Elle sursauta et se redressa en hurlant, sortant ainsi du rêve dans lequel elle était encore plongée il y a quelques instants. De la sueur perla sur son front et son corps tandis qu'elle resserra sa poigne sur ses draps trempés, tout en essayant de reprendre son souffle.
— Punaise... encore des souvenirs, constata-t-elle à voix basse. Ça n'arrête pas en ce moment.
Elle se leva et se dirigea vers sa salle de bain, toujours préoccupée par ce qu'elle avait vu cette nuit. Elle se pencha vers sa bassine d'eau et se lava le visage pour se changer les idées, puis se brossa les dents, avant de descendre ses escaliers pour aller dans la cuisine. Quand elle entra dans la pièce, elle regarda automatiquement l'horloge accrochée à son mur, qui afficha 4 h 50 du matin.
— Toujours à cette heure-ci...
Épuisée, elle attrapa sa boite de céréales et en versa dans son bol tout en réfléchissant à quelle tenue elle allait mettre pour son premier jour.
— Vu le froid qu'il fait, je ferais mieux de me couvrir pour éviter d'attraper mal, se rappela-t-elle en s'abstenant de mettre du lait.
Elle mâcha lentement en silence tandis qu'elle nota ce qu'elle avait vu dans ses souvenirs, dans son carnet rempli de croquis et de dialogues.
— Cette fois-ci, j'étais en train de me noyer, remarqua-t-elle en donnant quelques coups de crayon. Puis, cette étrangère m'a repêché et a essayé de me sauver, en vain.
Pour terminer son croquis, elle coloria les cheveux de sa sauveuse d'un rouge écarlate. Elle soupira et referma son carnet sans le regarder, et sortit dehors pour faire sa séance de sport. Elle s'attacha les cheveux en une queue-de-cheval et ouvrit son portail qui protégeait sa maison. Pour s'échauffer, elle marcha à un rythme normal jusqu'aux chaînes de montagne qui la cacha du reste des habitants. Elle chercha une bonne prise et commença à escalader, en se laissant bercer par l'odeur de la rosée matinale. Au fur et à mesure qu'elle plaça ses mains sur la roche et qu'elle grimpa, l'adrénaline de l'effort lui fit oublier sa nuit horrible et un sourire se dessina sur son visage.
— Objectif du jour, faire tout le tour du continent en courant !
Quand elle atteignit le sommet, elle entama la descente sans prendre le temps de se reposer, motivée à se changer l'esprit. Alors qu'elle arriva presque de l'autre côté, sa main dérapa et elle glissa sur cinq mètres de hauteur. Quand elle heurta le sol, elle ferma les yeux et crispa son visage tellement la douleur la transperça. Elle siffla de souffrance et regarda sa main qui était en sang et ses genoux éraflés.
— C'est bien ma veine, rouspéta-t-elle en se relevant. Il fallait que je me blesse mon premier jour de travail.
N'ayant pris aucun sac et bandages, elle se contenta de laisser sécher le sang, et d'entamer sa course. Elle passa devant le cimetière, qui se trouvait quelques mètres après la chaîne de montagne, puis elle longea la mer vers l'ouest et arriva à l'emplacement où se trouvait la sphère de divination il y a des millénaires de cela.
— Bonjour ma chère couturière, la salua le roi d'un doux sourire. Vous faites votre course du matin ?
Alors qu'elle longeait la mer au nord, là où se trouvait le château, elle fut stoppée dans sa course par sa Majesté, qui lui, faisait sa promenade matinale. Elle écarquilla doucement les yeux et s'arrêta à contrecœur, avant de s'incliner. Elle fit aussi attention à bien cacher sa main, car elle ne voulait pas que le roi l'invite à entrer pour la soigner, ce qui lui ferait perdre énormément de temps.
— Bonjour mon roi, oui comme toujours ! Et vous, il n'est pas un peu tôt pour être debout ? Lui demanda-t-elle en arquant un sourcil.
— Je vous retourne la question, rétorqua-t-il en ricanant de sa voix chaleureuse.
Face à cette remarque, Lycair soupira et se gratta la tête de sa main intacte.
— Pour tout vous dire, j'ai encore eu une réminiscence cette nuit, lui confia-t-elle épuisée, et celle-ci était particulièrement effrayante.
