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1 - Prologue - La proie n'est pas toujours celle que l'on croit
2 - 1 - Appat
3 - 2 - Premier contact
4 - 3 - La putain du monstre
5 - 4 - Fuite
6 - 5 - Trouble
7 - 6 - Riu'riuk
8 - 7 - Taupe
9 - 8 - Il s'est fait tout petit devant une poupée
10 - 9 - Complicité
11 - 10 - Trahison
12 - 11 - Ayatsë
13 - 12 - Échange culturel
14 - 13 - Orage
15 - 14 - Madame n'aime pas…
16 - 15 - Amesh
17 - 16 - Assaut
18 - 17 - Pertes et fracas
19 - 18 - Ego
20 - 19 - Haine
21 - 20 - Éveillés
22 - 21 - Rage
23 - 22 - Orphelin
24 - Épilogue - Rédemption
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16 - Assaut

Assis en retrait sur un conteneur tactique, Thomas pouvait encore entendre le tonnerre gronder à l’extérieur de la grotte. Il observait Turük. Penchés au-dessus d’une carte avec Hugo, ils comparaient leurs infos à celles du brassard de l’alien. 

Il lui fallait se rendre à l’évidence, l’enfoiré savait de quoi il parlait. 

Une part de lui aurait voulu que le sans-visage soit un connard fini. Il aurait préféré qu’il soit agressif et mesquin. Voire, pourquoi pas, carrément bête et stupide, histoire qu’il ait une bonne raison de le détester… Mais non. Posé, pragmatique et pondéré, en plus d’être intelligent et patient, il avait tout pour lui. 

Pas une once de contrariété ne lui avait échappé alors qu’un rire bruyant avait éclaté à l’annonce de Charlotte. Pas une pointe de colère devant l’incrédulité des hommes et le fait qu’ils ne soient pas pris au sérieux. Aucune trace d’exaspération quand il avait fallu plusieurs heures aux techniciens d’Hugo pour décrypter les infos qu’il leur offrait. 

Et c’était au plus grand bénéfice du camp. Seulement, loin de s’en réjouir, voir qu’il ne ressemblait en rien au monstre que tout le monde craignait ne faisait qu’augmenter la frustration de Thomas et son envie de le frapper. 

Le jeune homme se frotta nerveusement le visage. Il ne se savait pas aussi mesquin et découvrir cet aspect de sa personnalité ne lui plaisait pas vraiment. 

— Alors ? demanda Charlotte. 

Perdu dans ses pensées, il ne l’avait pas vue arriver. Elle s’assit sur le conteneur près de lui. 

— On décolle demain, dit-il.

— Déjà ? s’étonna-t-elle. Je croyais qu’Hugo devait contacter la base militaire à vingt-cinq kilomètres d’ici…

Thomas n’avait pas envie de lui mentir, mais Hugo avait été très clair. Le sans-visage ne devait pas apprendre l’existence du réseau de communication par cabine téléphonique avant le départ du reste de l’armée alien. On n’était jamais trop prudent, ils n’avaient pas écarté la possibilité que ce soit un piège habilement mis en place pour les extraire de leurs fortifications. Même si la raison d’une telle manœuvre leur échappait encore. 

— Un groupe de soldats était là à votre arrivée, ils sont déjà repartis avec les infos. On aura une réponse d’ici ce soir. 

— Ils vont vous faire des signaux de fumée ? 

Thomas sentit une pointe de colère faire son apparition. Si en plus elle se foutait de sa gueule… Il se trouva bête face au sourire qu’elle lui offrit. Elle ne se moquait pas, elle blaguait avec lui et il était trop jaloux pour s’en rendre compte. Il se maudit intérieurement. 

— Non, répondit-il avec un air contrit, mais on a des fusées éclairantes, c’est plus moderne ! 

Le rire en cascade de Charlotte était aussi agréable que douloureux à entendre. 

