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1 - Prologue - La proie n'est pas toujours celle que l'on croit
2 - 1 - Appat
3 - 2 - Premier contact
4 - 3 - La putain du monstre
5 - 4 - Fuite
6 - 5 - Trouble
7 - 6 - Riu'riuk
8 - 7 - Taupe
9 - 8 - Il s'est fait tout petit devant une poupée
10 - 9 - Complicité
11 - 10 - Trahison
12 - 11 - Ayatsë
13 - 12 - Échange culturel
14 - 13 - Orage
15 - 14 - Madame n'aime pas…
16 - 15 - Amesh
17 - 16 - Assaut
18 - 17 - Pertes et fracas
19 - 18 - Ego
20 - 19 - Haine
21 - 20 - Éveillés
22 - 21 - Rage
23 - 22 - Orphelin
24 - Épilogue - Rédemption
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8 - Il s'est fait tout petit devant une poupée

— Courage, murmura-t-elle à Lucifer en le poussant doucement de la main. On y est presque…

Engoncée dans la faille étroite, elle lui répétait cette litanie en boucle et ne savait plus si elle l’encourageait lui, ou si elle s’encourageait elle-même. 

La sortie de l’avant-poste, même si elle avait été compliquée, s’était faite sans encombre. Ils avaient rejoint l’entrée de la faille dans laquelle se trouvait la grotte qui deviendrait leur salut pour les prochains jours et c’était ici que les choses s’étaient corsées. 

L’adrénaline ne faisait désormais plus effet et, ne tenant pas à deux de front dans le petit espace, elle s’était retrouvée à pousser Lucifer devant elle pour qu’il avance et le pauvre faisait de son mieux. Dans son état, marcher était déjà une épreuve en soi, mais en plus, avec sa large carrure, il devait se déplacer de profil sur le chemin étroit et inégal entre les deux parois rocheuses. Le son de sa respiration laborieuse était douloureux à entendre et il s’affaissait régulièrement sous les tremblements de son corps en état de manque. 

Lucifer fit une nouvelle pause. Son front posé contre la pierre, il essayait de reprendre son souffle. Elle patienta le temps nécessaire, lui laissant assez d’espace pour qu’il se sente à l’aise, mais assez proche pour être là si ses jambes lui faisaient à nouveau défaut. 

Après les explications de Thomas, elle comprenait mieux l’état du taëkh’to. Elle ne savait pas quelles substances son armure avait utilisées pour le garder alerte, mais elle ne voyait clairement pas en quoi mettre un soldat dans cet état était un avantage tactique. Le souvenir de Lucifer s’acharnant sur son brassard à plusieurs reprises lui revint et elle se dit que la combinaison était peut-être défectueuse, en fin de compte. 

Il se redressa et reprit la route. Régulièrement, Charlotte contemplait le peu de ciel étoilés visible au-dessus de leur tête. La faille était haute de plusieurs mètres et elle ne pouvait voir grand-chose des constellations, aussi dut-elle se fier à l’éclaircissement de la couleur du ciel pour mesurer le passage du temps. Le bleu déjà pâlissant lui indiqua qu’il devait leur rester une heure ou deux avant le lever du soleil, tout au plus. 

Enfin, ils déboulèrent dans le petit espace créé par l’écartement entre deux couches de roche sédimentaire et Lucifer ne put faire un pas de plus, il s’effondra à l’entrée. 

Le monde n’était que douleur. La tension de ses muscles semblait ne jamais s’apaiser, constamment relancée par les tremblements compulsifs de son corps mis à mal. Il ne savait plus s’il avait froid ou chaud, l’eau ne parvenait pas à soulager sa bouche éternellement sèche et il n’aurait su dire si le sommeil l’avait pris ou non. Il nageait en continu dans un brouillard de pensées et de douleur, incapable de définir le réel du souvenir. Un moment, son sul’sul lui glissait le goulot d’une bouteille entre les lèvres, l’instant d’après c’était le fantôme de Da’albük, son second, mort depuis plusieurs mois. Parfois, l’humaine lui parlait d’une voix douce, d’autre fois Alutsë le regardait d’un air méprisant et lui demandait quel genre de batzuk elle avait élevé pour qu’il termine dans cet état. Une attitude si loin de celle, dure mais bienveillante, de son ancienne instructrice. C’était son propre dégoût de sa situation qui s’emparait des visages les plus susceptibles de le faire souffrir.