— Je suppose que c'est toujours avec la même femme ? Lui demanda-t-il en affichant un air désolé.
Cette dernière soupira et hocha la tête avant de regarder sa montre, qui afficha déjà 6 h 30.
— Je suis navré Majesté mais je vais devoir prendre congé, s'excusa-t-elle pressée. Il faut que je finisse ma course et que j'ai le temps de me préparer pour le travail.
Le roi hocha la tête et lui fit un signe de la main, et elle repartie pour terminer son objectif. Elle longea ensuite la côte est, jusqu'à atteindre le marché. Elle se dirigea vers la mer, pour s'y reposer quelques minutes, toujours en courant. Quand elle arriva à sa destination, elle expira de toutes ses forces et laissa ses muscles se détendre.
Elle inspira l'air marin et un sentiment de paix s'immisça en elle tendrement, comme une caresse réalisée par la douceur d'une plume de phécerf. Elle ferma les yeux quelques instants pour se laisser transporter par ce moment de silence qui s'offrit uniquement à elle, avant de les réouvrir pour porter son regard sur le continent abandonné qui lui faisait face. Tandis qu'elle le fixa pleinement, un flash de souvenir lui apparut furtivement. Elle y aperçu deux femmes, autour d'une table en bois, ou était disposée de la nourriture appétissante. L'une d'elles possédait une chevelure bleu nuit, tandis que l'autre...
— (C'est encore elle !)
Cette crinière écarlate, qu'elle revoyait à chaque fois que des souvenirs lui revenaient, la hantait à nouveau. S'attendant à ce que ça soit tout, elle fut étonnée quand elle entendit une phrase prononcée par l'inconnue aux cheveux bleus.
"Dis -ral... Je... revenir ?"
Sa conscience se fit transporter de nouveau dans la réalité, ce qui lui valut un léger mal de tête.
— Pff ça recommence... Et il y a cette femme aux cheveux rouges dont je n'ai même pas pu entendre le prénom, constata-t-elle en pestant.
Elle voulut creuser un peu plus cette piste, mais elle se rappela que l'école l'attendait. Persuadée qu'elle allait être en retard, elle courut aussi vite qu'elle pouvait chez elle. Elle escalada de nouveau les montagnes à une vitesse fulgurante, avant de réouvrir son immense portail et de se diriger vers sa maison.
— Aller plus vite, plus vite !
Elle enfonça sa porte d'entrée et fonça aussi rapide que l'éclair à l'étage, là où l'attendait sa salle de bain. Alors qu'elle laissa l'eau ruisseler sur son corps exténué, elle jeta un coup d'œil à sa montre, qui affichait seulement 6 h 50. Face à cette information, l'elfe rouspéta en haussant la voix tout en coupant l'eau, et sortit de sa douche en se munissant d'une serviette. Tandis qu'elle s'appliqua sa crème sur le visage, elle entendit des pas se rapprocher d'elle. Elle se retourna et baissa la tête pour se rendre compte que c'était sa jolie chienne Athéna, qui la fixait en remuant la queue.
— Coucou l'amour de ma vie, mon cœur, ma fille, l'appela-t-elle avec une voix de bébé en s'accroupissant pour la caresser. Tu as bien dormi ?
Physiquement, sa chienne faisait la taille d'un doberman et possédait des cornes de taureau, ce qui a toujours eu le don d'effrayer les gens. Cependant, son pelage grisâtre et blanc neige contrastait avec cette apparence à l'air menaçante.
— Wouaf !
— Aujourd'hui est un jour important, l'informa-t-elle en lui grattant le ventre, car c'est mon premier jour de travail.
Sa chienne grogna et lécha sa main en signe de mécontentement. Sa maîtresse leva les yeux au ciel et rigola tandis qu'elle lui caressa le visage en lui mettant ses poils en l'air.
— Oui et c'est aussi mon anniversaire, déclara-t-elle machinalement avec un sourire aux lèvres. Mais ce n'est pas le plus important, il faut que je me dépêche mon ange.
