Loading...
Link copied
Loading...
Loading...
Mark all as read
You have no notification
Original
Fanfiction
Trending tags

Log In

or
@
ShutupnRead
Share the book

3. Les Fils de Cendre

Les guerriers font les batailles. Les batailles font les légendes.
Celle de la vallée de Noirlac en fait partie.

C’était il y a dix ans. Une guerre longue et éreintante s’achevait enfin. Le front nord, ravagé par les combats, s’apprêtait enfin à goûter au répit.

L’ennemi, battu et mis en déroute, avait été repoussé jusque dans les montagnes et Stonefrost avait été arrachée aux griffes de l’ennemi. On l’avait fui vers les montagnes, abandonnant le terrain comme des ombres chassées par la lumière.

La vallée de Noirlac, vaste et encastrée, avait servi de dernier théâtre. C’est là que l’armée royale, victorieuse, avait dressé son camp, épuisée mais confiante. On célébrait la fin des combats dans l’odeur du cuir trempé et du sang séché. Les feux de camp s’allumaient sous un ciel embrasé par le crépuscule. Certains soignaient leurs blessures, d’autres levaient déjà leurs coupes à la paix durement retrouvées.


Jusqu’à ce que les ombres bougent.


L’ennemi n’avait jamais fui. Caché dans les reliefs qu’il  connaissait si bien, embusqué sous la brume descendante, comme une ombre. Il s’était glissé parmi eux, attendant que les casques tombent, que la liesse noie la méfiance.

Quand l’attaque fut lancée, elle frappa comme un ouragan silencieux.

Les flèches sifflèrent en premières, noircissant le ciel avant de plonger dans les chairs. Puis vinrent les lames, les, déchirants, se mêlant au fracas du métal. L’ennemi frappa partout à la fois.

Et ce fut le chaos, les sentinelles abattues sans avoir eu le temps de donner l’alerte, les tentes éventrées s’embrasèrent. Chaque point stratégique fut pris pour cible.

Ils furent encerclés avant même d’avoir compris qu’ils étaient déjà morts.


Myra, elle, était dans la tente de commandement. Seule.

La seule générale de guerre présente cette nuit-là. Celle qui avait mené cette guerre du début à la fin, celle qui avait construit la stratégie, dirigé les batailles et arraché la victoire. Après la déroute ennemie, beaucoup auraient quitté le front, laissant des ordres à ses hommes, afin de gérer les derniers détails. Mais elle était restée.

Lorsque les premiers cris retentirent, elle comprit immédiatement. En un instant, elle  attrapa son épée et jaillit hors de sa tente, pour se retrouver face à une vingtaine d’ennemis. Une unité entière, envoyée pour l’éliminer.

Seule au milieu de la tempête, elle les repoussa un à un. Elle bougeait vite, fluide et précise, comme si avait vu venir chaque coup, son épée tranchant chairs et os sans relâche. Sa lame chantait dans la nuit. Le sang éclaboussait ses bras, la fumée lui brûlait la gorge. Elle ne laissait pas le chaos l’emporter, elle y injectait sa propre cadence.

Autour d’elle, des flammes gagnaient le camp. Le cri des mourants se mêlait à celui des chevaux qu’on éventrés. L’air empestait la suie, le sang et la panique. Chaque respiration était une bataille à elle seule.

Elle reçut un coup dans les côtés, sentit un choc sec, mais ne plia pas. Un autre frappa son épaule, elle tourna, planta sa lame dans la gorge du soldat ennemi.

Elle sentait la fatigue ronger ses muscles, la douleur griffer chaque nerf, mais elle ne s’arrêta pas. Pas tant qu’il y avait encore une menace debout devant elle.


Peu à peu, ils reculèrent. Ceux qui restaient comprirent que ce n’était pas une femme qu’ils affrontaient. C’était une volonté brute,, une bête affamée de survie.

Ses doigts crispés sur le manche de son arme, elle enfonça sa lame dans la poitrine du dernier assaillant, avant de se laisser tomber à genoux, haletante. Autour d’elle, les corps s'entassaient, le sol noirci par le sang de ses ennemis.

Le silence retomba enfin, pesant, irréel. Elle était en vie, mais à quel prix ?


Quand elle se dirigea vers les vestiges du camp, il n’en restait presque rien. Sauf les restes d’une armée autrefois fière, anéantie en une nuit. Seule une poignée d’hommes et de femmes respirait encore, errant parmi les ruines fumantes, certains laissés pour morts sous la cendre et les restes calcinés de leurs compagnons.


Ils auraient pu fuir, rentrer au royaume, témoins brisés d’un désastre militaire. Mais ils l’attendaient. Elle.


Quand Myra s’agenouilla parmi eux, couverte de sang séché et le regard éteint, personne ne parla. Ils partageaient un silence plus lourd que mille batailles. 


Et alors, elle leur proposa un choix.

Fuir. Ou brûler jusqu’au dernier souvenir de cette nuit.


Ils ont choisi le feu.

Ils ont brûlé les corps, les bannières, pour faire disparaître jusqu’au dernier lambeau du passé, ne laisser derrière eux que cendres et poussières.


Ils ont laissé derrière eux les noms, les grades, les ordres. Pour devenir autre chose. Quelque chose que la mort elle-même hésiterait à réclamer.


Les flammes ont dansé toute la nuit. Et lorsqu’ils ont repris la route, ce n’étaient plus des soldats en déroute, mais des guerriers sans tombe et sans nom.


Dix ans plus tard, ils marchent toujours dans son ombre. Et lorsque l'on murmure leur nom, la mort elle-même frissonne..

Les Fils de Cendre.


— Extrait des Chroniques du Royaume de Levalon, par Eugène

Comment this paragraph

Comment

No comment yet