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Chapitre 9, Nathanaël

— Je veux une garde-robe capsule de haute qualité. Trois chemises blanches et trois autres noires. Je veux des pantalons en coupe droite et large, blancs, noirs et beiges. Des jeans, coupe droite aussi, j'en veux cinq. Les pulls, des cols roulés et des cols ronds principalement, suivant aussi des tons chauds. Pour le reste...

Nathanaël, assis sur le petit pouf devant les cabines d'essayage de ce magasin trop luxueux pour espérer acheter ne serait-ce qu'une écharpe avec son propre argent, ne bougeait pas d'un cheveu, les poings serrés sur ses genoux et les lèvres cousues entre elles. Non seulement il n'avait pu protester l'idée d'Andreas pour habiter chez lui, mais il se retrouvait à être traîné dans tous les magasins du grand centre commercial près de chez lui, dont les boutiques luxueuses affluaient de part et d'autre comme de lourdes vagues d'or et d'argent.

Ce n'était absolument pas son monde.

Voir Andreas dicter ses ordres pour choisir ses vêtements le rendait profondément mal à l'aise, encore plus quand c'était pour quelqu'un comme lui, au visage tailladé et au corps amaigri. Ce n'était pas qu'il avait tort, parce que ses tenues frôlaient effectivement les haillons, aussi vieux que mal en point, mais le voir aussi attentif à son image juste pour un mois d'essai...

C'était dérangeant.

Méritait-il autant de cadeaux d'Andreas ? Son excuse lui semblait si superficielle pour justifier son aide qu'il commençait à regretter d'avoir accepté : si les événements continuaient ainsi, il craignait de s'adapter à ce mode de vie jusqu'au jour où il se ferait expulser de Dalestio et de son appartement.

Parce que même s'il avait accepté la proposition, il n'avait pas grande ambition sur son avenir dans cette entreprise et aux côtés de ce PDG plus que confiant. Il suffisait d'une erreur, d'un faux pas, et tout se terminait sans retour en arrière possible, et il ne préférait même pas penser à sa personnalité qui lui ferait défaut à un moment ou un autre. Des vêtements finirent par atterrir entre ses bras, Andreas continuait de faire sa loi auprès des vendeurs et il l'incita d'un geste de main d'aller se changer.

— Après ça, nous irons te donner une nouvelle allure au coiffeur-barbier, précisa-t-il, alors dépêche-toi. Je veux que tout soit prêt pour demain.

« Demain » signifiait son premier jour d'essai et il n'était mentalement pas préparé. Absolument pas préparé. Le PDG avait précipité son entrée dans son entreprise et il attendait toujours de potentielles indications ou explications sur comment cela allait se dérouler, mais à chaque fois qu'il tentait de demander, sa voix se bloquait et restait sur le bout de sa langue. Tout ce qu'il put faire sur l'instant présent, c'était d'acquiescer machinalement et d'entrer dans la cabine pour enfiler ce que lui avait donné Andreas : un délicat pull en laine blanche avec un col rond assez large, un pantalon en coupe droite d'un gris noir doux accompagné d'une ceinture et de chaussures marrons. Nathanaël passa le haut dans le bas et il termina rapidement de s'habiller pour sortir de l'espace trop serré à son goût. Quand son image se refléta sur le miroir face à lui, son ventre se serra et il ne put qu'entourer son torse de ses bras, en passant ses doigts sur ses clavicules trop saillantes : un tas d'os dans des habits, voilà à quoi il ressemblait. Il baissa instantanément la tête, incapable de s'affronter une seconde de plus, surtout que son œil gauche commençait à flancher : sa vision, depuis ce fameux accident qui lui avait donné cette cicatrice, se brouillait quelques fois et devenait de plus en plus instable au fur et à mesure des années. La lumière appuyait sur ce malaise jusqu'à lui créer des vertiges nauséabonds. Andreas décida de revenir à ce moment précis et il sentit son regard parcourir son corps ; cela l'obligea à se recroqueviller davantage sur lui-même. Mais la sensation d'un objet froid sur son cou lui provoqua un soubresaut : le PDG lui attachait un collier en argent, avec une chaîne fine qui se concluait par un petit pendentif où reposait un diamant de taille modeste.

— Euh..., bredouilla Nathanaël en zieutant sur le bijou. Je, enfin...

— Une bonne tenue est toujours munie d'accessoires, aussi discrets soient-ils. Ce que tu portes te va à ravir.