Elle lui fit un bisou sur le museau et se releva en lâchant un juron. Motivée, elle se dirigea dans sa chambre et alla se mettre une robe manche longue blanche à ourlet tombant, ou elle ajouta par-dessus un fin manteau vert gazon, dont elle laissa les manches courtes tomber élégamment sur ses épaules et son torse à la vue de tous. Elle scella le tout par un corset serre-taille marron aux motifs dorés.
Elle mit aussi des collants marron légèrement révélateur, qui montait jusqu'à la moitié de ses cuisses, avec des bottes haute de la même couleur. Elle retourna dans la salle de bain pour se mettre un rouge à lèvre rosé, qui s'harmonisait avec sa chevelure dorée, avec un fard à paupières violet pailleté, pour mettre en valeur ses yeux vert émeraude. Elle vérifia dans son miroir que son collier en obsidienne était bien présent quand son regard glissa sur son énorme cicatrice, qui partait de son torse et qui s'étendait jusqu'en bas de son ventre. Un sentiment de doute s'empara d'elle et sa bonne humeur s'évanouit en un instant tandis qu'elle continua de se dévisager.
— Peut-être que je devrais mettre quelque chose de plus couvrant... juste histoire d'éviter d'attiser les regards à cause d'elle.
Même si elle était tentée de le faire, elle se fit violence et se tapota le visage.
— Non pas question, s'ordonna-t-elle fermement. J'ai dit que cette fois tout serait différent ! Je vais m'accepter et affronter le regard des autres.
Pour terminer sa tenue, elle porta des manchettes assorties à son corset serre-taille et pris une écharpe couleur crème, en raison du froid qui faisait rage.
— Je rentre bientôt Athéna, lui promit-elle en lui donnant un baiser sur sa tête, donc surveille bien la maison pendant mon absence mon cœur !
— Wouaf wouaf !
Elle lui fit un signe de la main et referma sa porte, avant de se diriger vers son portail en or massif. Quand elle le referma, elle fredonna une chanson pour essayer de retrouver sa bonne humeur de tout à l'heure. Elle traversa son petit passage secret qu'elle avait creusé dans sa chaîne de montagne et continua son trajet. Durant son escapade, elle ne put s'empêcher d'angoisser à l'idée qu'elle fasse mal son travail et qu'elle se fasse juger de tous les côtés à cause de sa cicatrice.
— J'ai bien fait de mettre une robe, se félicita-telle à voix basse, je n'ai pas envie que l'on voit mes vergetures sur mes cotes et mon bas du dos.
Tandis qu'elle soupira de désespoir, elle jeta un coup d'œil à sa montre qui annonça...
— 7 h 40 ?! Hurla-t-elle en écarquillant les yeux.
Ses sens se mirent en alerte et elle courut jusqu'à la tour d'argent, qui se trouvait encore à cinq kilomètres. Désormais, sa quête de bonne humeur avait disparu et son seul objectif était d'arriver à l'heure tout en profitant de l'air frais qui lui foutait le visage. Quand elle arriva devant l'entrée, elle poussa la porte en argent de toutes ses forces et continua sa course dans les escaliers, pour atteindre le dernier étage. Quand elle se trouva devant sa salle, elle s'arrêta net et prit quelques minutes pour reprendre son souffle.
— Tout va bien, se rassura-t-elle peu convaincu.
Elle expira un bon coup et ouvrit la porte, le stress commençant à la manger de l'intérieur. Quand elle posa un pied dans la salle, une quarantaine de paire d'yeux se posèrent sur elle. Lycair n'eut pas le temps d'assimiler tous ces regards, qu'ils descendirent inconsciemment sur sa cicatrice.
— (Je savais que j'aurai dû la cacher...)
Elle soupira discrètement et se plaça devant le centre du tableau, arborant son plus beau sourire.
— Bonjour à toutes et à tous ! S'exclama-t-elle pour donner une impression de confiance. Je suis Lycair Howl et je serais votre professeure pour votre dernière année de couture. Le programme de cette année sera surtout de la pratique, avec peu de théorique. Il n'y aura d'ailleurs aucune notation, je vous évaluerai en fonction de vos efforts, votre travail et votre comportement.
Quand elle prononça cette phrase, certains lui firent les gros yeux pour montrer leur choc et leur incompréhension, tandis que d'autres chuchotèrent entre eux. Alors qu'elle se tétanisa, une élève aux cheveux noirs et court avec les yeux gris se leva.
