TW: pendaison, lacération.

Recommandation playlist: Rondo Across Countless Kalpas.

— Tu attends quelqu'un ?

La sorcière releva la tête et plongea son regard dénué de toute lueur dans le sien, avant de secouer faiblement la tête.

— Dans ce cas... m'accorderais-tu cette danse ? Lui demanda-t-elle sensuellement en lui proposant sa main.

La femme aux cheveux écarlates la regarda quelques instants avant de prendre sa main et de se laisser embarquer au centre de la piste, animée par quelques danseurs. Un groupe de personnes arrêta leur conversation et reportèrent leur attention en direction de cette dernière, leurs verres à la main. Les élèves de Lycair les scrutèrent avec de grands sourires, tandis que deux autres ouvrirent la bouche.

— C'est la femme qui a plaqué le prof contre la table ! Percuta l'un d'eux en la pointant du doigt.

— C'est mal poli de pointer du doigt imbécile ! Rouspéta une autre en lui donnant un coup sur la tête.

Tandis que ses deux camarades s'insultèrent, Elerinna regarda son enseignante avec un doux sourire, puis reporta son attention sur Olmar en arborant un sourire mesquin.

— Balance le fric, lui ordonna-t-elle en lui en faisant un signe de la main.

— Tu peux toujours rêver, pouffa-t-il en arquant un sourcil, ce n'est pas parce qu'elle invite une inconnue à danser qu'elle aime forcément les femmes.

Elle leva les yeux au ciel et regarda les deux enseignantes, dont elle pouvait déjà sentir une étrange tension entre elles. Alors que la femme aux cheveux écarlates n'avait pas de but particulier, celui de Lycair était de la distraire pour fouiller librement dans ses souvenirs et ainsi obtenir des réponses à ses questions.

— (Mon regard s'est attardé sur elle depuis un bon moment, et ce soir j'initie enfin notre premier échange.)

Tandis qu'Hucral se contenta de la fixer, immobile, Lycair lui tourna autour avant de caler sa poitrine contre son dos et de faire remonter ses mains le long des bras de sa cavalière. Quand l'elfe lui attrapa les épaules, un projecteur dont la couleur était semblable à celle d'un coucher de soleil se braqua sur elles, attirant ainsi l'attention de tous les danseurs, qui s'arrêtèrent. 

Face à ce contact, le corps de la sorcière frissonna de toute part et elle tourna automatiquement sa tête vers elle, sentant le souffle chaud de Lycair cogner contre sa nuque. Leur visage étant seulement à quelques centimètres de distance, une lueur de vie illumina les yeux de la faux du silence, comme si sa conscience était revenue l'espace d'un court instant. 

Alors que le piano à queue et les instruments à cordes frottées s'étaient arrêtés, ils reprirent leurs somptueuses mélodies au moment où Lycair replaça Hucral face à elle afin de faire bouger leur corps avec sensualité et élégance. L'elfe plaça sa main sur la taille de sa partenaire et guida leurs pas au rythme de la musique, avant de faire glisser son autre main sur son visage soyeux.

 Son regard s'embrasa face à cette proximité et elle exécuta une saccada avant, toujours main dans la main avec sa cavalière. Cette dernière la ramena vers elle en lui faisant faire une saccada arrière, avant de rattraper la divinatrice, qui s'inclina en arrière.

— À cette distance... tu es plus enchanteresse que tu n'en as l'air, lui déclara-t-elle sensuellement.

Elerinna écarquilla les yeux et regarda ses camarades, qui tirèrent la même tête. Quand Lycair releva sa cavalière, elles réalisèrent un lápiz1 et la sorcière enchaîna avec une cucharita2 sans se laisser perturber par ses cheveux qui commençaient à tomber, et la longue robe de l'elfe, qui aurait pu lui compliquer la tâche. 

De plus en plus impliquée dans sa quête de réponse, Lycair fit faire une pirouette à Hucral avant de s'incliner pour lui embrasser la main, tout en retroussant la manche de son costard. Cependant, quand ses iris émeraudes tombèrent sur des étranges marques écarlates sur son bras, la joaillière retira sa main d'un coup sec.

— (Dans ce jeu, tout le monde ment...)

L'elfe rattrapa sa main et lui fit faire undemi-tour de sorte à ce qu'elles soient face à face. La piste de danse quiétait devenue silencieuse durant quelques secondes, redevint animée au son desviolons, rejoint dans la foulée par les violoncelles. Les deux femmesexécutèrent une marche en contre déboîté3, et Hucral jeta sa têtesur le côté au rythme de la musique, laissant son chignon s'écrouler élégamment et ainsi révéler sa longue chevelure. 

— (Mais pas les souvenirs.)

Olmar sautilla sur place en comprimant les mains d'Elerinna, la bouche grande ouverte.

— Olala la dinguerie ! Commenta-t-il tout bas.

Elerinna hocha la tête tout en fixant la piste de danse de ses gros yeux. Le brouhaha s'arrêta lui aussi et les gens interrompirent leurs conversations pour les fixer, ahuris. Quand Lycair assista à ce mouvement fluide, elle écarquilla les yeux et ne put s'empêcher de rougir face à cet imprévu. 

