Sa pile de grimoires cacha le haut de son corps, et l'empêcha de voir l'homme qu'elle percuta.
— Aïe !
Ses livres s'écoulèrent sur le sol terreux de la Tribu des Elfes, et l'inconnu se précipita pour aider la sorcière.
— Pardon, je ne vous avais pas vu ! s'excusa-t-elle paniquée. J'étais dans mes pensées.
— Non c'est ma faute, j'aurais dû être plus vigilant, la rassura-t-il avec gentillesse.
Alors qu'il ramassa le dernier ouvrage, il remarqua la phrase incrustée sur le sein gauche de la divinatrice.
"Mon âme sera toujours avec toi."
— C'est un très beau tatouage, la complimenta-t-il d'une sincérité sans vice. Est-il symbolique ?
— C'est ce que m'a dit ma défunte femme avant de mourir dans mes bras, l'informa-t-elle avec une pointe de tristesse.
— Je n'aurais pas dû vous poser cette question indiscrète, culpabilisa-t-il honteux. Je m'en excuse, et toutes mes condoléances.
— Vous ne pouviez pas savoir. Passez une bonne journée, lui souhaita-t-elle détachée.
— Mélancolique, la divinatrice emprunta le pont elfique avant de se téléporter chez elle.
— Stella, Athéna, je suis rentrée !
Voilà quarante-deux millénaires qu'un silence pesant suivit cette phrase, que la faux prononça à chacune de ses sorties. Quelques mois après la mort de Lycair, Athéna s'était laissé mourir de tristesse et de désespoir. L'émanatrice lui donnait à manger tous les jours, la promenait en espérant lui changer les idées. Mais elle finissait toujours par se coucher au pied de la pierre tombale de sa maîtresse. Quant à Stella, elle mourut de vieillesse, alors qu'elle dormait paisiblement dans les bras de la joaillière. Alors qu'elle cuisina après avoir rangé ses grimoires, son regard s'arrêta sur le couteau posé sur son plan de travail. Lentement, elle le saisit par le manche en obsidienne, maintenant son arme à un cheveu de son bras fissuré.
— (Plus personne n'est là pour m'en empêcher désormais, non... ?)
Tremblante, elle posa la lame sur sa peau en laissant une larme ruisseler sur son visage cerné, et resta immobile quelques instants...
Avant de le reposer sur le comptoir.
— (Je te l'ai promis, je ne peux pas faire ça...)
Elle soupira en ravalant ses larmes et alla chercher son livre mémoriel, avant de sortir prendre l'air. Assise sur sa table ronde baroque, protégée par une grande ombrelle violette, la sorcière feuilleta les premières photos sans vraiment les regarder. La pluie s'abattit d'une douceur trop familière en compagnie de la foudre écarlate, avant que la faux du silence ne se lève pour se diriger vers la tombe de sa femme, qu'elle avait construite près de son banc en pierre. Cependant, la sienne séjourna à ses côtés.
" Hucral, elle est l'une de mes sujets
qui a forgé nos légendes. Laissez-moi
l'enterrer ici je vous en prie."
" Je vous interdis de me prendre
ma femme ! Ne la touchez pas,
ou cette planète finira en cendre de mes mains."
— J'aurais dû mourir depuis bien longtemps, lui avoua-t-elle en sentant la pluie s'abattre sur son visage. Mon corps est ici, mais mon âme est désormais avec toi... Je ne t'oublierais plus jamais mon amour. Je n'oublierais plus rien.
Elle déposa son bouquet de la semaine au pied de la pierre et l'embrassa, avant de retourner chez elle d'une marche nonchalante.
— Tu disais que j'étais un papillon... comme toi. Pourtant un cygne serait plus exact. Quand ils perdent le seul partenaire de leur vie, ils s'envolent aussi haut qu'ils le peuvent, mourant ainsi dans leur chute... Un phénix et un cygne... quel beau mélange tragique...
Quand elle reprit place sur sa chaise blanche en métal, elle cala sa tête sur sa main et sauta les pages pour arriver à la dernière, le jour où elle est partie.
— Et dire que c'est moi qui l'ai tué... Je veux dire, je ne l'ai pas vraiment tué, mais disons que parfois je laissais le destin faire. Combien de temps ai-je attendu... Pour acquérir cette mémoire sans limite ?
Perdue dans ses pensées, elle remua son thé noir, brûlant malgré l'humidité.
" Sur notre planète, elle est appelée l'émanatrice du néant."
— J'espère que tu n'en veux pas... d'avoir manipulé tes réminiscences lors de cette soirée, marmonna-t-elle en laissant une larme couler.
Un long silence s'écoula avant qu'elle ne soupire, et sirote son thé.
— Mhm ce surnom n'est pas faux, mais pas vrai non plus, réfléchie-t-elle pensive. Si ma mémoire est bonne, ils m'appelaient...
La divinité omniprésente.
Alors qu'elle touilla sa boisson encore trop chaude, elle releva la tête pour inspirer l'humidité dans l'air, avec la foudre écarlate en bruit de fond. Elle caressa la dernière photo de son album, écoutant la voix de sa petite amie.
"Je t'aime Hucral."
Un faible sourire se dessina sur son visage, avant qu'il ne disparaisse quand elle se replongea dans ses pensées.
— J'ai dû ramener cette faille, c'était la seule solution... Même si plus exactement ça serait "la moi du futur". J'ai essayé je ne sais combien de fois, mais JE n'avais pas le choix. Grâce aux souvenirs que tu as retrouvés, tu incarnais la finalité dès que ton âme avait refait surface en tant que protectrice de la mémoire, mon amour... Mon acquisition constante de souvenirs éternels m'a permis de clore cette boucle qui nous liait et d'augmenter mon contrôle sur tout ce que J'AI créé.
Un long silence suivit sa déclaration, alors que ses émotions s'éteignirent lentement à petit feu, disparaissant comme les étoiles filantes.
— Ça ne va pas se terminer comme ça... Car toi comme moi savons que ce n'est pas la véritable fin, n'est-ce pas ? s’assura-t-elle en... me souriant ?