— Sans ? appela une voix plus loin. Tu es là ?
Il passa la tête hors de sa cachette et croisa le regard de Toriel, toujours en tenue de cuisine. Elle soupira, rassurée, et s'approcha.
— Tu as fait une sacrée frayeur à ton frère. Il ne t'a pas trouvé dans la chambre quand il est venu te réveiller.
— Eh, désolé. Vous aviez l'air occupés tous les deux, je n'ai pas voulu déranger. Et puis, j'avais besoin de réfléchir un peu.
— C'est cette histoire d'explosion qui t'inquiète ?
— Non. Enfin, oui, ça en fait sans doute partie, mais... Je commence à m'inquiéter pour le gamin. J'ai... J'ai essayé de le dissuader de combattre Asgore et de rester, et je commence à me dire que j'aurais peut-être dû insister plus. Qui sait ce qui peut arriver là-haut.
— Frisk doit être déjà en train de concocter un plan, je n'en doute pas.
— Oui, mais... Est-ce que tu ne t'es jamais demandé ce qui avait poussé ce gamin à venir ici ? J'ai... J'ai vu les autres. Je sais à quoi ressemble un gamin apeuré tombé par accident ou un gamin qui connait les vieilles légendes et déterminé à en découdre, mais... Frisk est différent. Je ne pense pas qu'il était là par hasard, ni par envie d'en découvrir plus. Son regard...
Toriel détourna la tête, et serra les poings, ébranlée. Sans l'interrogea du regard.
— Je... Je comprends ce que tu veux dire, répondit-elle d'une voix tremblante. Ce regard, je l'ai déjà vu, il y a très, très longtemps. Chara avait subi de mauvaises choses là-haut. J'ai mis du temps à m'en rendre compte. Mais cette manière qu'elle avait de cacher ses yeux, de reculer dès que quelqu'un faisait un geste brusque... Et puis elle a changé quand elle a commencé à sympathiser avec Asriel, Asgore et moi. Mais ce premier regard, il s'agissait de celui d'une personne qui est résignée à mourir.
— Oui. Je ne pense pas qu'il a eu autant de chance à la Surface qu'ici. Et puis... Je pense avoir entraperçu des cicatrices dans son dos qui ne me disent rien qui vaillent. La manière dont il pleurait en silence également, plusieurs fois au cours de son voyage. Un enfant ne pleure en silence que quand on lui a appris à ne pas faire de vagues. J'en... J'en sais quelque chose.
Toriel attendit qu'il en dise plus, mais Sans s'arrêta là. Ses orbites se perdirent une nouvelles fois sur le rayon de lumière.
— Si seulement il y avait un moyen pour lui envoyer un message pour lui dire que... que l'on croit toujours en lui, malgré ce que certains en disent, peut-être que ça l'encouragerait à revenir plus vite.
— Tu t'es vraiment attaché à lui, n'est-ce pas ?
— Peut-être, je le reconnais. Après ce qui est arrivé avec le dernier, je n'étais vraiment pas certain de pouvoir accorder ma confiance à un humain encore une fois, mais j'avais tort.
Toriel s'assit à côté de lui, devant la fenêtre. Elle pouvait sentir qu'il avait besoin de parler.
— Tu parles du sixième humain ? demanda-t-elle. Qu'est-ce qui s'est passé ? J'ai cru comprendre qu'il n'a jamais atteint Asgore.
— Il n'est jamais sorti de Snowdin, répliqua Sans d'une voix incertaine.
Il se tut un moment, cherchant ses mots. Il releva la tête vers Toriel et fit briller son œil. La reine l'observa un instant, avant que son expression se fasse plus blessée.
— C'est toi qui l'as... ?
— Pas par choix, répondit-il. Quand il est sorti des Ruines, Papyrus n'avait que douze ans. On vivait dehors à cette époque-là, à cause de... Eh bien, ce n'est pas vraiment à cause d'Asgore, mais quand il nous a trouvé la première fois, il a voulu nous placer dans des familles différentes, et je ne l'ai pas supporté, donc... Je suis parti avec lui. Bref, Papyrus, même si c'est difficile à croire, était une véritable tête brûlée adolescent. Je travaillais déjà, et il vivait mal le fait de se retrouver seul toute la journée dans la forêt. Quand le gamin est sorti, Papyrus a été le premier à le trouver, et malgré ce que je lui avais dit sur les humains, il l'a accompagné joyeusement jusqu'à Snowdin. Entre temps, des habitants de la ville ont alerté la garde royale et j'ai reçu l'ordre de regagner la ville et de m'y enfermer le temps qu'ils règlent ça. Lorsqu'ils sont arrivés à Snowdin, les gardes étaient déjà là. Le gamin en a alors déduit que Papyrus l'avait trahi. Il a sorti une arme et lui a tiré dessus. Cinq fois. Je me souviens de chacune des détonations, je venais à peine d'arriver. Quand j'ai vu mon petit frère allongé sur le sol, inconscient, j'ai... Je n'ai pas réfléchi, et j'ai fait ce que tout grand frère ferait : je me suis battu jusqu'à la mort. Je ne suis pas fier de ce que j'ai fait, mais c'était lui ou Papyrus. Après ça, Pap' est resté endormi deux mois, et plusieurs médecins ont pensé qu'il était en train de sombrer, mais il nous a tous surpris un matin, réveillé dans son lit avec un grand sourire aux lèvres.