— Comment t'appelles-tu ? Lui demanda Lycair intriguée.
— Elerinna, Madame !
— Lycair suffira, la rectifia-t-elle tendrement avec un sourire. Tu as peut-être une question ?
— Oui, comment sommes-nous censés savoir si nous aurons notre diplôme à la fin de l'année si nous n'avons pas de notes ?
Amusée par la question prévisible de son élève, Lycair ne put s'empêcher de ricaner, avant de s'asseoir sur son bureau et de croiser ses jambes, pour les balancer dans le vide. Si de l'extérieur son attitude ressemblait à quelqu'un qui avait confiance en elle, intérieurement, elle choisissait chaque mot avec précaution tandis que le stress la rongea.
— Vu les réactions, je suppose que cette question brûle sur les lèvres de tout le monde, alors je vais clarifier mes propos. Je trouve que les notes sont stupides et qu'elles freinent le potentiel des élèves, leur confia-t-elle préoccupée. En plus de ça vous développez pour certains, un stress qui va vous dévorer de l'intérieur, et je ne veux pas ça dans mes cours. Ce que je veux, c'est que vous apprenez en vous amusant, que vous profitez de cette dernière année avant de trouver votre premier travail, et que vous aimez ce que vous créez. Je veux être là pour vous et vous aider, quelles que soient les difficultés que vous rencontrerez. Je veux instaurer une relation de confiance entre vous et moi, et mon but n'est pas que vous veniez avec la boule au ventre dans ma classe, termina-t-elle d'une voix chaleureuse.
Tous sans exception écarquillèrent leurs yeux de stupeur face à la réponse de leur professeure. Que ça soit dans son regard ou dans le ton de sa voix, ils virent qu'elle était sincère, et ça leur mettait du baume au cœur. Elerinna hocha la tête en signe d'approbation, émut par ce qu'elle venait d'entendre.
— Bien, avant de commencer, je voudrais que vous fassiez une petite fiche sur vous, histoire que je vous connaisse mieux. Je voudrais votre nom, prénom, votre situation familiale, seulement si vous le souhaitez, mais surtout, n'oubliez pas votre anniversaire, les prévint-elle en cherchant un stylo. Je vais aussi en faire une, comme ça je joue aussi le jeu.
— Pourquoi notre anniversaire ? Demanda un garçon aux cheveux bruns.
— Si je vous le dis ça ne sera plus une surprise non ? Répliqua-t-elle avec un clin d'œil.
La classe rigola et commença leur petite fiche. Cinq minutes après, Lycair les ramassa et débuta le cours jusqu'à 10 h.
— On fait la pause, déclara-t-elle en posant son feutre.
Elle se retourna et vit qu'ils la regardèrent en fronçant les sourcils.
— Vous ne sortez pas prendre l'air ? Leur demanda-t-elle en arquant un sourcil.
Ils se regardèrent en silence, avant qu'Elerinna ne reprenne la parole.
— On peut vraiment faire une pause ? Vous en êtes sûr ?
— Eh bien je ne vous force pas, commença-t-elle avec hésitation, mais je pensais que vous préfériez en faire une, histoire de vous détendre avant qu'on ne reprenne.
Elle les regarda d'un air inquiet tandis qu'ils continuèrent de se fixer dans le blanc des yeux, toujours choqués.
— (J'ai dit une bêtise ou quoi ?)
Ils reportèrent leur attention sur elle, avant de sourire de toutes leurs dents et de crier de joie. L'elfe sursauta et regarda Elerinna avec incompréhension. Tandis que les autres se précipitèrent vers la porte pour aller dans les couloirs, son élève vint à sa rencontre, un petit sourire aux lèvres.
— On dirait que je leur ai donné le Graal alors que j'ai juste proposé une pause, lui confia-t-elle encore perdue par ce qu'il venait de se passer, c'est normal où je dois m'inquiéter ?
Elerinna ricana avant de se pencher vers l'embrasure de la porte, pleine d'éphorie.
— Les gens on maintient ce qu'on a dit ? Demanda-t-elle avec un clin d'œil.
— Ça dépendra de ses réponses ! Cria l'une de ses camarades au fond du couloir.
