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1 - Prologue - La proie n'est pas toujours celle que l'on croit
2 - 1 - Appat
3 - 2 - Premier contact
4 - 3 - La putain du monstre
5 - 4 - Fuite
6 - 5 - Trouble
7 - 6 - Riu'riuk
8 - 7 - Taupe
9 - 8 - Il s'est fait tout petit devant une poupée
10 - 9 - Complicité
11 - 10 - Trahison
12 - 11 - Ayatsë
13 - 12 - Échange culturel
14 - 13 - Orage
15 - 14 - Madame n'aime pas…
16 - 15 - Amesh
17 - 16 - Assaut
18 - 17 - Pertes et fracas
19 - 18 - Ego
20 - 19 - Haine
21 - 20 - Éveillés
22 - 21 - Rage
23 - 22 - Orphelin
24 - Épilogue - Rédemption
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9 - Complicité

Deux jours plus tard, ils étaient en route pour le bout de la vallée.

Charlotte n’était plus tellement sûre qu’y aller soit un bon choix, mais elle n’avait pas d’autre solution et Lucifer était arrêté sur l’idée. Au moins s’éloigneraient-ils des problèmes qu’ils avaient ici. 

Le taëkh’to avait repris le contrôle des opérations et ouvrait la marche quelques pas en avant. Le voir sans son armure était étrange, il avait refusé de la remettre. Ses habits rouge sombre et amples lui donnaient un air très différent de ce dont elle avait l’habitude. Un harnais, qu’il avait placé sous le sac contenant sa combinaison, lui permettait de porter ses armes dans son dos, les poignées dépassant de ses épaules. Son haut, à la coupe étrangement penchée, possédait une capuche qu’il relevait la plupart du temps pour se protéger du froid.

Lucifer n’avait pas encore pleinement récupéré. Il s’essoufflait vite, ses blessures le faisaient toujours souffrir et les tremblements revenaient par moment, mais dans l’ensemble il était en bien meilleure forme. 

Au vu de la réaction du taëkh’to lors de leur dernière discussion, Charlotte s’était attendue à une forte résistance de sa part alors qu’elle voulut changer le bandage pour la première fois après son réveil, mais ses excuses semblaient sincères puisqu’il se laissa faire en silence. Après quoi, il obtempéra sans contestation chaque fois qu’elle émettait des demandes ou des restrictions concernant son état de santé. 

À l’exception d’un point. 

Le soir venu, il avait refusé de se mettre dans le sac de couchage. Il fallut un moment à Charlotte pour comprendre qu’il ne voulait pas la voir dormir dans le froid. Seulement, il était celui qui ne devait pas tomber malade. Au final, elle avait pris le duvet, s’était lovée contre le dos de Lucifer et les avait recouverts tous les deux. Elle avait bataillé longtemps pour trouver une position confortable, mais l’air glacial de la nuit trouvait toujours un moyen de s’insinuer quelque part, qu’importe la solution qu’elle choisissait. 

Lucifer avait alors poussé un long soupir avant d’attraper Charlotte, de les glisser tous deux sur le sac de couchage et de refermer l’ouverture. C’était étroit, mais ainsi calée entre les bras du taëkh’to, le dos contre son torse, ils rentraient tout juste et la position était bien assez agréable pour qu’elle s’endorme. 

Si elle en oubliait sa gêne. 

Il lui avait fallu se concentrer sur la respiration calme de Lucifer qui ne paraissait pas plus perturbé que ça par leur proximité. 

Elle ressentit une nouvelle pointe de frustration à ce souvenir et se frotta vigoureusement le visage pour éloigner les pensées bizarres qui en découlaient. Qu’importe que sa présence ne le chamboule pas autant que lui la chamboulait, elle !

— Shaarlot ?

Lucifer s’était arrêté et l’observait, inquiet. 

Elle lui fit signe de continuer à marcher en se maudissant intérieurement. Manquait plus qu’elle se retrouve à lui expliquer ce qui venait de lui passer par la tête…

Turük n’était pas encore tout à fait certain de comprendre quelles circonstances amenaient le visage de son sul’sul à rougir de cette façon, mais c’était un de ces petits mystères qu’il se ferait une joie de résoudre. Un sourire lui échappa alors qu’il se remettait à marcher. 