Il allait ajouter un autre trait d’esprit, juste pour le plaisir de l’écouter encore, mais le regard que lui lança l’alien le coupa dans son élan alors qu’une vague de frisson le parcourait de la tête aux pieds. Le message était clair. Il était peut-être patient et pondéré, il n’en était pas moins dangereux et, de toute évidence, Charlotte était une limite à ne pas dépasser.

Turük aimait entendre ce rire. Moins quand il était adressé à ce mâle-ci. 

Ugo lui posa une nouvelle question qui ramena son attention sur la carte. Ils étaient bien trop en sous-nombre et, si la base militaire n’acceptait pas de les aider, il ne voyait pas comment leur plan pouvait fonctionner. 

— Combien d’unité tu penses récupérer de cette base exactement ? demanda-t-il, traduit par son amash’atak.

— Disspa un tiao mai.

« Cent ou plus ou moins. »

Ce qui amènerait le tout à presque deux cents unités, dont la moitié étaient des soldats de métier. 

Turük devait se l’avouer, les réfugiés étaient mieux structurés qu’il ne le pensait. Ugo ne s’était pas expliqué sur le comment il allait recevoir la réponse de la base militaire, mais ils avaient dû rétablir une ligne de communication terrestre d’une façon ou d’une autre et ça en disait long sur leur résilience. 

Leur organisation et leur adaptabilité alliées à des armes conçues expressément pour contrer les taëkh’to, Turük comprenait la décision de la Horde. Elle ne faisait que suivre le protocole devant une race à haut potentiel de menace. Quant à savoir d’où sortaient l’armements assam’tash nah’va, Ugo n’était pas plus informé. Celle qu’ils possédaient leur avait été donnée par la base militaire pour défendre les civils, elle n’avait pas été fournie avec des explications sur sa provenance, et le chef n’en avait pas demandé. Ugo avait simplement évoqué une histoire de dents et de kheval, que Turük n’avait pas tout à fait comprise. 

L’espace d’un instant, Turük avait voulut exiger qu’elles ne soient pas utilisées. Il s’était ravisé. Il n’avait aucun droit de leur faire une telle demande alors qu’ils étaient déjà en mauvaise posture. 

— Touruk ?  l’appela Ugo pour la deuxième fois. 

Perdu dans sa réflexion, il ne l’avait pas entendu. D’un geste contrit, il lui fit signe de reprendre. 

— Tabun imass un tab ? 

« Comment homme de moi savoir qui toi es avec casque de toi ? »

Le traducteur faisait des progrès incroyables…

— Je ne peux pas changer le noir et rouge de ma combinaison, mais la lueur qui m’entoure est produite par mon amesh. Elle, je peux la modifier. Je passerais du jaune au bleu. Est-ce que ce sera suffisant ? 

Que la déesse lui pardonne, si porter les couleurs d’une autre Horde était tabou, mourir bêtement l’était encore plus.

— Abssam dan etsi un ebnas dat, danum ilssome messam tah. Dabsah messet out un ebnas dout.

« Je pas peux promesse que humain faire attention de toi, mais je dire à eux. On besoin que tu en vie pour arrêter explosion »

Difficile d’en attendre plus au vu des circonstances. 

Il jeta un œil à son amash’atak pour surveiller le compte à rebours. 

— Absah tosh mon ab noh ? lui demanda Ugo.

« Combien encore nous a en heure ? »

Turük fit un rapide calcul de conversion sur les fuseaux horaires des humains avant de répondre :

— Quarante-cinq heures et trente-trois minutes. Si on part demain matin, avec une journée de voyage, on arrive avant la nuit. 

— Nosh bsah do nass am ! s’impatienta Ugo, frustré.

« Mais tu dis nous pas peux attaquer de nuit. »

— Non, dit Turük, catégorique. La vision nocturne de l’amesh est bien plus avancée que la vôtre, ce serait leur donner l’avantage. 

— Dot san mash abh na, noss pam tash na assam toh. Absah doh ab nos tsum mash ?