Elerinna afficha un air satisfait avant de se retourner vers Lycair, qui attendait toujours sa réponse.
— Pour répondre à votre question, c'est tout à fait normal, lui confia-t-elle en s'adossant à côté d'elle sur son bureau. Vous savez, en 599 ans d'études on n'a jamais eu droit à une pause, parce que les profs nous considèrent assez "adultes" pour pouvoir travailler sans relâche. Mais on est encore des enfants en soi. Et même quand on sera dans le monde du travail, nous resterons des enfants au fond de nous, comme chaque personne qui vit sur cette planète.
Elle tourna sa tête vers Lycair et la regarda inquiète, comme si les questions qu'elle allait poser et les réponses de son enseignante à celle-ci allait être décisives d'une quelconque manière.
— Est-ce qu'on continuera à faire des pauses tous les jours ?
— Ce n'était pas prévu que j'arrête, lui avoua-t-elle avec honnêteté.
— Est-ce que vous pensiez ce que vous avez dit tout à l'heure ?
— Les actions valent plus que les mots, donc je vous le prouverai au cours de cette année, enchaina-t-elle de plus en plus stressée.
— Et pour finir...
Lycair déglutit et la regarda avec une goutte de sueur sur la tempe.
— Pourquoi êtes-vous professeure ?
Elle écarquilla les yeux et resta de marbre face à sa demande. Elle soupira et détourna son regard pour fixer le sol et se plonger dans ses pensées.
— (Pourquoi... je suis devenue professeure ?)
Au fur et à mesure de ses souvenirs remontèrent à la surface, son stress se transforma en une profonde mélancolie qui la dévora lentement et des larmes commencèrent à lui embrumer la vue. Elle renifla et déglutit, tou en continuant de scruter le sol pour éviter de croiser son élève du regard.
— Quand je suis entrée pour la première fois à l'école, on a commencé à me harceler pour ça, lui confia-t-elle en pointant du doigt sa cicatrice, et ce jusqu'à la fin de mes 600 années d'études. Le pire, c'est que je n'avais personne à qui me confier, ni amis, ni enseignants.
— Mais qu'en est-il de vos parents ? Lui demanda son élève qui culpabilisa.
Elle ricana tendrement avant de s'amuser avec sa bague en or, qui se trouvait sur son pouce.
— Nous n'avions pas une très bonne relation eux et moi, lui avoua-t-elle d'une voix frêle, c'est pour ça qu'ils n'étaient au courant de rien. Tous ces éléments ont fait que j'ai très mal vécu mes études.
Elerinna la regarda d'un air désolé, ne sachant quoi dire.
— Mais malgré l'adversité, j'ai quand même réussi à aller jusqu'au bout, continua-t-elle avec une pointe de timide satisfaction. Tu veux savoir pourquoi je suis devenue enseignante ? Voilà ta réponse.
Les bruits s'étaient évanouis comme la brume dans ses yeux, car ses élèves s'étaient collés contre le mur du couloir pour écouter leur conversation, jusqu'à en retenir leur souffle.
— Je fais ce métier parce que je veux être l'enseignante que je n'ai jamais eue, celle que j'aurais aimé avoir pu considérer comme une amie. Je veux transmettre aux élèves le plaisir d'apprendre et de pratiquer. Je veux être présente pour ceux qui se sentent seuls le soir chez eux, et qui n'ont personne à qui parler. Je veux être quelqu'un de confiance pour ceux qui ont besoin de partager leurs joies, leurs peines et leurs frustrations. Je souhaite que les élèves puissent se sentir en sécurité avec moi.
Elle releva enfin la tête, pour plonger ses yeux déterminés dans les siens.
— Voilà pourquoi j'enseigne.
Elle leva et se dirigea vers la fenêtre pour admirer le paysage, tout en caressant sa pierre d'obsidienne autour de son cou. Elerinna tourna sa tête vers ses camarades et leur fit signe de retourner à leur place. Leur professeure fixa les cerisiers roses quelques instants avant de soupirer et de pivoter vers eux.
— Bien ! Reprit-elle en claquant dans ses mains. Et si on reprenait ? Je vous rappelais que...