Il concentrait autant que possible son attention sur son sul’sul, rejetant comme il pouvait les fantômes de son passé dans les méandres de ses souvenirs. Mais le soulagement apporté par l’humaine n’était que trop faible face au sentiment de culpabilité amené par les autres. 

Quand ce n’était pas ses regrets qui le tourmentaient, il revivait continuellement la déchéance de son ordre. La frustration de ses mises en garde ignorées par Oltar Simük. L’impuissance face aux manigances et aux accusations. La course effrénée pour sauver les membres de son escouade. 

La honte de son échec. 

La honte d’avoir survécu. 

La honte de ne pas savoir quoi faire désormais. 

La honte de ne pas aller, seul, affronter ce kashuk. 

La honte de vivre dans la honte. 

Charlotte rattrapa de justesse Lucifer avant qu’il n’atteigne ses épées. Il voulut se débattre, mais la faiblesse de son corps ne le lui permettait pas et il ne parvint qu’à hurler de désespoir. 

Elle étouffa son cri en le serrant contre elle. Par habitude, elle plaqua la bouche de Lucifer contre son épaule tandis qu’il laissait échapper sa rage et sa détresse. Ce n’était pas la première fois qu’il tentait de mettre fin à ses jours et elle se félicitait encore d’avoir éloigné les armes. Même si la grotte n’était pas bien grande, ça lui offrait juste assez de temps pour intervenir. 

Les tremblements reprirent et il se roula en boule dans ses bras. Elle n’avait aucun moyen de l’aider à combattre les démons qui le hantaient, mais elle connaissait leur origine. Le sevrage poussait les gens dans leurs retranchements et les menait à des actes terribles, même dans des conditions idéales. Et ici, elles étaient loin de l’être. 

Quand il se calma enfin, elle le traîna comme elle put jusqu’au sac de couchage et l’enroula de nouveau dedans. Ces deux derniers jours, elle avait eu froid, mais il en avait plus besoin qu’elle. 

Elle en profita pour jeter un œil sous les bandages et fut satisfaite de voir que les plaies se soignaient bien. Tout du moins en avaient-elles l’air avec le peu de connaissances qu’elle possédait de la physionomie alien. Elle avait même été étonnée de les trouver si propres et déjà en cours de guérison, mais le dire de Thomas lui était revenu en mémoire : certainement que l’armure y était pour quelque chose. 

Elle avait pensé un moment à chercher le moyen de la lui remettre, mais la vue de Lucifer l’en avait dissuadé. Comment savoir si son état n’allait pas s’aggraver ? Il serait plus à même qu’elle de prendre la décision à son réveil. 

Elle se trouva de nouveau à contempler le visage du taëkh’to. Elle avait eu le temps de s’habituer à son apparence étrange. Alors qu’elle le soignait, elle avait assez touché le fin duvet, noir profond et soyeux, qui recouvrait sa peau pour ne plus s’en étonner. Les doubles petites cornes qui surmontaient son front de chaque côté de son crâne et encadraient ses cheveux rouges épais et habilement tressés ne l’inquiétaient plus, pas plus que ses dents aiguisées. Elle n’était plus intimidée par la puissance brut qui se dégageait de son corps aux muscles longs et fins. Elle avait eu l’occasion de côtoyer des hommes forts et baraqués. Même Thomas aurait pu paraitre impressionnant s’il n’avait pas eu une expression aussi douce. Aucun d’entre eux ne faisait, cependant, preuve d’une telle maitrise de leur mouvement.

Oui, avec ces derniers jours auprès de Lucifer, elle avait apprivoisé son apparence étrange.

Même si… À dire vrai, la découverte qu’elle avait faite en lui enlevant le haut de sa tenue pour bander les plaies l’avait plus que déstabilisée. 

Enroulée autour du vendre du taëkh’to inconscient, se trouvait ce qu’elle prit pour une ceinture de fourrure noire tachetée de blanc. Elle avait voulu la lui retirer également et son cœur avait fait un bond dans sa poitrine quand la chose s’était mise à bouger toute seule, avant de se dérouler. Il lui avait fallut se rendre à l’évidence, il avait une queue…

Un ricanement nerveux lui échappa au souvenir, résonnant dans la petite cavité. Elle n’était toujours pas parvenue à savoir si tous les taëkh’to en possédaient une et, si oui, pourquoi personne n’en avait jamais parlé. Et pourquoi la cacher ? 