« Soleil se lever six heures, nous va avoir sept heures. Combien tu besoin pour éteindre explosion ? »

Turük n’en savait rien, cette information dépendait de bien trop de facteurs. Son incertitude dut se lire sur son visage puisqu’Ugo se redressa avec un long soupir qui fit écho à la profonde lassitude de Turük. Il leur aurait fallu du repos, mais les préparatifs étaient loin d’être terminés et leur temps était compté. 

Le mâle grisonnant se servit une boisson à l’odeur piquante et en versa dans un deuxième récipient qu’il lui tendit. Turük porta le liquide à son nez. L’alcool était fort. Bien plus fort que ce qu’il avait l’habitude de boire. La plupart des espèces du consortium étaient friandes de ce genre de breuvage. Pour le peuple taëkh’to, perdre le contrôle de sa tête et de son corps est un sacrilège envers la Divine, en plus d’un acte hautement incompréhensible pour un guerrier qui se veut alerte. Mais il était capable de reconnaître un geste d’amitié quand il en voyait un et il porta le récipient à ses lèvres. Amer, piquant, chaud dans la gorge. 

Ugo rit chaleureusement à sa grimace et Turük n’y vit aucune malice.

Son regard alla de nouveau vers son ayatsë. Elle conversait avec Toma qui, étrangement, s’était écarté d’elle. Tant mieux. Il n’aimait pas ses manières trop familières… Non pas qu’il eut son mot à dire en vérité. 

Ass man Charlotte, doh bansam tap ashna, tso ? 

« Avec pas Shaarlot, toi pas venir sauver nous, vrai ? »

Inutile de mentir. Turük acquiesça d’un hochement de tête qu’il accompagna, instinctivement, d’un claquement de langue. Sans son ayatsë, il ne serait jamais venu chercher les humains. Il serait mort en essayant de désarmer le vaisseau, seul. 

— Tsum ath massam atsi noh dabh tasma ? dit l’homme dans un soupir. 

« Quoi nous fait si toi pas peux éteindre explosion ? »

Turük préférait ne pas y penser. Son silence en dit long et Ugo poussa un nouveau soupir avant de se resservir. Il n’en proposa pas à Turük qui l’en remercia intérieurement. 

— Absah asspania nam sipsa astanam ma ? demanda son ayatsë depuis l’autre bout de la tente. 

« Combien de mâle contient vaisseaux de toi si plein ? »

Il fallut un moment à Turük pour comprendre que sa question ne dépendait pas du sexe de ses congénères. Les humains parlaient des groupes au masculin. Une unité devenait un homme, qu’il soit mâle ou femelle. 

— Cinq à six cents unités, ayatsë. Pourquoi ? 

Doss mass atam, doh nass massam ?

« Et eux qui gardes vaisseau, eux mourir avec explosion ? »

Pourquoi s’inquiétait-elle de cette bande de kashuk ? Devant sa confusion évidente, elle reprit :

Adan bass mattom doh ?

« Vous pas cellule de fuite si vaisseau casse ? »

Si. 

L’espoir mêlé à la contrariété dans les yeux d’Ugo répondait à sa propre stupidité de ne pas y avoir pensé plus tôt. Si les cellules de survie étaient la solution de repli des guerriers restés sur place, elles devaient être en état de marche…  

— Je peux pas promettre que les cellules soient fonctionnelles et il faudra décoller au moins vingt minutes avant l’explosion pour en être assez loin, dit-il précipitamment. Mais dans le cas où j’échouerais à stopper la détonation, elles seront notre meilleure chance de survie. Seulement, cela voudrait dire quitter votre planète et rejoindre le gros de notre armée. 

Un lourd silence emplit la tente, à peine brisé par le bruit de la tempête qui leur parvenait depuis l’entrée de la grotte.

—  Dassh ban so ma dan ma, murmura Ugo, plus pour lui-même que pour les autres. 

« Nous pas peut être plus mort que mort. »

Et Turük ne pouvait qu’admirer le pragmatisme de la remarque. 

— Daissan ath mao doh bassam na doh, dit le mâle grisonnant à Toma. Dot mao ath mass itsum bah adin ba. Doh mantah Arnaud dass massam oth sitansum. 