Ainsi, ils reprirent leur leçon sur cette note confuse. Les élèves étaient mitigés entre excitation et tristesse, tandis que leur enseignante ressentit toujours de la mélancolie et du stress. Durant les deux heures restantes avant le déjeuner, elle leur fit revoir les bases avant de commencer par la création de leurs tenues pour le bal des elfes qui se déroulait dans cinq mois. Pendant le repas du midi, elle feuilleta les fiches de ses protégées avec le sourire aux lèvres quand elle surprit la conversation de deux hommes dans le couloir.
— Tu penses que notre nouvelle collègue va tenir combien de temps ?
— (Mhm j'ai l'impression que ça parle de moi.)
Elle posa ses fiches et continua de manger ses choux en concentrant son attention sur leur voix.
— Une semaine, grand maximum, répondit son collègue en pouffant de rire. En plus, j'ai entendu dire qu'elle n'attribuait pas de note, tu te rends compte ? Comment espère-t-elle évaluer leur potentiel sans les noter ?
— Tu sais après tout, c'est une femme, lui répondit-il jugeur tout en poussant la porte pour entrer dans la salle où se trouvait la principale intéressée.
— (Toi je vais me faire un plaisir de te briser ton ego surdimensionné.)
Quand ces derniers s'aperçurent de sa présence, ils se turent immédiatement et la regardèrent s'approcher d'eux, le sourire aux lèvres.
— Bonjour, je me nomme Lycair Howl, je suis la nouvelle professeure de couture, déclara-t-elle en tendant sa main ouverte vers eux.
Ils ne répondirent pas et se contentèrent de la mépriser en quittant la pièce. Sentant sa colère monter, Lycair s'imagina inconsciemment se battre contre eux jusqu'à ce qu'ils s'excusent.
— La prochaine fois je les remets à leur place ces machos.
Elle retourna à son occupation pour se vider l'esprit et se détendre.
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— J'adore la couleur, s'extasia Lycair avec des étoiles dans les yeux, relève légèrement l'épaulette gauche, attention le sous-ton est différent. (Ils sont très doués, je suis heureuse de les avoir avec moi.)
Après la pause-déjeuner, elle avait repris son cours à l'étage au-dessus, dédié plus à la pratique qu'à la technique. Ainsi, elle passa dans les rangs pour aider ses élèves avec leurs travaux. Elle s'apprêta à retourner au fond de la salle pour les laisser faire quand ils se stoppèrent net et la regardèrent avec un sourire.
— Lycair, fermez les yeux s'il vous plaît, la supplia l'un d'entre eux.
— Je peux savoir pourquoi ? Demanda-t-elle en arquant un sourcil.
Elerinna se dirigea vers leur enseignante et lui prit le bras pour la traîner hors de la pièce.
— Ne posez pas de question Lycair et fermez les yeux.
— À vos ordres mon caporal ! Ricana-t-elle avec appréhension.
Tandis qu'elle mit une main sur son visage, ses élèves essayèrent de sortir quelque chose de très grand de la réserve. Quand ils réussirent, ils vérifièrent de tout était en ordre, avant de donner le signal à Elerinna.
— Venez Lycair, on va retourner dans la salle, mais surtout gardez les yeux fermés !
— Bien cheffe !
Pour se guider, elle se servit d'une ses deux mains qu'elle fit glisser contre le mur. Elerinna la plaça en face de l'objet qui était recouvert d'un grand drap blanc, en tremblant de stress et d'excitation.
— Vous pouvez ouvrir les yeux, dit-elle tendrement.
L'elfe s'exécuta et porta instantanément les mains à sa bouche pour exprimer son choc.
— JOYEUX ANNIVERSAIRE LYCAIR ! Crièrent-ils à l'unisson en levant leur bras.
Son regard tomba automatiquement sur une robe bleu ciel, sur un mannequin de la tour.
— Au nom du roi...
Choquée, elle s'approcha de cette merveille en tendant sa main lentement, comme si elle était fragile. Le bustier en forme de cœur, tout comme la pièce entière, était orné d'un assortiment de fleurs blanches et la taille était cintrée, de sorte à ce que le vêtement la mette en valeur. Des manchettes ballons courts et transparentes, se trouvèrent au même niveau que sa poitrine. La robe étant à ourlet tombant, elle frôla le sol et laissa entrevoir ses jambes. Pour finir, un léger voile transparent recouvrait le bas de la robe.