La faible lumière du soir qui pénétrait depuis le haut de la faille éclairait le visage enfin serein de Lucifer. Les phases d’agitations se faisaient de plus en plus espacées, ce qui lui donnait autant d’opportunité d’observer ses traits. 

Si son nez long et plat lui avait d’abord paru étrange, avec le temps elle ne pouvait qu’admirer l’harmonie qu’il apportait à son profil, atténuant l’angle sec de sa mâchoire carrée. Les fines nervures rouges laissées sur sa peau par son armure, naguère si foncées qu’elles en étaient assorties à la couleur de ses cheveux, s’étaient tellement éclaircies qu’elle les distinguait à peine. Elle aimait à parcourir du regard le motif complexe qu’elles dessinaient. Il descendait des cornes de Lucifer pour s’enrouler autour de ses yeux, suivait les lignes de son nez et fleurissait sur ses joues en des arabesques douces. 

Que son expression puisse se montrer aussi féroce, aussi dangereuse, que dans son souvenir lui paraissait incroyable. Que la vision de cet être puisse inspirer la peur et l’horreur lui semblait impensable. Elle n’y voyait que réconfort et sécurité. 

L’embarras poussa ses mains à lui frotter énergiquement le visage. Comment en était-elle arrivée là ? Qu’est-ce qui ne tournait pas rond chez elle ? 

Après deux journées à prendre soin de lui, épuisée, elle en oubliait par moment qui il était et d’où il venait, ou encore de quoi il était capable. 

Et elle en oubliait parfois ce qu’il avait fait… Tout du moins ce que sa race avait fait. 

Tombés sur le monde comme une nuée de sauterelles sur un champ de blé, ils avaient anéanti tout ce que l’humanité avait mis plusieurs millénaires à construire. Et pourquoi ? Le problème était là, personne n’en savait rien. 

Était-ce un jeu ? Cette race se croyait-elle si puissante que détruire l’entièreté d’une civilisation ne soit qu’un amusement ? En tout cas, c’est tout à fait l’impression qu’ils donnaient. 

Mais être en contact avec Lucifer de cette façon avait soulevé le doute dans son esprit. 

Oui, il prenait clairement plaisir à combattre, mais c’était un soldat. Elle avait côtoyé des survivants assoiffés de la souffrance des autres. Lui, il n’était pas cruel. Au contraire…

Et pourquoi devrait-elle rejeter le confort de sa présence ? 

Pourquoi repousser son soutien et compliquer sa propre survie par respect pour une humanité déjà morte ? 

Quel fantôme viendrait le lui reprocher ? 

C’était un des premiers enseignements de son père. Les morts n’ont pas besoin de respect.

Non, il ne fallait pas tuer un ours pour se nourrir. Mais refuser la viande de celui déjà abattu quand on crève de faim, c’était de la bêtise pure et simple.

La fatigue alourdit ses paupières. Elle devait profiter de l’accalmie de Lucifer pour se reposer. Après avoir vérifié que les pièges sonores installés le long de la faille étaient toujours en place, elle se roula en boule à côté du sans-visage pour se préparer à une nouvelle nuit dans le froid. 

Allumer un feu était hors de question alors qu’ils étaient sûrement recherchés. Quant à bénéficier de la chaleur de Lucifer, ce n’était pas possible. Chaque contact lui déclenchait des frissons de souffrances. Elle préférait ne pas perturber son sommeil déjà compliqué.

Accablée par la fatigue, elle sombra dans une somnolence lourde et oppressante. 

Perdu entre rêve et réalité, Turük mit un moment à comprendre qu’il avait ouvert les yeux. 

Il avait chaud. Trop chaud. Mais une chaleur qui ne venait plus de lui. Ses habits n’étant plus recouvert par l’amesh’tolkat depuis qu’il avait retiré sa combinaison, son sul’sul l’avait enroulé dans le cocon vert qu’elle utilisait pour dormir. 

Il la chercha dans la pénombre de la grotte, à peine éclairé par les rayons de lune tombant depuis la fine crevasse au plafond. Son esprit n’avait pas été aussi alerte depuis leur fuite de la ville. Couché sur le dos, sa nuque raide le mit au supplice alors qu’il tournait la tête pour la trouver. Enfin, son regard se posa sur le dos d’une petite silhouette roulée en boule à côté de lui, parcourue de frissons. Elle avait froid.