« Vous préparent civils pour évacuer. Eux venir et pas loin attendre. Toi ordre Arno pour envoie message chez militaire de la base. »

Le lendemain et plusieurs kilomètres plus tard, Hugo observait Thomas, anxieux. Celui-ci faisait face au lieutenant et à sa dizaine de subordonnés. 

Ils avaient décidé que le jeune blondinet prendrait la tête des réfugiés. Il était plus que capable et Hugo avait attendu trop longtemps. Le froid réveilla ses douleurs et, retenant une vilaine quinte de toux, il reporta son attention vers le conflit en face de lui.

Trempés jusqu’aux os malgré leurs vêtements étanches, les deux hommes tentaient de coordonner leurs attaques dans le boucan incessant de la pluie et du vent puissant qui s’engouffrait entre les arbres. 

— Non, répondit le lieutenant avec aplomb. Nous prenons maintenant le contrôle des opérations. 

Putain ! 

Même au bord de l’apocalypse l’Homme ne pouvait mettre de côté son ego de merde. 

— Nous avons une meilleure connaissance du terrain, argumenta Thomas, sans parler des informations données par le sans-visage. Nous n’avons pas le temps d’élaborer un nouveau plan et…

— La guerre, c’est notre métier, coupa le lieutenant. Combien d’entre vous ont eu une formation militaire ? 

— Dhokh asbart okma dun, dit Tourruk depuis sa branche d’arbre. 

La traduction de sa réponse fut noyée dans le chaos que son apparition avait causé. Les soldats le mirent en joue en lui ordonnant de lever les mains en l’air, alors que les réfugiés s’interposaient. Hugo sourit à l’idée que les soldats, du haut de leur formation militaire poussée, ne l’aient pas remarqué. 

Pas plus inquiet que ça, le sans-visage se laissa tomber de son perchoir avec flegme, emmenant Charlotte qui semblait habituée au traitement. Il prit le temps de la poser au sol avant de réactiver son traducteur, dans le silence tendu. 

« Qui pas guerrier si perdre temps comme qui stupide. »

Il s’avança vers le lieutenant jusqu’à poser le canon de l’arme contre son torse et Hugo du reconnaître que le militaire fit preuve d’un sang-froid exemplaire. Le sans-visage dégageait cette aura de violence contenue qui jouait avec leurs nerfs et, même à distance respectable, tout son corps lui criait de fuir. Là où les hommes du lieutenant ne purent retenir quelque pas de recul à son approche, lui ne bougea pas d’un cil, si ce n’est le léger tremblement de sa lèvre inférieure. 

— Dokh mor baskh at bok asbam tul’arh dun, dit l’alien avec un rictus cruel. Um dabk’tük mak barh kash.

 « Toi tire et toi condamne tous ici. Je être qui arrête explosion. »

Le lieutenant baissa son arme, incertain, et ordonna à ses soldats d’en faire autant. 

— Dabsah mak’tarh bokha , reprit Touruk en toisant le pauvre militaire de toute sa hauteur. Dokh mobbuk matse dokh abh tak’mortak

« Nous pas temps discuter. Toi obéit nous si toi veux vivre. »

Et, sans attendre de réponse, il prit tendrement la main de Charlotte et fit signe aux hommes d’avancer. 

Tous obéirent.

Les humains ne savaient pas reconnaître la compétence quand ils la voyaient. 

Bien que Turük préférait mourir plutôt que de l’avouer à voix haute, si Toma n’avait pas de grade, il était pourtant bien plus à même de diriger des unités que cet utrek condescendant. 

Un coup d’œil à son amash’atak lui apprit qu’il leur restait trente et une heures et six minutes.

Ils avaient encore quelques kilomètres à parcourir avant d’atteindre le périmètre de la zone occupée et Turük devait profiter de ce trajet pour comprendre les forces et les faiblesses des guerriers qu’ils avaient récupérés. S’il était désormais capable de répartir les réfugiés, il fallait intégrer les nouveaux venus à ses plans. 

