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MirandaFlanders
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Chapitre 13

Le lendemain, je me levai lentement, la tête encore encombrée de rêves étranges et de l’écho des vagues. La journée s’annonçait grise, à en croire ce que je ressentais à l'intérieur, aussi grise que la mer au loin. La chaleur du matin ne suffisait pas à dissiper la lourdeur dans mon cœur : je me sentais vide, tout ce qui s'était passé ces dernières heures pesait lourdement sur mes épaules. Que ce soit la tentative de me sentir mieux dans l'eau, l'escapade dans la grotte ou encore la vision de cette fête, à laquelle je n'avais pas été invitée... tout cela formait un tourbillon d'émotions, un trop plein, mais à la fois un profond vide.

La journée commençait à peine, mais déjà une lassitude profonde m’envahissait. La tentation de repartir d’où je venais, de fuir, de disparaître comme si tout ce que j’avais vécu était une illusion, devenait plus forte à chaque pas. Déjà dans la grotte, j’y avais pensé. Après tout, qu’avais-je trouvé ici, sinon des bribes de vérité, des réponses partielles qui me laissaient toujours aussi perdue ? Mais je ne savais pas où aller, et je n'avais aucune envie de voir le visage de ma mère.

En sortant de la maison, je rencontrai les villageois que j’avais vus la veille, ceux qui m’avaient poussée à aller dans la grotte. Ils étaient là, groupés, échangeant quelques mots à voix basse, l’air complice. Quand ils m’aperçurent, leurs regards se posèrent sur moi avec un mélange de curiosité et d'amusement, comme s'ils attendaient que je confirme quelque chose.

— Alors, tu as trouvé quelque chose ? demanda l’un d’eux.

Je sentis une sourde irritation monter en moi. J’avais l’impression que ces villageois attendaient toujours quelque chose de moi, que je leur devais quelque chose. Ils n’étaient pas là pour m'aider, pas vraiment. Ils étaient là pour voir si leurs attentes étaient comblées. Sans un mot, je sortis de mon sac le coquillage nacré que j’avais pris dans la grotte la veille et le brandis devant eux. Il était beau, élégant, presque trop parfait pour être réel, mais cela ne suffisait pas à chasser la sensation de malaise qui m’envahissait. Les villageois échangèrent des regards furtifs, puis l’un d’eux hocha la tête.

— Ça fera l’affaire, dit-il d’un ton sec, avant de se détourner pour se fondre dans le groupe. Aucune autre parole, rien de plus. Ils semblaient déjà prêts à tourner la page. Je restai là un moment, le coquillage entre les mains, me sentant d’autant plus déconnectée. Quel était leur jeu, exactement ? Pourquoi m’avaient-ils poussée dans cette grotte, si ce n'était pour rire à mes dépens ? Que cherchaient-ils vraiment ? Les questions s’accumulaient dans mon esprit, sans réponse.

C’est alors qu’Eoghan arriva, sa silhouette familière se détachant dans la rue déserte. Il s’arrêta net en voyant le groupe de villageois, l’expression soudainement plus sérieuse.

— Tout va bien ici ? demanda-t-il, ses yeux fixant les villageois avec une lueur inquiète, avant de se tourner vers moi. Tu n’as pas l’air dans ton assiette…

Je soupirai et secouai la tête. Je n’avais pas envie de tout expliquer, pas maintenant. Les événements de la veille, la fête que je n’avais pas eue la chance de rejoindre et que je n'étais pas censée voir, le coquillage qui ne semblait être qu’un symbole vide de sens… Tout cela se bousculait dans ma tête, et j’avais l’impression que les villageois, eux, savaient ce qu’ils faisaient, mais pas moi. Je n’étais qu’un pion dans un jeu dont j’ignorais les règles.

— Je… je vais bien. Juste… fatiguée. Je baissai les yeux, me sentant un peu honteuse de mon air distrait.

Eoghan sembla ne pas croire un mot de ce que je disais, mais il n’insista pas. Il s’approcha de moi, son regard doux mais insistant.

— Tu veux venir chez moi ? proposa-t-il, un petit sourire qui tentait de me rassurer. Je vais préparer du chocolat chaud. Ça pourrait t’aider à te détendre un peu.

Je le regardai un instant, hésitante. Je n’avais pas vraiment envie de faire quoi que ce soit, ni de parler à qui que ce soit. Mais il y avait quelque chose dans la sincérité de son offre, une simplicité qui me touchait. Quelque part, j’avais envie de fuir cet endroit, de m’éloigner des regards insistants des villageois, de la pression qui pesait sur moi. Peut-être qu’un peu de chaleur humaine, même si c’était un simple chocolat chaud, pourrait m'aider à me sentir moins vide.