Il dut lutter contre son propre corps pour parvenir à se placer sur le côté. Chaque muscle qu’il bougeait émettait une protestation vigoureuse qui lui tirait des gémissements de souffrances pathétiques. Il tenta de les étouffer dans le tissu épais, sans grand succès. Ses doigts cherchèrent à tâtons l’ouverture étrange du cocon et la tira vers le bas, puis, d’un geste tout à la fois douloureux et maladroit, il passa son bras autour de la taille de son sul’sul pour la faire glisser jusqu’à lui. Placée tout contre son torse, le fait qu’elle n’ait pas bougé un cil en disait long sur son état de fatigue.

Une fois de plus, une vague de honte l’envahit.

Il était le protecteur. Il était le guerrier. Il était celui qui avait pour rôle de se battre pour les autres. 

Il réenclencha tant bien que mal l’ouverture du cocon. C’était étroit, mais elle n’aurait plus froid. 

Le nez enfoui dans ses cheveux, il savourait le parfum frais de fougères et d’humus qui s’en dégageait, réconfortant. Ses paupières lourdes se fermaient lentement sans qu’il ne puisse rien y faire et un profond riu’riuk se répandit dans la grotte. Il ne chercha pas à lutter pour qu’il s’arrête. Même l’humiliation de se comporter comme un nouveau-né ne parvint pas à éloigner la fatigue.

Satisfaite, Charlotte regardait Lucifer dévorer le contenu d’une boîte de ravioli froide. La faim, c’était un bon signe de rétablissement. 

Au coup d’œil qu’il lui lança, elle comprit qu’elle l’observait depuis trop longtemps et replanta sa fourchette dans sa conserve de haricots verts. Il lui sourit doucement et le cœur de Charlotte fit un bon dans sa poitrine. 

Le souvenir de son réveil quelques minutes plus tôt vint la hanter et elle senti ses joues chauffer, ajoutant de l’embarras sur son trouble déjà présent. 

Sans pouvoir se rappeler comment, elle s’était retrouvée dans le sac de couchage, entre les bras de Lucifer qui dormait profondément et elle était bien trop à son aise pour ne pas en être gênée. Elle avait essayé de s’extirper doucement sans le tirer de son sommeil, mais la queue qu’il avait enroulée autour de sa jambe avait rendu sa tâche impossible et il avait ouvert les yeux alors qu’elle était à moitié debout. Tout aussi surpris qu’elle, il s’était assis d’un bon, ce qui lui avait valu une grimace de douleur. 

Depuis, ils n’avaient pas dit un mot et elle s’était contentée de sortir de quoi manger. Il semblait aller mieux. Son visage accusait encore le contrecoup des trois derniers jours de lutte intense, mais son regard avait retrouvé sa vivacité habituelle et, si ces mouvements paraissaient toujours faibles et hésitants, au moins ne tremblait-il plus. 

À un moment ou à un autre, ils allaient devoir discuter. Elle redoutait cet instant. 

Qu’allait-il se passer ensuite ? 

Mais l’incertitude était pire que le reste.

Décidée, elle fouilla dans son paquetage pour en sortir le brassard de Lucifer et le lui tendit. 

Ils devaient parler, autant qu’ils le fassent le plus vite possible et, pour ça, il leur faudrait le traducteur.

Le regard dur de son sul’sul se planta dans le sien alors qu’elle lui présentait son amash’atak qu’elle venait de sortir de son propre sac. 

Il le contempla, surpris. C’était pourtant bien le sien, il n’y avait aucun doute. Mais alors…

Il plongea sa main au niveau de sa cuisse dans la poche de son pantalon ample et en ressortit un amash’atak qui n’était, pour le coup, définitivement pas le sien. Dans son délire de drogue, il avait volé l’appareil d’un autre soldat. Enfin, « volé » était un bien grand mot. Un coup d’œil sur l’interface lui suffit pour voir que le brassard était dans un état pire que le sien. Il attrapa celui que lui tendait son sul’sul à l’air surpris et caressa l’écran jaune pour activer le traducteur. 

— Je croyais que celui-ci m’appartenait, dit-il en désignant l’interface qu’il avait ramassé dans la tente humaine. La Divine soit louée, tu as trouvé le mien. Merci. 

