Papyrus marchait calmement derrière Undyne, le visage fermé. Ils traversaient les Hotlands depuis plusieurs minutes maintenant et il n'arrivait déjà plus à soutenir les regards mauvais que certains monstres lui lançaient. Il essayait de garder la façade, mais il n'en menait pas large. Il était rare que le squelette montre physiquement ses émotions. Il était doué pour les cacher, très doué même et il avait appris à garder le sourire en toute circonstance, un peu comme Sans. Un peu trop comme Sans, songea-t-il. Tout le monde le considérait comme un boute-en-train, un optimiste invétéré, mais la vérité était que Papyrus n'était rien de tout ça, bien au contraire. Il jouait le jeu pour ne pas inquiéter Sans. Son frère n'allait déjà pas bien, s'il s'apercevait qu'ils étaient deux dans ce cas, il se laisserait sombrer. Tant que Sans continuait de penser qu'il était heureux, il s'accrochait à l'espoir, et c'était tout ce que Papyrus voulait : espérer que tout s'arrange tout seul.
Et à commencer par sa relation avec Undyne. Il ne lui en voulait plus vraiment, il avait déjà passé ce stade, mais les mots qu'elle avait employés eux restaient gravés. Tout ce temps, il avait naïvement pensé que Undyne le connaissait bien, qu'il pouvait se confier à elle et même, pour une fois, faire tomber le masque. Il avait eu tellement tort. Comme Sans, elle ne voyait en lui que la façade, le gentil géant rêveur qui voulait rejoindre la garde royale en l'impressionnant avec des puzzles complexes. Lorsqu'elle avait commencé à lui donner des leçons de cuisine, Papyrus s'était pris au jeu. Il n'était pas stupide, il savait qu'elle évitait le sujet de la Garde Royale et pour être parfaitement honnête, cela faisait un moment qu'il n'y croyait plus lui-même. Ce n'était pas pour ça qu'il côtoyait Undyne. Il l'aimait pour son côté jovial et pataud, sa soudaine timidité lorsqu'ils parlaient d'Alphys, les entraînements qui tournaient toujours au désastre et, de manière générale, le sentiment de pouvoir faire confiance à quelqu'un. Il ne se sentait pas trahi parce qu'elle ne voulait pas de lui dans la Garde Royal, mais bien parce qu'elle n'avait pas compris, depuis tout ce temps, que Papyrus cherchait simplement quelqu'un avec qui il pourrait être normal.
Il y avait bien quelqu'un, mais de toute évidence, lui aussi l'avait manipulé. Il n'avait pas encore réussi à croiser Flowey depuis tout ce qui était arrivé, mais il comptait bien avoir une discussion avec lui tôt ou tard. Il voulait comprendre. Décidément, plus rien ne tournait rond dans la vie de Papyrus aujourd'hui.
Ils ne tardèrent pas à arriver au laboratoire d'Alphys. Undyne s'y engouffra, et lui lança un regard pour s'assurer qu'il suivait toujours. Papyrus détestait cet endroit. Il ne pouvait s'empêcher de se sentir mal à l'aise à chaque fois qu'il y entrait. Il ne savait pas pourquoi. Sans, si. Mais Sans n'expliquerait jamais pourquoi alors il s'était fait une raison. Comme un réflexe, il chercha Alphys du regard, mais elle ne semblait pas présente. Dommage. Pour une fois, un peu de soutien extérieur aurait été le bienvenu.
— Elle est en bas, répondit Undyne à sa question silencieuse. Elle remplit de la paperasse. Viens, met-toi à l'aise.
Deux gros poufs roses étaient installés au milieu de la pièce. Undyne se laissa tomber dans le premier de manière peu élégante. Papyrus tenta de s'asseoir avec plus de classe mais son pelvis s'enfonça dans le coussin et il se retrouva un moment les jambes en l'air. Un des nombreux problèmes de son poids plume. Il se débattit pour se remettre correctement et releva les yeux vers Undyne.
Sans disait souvent que la mort changeait les gens. Papyrus n'avait jamais pensé que cela puisse prendre un sens aussi littéral. Undyne paraissait avoir pris dix ans en quelques jours. Ses yeux étaient cernés, ses cheveux en bataille et elle avait l'air exténuée. Son aura indomptable avait disparu au profit d'une autre plus triste et mélancolique. Il ne la reconnaissait pas. Il aurait aimé la prendre dans ses bras, mais il savait que ce n'était pas le bon moment pour le faire. Après tout, ils n'étaient pas là pour elle, mais bien pour lui.
La capitaine de la garde royale chercha ses mots avant de relever timidement la tête vers lui.
