Loading...
Link copied
Loading...
Loading...
Mark all as read
You have no notification
Original
Fanfiction
Trending tags

Log In

or
@
Hiurda
Share the book

Épilogue - Rédemption

Assis à même le sol recouvert d’herbe violette de la serre de réflexion, Thomas observait avec admiration la nature qui l’entourait. Le ciel synthétique était à l’orage et il aurait presque pu se laisser berner par son réalisme. Mais les feuilles des arbres, dans un camaïeu de jaune et rouge, qui s’agitaient doucement sous une bourrasque inexistante ne lui laissaient aucun doute sur l’endroit où il se trouvait. La sentience artificielle du vaisseau pouvait créer un environnement visuellement incroyable, elle était toutefois bien incapable de reproduire le vent ou les odeurs de la flore. Thomas reporta son attention sur les visages préoccupés des taëkh’to qui l’entouraient. Une femelle âgée, du nom de Matitsë, continuait son exposé d’une voix enthousiaste.

Un rictus amusé étira les lèvres du jeune homme. Il pouvait lire le flot constant d’émotions qui les parcouraient alors que leurs regards se posaient sur lui. Appréhension, impatience, consternation suivie par un étrange mélange de peur et de respect à la limite de la vénération. 

Thomas avait pris l’habitude de recevoir ce traitement. Depuis trois mois qu’ils avaient embarqués, les nouvelles capacités des réfugiés n’avaient fait qu’augmenter la déférence des taëkh’to à leur égard. Si les humains ne comprenaient eux même pas bien d’où elles leur venaient, les aliens, eux, y apercevaient une manifestation du Divin. 

Tous les regards se posèrent sur lui et une attente étouffante envahit la pièce. De toute évidence, l’exposé était terminé et le petit comité espérait une quelconque réaction de sa part. Comme souvent en l’absence de Touruk… 

Thomas ne put retenir un soupir de lassitude. Il ne voyait pas en quoi ce nouveau don qui leur était tombé sur le coin de la gueule du jour au lendemain les aurait rendus plus sages qu’une race alien millénaire, mais il entreprit de faire ce qu’on escomptait de lui. 

Il n’avait pas écouté l’exposé, il n’en avait pas besoin. Ce que le petit groupe de têtes pensantes souhaitait en réalité, ce n’était pas un avis éclairé, c’était un médiateur.

Alors il sonda les émotions qui l’entouraient, pesant et jaugeant l’implication de chacun et l’état émotionnel qui en résultait. Les personnes les plus à même d’avoir une opinion pertinente et réfléchie étaient bien souvent celles qui s’offusquaient le plus de ne pas être entendues. Il s’appropria les sentiments des autres, les tria avant de les débarrasser de toute frustration, tout ego superflu et parasite, pour enfin les leur restituer. Il n’avait rien décidé, ne savait même pas quel était le sujet de discorde, mais un verdict fut interprété de sa réponse et ils passèrent à l’ordre du jour suivant. 

Celui-ci, par contre, le touchait pleinement. 

« Éveillé, avez-vous choisi un représentant ? » lui demanda la vieille femelle par l’intermédiaire du traducteur.

Sa frustration traversa la toile de conscience et y trouva un écho chez chaque être humain qui la composait. Ce n’était pas la première fois que la question était abordée et Thomas avait cru s’être montré assez clair lors de leur dernier entretien. Mais quelque chose dans l’entêtement de la matriarche lui disait que les taëkh’to ne comprendraient jamais. Les humains n’avaient pas besoin d’un représentant. S’adresser à l’un d’entre eux revenait à s’adresser à tous. Prendre une décision pour le bien de tous ne demandait pas plus de quelques secondes de concertation interne. 

Thomas préféra aiguiller la conversation vers un sujet plus pressant à leurs yeux.

À combien s’élevait le nombre de réfugiés désormais ? 

« Deux milles trois cent quarante-huit, éveillé. » répondit la matriarche via le traducteur. 

La stupéfaction secoua la toile de conscience. Ils savaient que beaucoup d’humains avaient été sauvés par d’autres escouades en désaccord avec leur hiérarchie, mais jamais ils n’avaient espéré atteindre un tel nombre.

Dire qu’ils se demandaient à leur arrivée comment s’occuper des deux cent vingt-sept réfugiés que Touruk avait embarqués à bord du daidji… Qu’allaient-ils faire de deux mille âmes en perdition ? 

Thomas se rendit compte qu’il avait pensé trop fort quand un vieux général lui répondit : 

« Vous ne devez pas vous inquiéter, éveillé, comme nous vous l’avons déjà expliqué, votre intégration au sein du consortium est de notre entière responsabilité. C’est notre dette envers vous. Nous serons vos plus fervents défenseurs. Aujourd’hui et à jamais. »

« Aujourd’hui et à jamais. » reprirent en cœur les autres. 