Les soldats de la base Dugo avaient pour la plupart quitté le périmètre, comme s’y était attendue Shaarlot. Ils avaient laissé quelques patrouilles en arrière qu’il leur était assez facile d’éviter, mais ils se devaient quand même d’être prudents. 

Même si les défaillances de son amesh étaient en grande partie responsables de son état, il était celui qui n’avait pas pris assez de précautions et il redoublait donc d’attention. La culpabilité l’envahit de nouveau et il secoua machinalement la tête pour l’éloigner. Il devait se concentrer. 

Quelques heures plus tard, Turük consultait son amash’atak tandis que son sul’sul remplissait leurs récipients à la rivière. L’appareil n’étant pas relié à son amesh, il était encore moins utile qu’avant, mais la carte fonctionnait toujours, ainsi que le traducteur. Le cours d’eau qu’ils avaient rejoint leur permettrait de retrouver la vallée principale et les guiderait jusqu’à son bout, où semblait habiter la famille de Shaarlot. 

Actuellement, il longeait l’orée du bois et bordait une plaine étroite entre deux montagnes. Ils pourraient rester un moment à l’abri des arbres avant de devoir sortir à découvert, le terrain était assez plat et leur offrait une vue dégagée sur les environs. 

Tout juste venait-il de se satisfaire de leur position avantageuse, qu’un bruit bien trop familier se fit entendre. 

Il prit quelques instants pour s’assurer que son ouïe ne lui jouait pas des tours, mais non. Le vrombissement électrique se faisait entendre de plus en plus fort et se rapprochait rapidement. 

– Ketchekt ! jura-t-il.

Par les cornes de la Déesse ! Ils avaient à peine eu le temps de se remettre de leurs derniers problèmes… 

Son sul’sul le rejoignit, les traits de son petit visage plissés par l’inquiétude. Il lui fit signe de se cacher dans les fourrés et enjamba le cours d’eau pour voir où se trouvait l’escouade en approche. 

Une demi-douzaine de batzul se dirigeait droit sur eux, chacun transportant deux à trois guerriers. Au vu de la distance, l’escouade devait déjà les avoir sur leurs radars. Inutile d’essayer de l’éviter, Turük l’avait repérée trop tard. 

Il ne leur restait plus tellement d’options. À la hâte, il rejoignit Shaarlot et sortit son amesh du sac à dos pour la réactiver. L’idée ne lui plaisait pas. Il était parfaitement capable de s’occupaer seul d’une vingtaine de soldats sans son armure, mais pas s’il devait protéger quelqu’un. Qu’il soit seul était déjà suspect en soi, qu’il soit accompagné d’une humaine n’arrangeait rien, qu’il ne porte pas de combinaison serait encore pire. 

La plante grimpa le long de sa jambe et forma le cocon confortable qui lui servait de deuxième peau. Pour la première fois depuis quatre jours, il se sentit entier. Par réflexe, il allait convoquer son casque, mais le regard angoissé de son sul’sul le retint. 

Que pouvait-il bien lui dire pour la rassurer ? Certainement pas que la vingtaine de taëkh’to qui se dirigeait sur eux avait tous les droits de le mettre à mort sur le champ au moindre doute sur son identité…

Du bout des doigts, il déplaça la mèche de cheveux couleur de feu qui s’était glissé devant les petits yeux de la jeune humaine, avant de se rendre compte de la familiarité de son geste. Embarrassé, il activa nerveusement son traducteur pour se donner bonne contenance. 

— Une escouade vient vers nous, dit-il simplement. 

Matum not atsum ?

« Allié ou ennemi ? »

C’était justement la question…

— Tu me fais confiance ? demanda-t-il bêtement. 

Comme s’il était possible qu’elle réponde par l’affirmative avec les derniers événements.

Le cœur de Turük rata un battement tandis que la jeune femme acquiesçait. 