— Quand la directrice nous a annoncé qu'on allait avoir une nouvelle professeure, on lui avait demandé le maximum d'information sur vous, notamment votre anniversaire, votre apparence et vos intentions, expliqua Olmar, un élève roux. Cependant, elle n'arrivait pas à nous expliquer votre personnalité, donc on était assez mitigé par rapport à ce cadeau.
— Mais on a eu une intuition, continua Elerinna stressée, alors on a décidé de vous faire un cadeau. Quand on a vu votre fiche, beaucoup d'entre nous ont été émus.
— Mais ce qu'on n'avait pas prévu, termina une fille aux cheveux bruns et lisses, c'est votre cicatrice et le fait que vous ayez du mal à l'accepter. C'est pour ça qu'on espère qu'elle vous plaît malgré ce léger imprévu...
Aucun mot ne sortit de sa bouche, car peu importe ce qu'elle allait dire, ça ne sera pas suffisant pour exprimer sa gratitude envers ses élèves qu'elle ne connaissait que depuis ce matin. Seul des larmes de joie et de reconnaissance embellissaient ses joues, ce qui fit paniquer ses élèves qui se précipitèrent vers elle.
— Madame qu'est-ce qui ne va pas ?
Elle essaya d'essuyer ses larmes, mais elles revinrent en amont, ce qui compliqua sa tâche.
— J-Je ne sais pas quoi dire... Vous ne pouvez pas savoir à quel point ce présent compte pour moi. J'ai l'impression de recommencer mes études de zéro, et de vivre réellement.
Elerinna la prit dans ses bras, bientôt suivis par les autres. Lycair, qui avait ressenti du stress constamment durant cette journée, se laissa bercer et enlacer par la chaleur et la joie réconfortante que lui transmit ses élèves.
— Et si vous alliez l'essayer, lui proposa Elerinna en lui caressa le dos, il y a la réserve si vous voulez. La fenêtre est placée de sorte à ce qu'on ne voit que votre tête.
L'elfe se défit de son étreinte et hocha la tête en souriant timidement, avant de partir avec le mannequin dans la petite pièce. Elle ferma la porte à clé et enleva ses vêtements, avec la pluie et la foudre en fond. Instinctivement, elle entrouvrit la fenêtre et laissa l'odeur de l'humidité se glisser dans chaque parcelle de son corps.
— J'adore la pluie, elle me rappelle que la vie est toujours possible.
Tandis qu'elle termina de mettre sa robe, un bruit retenu son attention. Elle se précipita vers la fenêtre et vit que la foudre était devenue rouge écarlate.
— Comment c'est possible ? Marmonna-t-elle en écarquillant les yeux.
Alors qu'elle pensait avoir tout vu, une lueur rouge brillait de tout son éclat vers les volcans du Paradis Animalier.
— Qu'est-ce que c'est que ça... ?
Alors qu'elle plissa les yeux pour essayer de voir la scène plus en détail, elle se pétrifia sur place.
— C'est quoi... cette sensation étrange ? Se demanda-t-elle tremblante.
Le fait que la lumière soit rouge n'avait rien d'impression d'un certain coté, car ce qu'il était, c'était cette gigantesque explosion de la même couleur qui engloba presque la moitié du continent. Alors qu'elle espérait entrevoir les dégâts malgré la distance, au même moment de l'impact, un fragment de souvenirs apparu dans la mémoire de Lycair. Mais contrairement à d'habitude, elle n'entendit que des voix.
" ...ral, qu'est-ce... fais ?"
" Je n'ai... choix, Lycair. Je ferais tout... -vives... e...miner même si... ifier."
" Pourquoi tu as... fissures sur ton corps ?"
" Pardonne-moi..."
La conscience de Lycair retourna violemment dans son corps, ce qui la fit tanguer et heurter le mur derrière elle.
— Tout va bien là-dedans ?! Demanda Elerinna alarmée.
Aucun son ne parvint à franchir ses lèvres tandis qu'elle resta collée contre le mur, avec seulement une larme qui glissa sur sa joue.