Loin de le rassurer, cette annonce lui laissa un arrière-goût amer, comme chaque fois qu’elle était proclamée. Thomas espéra que Touruk ne tarde pas à les rejoindre, il était encore le seul apte à ralentir les élans de dévotion fanatiques de son peuple. 

Turük fit glisser sa main le long de la cuisse de son Ayatsë, puis remonta sur sa hanche, déclenchant une vague de frissons sur sa peau douce. Un soupir de satisfaction lui échappa alors que, encore à moitié endormie, elle se lovait contre son torse de la plus délicieuse des façons. Le nez au creux de son cou, il s’enivra de son parfum une nouvelle fois. 

Après un demi-quartier lunaire passé en cellule de régénération, elle avait rejoint son cocon depuis une quinzaine de nuits déjà et il ne parvenait pas à croire que sa présence soit bien réelle. Sa main remonta encore un peu jusqu’à effleurer du bout des doigts la cicatrice qui marquait ses côtes. Un nouvel élan de rage et d’impuissance le saisit au souvenir du visage livide de Shaarlot. Les hommes de Da’Hebtük avaient été pourchassés et exécutés, mais ce n’était toujours pas suffisant à ses yeux…

Réveillée par son malaise, son Ayatsë lui offrit un sourire tendre. 

Elle allait bien. Cette histoire n’appartenait qu’au passé et il aurait été bien plus productif de se concentrer sur leurs prochains défis. 

Cette pensée ne venait pas de lui, il le savait. Il était désormais rare que Shaarlot utilise sa voix, elle n’en avait plus vraiment besoin. Elle le faisait, parfois, pour lui faire plaisir à lui et à lui seul…

Et elle avait raison. 

Chaque jour, les Éveillés rappelaient parmi eux des esprits perdus et c’était autant d’humains à qui il fallait trouver logement, occupations, intégrations. 

D’ici un autre quartier lunaire, le daïdji de sa Horde rejoindrait le gros de l’armée et il devrait fournir des explications. L’extermination d’une race-enfant, leur implication dans un trafic d’esclaves non approuvés, un t’sarogg portant le titre d’Oltar… Ils devaient se préparer. 

Mais pas tout de suite… D’abord, il voulait bien profiter encore un peu de la douceur du moment. Il n’eut besoin que d’y penser pour que son Ayatsë affiche un sourire de connivence coquin avant de déposer un baiser tendre sur ses lèvres. 

Seulement, c’était sans compter sur leurs responsabilités puisque quelqu’un se mit à cogner avec force à l’opercule de leur cocon. 

— Tu dois devenir Oltar ! s’était exclamée Daë’Umtsë alors que l’opercule n’avait pas fini de s’ouvrir.

Ce n’est qu’au rire franc de Shaarlot que la jeune femelle s’avisa du regard noir que lui lançait son Oltar, torse nu. Turük vit les yeux de Daë’Umtsë passer du lit défait à son amash’atak qui lui apprit le décalage de leur quart. Si pour la guerrière la journée touchait à sa fin, pour Turük et Shaarlot elle n’avait pas encore tout à fait débuté…

Daë’Umtsë afficha un air contrit avant de bafouiller une série d’excuses maladroite que Turük ignora. 

— Je suis déjà Oltar, la coupa-t-il d’un ton las. 

Surprise, il fallut que Shaarlot lui fasse signe d’entrer pour que la femelle comprenne que sa demande d’audience inconvenante était tout de même acceptée. 

— Bien sûr, Oltar, reprit-elle précipitamment.

La guerrière s’assit sur l’herbe au centre de la pièce, déposa ses tablettes de recherche devant elle et attendit avec déférence que le couple s’installe pour continuer : 

— Ce que je voulais dire, c’est que tu n’as pas besoin d’abdiquer une fois que nous aurons rejoint l’armée. 

Turük retint un soupir de frustration. Ce n’est pas l’intelligence qui manquait à cette femelle, mais elle se laissait bien trop souvent emportée par ses émotions et discuter avec elle donnait bien vite l’impression de tourner en rond. Une vague de calme l’envahit, le libérant de son irritation, et il pressa avec affection les doigts de son Ayatsë pour la remercier.

— C’est-à-dire ? dit-il gentiment.

— Et bien, comme me l’a demandé Tekti Shaarlot, je suis allée fouiller un peu les archives d’ordonnance divines et les précédents historiques. Et je ne peux que confirmer, un t’sarogg ne peut prétendre à une position d’ordre ou de pouvoir, c’est contraire à tous leurs droits et tous leurs préceptes.