Le grondement des véhicules était tout prêt maintenant. Il fit signe à Shaarlot de le suivre et se dirigea vers la plaine. Qu’ils se cachent ne ferait qu’aggraver les problèmes avant même qu’ils n’arrivent. 

Il ne maîtrisait rien de cette situation et sa tension augmentait. Il récita mentalement le kalahek matuk et parvint à se calmer alors qu’ils atteignaient la plaine. Il s’arrêta, sourit doucement à son sul’sul avant de lui remonter sa capuche sur la tête. Elle le laissa faire. Il ne pouvait pas l’occulter, mais il était préférable qu’elle se fasse petite le temps d’entamer la conversation avec les nouveaux venus. 

Turük avait conscience qu’il devait prendre le contrôle de la situation dès le début et, surtout, il se devait de paraître serein. Pour Shaarlot et pour ne pas éveiller les soupçons. Le kalahek matuk tourna une nouvelle fois dans sa tête tandis qu’il regardait les six batzul approcher avec appréhension.

Contrarié, Asantük scannait des yeux les bordures de la plaine, sa lunette de visée cherchant encore les deux signes de vie que son radar lui avait indiqués un peu plus tôt.

Avec le délai trop court que leur avait imposé Da’Hebtük pour rejoindre la horde, il avait une excuse toute trouvée pour ne pas s’arrêter. 

Abtë Da’Hebtük, se corrigea-t-il. 

La petite cible jaune de sa visière s’accrocha enfin aux deux silhouettes à l’orée du bois.

D’un autre côté, leur dernière escale remontait à trois jours… Son escouade ne comprendrait pas qu’il rate cette occasion de faire une pause.

Par les cornes de Daë’Djizah ! Il esperait de tout son cœur que son radar se trompe !

Après un long soupir qui lui valut un regard interrogateur de Daë’Umtsé, il ordonna la pause d’un signe bref de la main. Les six batzul s’arrêtèrent en arc de cercle autour des deux inconnus. 

Asantük descendit du véhicule, suivis par l’escouade, chaque guerrier sur ses gardes. 

De taille moyenne, un amesh visiblement configuré pour l’attaque et la rapidité, non la défense, pas de parriuks, mais deux shrii’tak accrochée dans le dos à la manière des avat’tan’nam, le soldat paraissait détendu et ne portait même pas son casque. Malgré ses nombreuses années à côtoyer la mort sur le champ de bataille, le regard droit et direct du mâle déclencha une vague de frisson le long de la colonne vertébrale du vétéran. Ce guerier était jeune et pourtant il parvenait à réveiller tous ses instincts de vieux guerriers face au danger. Asantük lu les runes affichait sur son torse : « Abtë Turük ». Voilà qui allait sérieusement compliquer la situation.

Comment pouvait-on devenir Abtë si jeune ? 

Tout en cherchant des yeux le deuxième point de son radar, il ouvrit son casque et porta la main à son menton. 

— Abtë Turük, salua-t-il l’inconnu d’un ton formel.

Le jeune officier imita son geste.

— Abtë Asantük, dit-il d’une voix profonde et ennuyée. Qu’est-ce qui vous amène par ici ? 

Le chef d’escouade parvint de justesse à ne pas laisser son expression trahir sa surprise. La question était posée avec aplomb, comme s’il était normal pour lui de se trimballer seul au milieu de nulle part en compagnie d’un humain. Il se prenait pour qui ce kashuk !

— Nous suivons les ordres d’Oltar Da’Hebtük, répondit-il d’un ton neutre, scrutant le visage de son interlocuteur. 

Une joie intense s’empara de lui quand il vit la stupeur dans les yeux du jeune officier. Turük avait repris le contrôle de ses émotions et cela n’avait duré qu’un instant. Asantük ne l’avait vu que parce qu’il s’y attendait, mais il n’y avait aucun doute : le jeune mâle ne savait pas. 

Comment un officier pouvait-il ignorer la destitution de Simük ? De la même façon, il était impensable qu’un guerrier ne soit pas informé du rappel de la Horde. 

S’était-il isolé volontairement ou avait-il été rejeté ? 