Toriel resta silencieuse un moment, puis reprit la parole.
— Pourquoi avoir protégé Frisk, dans ce cas ?
— Quelle sorte du juge est-ce que je serais si je mettais tout le monde dans le même panier ? Le jour où j'ai... accepté cette promesse, je ne pensais pas la tenir, avoua-t-il. Mais... Quand j'ai vu ce gamin parler avec Papyrus, aider tous ceux qu'il pouvait sur son chemin, j'ai changé d'avis. Je ne suis pas vraiment le profil des gardes royaux de toute manière. Je suis plutôt le type à faire des mauvaises blagues et attendre que les choses évoluent d'elles-mêmes.
— Pour quelqu'un qui se vante de ne rien faire, je trouve que tu réfléchis beaucoup trop.
— Eh, touché.
Ils restèrent silencieux encore quelques minutes avant que Toriel ne se relève et lui tende la main. Sans lança un dernier regard à l'extérieur, puis la suivit. Ils regagnèrent ensemble la maison d'Asgore où Papyrus tournait dans le salon comme un lion en cage. Il se stoppa dès qu'il aperçut son frère.
— Sans ! Où est-ce que tu étais passé ? C'est dangereux dehors ! Tu ne peux pas juste disparaître comme ça ! cria-t-il, véritablement inquiet.
— Je suis désolé, Pap', répondit-il en baissant la tête, pris en faute. Je ne voulais pas t'inquiéter. J'avais juste besoin d'être un peu seul pour réfléchir.
— Préviens-moi la prochaine fois ! Avec tout ce qui se passe, je veux savoir où te trouver en cas de problème.
— Je le ferai, désolé de t'avoir inquiété.
Deux coups à la porte les interrompirent. Papyrus sursauta légèrement et se plaça instinctivement devant Sans. Son frère ne dit rien, mais ça ne lui plut pas. Papyrus était plus nerveux que d'habitude. Se pouvait-il que les conséquences de la veille eussent laissé des marques plus qu'il ne l'aurait cru ? Papyrus et cette manie de cacher ses émotions. Il avait besoin d'un temps pour discuter avec lui de tout ça.
Toriel alla ouvrir la porte avec méfiance. Son visage se fit immédiatement moins chaleureux lorsqu'elle découvrit Undyne derrière. Sans se tendit légèrement à côté de son frère. La capitaine de la garde royale n'avait pas l'air très assurée. Elle dansait d'un pied sur l'autre, nerveuse.
— Je... Je suis venue rapporter leurs affaires, dit-elle en pointant les frères de la tête.
— Entrez, capitaine, répondit Toriel d'une voix glaciale.
La reine ne resta pas et retourna dans la cuisine. Undyne la regarda partir avec une pointe de culpabilité, mais recentra son attention sur les deux squelettes.
— Merci, Undyne, répondit Papyrus timidement.
Elle tira un énorme chariot derrière elle, couvert de divers objets. Sans remarqua immédiatement que certains d'entre eux étaient neufs, comme l'ordinateur qui trônait au sommet.
— On a récupéré le plus gros de ce qu'il y avait dans les chambres, et quelques ustensiles de cuisine. Tout ce qui se trouvait dans le salon est foutu en revanche. Quelques personnes à Snowdin ont tenu à vous donner quelques bricoles en plus, et le PC est un cadeau d'Alphys. Je sais que ce n'est pas grand-chose comparé à ce que vous aviez, mais... On va voir ce que l'on peut faire pour rebâtir. C'est le moins qu'on puisse faire.
— Des nouvelles de ceux qui ont fait ça ? demanda Sans, surprenant la capitaine et son frère.
— Oui, on a arrêté quelques personnes identifiées sur les lieux et on procède à des interrogatoires. Il y a eu beaucoup de blessés, et on a dénombré au moins cinq monstres décédés. Certains sont toujours dans un état critique, mais ça progresse. Et... Et vous deux ?
— Ça pourrait être pire, répondit Papyrus. Au moins, on va bien.
Undyne hocha la tête. Elle lança un regard vers Sans, hésitante. Le squelette poussa un soupir.
— Très bien, je vous laisse tous les deux. Ne me le fais pas regretter, dit-il d'un ton menaçant à la Capitaine.
— Merci, souffla cette dernière. Tu peux... Tu peux m'accompagner, Pap' ? J'aimerais qu'on parle.
Papyrus hocha la tête, et la suivit à l'extérieur, sous le regard incertain de son frère. Ce n'est pas qu'il n'avait pas envie de lui pardonner, tout le monde faisait des erreurs, mais il n'arrivait pas à retirer ce qu'elle lui avait lancé à la figure et à quel point sa parole faisait foi dans les Souterrains. Il ne savait pas quand ou comment cela arriverait, mais il savait que la situation allait déraper.