Il n’avait pas choisi cette situation ! La honte et la colère appelèrent sa Rage Divine et Daë’Umtsë en perdit ses mots, les oreilles rabattues sur les côtés de son crâne par la terreur. Il prit une grande inspiration pour calmer son aura. La jeune femelle n’était pas plus responsable des circonstances qu’il ne l’était lui-même.

— Vas-tu en venir au fait ? demanda-t-il avec toute la patience dont il se sentait capable.

— Oui, Oltar, répondit la guerrière d’une voix bien moins assurée. Il y a deux cas précis où un t’sarogg peut être amené à commander. Le premier est un peu flou. 

Elle attrapa une des tablettes posées devant elle pour la tendre à Turük. Il y jeta un œil distrait.

— C’est un vieux décret qui explique qu’un t’sarogg peut prendre possession des armées en cas de guerre sainte. Ce que je ne comprends pas c’est que toutes les guerres sont saintes, puisque nous partons au combat uniquement sous les ordres de la Divine…

Voilà qui touchait d’un peu trop prêt un des plus gros secrets de son ordre. D’un air détaché, il reposa les écrits devant lui. Il espéra que le second lui soit plus utile. Non pas qu’il voulait s’accrocher au pouvoir à tout prix. S’il lui était possible de rendre son titre avec l’assurance que ses réfugiés soient bien traités, il le ferait. Seulement, qui à part lui accepterait l’entière responsabilité de leur intégration dans le consortium ? 

Les empathes étaient rares au sein du cluster, et le peu qu’il y avait se faisaient généralement exploiter. La plupart du temps, ils finissaient esclaves au marché noir s’ils n’avaient pas la chance de se trouver un mécène protecteur. Et même dans ces cas-là, il leur fallait travailler pour rembourser leur dette. Et bien souvent jusqu’à leur mort, un mécène intelligent ne laissait pas partir un empathe compétent… Une autre forme d’esclavagisme en quelque sorte.

— Et le deuxième ? demanda-t-il, inquiet.

— Bien plus intéressant celui-ci, s’anima la femelle.

Elle lui tendit la deuxième tablette et se mit à réciter :

« L’opprimé et le désespéré, 

dans une demande larmoyée,

peut à son être se destiner

Celui par la Divine lié.

Ses hommes par chacun devront accepter,

Ce devoir sacré qui leur est proposé.

Demandeur et sermenté : à vie liés,

Leurs descendances à jamais engagées. »

L’effroi s’empara du cœur de Turük alors que le sens de ses mots lui apparut. 

Inconsciente de la réaction de son Oltar, Daë’Umtsë continua, plus enthousiaste que jamais : 

— Tu vois, Oltar ? Les humains n’ont qu’une demande à faire ! 

Shaarlot arracha la tablette des mains de Turük pour l’envoyer au loin. Il était inutile d’observer son regard plein de fureur pour comprendre son mécontentement. Sa désapprobation les étouffait et parcourait leur peau en un courant électrique, piquant et désagréable.

Pour Shaarlot, il était hors de question que les réfugiés réduisent la Horde en esclavage sur plusieurs générations !

— On ne parle pas d’esclavage, Tekti, reprit Daë’Umtsë, surprise. On parle ici de protection. Nous avons une dette envers vous. Ce que nous avons laissé faire est inadmissible et c’est toute une espèce qui en a payé le prix. Votre espèce. Plusieurs générations ne travailleront jamais assez pour réparer nos erreurs, c’est notre seule chance d’absoudre nos pêcher et espérer un jour rejoindre le kalahum’atsë… 

La voix de Daë’Umtsë s’était faite suppliante. Turük y lisait tout à la fois la honte et l’espoir d’une possible rédemption. Il comprenait ce sentiment. Pour un taëkh’to, contracter une dette de vie auprès de quelqu’un n’était pas une situation prise à la légère et ce qu’il s’était passé sur Terre dépassait de loin les limites de l’acceptable. Turük comprit alors que la responsabilité qu’il ressentait n’appartenait pas qu’à lui seul. Il ne voulait pas enchaîner sa Horde aux humains sur plusieurs générations, mais il était trop tard en vérité. Leur sens de l’honneur s’en était déjà occupé… 

Mais Shaarlot n’était pas d’accord, certainement qu’il devait exister une autre solution. Une moins cruelle…

— Les laisser vivre avec leur culpabilité serait encore plus cruel, Ayatsë, lui répondit Turük. La rédemption est un droit que tu ne peux leur refuser.  