L’aplomb et le rang élevé malgré sa jeunesse, tous ses instincts qui lui criaient de fuir, Asantük était-il tombé sur un T’sarogg en perdition ?

Le vétéran afficha un large sourire alors que ses yeux se posaient enfin sur le petit humain qui l’accompagnait. L’officier n’essayait pas à proprement parler de le lui cacher, mais il s’était tout de même interposé de son mieux pour rester au centre de leur champ de vision. La capuche remontée sur sa tête, la petite figure était soit un utrek, soit une femelle. Le regard d’Asantük glissa jusqu’à ses jambes, recouvertes d’amesh’tolkat.

Voilà qui promettait d’être une soirée fort intéressante…

Les guerriers discutaient joyeusement autour du feu de camp, l’atmosphère était décontractée et Turük les envia. Son cœur saignait de voir cette escouade si soudée et il dut se faire violence pour ne pas se laisser aller à la mélancolie. 

Abtë Asantük les avait invités à partager leur bivouac pour la nuit.  

La vingtaine de soldats s’étaient détendus et avaient retiré leur casque à l’instant où leur officier avait donné l’ordre d’installer le campement. Chacun s’était occupé de ce qu’il avait à faire et Turük s’était placé en face de l’Abtë, comme le voulait son rang. D’une main sur l’épaule, il avait entraîné son sul’sul pour qu’elle s’assoie à ses côtés. Le geste était explicite. Qu’elle soit ou non sa prisonnière, elle lui appartenait. Et Abtë Asantük ne lui avait pas contesté son droit. 

Le chef d’escouade n’avait pas bronché à la vue de Shaarlot, ce qui confirmait l’inquiétude de Turük, il savait qu’elle était humaine avant de la voir. Son amesh, entraînée pour la traque, était capable de différencier les espèces. Leur Shrii’tak au harnais dorsal était un indice, mais ne voulait rien dire en soi. Beaucoup de guerriers les portaient de cette façon pour la satisfaction de ressembler à un avat’tan’nam.

Mentalement, Turük se récitait en boucle les versets du kalahek matuk pour se préparer à la conversation à venir. Il était un invité, elle ne commencerait qu’au bon vouloir de l’Abtë. Et celui-ci prit un malin plaisir à le faire attendre, espérant augmenter la nervosité de ses hôtes. 

Mais Turük n’avait qu’une idée en tête, confirmer ce que l’officier lui avait dit à demi-mot. Simük ne pouvait avoir été destitué. Certes, Da’Hebtük avait du pouvoir, mais pas au point de réussir une mutinerie ! 

Abtë Asantük était un vétéran, plus près de la fin de sa carrière que du milieu. Les traits prononcés par l’âge et la vie rude imposée par le service, ses anishalak laissaient des marques profondes et si sombres qu’elles en étaient presque noires. Le mâle savait ce qu’il faisait et il serait dur de le tromper. Turük allait devoir rester aussi proche de la vérité que possible s’il ne voulait pas être prit en faute bêtement.

C’était un jeu de patience, et les avat’tan’nam était capable de pister leur proie des jours durant avant de frapper au moment où elle était le plus vulnérable. Ce kashuk pensait avoir l’avantage. Seulement Turük n’était pas un simple chasseur. Il était Le Chasseur. Il était un Choisi de la Divine et un des meilleurs.

L’odeur alléchante de la viande en train de griller s’élevait dans l’air et il pouvait entendre le ventre de Shaarlot gargouiller bruyamment. Il ne parvenait pas à se souvenir de quand datait leur dernier repas chaud. En avaient-ils seulement partagé un ? 

Il observait la vingtaine de petits animaux qui cuisaient, pendus au-dessus des flammes. Il en avait croisé déjà plusieurs depuis son arrivée sur cette planète. Très peureux, les bestioles partaient se terraient dans leurs trous au moindre signe de son approche. Peu de créatures étaient capables de le repérer quand il avait décidé de ne pas être vu, mais ces boule de poils en faisaient partie. 

Il activa son traducteur.

— Shaarlot ? l’appela-t-il discrètement avant de désigner la viande. Ça, c’est presque comme un sul’sul.