— Je... Je voulais m'excuser pour ce qui s'est passé avant-hier. Pour de vrai. J'ai dit des choses horribles et... Et je ne voulais pas qu'on en reste sur ça. J'étais en colère, mais ça ne me donne pas le droit pour autant de te traiter comme je l'ai fait. Ce n'était pas... moi.
— J'avais bien compris, répondit-il avec un petit sourire. Mais je ne t'en veux pas, je comprends. La situation était compliquée et...
— Je ne comprends pas pourquoi tu n'es pas en colère, Papyrus.
Le squelette se tut, surpris.
— Ton frère l'est. Alphys aussi a été choquée. J'aurais pu te tuer, un coup de plus et...
— Mais tu ne l'as pas fait, c'est tout ce qui compte, non ? Je te connais, Undyne, tu n'es pas une mauvaise personne. Même si ce que tu as fait m'a blessé, physiquement et mentalement, ça ne veut pas dire que je ne comprends pas ton geste. Je savais que t'aborder dans cet état était risqué, mais Sans avait insisté et il ne me demande jamais rien, alors j'ai essayé.
— Ça ne me donnait pas pour autant le droit de faire ce que j'ai fait. Ça, et... Et ce qui s'est passé à Snowdin... Je n'ai jamais voulu ce qui s'est passé, Papyrus. Je ne sais pas ce qui leur est passé par la tête.
Papyrus détourna le regard, mal à l'aise. Oh vraiment ? Elle ne savait pas ce qui avait pu leur passer par la tête. Un sourire chargé de cynisme apparut sur son visage. Undyne scruta sa réaction avec incompréhension. Le squelette poussa un soupir.
— Je sais que tu n'avais sans doute pas réfléchi jusque-là hier soir lorsque tu as balancé toutes ces horreurs à la tête de mon frère, mais... Tu sais que tu as de l'influence ici-bas. Tu ne peux pas simplement prétendre que tu ne savais pas que ça arriverait. Tu as mis une cible sur la tête de mon frère, et maintenant, il est en danger à cause de toi.
— Je sais, mais...
— Est-ce que tu l'aurais vraiment fait ?
— De quoi tu parles ?
— Si tu avais été élue, tu l'aurais exécuté ?
La guerrière resta silencieuse, mais Papyrus put lire l'hésitation dans son regard. À l'instant où son regard dériva vers la droite, le squelette sentit une pression douloureuse s'abattre sur son âme. Il sourit tristement, puis se leva.
— Papyrus... Tu ne comprends pas. C'est compliqué.
— Non. Non, ne fais pas ça. N'essaie pas de te justifier sur ça. On sait tous les deux que tu l'aurais fait.
— Et quel autre choix est-ce que j'aurais eu ?
— Tu veux savoir la vérité sur l'humain ? l'interrompit-il, changeant le sujet. Lorsqu'on l'a rencontré, Sans hésitait à le tuer. Il n'a pas pu choisir parce que je suis arrivé trop tôt. J'ai joué au clown pour qu'il ne le fasse pas et qu'il accepte de réfléchir une deuxième fois en voyant que j'étais heureux de lui montrer mes puzzles. Ce n'est pas Sans qu'il faut blâmer si ce qui est arrivé est arrivé. C'est moi. Et je ne regrette rien. Je préfère savoir Frisk en sécurité là-haut plutôt qu'ici avec nous pour voir ce que les Souterrains sont en train de devenir.
— Papyrus...
— Non, j'ai dit ce que j'avais à dire. Je ne t'en veux pas, Undyne. Mais... Peut-être que ce serait mieux si on ne se voyait pas quelques temps. Le temps que... Les choses se calment un peu.
La guerrière resta silencieuse, mais il pouvait voir qu'elle était déçue. Il n'avait pas le choix. Il ne souhaitait pas se retrouver entre son frère et son amie, ce n'était pas une position vivable. Il préférait se concentrer sur sa famille pour l'instant. Il prit une inspiration, puis tourna les talons pour rejoindre la sortie.
— Attends. Tu ne peux pas rentrer tout seul, ils vont te tomber dessus, tenta Undyne pour le retenir. Je viens avec toi.
— Non, répondit le squelette d'une voix douce mais ferme. Je peux me défendre tout seul. On se reverra bientôt pour le premier conseil royal de toute façon. Lady Toriel m'a demandé d'y assister.
— D'accord, concéda-t-elle d'une voix défaitiste. Fais attention à toi, d'accord ?
Papyrus hocha la tête et quitta le bâtiment. Il se força à avancer sans se retourner. Il détestait se montrer aussi froid, mais il n'avait plus le choix de le faire. Il essuya une larme orpheline d'un revers de la main et poursuivit sa route vers Nouvelle Maison, le cœur gros et les pensées sombres.