Toutefois, elle reprit ses esprits pour joindre leurs mains pour réaliser une llevada4, avant qu'Hucral ne les lâches pour faire un double tour et se rapprocher de nouveau d'elle, en passant son bras derrière sa nuque.

— De mieux en mieux, n'est-ce pas ? Constata Lycair suavement, son visage proche du sien.

Tandis qu'elles joignirent de nouveau leurs mains, le public sirota leurs verres et chuchota, tout en les fixant avec admiration, jugement, et pour certains de la jalousie. Quant au roi, qui s'ennuyait à mourir avant leur apparition sur scène, il s'avança sur son siège et resta captivé par ce qui se déroulait sous ses yeux avec un grand sourire, comme s'il était leur fan numéro un. Du côté de Lycair, elle commença à entrevoir des bribes de souvenirs, qu'ils lui apparurent sous forme de contours étoilés.

— (Tout le monde a un passé, et le passé façonne le présent...)

Elle y reconnut la sorcière, qui était devant une tombe, mais aussi face à la mer en compagnie d'une sorte de fantôme, protégée par un parapluie en tissu aussi écarlate que ses cheveux.

— (Certaines personnes s'accrochent aux souvenirs, tandis que d'autres sont hantés par eux, incapable de s'en échapper.)

L'elfe laissa la sorcière s'échapper de son emprise pour qu'elle puisse s'éloigner en tournoyant, ce qui fit lâcher à certains du public un sifflement d'admiration.

— (C'est pour ça que j'ai décidé d'agir ce soir.)

Ainsi, elles se tournèrent autour à une distanceraisonnable, qui fut vite réduite par le rapprochement de leur corps. Lasorcière passa son bras derrière la nuque de sa cavalière, tandis que cette dernière passa son bras sous sa poitrine. 

— (Je veux savoir ce qu'elle est...)

La sorcière s'inclina de nouveau, mais contrairement à tout à l'heure, elle écarquilla les yeux et devint légèrement rouge, comme si elle l'avait entendue. La mâchoire d'Elerinna tomba au sol et elle secoua le bras de son camarade ahurit, pour montrer son excitation.

— Elles sont tellement proches ! Susurra-t-elle de sa voix aiguë.

Elle sautilla de joie discrètement pour éviter d'attirer l'attention sur elle, le sourire jusqu'aux oreilles. Lycair releva Hucral et la laissa se glisser derrière elle pour qu'elle attrape sa main afin de l'attirer vers elle, et ainsi prendre l'autre. La mélodie des violons monta crescendo tandis que leur corps et leur âme se scellèrent dans cette danse endiablée.

— Beaucoup ont été attirés par cette fête...

Alors qu'elles réalisèrent une cadena5 pendant qu'elles tournèrent, l'atmosphère qui était déjà électrique, le devint encore plus quand la voix claire de Lycair s'éleva dans les airs pour briser ce silence pesant entre elles.

— Les fées, les elfes, les vampires, les humains et... les trolls.

À l'entente de ce nom, une lueur de rage habita le regard froid de la faux du silence, et la musique s'arrêta un instant, ce qui rendit la tension palpable.

— Ils auraient dû être présents, mais... L'un de leur chef est mort, l'accuse-t-elle au même moment où la musique reprit, et j'ai comme l'intuition que tu y es pour quelque chose.

Lycair scruta Hucral d'un air enchanteur, appréhendant la réaction de sa cavalière face à ce qu'elle allait lui dire.

— Qu'as-tu fait... belle « sorcière » ?

Elle transporta sa conscience dans celle de la joaillière, quand celle-ci prit la parole pour la première fois.

— Excuse-moi... C'est à moi que tu poses la question ?

Lycair tomba dans un endroit qui ressembla à unemer infinie et elle écarquilla les yeux à cause de l'oppression que cegigantesque trou noir exerça sur elle. Ne sachant pas s'il était près ou loind'elle, elle se releva prudemment et marcha quelques instants sur l'eau avant de se prendre les pieds dans un objet lourd. Elle siffla de douleur et regarda ce qu'elle venait de heurter, avant de hoqueter de choc et de porter ses mains à sa bouche. 

— Un cadavre...

Alors qu'elle en resta tétanisée, une goutte tomba du ciel et éclaboussa ses pieds. Elle releva la tête et resta pétrifiée face à ce qu'elle observait, son estomac commençant à se tordre dans tous les sens.

— Qu'est-ce qui m'a pris... ? Se demanda-t-elle à voix basse.

Des centaines de cadavres accrochés à des fils écarlates constellèrent le ciel, dont certains étaient pendus par les mains, les pieds, et même les parties génitales. Elle se retourna, dos au trou noir, et vit des montagnes de dépouilles agglutinés les uns sur les autres à l'horizon, qui lui donnèrent l'impression que même l'odeur de la mort les accompagnait. 

