Sans enfila sa veste bleue maladroitement, pour éviter de trop mettre à l'épreuve ses côtes encore sensibles. Alphys lui tint l'autre manche pour l'aider à s'habiller, patiente. Après deux jours d'observation pour s'assurer qu'il ne tombe pas en cendres, le squelette avait enfin reçu l'autorisation de quitter le laboratoire, juste à temps pour la cérémonie d'adieu du roi Asgore. Son frère s'y trouvait déjà, il devait s'y rendre avec la scientifique par une porte plus discrète, pour éviter de remettre de l'huile sur les braises encore chaudes de son agression récente.
— T-Tu es sûr que tu vas r-réussir à tenir debout pendant l-la cérémonie ? Tu d-dois encore te reposer. On peut prendre un des f-fauteuils roulants ou...
— Ça va le faire, la rassura le squelette. Je ne suis pas en mousse. Ces os sont en calcium, dit-il en pointant son bras.
Il sourit largement, ravi de sa répartie. Alphys le jugea d'un long regard silencieux, un sourcil levé, peu impressionnée. Sans se détendit et plaça ses mains dans ses poches. La scientifique décida de l'ignorer royalement et rangea son dossier médical dans une grosse boîte, près de la porte, au-dessus des affaires que Papyrus lui avait ramené pour s'occuper pendant sa convalescence.
— J'enverrai Undyne l-la ramener à Nouvelle M-Maison, dit-elle.
Sans se tendit. Undyne était bien la dernière personne qu'il avait envie de voir ce jour-là. Alphys dut sentir son malaise puisqu'elle se mit à danser d'un pied à l'autre, nerveuse.
— Ou P-Papyrus p-pourra venir l-les chercher, c-comme tu v-veux ! s'exclama-t-elle rapidement.
Le squelette ne rebondit pas sur son commentaire et avança en direction de l'ascenseur. Il traversa les salles sombres d'une démarche titubante, pas encore très stable sur ses appuis, et dut faire deux pauses pour calmer les battements erratiques de son âme, déjà essoufflée par la reprise violente de son activité physique. Il caressa gentiment la tête d'Endogeny sur le chemin du retour. Le chien mutant battit de la queue et roula sur le dos dans une pluie d'aboiement caverneux.
Alphys le suivit en silence. Les portes de fer se refermèrent sur eux. La scientifique ne cessait pas de lui lancer des regards en coin, comme si elle voulait lui dire quelque chose. Sans se radoucit légèrement, conscient que son comportement ne devait pas la mettre très à l'aise.
— Qu'est-ce qu'il y a ?
Alphys sursauta, et regarda immédiatement le sol, alarmée. Elle joua avec ses mains un moment, avant de relever la tête vers le squelette, plus déterminée.
— T-Tu as travaillé dans le l-laboratoire avant m-moi, pas vrai ?
— Je te l'ai déjà dit, c'est compliqué. Probablement, oui, mais je n'en ai aucun souvenir.
— Est-ce que tu t'y c-connais en c-constructions énergétiques ? C-comme le CORE ?
— J'ai quelques bases. Pourquoi ? Il y a un problème ?
Alphys serra les poings, puis les relâcha. Sans connaissait cette technique. Elle cherchait à faire baisser son anxiété.
— J-Je ne sais pas ! paniqua-t-elle. Il s-se passe des c-choses étranges d-depuis quelques j-jours et je n-ne comprends p-pas d'où ça vient. C'est c-comme s'il y a-avait une f-fuite d'énergie qui v-vide progressivement le C-Core. Au d-début c'était à p-peine perceptible, mais les f-fuites sont de p-plus en p-plus importantes et...
Elle prit une grande inspiration. Ses yeux se fermèrent quelques secondes, et elle souffla pour se calmer.
— Il ne reste q-que dix pourcents d'énergie, Sans. Le C-CORE risque de c-cesser de fonctionner et j-je ne sais pas quoi faire ! Ça f-fait des jours que j'essaie d'en p-parler à Undyne et T-Toriel, mais je n'y arrive pas et a-avec tous les p-problèmes ces derniers jours, je ne s-sais plus vers qui me t-tourner... Je ne comprends r-rien aux plans de l'ancien s-scientifique royal, ils sont p-plein de trous comme si une p-partie du contenu avait été effacé, et tout le d-dossier est crypté. Sans les p-plans, je ne peux r-rien faire !
Sans ne répondit pas pendant un long moment, prenant mesure de la gravité de la situation. Peut-être que lui aussi allait devoir recourir aux techniques anti-stress de son ami d'ici quelques secondes si son âme continuait à pulser comme elle le faisait actuellement.
— Si le CORE s'arrête, qu'est-ce qu'il va se passer ? murmura-t-il.
— Le CORE permet de f-fluidifier notre magie et permet de l'utiliser de m-manière presque illimitée. Notamment p-pour la nourriture... Si... Si le CORE venait à s'arrêter, les monstres d-devront économiser leur magie pour fonctionner n-normalement, pour maintenir leur n-niveau de santé, mais cela s-signifie que...
— Ils ne pourront plus produire de nourriture... réalisa Sans. Il n'y aurait plus de nourriture, paniqua-t-il légèrement.
— J-Je sais que n-nous avons du s-stock, mais... Pas éternellement. C-ce ne serait pas le s-seul problème. Il n'y aurait p-plus d'électricité, plus de c-communication... Avec la s-situation actuelle...
— N'allons pas dans l'alarmisme tout de suite, la stoppa-t-il, anxieux. On a de la ressource. Bon, on va à la cérémonie d'adieu, et on en parle à Toriel et Undyne après, d'accord ? décida-t-il de changer le sujet, pour son propre bien. Elles sont peut-être en froid, mais ça, c'est plus important que leurs petites histoires. On ne peut pas se permettre de se diviser alors qu'on risque tous de devoir... Se souder pour survivre.