Elle allait protester, mais il ne lui en laissa pas le temps. 

— Vous ne leur imposez rien, dit-il doucement. Chaque guerrier sera libre d’accepter ou non votre demande. Ne pas la faire serait leur retirer la possibilité de choisir…

C’est ainsi que, quelques jours et plusieurs heures de répétition plus tard, Charlotte se retrouvait debout au centre du hall de doléances, accablée par le poids des regards de la Horde et de toute l’attente qu’elle dégageait. 

Elle pouvait lire dans leur silence l’espoir et l’appréhension. Depuis les révélations de la traîtrise de Dahébtuk trois mois plus tôt, les taëkh’to vivaient dans la culpabilité et l’angoisse de ne jamais la voir disparaître. Charlotte pouvait la sentir, vicieuse et acide, s’insinuer dans chacune de leurs pensées. Et c’est bien ce qui avait poussé les réfugiés à accepter le pacte. Certes, les taëkh’to étaient la cause de l’extinction de toute une race, de la destruction de leur habitat. Et la masse sombre et chaotique d’émotions qui menaçait à tout instant de submerger l’esprit des humains en était un rappel constant qui aurait pu raviver leur haine et leur rancœur. Mais côtoyer la Horde au quotidien et la voir rongée, tourmentée par la honte en était devenue douloureux. Ils étaient tout autant victimes du traître que l’avait été l’humanité. Que Touruk n’ait pas découvert l’affaire et toute son espèce aurait subi la colère du consortium…

— Ayatsë ? 

Touruk avait posé une main douce sur son épaule pour la ramener au présent et une tension sur la toile de conscience humaine lui rappela que tous l’attendaient. 

Elle prit une grande inspiration, serait-elle capable de se souvenir de tout le discours ?

— Membres de la Horde ! appela-t-elle d’une voix rauque de ne pas être assez utilisée. Je suis venue faire une demande. 

Parler lui réclamait beaucoup d’effort, mais les termes du pacte devaient être énoncés clairement et sans équivoque. Il ne devait y avoir aucune ambiguïté possible.

— Mon peuple souffre, continua-t-elle avec douceur. Abattus, trahis, déracinés, en route pour un monde dont nous ne connaissons rien, nous sommes perdus. Notre race, tout juste sortie de l’enfance, se retrouve sans défense et à la merci de tous prédateurs voulant user de notre don. 

Une vague de colère et d’indignation traversa la toile de conscience humaine, faisant écho à ses propres émotions. Elle non plus n’appréciait pas cette partie du discours. Jouer sur leur culpabilité ressemblait bien trop à de la manipulation à son goût. Mais Daë’Umtsë avait été très claire sur ce point, les taëkh’to aiment le grandiloquent, le sensationnel. Ils aiment les épopées héroïques et les drames poignants. Charlotte devait parler leur langage si elle souhaitait une réaction vraie de leur part. 

— En toute franchise, la relation unissant nos deux peuples ne pouvait pas plus mal débuter. Il nous aurait été facile de laisser la haine nous consumer, facile de vous maudire. Mais à vous côtoyer chaque jour, nous avons pu constater votre sens de l’honneur, la prévoyance et la générosité de votre âme. C’est donc ainsi qu’aujourd’hui, à la veille de notre intégration au sein de votre univers, nous nous tournons vers vous, car nous avons besoin de guides, de protecteurs. 

Charlotte attendit que l’écho de ses paroles se taise dans l’immensité du hall. Une tension étrange parcourait la Horde. Électrique, piquante, elle ne venait pas de leur colère, mais de leurs espoirs. 

— Alors je vous le demande, membres de la Horde, s’exclama-t-elle enfin, serez-vous les guides que nous cherchons ? Serez-vous nos protecteurs pour les siècles à venir ? Les enfants de nos enfants trouveront-ils encore un foyer au sein de la Horde ? 

Charlotte n’avait pas fini de parler qu’un grondement assourdissant s’éleva de toutes les gorges, martelant un mot qu’elle ne comprenait pas à la cadence d’un millier de poings qui cognaient en cœur contre un millier de poitrines. 

Mais elle n’avait pas besoin de comprendre, leurs âmes scandaient leur approbation, leur libération, leur soulagement. 

Ils avaient trouvé l’absolution dans un nouveau but.

Ils avaient trouvé la rédemption. 

Comment this paragraph

2 Comments

16 days
Salut,
Merci pour cette histoire fabuleuse ! J'ai passé un très bon moment en la lisant. Je vous remercie !
show more
16 days
Merci pour votre commentaire 😊
Je suis ravie qu'elle vous aie plus 🧡🧡🧡
show more