Elle secoua la tête d’un mouvement qui ressemblait à une négation. Il ne comprit pas bien le geste, mais le petit sourire qui l’accompagnait le rassura. 

Un silence gênant s’installa. Il y avait tant de choses à dire et tant de choses à taire… par où commencer ? 

— Merci, répéta-t-il bêtement et, devant l’air étonné de la jeune femme, il précisa sa pensée. Merci… d’être venue. 

Ce devait être le remerciement le plus pitoyable de toute l’histoire de la conquête galactique. Mais il ne voyait pas comment exprimer ce qu’il ressentait. Ce mélange de honte et de mépris. Cette culpabilité quant à la situation… La gratitude était à mille lieux de suffire dans ces circonstances. 

— Masha tat ma no ? répondit-elle d’une voix blanche. 

« Quoi faire nous maintenant ? »

C’était tout ? Il s’était attendu à un flot de haine et de colère. Il s’était préparé à de la rancœur et une demande de réparation. Elle avait le droit de réclamer sa servitude pour la vie qu’il lui avait prise. Jamais plus elle ne pourrait retourner parmi les siens au risque de se faire reconnaître comme la traîtresse. 

Mais si ce fait la perturbait, elle n’en montrait rien. 

Et la question le dérangeait presque plus que le manque de réaction logique dont elle faisait preuve.

Et maintenant quoi ? 

Il n’avait pas plus de chance de retrouver la Horde qu’avant, et il avait une responsabilité envers cette humaine dont il ne pouvait décemment pas se dédouaner. 

Il y avait toujours cette histoire de vaisseau écrasé avec les kashuk qui l’avait attaqué à vue, mais ce n’était pas vraiment un investigation qu’il pouvait entreprendre avec son sul’sul.

— Pourquoi tu voulais traverser la vallée ? demanda-t-il, aussitôt traduit par la sentiance artificielle.

Eto man pala bastat.

« Peut-être famille de moi là-bas. »

Peut-être ? Avec la guerre et leurs dispositifs de communication coupés par sa Horde, elle n’avait aucun moyen d’être sûre qu’ils soient encore en vie. Mais elle aurait moins de chance d’y être reconnue pour sa trahison.

— Je t’emmène là-bas, après on verra. 

— Tat ma tano pass no, dit-elle en refusant de la tête. 

« Toi pas peux déplacer maintenant »

Il sentit ses oreilles se plaquer contre son crâne alors qu’une nouvelle vague de honte et de désarroi le submergeait. 

— Ce n’est pas à toi de décider ce dont je suis capable ou non. 

Sans vraiment s’en apercevoir, il avait découvert ses dents alors qu’il réagissait plus sèchement qu’il ne l’aurait voulu. 

Ce qu’il regretta aussitôt quand son sul’sul eu un mouvement de recul. Mais elle se reprit bien vite et c’est avec son petit visage plissé par la colère qu’elle lui répondit :

— Tat ma tano tour, almao penta mo ! Tatum no tat tano pass !

« Je soigne nuit jour, je choisis toi marche ou pas »

Et, sans attendre sa réponse, elle s’était levée rageusement avant de s’engager dans la faille pour sortir de la grotte, le laissant seul avec sa stupéfaction.

Personne ne lui avait parlé de cette façon depuis qu’il avait atteint l’âge adulte. Personne n’aurait osé. Depuis toujours destiné à devenir Atuk des T’sarogg du Tamon’at’uuk, même les gens ignorant son statut de Choisi par la Divine se faisaient petits en sa présence. Tous leurs instincts leur criaient qu’il était dangereux. Mais voilà qu’il venait d’être grondé comme un utrek prit en faute par une femelle fertile à peine plus haute que la moitié de sa taille. 

Juste avant de sortir, elle se retourna pour lui lancer d’un ton sec :

— Jass nam sharlott, pam sul’sul.

Et sa silhouette disparut dans le chemin étroit.

« Je nomme Sharlott non sul’sul »

Il sourit.

Il avait fallu un long moment à Charlotte avant de se calmer. 

Après tout le temps qu’elle avait passé à jouer les baby-sitters, après l’avoir traîné à travers la moitié de la forêt, après avoir bravé un camp bourré de gars armé pour sauver son p’tit cul d’alien, il osait l’envoyer chier comme ça ! Le culot !