Alphys parut soulagée d'avoir pu se confier à quelqu'un, mais toujours aussi soucieuse. Sans préféra refouler ses propos loin dans son esprit. Il ne pouvait nier que c'était inquiétant. Très inquiétant, même. Les Souterrains étaient déjà au bord de l'anarchie, une famine ne ferait que pulvériser le peu de stabilité qui restait à leur peuple. Ils n'avaient pas besoin de ça. Et puis, coincés comme ils l'étaient sous terre, ils n'avaient aucun moyen de faire pousser des légumes ou faire de l'élevage. La famine serait totale, et il y avait des chances que ce soit la fin de leur peuple pour de bon.
Il préféra ne pas trop y penser. L'image de Papyrus qui s'installait dans son esprit, à l'agonie à cause du manque de nourriture, lui fit trop mal. Ça ne pouvait pas arriver. Il y avait forcément quelque chose à faire.
Alphys lui toucha le bras. Il sursauta violemment, arrachant à la scientifique un cri de surprise. Les portes de l'ascenseur était ouvertes.
— Désolé, soupira le squelette. J'étais ailleurs.
— N'y p-pensons pas t-trop, d'accord ?
Il hocha la tête et lui emboîta le pas dans le laboratoire principal. Son regard balaya le couloir étroit, et s'arrêta sur plusieurs valises, entassées dans un coin. Il haussa un sourcil. Alphys suivit son regard et s'empourpra immédiatement.
— Undyne s-s'est installée ici. T-Temporairement. J-Je c-crois.
— Je vois.
— Ce n'est p-pas... J-Je... Elle... Enfin, c-ce n'est p-pas comme ça !
— Je n'ai rien dit du tout, répondit-il, amusé, un large sourire aux lèvres.
— Arrête !
Elle lui frappa l'épaule, le visage entièrement cramoisi. Sans grimaça de douleur et massa le point d'impact, toujours un peu sensible. Alphys ne lui parut pas désolée pour autant, bien au contraire.
Ils quittèrent le bâtiment en direction du CORE, pour rejoindre l'ascenseur principal qui menait au palais royal. Le trajet se fit dans un silence pesant. Bien qu'il n'y avait plus grand monde dans les Souterrains, la plupart des monstres étant réunis à Nouvelle Maison pour les funérailles du roi, les quelques personnes qu'ils croisèrent leur adressèrent des regards teintés d'hostilité. Sans fit de son mieux pour les ignorer.
Une dizaine de minutes plus tard, ils se trouvaient dans le hall du jugement, bondé de monde. Dogamy et Dogarissa vinrent à leur rencontre.
— La reine nous a demandé de vous escorter dans la salle du trône, leur annonça Dogaressa. Suivez-nous !
La garde royale se faufila dans la foule, ouvrant la voie à Sans et Alphys. Dogamy, à l'arrière, s'assurait que personne ne se mette dans le chemin, ce qui, malheureusement, ne tarda pas à arriver.
— Meurtrier ! cria un monstre que Sans ne put voir. Tout ça, c'est de ta faute !
Tous les regards se tournèrent vers eux. Plusieurs chiens de la garde royale accoururent en renfort. Plusieurs pierres volèrent dans leur direction, mais les solides boucliers les arrêtèrent sans difficulté. Alphys adressa un regard désolé à Sans, qui serrait les poings, faisant de son mieux pour ne pas avoir l'air impacté par les insultes.
La salle du trône était plus parsemée. Deux rangées de sièges étaient alignées de chaque côté d'un grand tapis rouge. Tout avait été surélevé au-dessus d'une estrade de verre, afin de préserver les fleurs dorées qui se trouvaient dessous. Les sièges étaient pleins, à l'exception de trois, situés directement aux côtés d'un grand autel, encore vide. Sans repéra Papyrus et, non sans un soulagement visible, alla prendre place à ses côtés, et à ceux du reste du Conseil, au grand complet, ou presque. Alphys lui sourit et rejoignit un des sièges vides de l'autre côté de Gerson. Sans regarda autour de lui.
— Undyne n'est pas là ?
— Elle va entrer avec la reine et l'urne du roi, répondit Papyrus. Lady Toriel lui a dit que sa place était avec la famille du roi, en tant que sa fille adoptive. Toriel a décidé de la reconnaître comme telle officiellement.
— C'est une bonne chose. Peut-être que ça calmera les tensions.
— Je ne sais pas... répondit son cadet, qui avait de toute évidence reçu le même accueil que lui. Je l'espère.
Papyrus poussa un discret soupir, avant de relever le regard vers son frère.
— Tu vas bien ? Le voyage ne t'as pas trop fatigué ? Docteur Alphys a dit que tu devais te reposer.
— Je peux tenir quelques heures debout. Et puis après ça, je rentre à la maison et je vais pouvoir me reposer autant que je le veux, pas vrai ?
— D'accord... Mais si ça ne va pas, dis-le moi et on rentre tout de suite, d'accord ?
— Promis.
Le squelette prit sa main et la serra. Sans resta un moment silencieux, puis lui rendit sa poigne.
Les portes du palais s'ouvrirent sur une rangée de gardes royaux en armure noire intégrale. Chacun portait une lourde hallebarde et alla se positionner le long de l'allée centrale, de chaque côté, au garde-à-vous. Les invités se levèrent. Sans grimaça, avant d'être surpris par une main sous son bras, pour le maintenir debout. Il sourit à son frère.