Andreas ajusta un peu ses vêtements et il se recula pour l'admirer plus amplement, ce qui le gêna plus que cela ne le flatta : pour un styliste de renom, lui dire que ce qu'il arborait lui allait « à ravir » était d'un mauvais goût plus qu'étonnant.

Au mieux, il ressemblait à un fantôme, au pire, à un cadavre.

Mais le temps pressait et son comparse ne lui laissa pas la possibilité de continuer à se critiquer : il paya tout, dont la tenue sur lui, et il quémanda à une personne qu'il ne connaissait pas de tout emmener chez lui. Heureusement, la boutique ne possédait pas beaucoup de personnels et les clients ne semblaient pas affluer, mais Nathanaël craignait pour la suite, en particulier le coiffeur.

Et malheureusement, ses peurs se révélèrent assez vite vraies.

Même si peu de clients attendaient et qu'il se retrouva rapidement sur le siège après s'être fait laver les cheveux, le simple fait de voir son visage aussi nettement serrait sa gorge autant qu'il lui donnait envie de fuir cet endroit. Mais Andreas qui se tenait à ses côtés, une main sur le genou et l'autre posée sur son accoudoir, le forçait à ne pas bouger.

— Dégagez son front comme son visage, réclama-t-il en ne le regardant pas une seule fois, il faut au moins que les autres puissent voir à quoi il ressemble.

Sauf que lui, il n'avait absolument pas envie de se dévoiler au reste du monde ; la pagaille qui trônait sur sa tête servait justement à se cacher et à passer inaperçu. Mais vu l'entreprise dans laquelle il allait travailler pendant un bon mois, ce passage était nécessaire... Il faudrait chercher un autre travail convenable durant ce laps de temps, avant de se faire virer. Une ombre passa devant lui, deux doigts s'emparèrent des mèches devant ses yeux et, sans crier gare, une paire de ciseaux s'approcha dangereusement de lui. Aucun son ne sortit de sa bouche, mais son mouvement brusque en arrière fit sursauter les deux personnes autour de lui ; Andreas le dévisagea, les sourcils haussés et son expression consternée lui arracha un frisson d'appréhension. Sur le point de s'excuser platement, le PDG lui coupa l'herbe sous les pieds et se rapprocha légèrement de lui.

— Ferme les yeux et ne te focalise pas sur ce que fait le coiffeur, soupira-t-il, j'ai même des écouteurs si tu ne veux rien entendre.

Même s'il paraissait dépité par sa réaction, il n'en restait pas moins prévenant en gardant toujours ce ton neutre et ce visage impassible. Nathanaël secoua la tête pour refuser sa seconde offre, mais il suivit tout de même son premier conseil et ses paupières se fermèrent automatiquement. Il ne savait pas si c'était la meilleure solution, car il pouvait toujours s'imaginer l'homme en train de faufiler ses lames entre ses mèches, se louper et l'écorcher comme elle avait pu le faire. Sa main chercha quelque chose à laquelle se raccrocher et, quand les ciseaux recommencèrent à faire leur travail, elle trouva une source de chaleur réconfortante et il ignora cette tension qui venait d'elle.

Une bonne heure plus tard, alors que Nathanaël luttait pour ne pas s'évanouir sous l'angoisse qui le submergeait, le coiffeur se détacha enfin de ses cheveux et lui proposa d'ouvrir les yeux pour admirer le résultat. Sa vue fut floue pendant quelques secondes et, dès qu'elle revint à la normale, son cœur manqua un battement : devant lui, à travers ce miroir aussi grand que lumineux, se trouvait un homme qu'il crut presque beau, peut-être même normal, mais dont les cicatrices, la mine pâle et les joues creusées venaient perturber ce portrait pourtant si nouveau. Malgré tout, Nathanaël ne put détacher son regard de ce changement aussi brutal que perturbant : deux mèches noires formaient une vague lâche vers l'arrière, avec quelques petits cheveux qui retombaient sur son front pour créer un effet naturel. Sa longueur avait été coupée pour revenir à quelque chose de plus classique et volumineux, lui qui pensait avoir toujours eu les cheveux lisses, le voilà bien bête de constater qu'ils étaient plutôt ondulés. Un toussotement le sortit de sa contemplation et ses yeux pivotèrent vers Andreas, ce dernier avait les lèvres plissées et un sourcil haussé.

— Pourrais-tu enlever ta main de la mienne ? finit-il par dire, sans le quitter du regard.