Ugo avait paru déstabilisé au refus de Turük de les allouer à l’avance aux divers objectifs. Et lui expliquer la différence entre une assignation efficace et une assignation efficiente n’avait fait qu’augmenter son trouble. 

Il reprit donc de la hauteur pour pouvoir observer les unités comme il le souhaitait, emportant Shaarlot avec lui. 

Il ne voulait pas l’emmener au milieu des conflits, mais il était hors de question que sa sécurité dépende d’un autre que lui. Et l’idée qu’il puisse se passer quoique ce soit qui empêcherait les civils de rejoindre le vaisseau le cas échéant lui donnait des bouffées d’angoisse qu’il ne parvenait pas à maîtriser. 

Que les guerriers ayant été choisis quittent leur Horde à la demande de leur ayatsë lui avait toujours paru excessif. Ce n’était plus le cas…

Il récita une nouvelle fois le kalahek matuk tout en observant les humains en contrebas. 

Déterminés, bien que fatigués par la marche forcée, ils avançaient d’un bon pas. La moitié n’avait pas la formation nécessaire pour ce combat, mais leur nombre et leur volonté de vivre pourrait suffire à faire pencher la balance en leur faveur. Sans parler des deux t’hark’ma’tük supplémentaires apportés par les miliaires…

Une main douce lui caressa la joue et tout son corps réagit à ce toucher. 

— Doh nasse, doh nam nao tam, mumura son ayatsë.

« Tu satisfais, tu crois plan fonctionne. »

Ce n’était pas une question. Elle le lisait en lui. Il déposa un baiser sur ses petits doigts avant de la prendre à nouveau par la taille pour remonter la colonne d’humains et continuer ses observations.

Accroupi à l’abri derrière un rocher, Kylian attendait le signal avec ses hommes, nerveux. La pluie n’avait pas cessé et le vent soufflait toujours plus fort. La situation était désagréable, mais il avait connu pire.

Ils avaient aperçu le vaisseau au loin en arrivant sur leur position et, même si ce n’était pas le premier qu’il voyait, il n’avait pu retenir un frisson d’angoisse. Savoir qu’il n’était occupé que par une dizaine de taëkh’to ne le rassurait pas. Il avait déjà vu des bataillons entiers se faire décimer par moins que ça…

Dire qu’ils allaient attaquer un de ces machins sous la lubie d’un alien de merde qui s’était amusé à l’humilier devant ses hommes… 

Il dirigea le viseur de son fusil longue portée vers le sans-visage, sur le flanc de montagne en face. Il suffirait d’une petite pression du doigt et… Et il se condamnait à mourir avec tous les autres péquenauds du coin.

Il retint un grognement rageur. Et avec le vent, il n’était même pas certain d’atteindre sa cible. 

Bouchard lui lança un regard interrogateur. Qu’il aille au diable ! Kylian avait bien vu comment ses hommes l’observaient depuis l’intervention du sans-visage. Il s’était couché devant l’alien comme un gamin pris en faute et le peu d’autorité qu’il avait sur ses soldats était parti en fumée. Merde ! Ce connard s’était même permis de réorganiser ses unités ! 

Non, ce n’était pas le moment, mais personne ne pourrait lui reprocher une balle perdue… Sauf qu’il devait attendre que la mission soit terminée s’il ne voulait pas crever aussi. Bah ! Il aurait bien une excuse pour l’abattre. Comme disait toujours son père : « Chassez le naturel, il revient au galop ! » Ce bâtard allait bien finir par faire un faux pas et redevenir agressif. Kylian serait là pour lui donner ce qu’il mérite. 

Mais il lui fallait encore repérer où placer ses hommes. Il tourna son viseur vers leur destination. Le plan était simple, au moins n’avait-il pas à s’inquiéter de ça. Il lui suffisait de trouver le bon angle d’attaque et il mettrait fin à cette histoire en un rien de temps. 

