et cette lumière, c’était lui.
Je fermai les yeux un instant, laissant cette vérité m’imprégner.
Le chemin qui s’ouvrait devant moi ne serait pas facile.
Mais peut-être, juste peut-être, je pouvais le parcourir.
Pas seule.
Pas avec la peur.
Mais avec l’espoir.