Le regard outré qu’elle lui renvoya le fit sourire. Quelque chose lui disait qu’elle lui ferait regretter plus tard. 

Une fourrure douce, deux grandes oreilles, les créatures avançaient par petits bonds et ressemblaient fort à ceux de sa planète natale. Ce que la jeune femme ne savait sûrement pas c’est que les sul’sul, contrairement à ceux qui cuisaient ici, faisait partie des animaux les plus difficiles à chasser. Une fois acculée, ils se jetaient à la gorge de leur prédateur et s’y accrochait avec leurs crocs recourbés pour l’emmener dans la mort avec eux et sauver le reste de leur colonie.

Shaarlot lui lançait encore des regards mauvais, visiblement vexée, et il n’avait pas quitté son sourire satisfait. Au moins, pensait-elle à autre chose. Mais il leva les yeux vers Abtë Asantük et regretta aussitôt ce moment de complicité. Le mâle les observait toujours et dévoilait ses dents dans un rictus cruel.

Que la Déesse lui arrache son âme ! Turük venait de donner au vieux mâle exactement ce qu’il cherchait. 

Enfin, un soldat leur apporta deux bols remplis de viande et Turük n’avait toujours pas décoléré.

Il ne parvenait pas à définir quand la femelle avait pris tellement d’importance qu’il en était venu à baisser sa garde de cette façon. La dernière chose qu’il souhaitait, c’était de donner à Asantük un moyen de faire pression sur lui… 

Ah ! Il pouvait bien se vanter d’être le meilleur des chasseurs, il n’était que l’avatar de l’humiliation. 

L’humaine lui lança un regard inquiet, son bol à la main. Lui demandait-elle la permission de manger ? Seuls les kashuk de la pire espèce avaient recours au poison. Une vague de colère le submergea. Il lui indiqua d’un geste sec qu’elle pouvait commencer son repas et son air peiné ne fit que rajouter de la honte sur son énervement. Elle n’était pas responsable de la situation. 

— Abtë Turük, l’interpella le chasseur, est-ce que ton escouade va nous rejoindre ? 

— Non.

Il avait répondu d’une voix calme, mais ferme. Il n’avait en aucun cas besoin de se justifier face à un autre Abtë, mais il savait aussi que c’était une défense qui ne tiendrait pas longtemps. 

Asantük avait recommencé à manger tranquillement, si la réponse sèche l’avait dérangé, il n’en montrait rien. Petit à petit, tous les membres de l’escouade s’étaient installés autour du feu et partageaient le repas. Si le silence n’avait rien d’oppressant, il était toutefois clair que chacun comprenait les enjeux de la discussion muette. 

— Nous ne sommes jamais venus par ici, reprit l’Abtë d’un ton léger. Y a-t-il des choses que l’on devrait connaître ? 

— Je ne suis pas dans la zone depuis longtemps, répondit Turük. Je sais que les humains ont formé un camp quelque part dans la vallée. Peu nombreux, pas très menaçants. 

De ce qu’il avait compris, la base Dugo abritait des civils, l’absence de taëkh’to dans la région avait certainement augmenté l’afflux de réfugiés. Malgré les relations tendues que lui-même entretenait avec ces humains, il ne voulait pas offrir les civils en pâture à une escouade de chasseurs inconnus.

— C’est là que tu as déniché ton petit animal de compagnie ? demanda l’Abtë nonchalamment.

Turük jeta un regard plein de colère vers Shaarlot. On arrivait au vif du sujet et il avait perdu l’avantage pour une bêtise. Il avait perdu l’avantage parce qu’il avait trouvé plus important de la réconforter que de se concentrer sur son ennemi. 

— Non, je suis sorti d’une situation délicate grâce à cette femelle. Je paie ma dette. Elle aura une vie bien meilleure à travailler parmi les gens de ma mère qu’à rester ici, mentit-il. 

— Tu l’as déjà marquée ? s’enquît un jeune mâle assis à quelques pas de Shaarlot. 