Nathanaël baissa la tête vers ses doigts agrippés aux siens et il les retira comme s'il venait de toucher un grand brasier. Il aurait été prêt à parier que son visage devint encore plus cadavérique qu'à l'accoutumée et son souffle s'accéléra en même temps que son pouls.

— Je, pardon, ce n'était pas..., baragouina-t-il sans parvenir à terminer sa phrase.

— Ce n'est pas grave pour cette fois, mais évite de recommencer.

La froideur dont Andreas faisait preuve perça son cœur à coup de piques, bien qu'habitué à être traité de la même façon par les autres ; mais venant d'un homme comme lui, la sensation demeurait bien pire et insupportable. Le PDG finit par le laisser pour aller payer, un arrière-goût d'amertume restait dans la bouche de Nathanaël alors qu'il se relevait de sa chaise, enfin débarrassé du tablier sur lui. Andreas finirait tôt ou tard par regretter sa décision et aujourd'hui n'était qu'une petite démonstration de sa stupidité, de sa maladresse et de tout ce qu'il incarnait. Il renifla un coup, ravalant le chagrin qui serrait sa gorge, puis il se dirigea lentement vers le comptoir, les bras le long du corps et les yeux baissés au sol. Le coiffeur pointa le TPE vers Andreas et annonça une somme exorbitante pour une simple coiffure, au point qu'il crut s'étouffer.

— Merci encore pour le rendez-vous rapide, souffla le PDG tandis qu'il rangeait sa carte dans son portefeuille.

— Avec grand plaisir, M. Iliadis, au plaisir de vous revoir rapidement !

Le susnommé ne chercha pas à étendre la conversation et il le poussa délicatement vers la sortie, une main en haut de son dos. Mais avant de franchir la porte, menant sur un extérieur qui s'assombrissait comme se refroidissait, un vêtement lourd et chaud fut posé sur ses épaules. Nathanaël tourna la tête pour s'apercevoir qu'une veste en cuir marron — plus féminine que masculine — avec de la fourrure au bout des manches et du col l'entourait ; il lança un regard timide à Andreas, qui soupira juste en réponse.

— Nous sommes encore en hiver et cette veste te va bien.

Il ne lui laissa même pas le temps de réagir qu'il l'incita à monter dans sa voiture, garée devant le coiffeur, et quelques rougeurs malvenues prirent place sur ses joues pâles : le styliste n'arrêtait pas de lui faire des compliments, aussi neutres fussent-ils, et il craignait de s'y habituer à force de vivre avec lui.

Mais ce n'était pas comme s'il aurait l'occasion de lui en faire souvent...

Assis du côté passager, il attendit qu'Andreas s'installât et ce dernier lui lança un coup d'œil une fois prêt à partir, le volant entre les mains. Sa langue claque contre son palais, arrachant un petit sursaut à Nathanaël.

— Tu devrais mettre ta ceinture, je n'ai pas envie d'être arrêté par la police.

Perturbé par son propre comportement, il se confondit en excuses et s'attacha rapidement, le regard rivé sur ses cuisses. À peine le clic de la ceinture retentit que le PDG démarra et sortit de sa place. Le chemin vers « leur » appartement fut ponctué simplement de leurs respirations et du trafic urbain affolant à cette heure-ci. Au bout de quelques minutes de trajet, alors qu'il triturait ses doigts pour se distraire et tentait de ne penser à rien — en vain —, une voix douce le sortit de ses songes angoissants.

— J'ai commandé pour ce soir. Ma domestique doit avoir réceptionné ton repas, je ne mangerai pas avec toi à cause du travail. Donc ne m'attends pas et mange. J'espère que tu apprécies la cuisine italienne.

Sa réponse fut un simple hochement de tête, bien incapable de répliquer et encore moins de lui reprocher d'avoir acheté de la nourriture sans être passé par lui pour demander ses goûts. Nathanaël ne fit pas son difficile et laissa couler, laissant le dernier bout de route se terminer dans un silence étouffant, avec pour seule amie des pensées omniprésentes qui ne faisaient que ressasser la catastrophe qu'allait être son mois d'essai.

Peut-être aurait-il mieux valu refuser.

Peut-être que cette idée était bien plus stupide que toutes celles qu'il avait pu prendre jusqu'à présent.

Mais il ne pouvait plus reculer et il n'aurait jamais eu l'audace de le faire.

Alors il subissait sa propre angoisse, en silence, avec cette affreuse sensation qu'il échouerait à nouveau.

Comme à son habitude.

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