Il laissa échapper un rictus dédaigneux. Ce Thomas les avait sérieusement sous-estimés. Même avec la pluie, la pente n’était pas aussi dangereuse qu’il l’avait annoncé. Ses hommes seraient tout à fait capables de s’y installer et ils auraient une bien meilleure ligne de tir que l’endroit choisit par le blondinet. 

Contrarié, Kylian changea ses plans. Les civils n’y connaissaient rien et c’était l’un d’entre eux qui donnait les ordres…

Il repéra du mouvement en contrebas et il sentit sa nervosité monter d’un cran.

Les soldats autour de lui s’agitaient, bien conscients de l’imminence de l’attaque. 

Enfin, une lampe clignota dans sa direction. Trois courts, un long, deux courts, deux longs. 

Bouchard y répondit. Kylian fit signe à ses hommes et ils se glissèrent hors de leurs abris, aussi silencieux qu’une ombre. Ou plutôt, un troupeau d’ombres… 

Turük observait, dépité, l’arme archaïque sur ses genoux. Quelle déchéance…

Son ayatsë posa une main douce sur son bras et il sentit la chaleur de ses petits doigts se répandre à travers son amesh. Dire que la plante elle-même réagissait à son contact…

— Thomas abnass mash to. Bassam tess out.

« Toma en place. Bientôt signal. »

Il pouvait lire la nervosité sur chaque trait de son visage baigné par la pluie et il s’en voulut de lui infliger ça. L’autre option n’aurait pas été plus enviable. 

Il l’observa, admiratif, alors qu’elle s’installait confortablement sur son rocher, indifférente face au sol boueux et détrempé. Le canon de son fusil posé sur le petit trépied était pointé vers le vaisseau imposant en contrebas, prêt à tirer. Son binôme se coucha à ses côtés avant de les recouvrir tous deux d’une bâche étanche. Aleks de son prénom, se souvint Turük avec un sourire amusé. Chez lui, c’était le surnom que les femelles donnaient au sexe de leur mâle quand elles n’en étaient pas satisfaites. 

Heureusement, cet Aleks-ci paraissait compétent. C’était un soldat roux qui avait expliqué à son ayatsë, d’une voix calme et posée, le rôle qu’il s’apprêtait à jouer pour elle ainsi que la manière dont ils devraient communiquer. Le mâle savait de quoi il parlait et il avait fait grande impression auprès de Turük, Shaarlot semblait entre de bonnes mains.

Elle n’avait pas choisi un fusil imposant à la cadence de tire rapide, mais un coup par coup avec une portée longue. Il avait eu peur qu’elle ne soit pas capable d’en supporter le recul, mais Ugo avait éclaté d’un rire franc tandis que Shaarlot lui exposait l’étendue de sa bêtise. Il revit ses doigts experts démonter et remonter l’arme pour s’assurer de son fonctionnement, avant de toucher sa cible d’entraînement à presque trois cents untzu ! Elle lui avait alors nonchalamment expliqué que son père la faisait chasser avec un fusil de cette sorte et Turük avait recommandé l’âme de son géniteur à la Divine. 

Au moins, resterait-elle en retrait. 

Un éclair traversa le ciel, éclairant la cuvette formée par les montagnes et le vaisseau écrasé en son bout. D’un instant à l’autre, la première offensive serait lancée, menée par Toma. Puis ce serait à lui.

Le bruit assourdissant du tonnerre retentit et le kalahek matuk s’imposa à son esprit, il en laissa les paroles couler sur sa langue. Tout son corps fourmillait d’impatience et n’attendait qu’une chose, passer à l’action. Besoin impérieux et conditionné, augmenté par l’odeur métallique de l’air pressurisé de son casque.

Il pouvait lire la peur dans les yeux des réfugiés autour et ça ne faisait qu’attiser sa propre soif de sang. Il avait choisi les plus rapides, les plus agiles, pour fondre sur l’ennemi occupé à repousser la première vague. C’était une position dangereuse, car ils seraient à découvert un certain temps avant de se trouver à portée de tir et ses guerriers le savaient. 