Et avant que quiconque ait le temps de bouger, le jeune retira d’un geste sec la capuche de Shaarlot. La main de Turük avait réagi avant sa tête et s’était refermée autour du poignet du guerrier, sur lequel il tira d’un coup sec. Désormais à genoux devant lui, le soldat le regardait avec un air de triomphe que Turük ne comprit que trop tard. Le mâle se fichait bien de Shaarlot, ce qu’il voulait, c’était analyser sa réaction à lui.

— Personne ne t’a appris à ne pas toucher les affaires des autres ? énonça Turük d’une voix sourde. 

— Allons, Abtë Turük, intervint Asantük. Pardonne la fougue de la jeunesse. C’est pas tous les jours que l’on peut voir un esclave, ça coûte cher ces choses-là…

Le chef d’escouade pouvait accuser la jeunesse autant qu’il en avait envie, Turük savait bien que le soldat agissait sous les ordres de son supérieur. Une nouvelle fois, il s’était laissé emporter par ses émotions et avait étalé sa faiblesse aux yeux de tous. Après une dernière pression menaçante sur le poignet du mâle qui grimaça de douleur, il le lâcha et se rassit. 

Reprenant son bol, Turük continua son repas comme si rien ne s’était passé. Si seulement la femelle pouvait cesser de le regarder avec ses grands yeux inquiets. Il posa une main qu’il voulut rassurante sur son épaule et lui fit signe de manger. Il était difficile de savoir quand viendra leur prochain plat chaud, qu’elle en profite.

— Je ne l’ai pas marquée parce qu’elle portera le sceau de la maison de ma mère, reprit Turük d’une voix calme. C’est un cadeau.

— Ah… Beau cadeau, commenta l’Abtë en prenant ses hommes à partie d’un geste théâtral. Vraiment ! C’est combien un esclave sur la part de pillage réglementaire d’un officier ? Vingt-deux pour dix ? Daë’Umtsë ?

La question était visiblement rhétorique. Son seul but était d’énoncer l’absurdité de la chose. Il n’était pas dupe et il le faisait savoir.

— Oui, Abtë, répondit tout de même la femelle interpellée, avant de reprendre d’un ton expert. En fonction de la dette de campagne, ça peut aller jusqu’à la rétention de la part de mission suivante. Surtout que la classe esclave d’une civilisation non absorbée par le consortium n’appartient à aucun privilège. À moins d’avoir une avance considérable, Abtë Turük devra renoncer à tous ses trophées de la campagne que l’on vient d’effectuer et ne pourra sûrement pas en réclamer d’autres avant un long moment.

Elle avait dit tout cela d’une traite, le nez dans son assiette, et ce n’est qu’une fois sa tirade terminée, et après avoir pris conscience qu’un lourd silence s’était abattu sur le camp, qu’elle releva la tête. De toute évidence, offenser Turük ne faisait pas partie de ses plans et la jeune femelle avait parlé sans réfléchir. 

S’intéresser faussement à son cadeau pour avoir des bribes d’informations était une chose. Étaler aux yeux de tous l’absurdité du propos d’un officier en était une autre. 

La tension était palpable, chaque soldat suspendu aux lèvres de Turük pour connaître sa sentence. L’insulte était directe et Abtë Asantük ne pourrait plaider la cause de son subordonné qu’une fois la punition décrétée, mais la décision finale reviendrait à Turük quoi qu’il arrive. 

Aussi, continua-t-il de manger. La situation n’était favorable pour personne. Il n’avait pas pour but de se mettre à dos cette escouade qui pourrait devenir son salut, pas plus que de sanctionner un cadet issu de la noblesse qui, somme tout, participait certainement à sa première campagne. Certes, il lui faudrait apprendre à tenir sa langue. Chez elle et de par son statut, sa voix était parole d’évangile. Dans l’armée, elle n’était qu’un soldat de plus. Mais il était rare de tomber dans une situation si complexe, surtout au sein d’un peuple d’ordinaire si direct. Elle n’avait tout simplement pas eu de chance. 

D’un autre côté, Turük tenait là un très bon moyen de retourner la situation et il comptait bien en profiter. 

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