Elle n’était pas sortie de la faille, mais en avait profité pour surveiller les alentours. Elle n’avait repéré aucune trace des hommes d’Hugo depuis la veille. Ce qui ne signifiait rien de concret encore. Charlotte voulait rester cachés un jour ou deux supplémentaires. Après quoi, ils n’auraient de toute façon plus assez de vivres et il leur faudrait se déplacer. 

Quant à savoir vers où ils allaient se déplacer…

Elle repensa à la proposition de Lucifer. Était-il sérieux quand il disait vouloir la conduire à travers la vallée ? Elle n’était plus tellement sûre de ce que ça pourrait lui apporter. Si sa famille était vivante, ils seraient tout autant des inconnus que d’autres survivants. Elle n’était pas certaine qu’ils l’accueillent à bras ouverts si les rumeurs de sa trahison leur parvenaient. Et ce serait pire si elle débarquait là-bas escortée par un sans-visage. 

Beaucoup de si…

D’un autre côté, elle ne savait rien des objectifs de Lucifer. De toute évidence, il voulait rejoindre les siens, mais il lui avait dit ne pas être le bienvenu parmi eux. 

Rien n’était logique. 

Quand elle retourna dans la grotte, elle trouva Lucifer en pleine contemplation de la sphère qu’était devenue son armure. 

Il tourna ses yeux rouges vers elle alors qu’elle s’asseyait sur son sac de couchage en face de lui.

— Shaarlot, dit-il d’une voix grave et profonde. 

Un frisson parcourut son dos. Elle avait la sensation de redécouvrir son nom au travers des sonorités rugueuses de l’accent du taëkh’to. 

— Je… paardo, pas veux… colère, dit-il maladroitement, butant sur la prononciation et jetant des regards inquiets sur son brassard. Mer… ci toi aide… moi. 

Toute l’exaspération qu’elle avait pu ressentir s’évanouit devant les efforts qu’il fournissait et elle dut s’empêcher de rire face à la situation. Non pas qu’il y ait de quoi se moquer, son geste était terriblement attendrissant. Seulement voilà, que dirait l’humanité si elle voyait son cauchemar ainsi, penaud et balbutiant ?

Devant le regard incertain de Lucifer qui attendait sa réaction, elle voulut le rassurer et serra sa grande main dans la sienne. Elle avait agi sans réfléchir, après avoir passé trois jours à s’occuper de lui, prendre sa main ne lui paraissait pas si inconvenant. Simplement, elle réalisa trop tard que c’était la première fois qu’elle le touchait volontairement alors qu’il était conscient. Allait-il accepter ce rapprochement ? 

Gênée, elle allait la retirer quand il posa la sienne par-dessus, sourire aux lèvres et le cœur de Charlotte rata un nouveau battement. 

— Tu vas remettre ta combinaison ? demanda-t-elle en détournant les yeux pour cacher son trouble. 

Elle avait brisé leur contact et n’osait croiser son regard à nouveau, certaine que ses joues s’étaient empourprées. 

Il émit un claquement de langue qu’elle avait appris à interpréter comme un refus et il replaça la sphère dans le sac. 

— Dakh pat nam to, expliqua-t-il avec colère. 

« Pas erreur deux encore », répondit la voix métallique de son brassard. 

Elle se demandait ce que ça pouvait bien vouloir dire quand Lucifer reprit la parole :

— Shaarlot ?

Il chercha son regard et ne continua qu’une fois qu’il l’eut obtenu.

— Je Touruk, dit-il en se montrant du doigt. 

— Touruk, répéta-t-elle en essayant d’imiter le « r » court et roulé qu’il avait prononcé.

Au rictus en coin qu’il fit, elle sut que sa réussite était à la hauteur de celle du taëkh’to avec son propre prénom et laissa échapper un petit rire. La sensation de légèreté dans sa poitrine lui parut étrangère. De quand datait son dernier rire sincère ? Quand avait-elle souri par plaisir pour la dernière fois ? 

Le son cristallin du rire de son sul’sul emplissait encore ses oreilles, mais la joie avait disparu des traits de son petit visage. Au moins avait-il pu apercevoir celle qu’elle avait été avant l’arrivée de sa Horde. 

Une fois de plus, la culpabilité l’envahit, suivie de près par la colère. 

Il pourchasserait Da’Hebtük et le ferait payer pour ses crimes. 

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