Alors qu'elle ne pensait pas pouvoir être plus choquée par ce lieu qui dégageait une aura morbide, elle se rendit compte qu'elle ne marchait pas sur de l'eau, mais du sang, ou elle y discerna des corps morcelés. Sa cage thoracique se comprima et une envie de vomir lui prit violemment les tripes face à ce silence mortellement angoissant, dont seules les gouttes de sang qui s'écoulèrent se firent entendre.

— Regarder qui voilà, s'esclaffa une voix familière lointaine. Une protectrice de la mémoire~...

La principale concernée écarquilla les yeux et elle se sentit flancher tandis qu'elle n'arriva pas à discerner d'où provenait cette voix.

— Montre toi ! Ordonna-t-elle en regardant autour d'elle. Quelle horreur, il y a en a tellement.

— Tu trouves ? Personnellement, j'adore cette vue. Je trouve qu'elle dégage une ambiance morbide, lui confia-t-elle en lui attrapant les épaules.

Lycair sursauta et tourna sa tête pour tomber nez à nez avec... elle ?

— La joaillière... ?

— Que me vaut l'honneur de ta visite, protectrice de la mémoire ? Es-tu venue ici pour oser satisfaire ta curiosité à propos d'ELLE ? L'interrogea froidement l'entité en lui attrapant le menton.

À la merci de cette étrangère, l'elfe ne put réprimer un mouvement de recul, qui trahit sa panique grandissante.

— (J'ai fait une grave erreur. Tout le monde a un passé, mais pour certains... leur passé est un abîme silencieux, rempli de ceux qui s'y sont noyés.)

Le clone de la femme aux cheveux écarlates surgit derrière elle au moment où une phrase apparue devant l'enseignante, qui ne l'entendit pas.

" Au plaisir de te retrouver."

Inconsciemment, une larme glissa le long de sa joue et elle fronça les sourcils, ne comprenant pas pourquoi son corps avait réagi ainsi.

— P-Pourquoi je pleure ?

— Cela doit te rappeler des souvenirs, n'est-ce pas ? Lui murmura-t-elle au creux de son oreille.

Elle sursauta de nouveau et fit face à cette femme étrange qui était aussi bien similaire qu'opposée à sa cavalière, ce qui la gardait dans une confusion constante.

— Qui es-tu ? Lui demanda-t-elle subitement.

Le double de la sorcière ricana avant lui prendre la main et de glisser l'autre dans son dos, comme si elle aussi voulait danser.

— Tu le découvriras bien asses tôt ma chère ne t'en fais pas. En attendant, que dirais-tu d'une descente dans le néant ?  Lui proposa-t-elle d'un sourire psychopathe.

Sur cette question rhétorique, le sosie d'Hucral la poussa dans le vide qui s'était formé sous ses pieds et arracha un hurlement de terreur à Lycair, qui sombra. Dans sa chute qui sembla sans fin, elle sentit son corps, bien qu'immatériel, se faire lacérer jusqu'aux os, être immoler par l'eau, le feu, jusqu'à lui broyer chaque cellule de son organisme. Le clone réapparut et l'attrapa par les bras, avant de lui arracher la peau en lui tirant la tête. 

Dans cette danse mortelle dans le néant, l'entité guida brutalement le corps de l'elfe, qui se fit projeter sur cette mer écarlate avant de disparaître. Quand le trou noir l'engloutit presque entièrement, elle transporta de nouveau sa conscience dans la réalité, ou l'orchestre avait fini sa mélodie, annonçant la fin de leur danse. Devant leur prestation poignante, le public n'osa pas faire le moindre mouvement et en resta sans voix, tout comme ses élèves. 

Il semblait que pendant qu'elle subissait des horreurs, ce fût Hucral qui avait pris les rênes, jusqu'à la dernière seconde. Ses cheveux écarlates étaient de nouveau rassemblés en un chignon aux allures baladeur, alors que sa chevelure dorée traîna sur le sol, tandis que son corps fut maintenu par la main de la sorcière dans son dos, qui avait tendu son autre bras élégamment. 

Traumatisée et désorientée, la vision trouble de Lycair redevint nette et elle haleta, des gouttes de sueur qui perlèrent sur son front. Alors qu'elle se demanda où sa cavalière trouvait toute cette force pour la tenir d'une main et l'empêcher de s'écrouler sur le sol, elle remarqua qu'elle possédait ce même regard que lors de leur première rencontre dans la tour d'argent, froid et vide.

— Qui est... le chef des trolls ?

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Lápiz1 : cercle dessiné sur le sol avec la jambe libre du cavalier pendant l'exécution d'un tour.

Cucharita2 : consiste à « cueillir » le pied de la cavalière avec le sien, pour le faire se lever.

Marche en contre déboîté3 : Tandis que le cavalier fait une marche rapide, la cavalière réalise une marche rapide arrière en même temps. Leur pointe de pieds se frôle à chaque pas.

Llevada4 : mouvement exécuté avec la jambe ou le pied du cavalier, pour « emporter » la jambe de la cavalière sur le pas suivant.

Cadena5 : figure consistant en une alternance de mouvement identiques réalisés par l'homme et la femme donnant l'impression de s'emboîter au niveau des pas.