Il ne put retenir un rictus amer. Ses guerriers. Ces unités-là étaient loin d’avoir les compétences nécessaires pour arborer ce titre. Mais il devait reconnaître qu’ils en avaient le cœur et, de toute évidence, Turük les avait déjà adoptés. 

Des soupirs contrôlés mêlés à des rires nerveux lui parvenaient. Certains chantaient d’une voix éteinte, d’autres priaient. Devant la fébrilité de ses hommes, Toma s’était excusé auprès de lui, comme si la peur était quelque chose de honteux. Turük avait connu assez de batailles pour savoir que l’appréhension d’une réalité terrifiante était une marque d’intelligence. Seuls les imbéciles sont incapables de comprendre quand il faut s’inquiéter. 

Son amash’atak indiquait sept heures et vingt-sept minutes.

Le porteur du t’hark’ma’tük attira son attention vers la forêt en contrebas. Le signal lumineux leur parvint et il fit signe à ses unités de se préparer.

À l’aide de ses jumelles, Thomas observait les sans-visage au pied du vaisseau. À travers le rideau de pluie, il scrutait, contrarié, la lueur jaune du bouclier qui les entourait. Comme si leurs armures ne suffisaient pas…

Il y a beaucoup de choses qu’il ne comprenait pas. Touruk lui avait bien expliqué qu’un taëkh’to ne fuyait pas le combat, puis les humains ne les effrayaient pas, ils n’avaient donc aucune raison de se retrancher dans le bâtiment. Mais cette attitude dépassait l’entendement pour Thomas. 

C’est à cet endroit que la forêt s’approchait au plus près de la zone ennemie. Il savait que leur radar avait repéré sa troupe depuis un moment déjà, mais, comme Touruk l’avait anticipé, ils patientaient de pieds fermes que les humains soient à découvert. Inutile de gaspiller des munitions entre les arbres, avait-il dit.

 Touruk lui avait assigné la plupart des militaires et, surtout, les plus aguerris, ceux qui n’avaient pas froid aux yeux. Il leur faudrait des nerfs d’acier pour charger et tenir bon en attendant les deux assauts suivants…

Un des soldats qui l’accompagnaient lança le signal lumineux et scruta la montagne pour les deux réponses. Nouvel éclair, nouveau grondement assourdissant du tonnerre…

Thomas se concentra sur sa respiration. De grandes inspirations, des expirations lentes. Les doigts crispés sur son arme, il essayait de ne pas penser à la suite, l’estomac au bord des lèvres. Derrière lui, Hugo priait à voix basse. Ce n’était pas leur premier affrontement, même avec des taëkh’to, mais aucun n’avait été de cette ampleur.

La deuxième réponse ne tarda pas à arriver et, sans plus réfléchir, Thomas ordonna la charge et se mit à courir entre les arbres.

Les cris et la cavalcade de ses hommes autour de lui se perdaient dans le tumulte de la tempête. Son cœur battait à s’en rompre les côtes. Le premier coup de feu lui parvint, suivit par le bruit caractéristique d’un tir énergétique et l’angoisse lui coupa toutes sensations que pouvait lui envoyer ses jambes. Qu’il soit encore capable de courir tenait du miracle, mais il continua. 

Un éclair zébra le ciel et il sortit de l’orée de la forêt, à découvert. Un trait jaune et brûlant lui frôla la joue, puis ce fut le chaos. 

Suivi par la petite unité de réfugiés que Touruk lui avait créée, Hugo fonçait en hurlant à la suite de Thomas. 

Ils n’avaient pas quitté le couvert du bois que les tirs ennemis les atteignaient déjà. Autant pour la théorie du sans-visage… Les arbres ne les arrêtaient pas. 

Un homme devant lui s’écroula dans la boue, la tête traversée d’une tempe à l’autre. Quelque chose n’allait pas. 

Un mouvement dans les fourrés sur sa droite attira son attention et il eut tout juste le temps de se baisser pour éviter un trait jaune qui siffla au-dessus de lui. 

— On est pris à revers ! hurla-t-il.

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