— D’accord, répondis-je enfin, d’un ton presque inaudible. Un chocolat chaud… pourquoi pas. Merci.

Eoghan me sourit largement. Il me fit un signe de tête, et ensemble, nous quittâmes le groupe de villageois, qui nous regarda partir sans un mot. En suivant le jeune homme à travers les rues étroites du village, je me laissai complètement guider, n'ayant aucune idée de quelle maison était la sienne. Nous arrivâmes rapidement devant l'une d’entre elles, indissociable des autres avec son toit, en ardoise, et légèrement incliné, avec sa façade de pierre solide et imposante... La porte, en bois massif, était peinte d'un bleu pâle contrastant avec le gris des pierres. Elle était encadrée par des fenêtres en châssis de bois blanc, à l’apparence classique mais soignée, qui laissaient passer la lumière tout en offrant une vue imprenable sur la lande et l’horizon lointain.

Dès que je franchis le seuil, je sentis l’air, doux et parfumé de bois ciré et d’épices chaudes.

L'entrée menait à un salon spacieux, mais intime, où les murs étaient tapissés de livres, des étagères remplies de romans, de guides, et de cartes maritimes. Une grande fenêtre s'ouvrait sur l’extérieur, laissant entrer la lumière douce de l'après-midi, mais les rideaux en étaient légèrement tirés, donnant à la pièce une atmosphère feutrée. Les sols étaient en bois sombre, lustrés, presque sans défaut, recouverts de tapis épais et doux, un parfait mélange de style moderne et de chaleur rustique.

Au centre du salon trônait un canapé en velours gris, invitant au confort, avec des coussins aux couleurs naturelles, des teintes de bleu et de terre, comme un clin d’œil à la mer tout proche. À côté, une table basse en bois clair, où traînait un paquet de cigarettes.

— Je ne savais pas que tu fumais, fis-je remarquer doucement.

— Oh, c'est juste occasionnel, répondit-il en haussant les épaules.

Le feu crépitait dans la cheminée en pierre, au fond de la pièce. La chaleur douce de la pièce semblait s’infiltrer dans chaque recoin, contrastant avec le vent froid de l’extérieur. Des bûches étaient empilées soigneusement à côté, prêtes à être ajoutées au feu. Une douce lueur orangée dansait sur les murs, créant une atmosphère apaisante et intime. Je remarquai la simplicité du mobilier : tout semblait avoir une place et une fonction. Pas de superflu, mais une organisation soignée, presque méthodique. Les petites touches personnelles étaient discrètes mais élégantes — une série de photos accrochées sur les murs, représentant des paysages marins ou des scènes de la vie du village et quelques objets d’artisanat local soigneusement disposés.

Une porte battante menait à une cuisine ouverte, tout aussi accueillante. Le comptoir en bois clair était dégagé, à peine encombré d’ustensiles soigneusement rangés. Les étagères étaient garnies de bocaux d’épices, de tasses assorties et de théières en fonte. Tout dans la maison témoignait de l'attention d'Eoghan pour le confort et la simplicité. Il y avait quelque chose de rassurant dans cet espace, une invitation à poser mes inquiétudes à la porte et à m’installer dans un coin, à laisser le monde extérieur derrière moi.

— C'est très joli chez toi, en tout cas. Je ne m'attendais pas à ça …

— Et à quoi est-ce que tu t'attendais ? demanda-t-il avec le sourire.

— Euh, je…

— Je t'embête, t'en fais pas. Je vais m'occuper du chocolat chaud, installe-toi tranquillement ok ?

Eoghan se leva sans un mot et se dirigea vers la cuisine. Et quelques minutes plus tard, je sentis l’odeur sucrée du chocolat chaud se répandre dans la pièce, douce et réconfortante, comme une invitation à la détente. L’arôme léger du cacao se mêlait aux effluves boisées qui imprégnaient l’air, créant une atmosphère presque magique. Il revint avec deux tasses fumantes dans les mains et s’installa à côté de moi sur le canapé, à une distance juste assez intime pour que je sente sa chaleur sans qu’il soit trop envahissant. Il me tendit une tasse, nos doigts se frôlant brièvement, et l’instant d’un contact léger, je sentis un frisson parcourir mon bras.

Je pris la tasse, la tenant entre mes mains froides. La chaleur du chocolat me réchauffa instantanément, et pour un instant, je fermai les yeux, savourant la douceur de la boisson. C’était un simple geste, un instant ordinaire, mais il avait le pouvoir de me détendre, de m’ancrer dans la réalité, loin des vagues de confusion qui déferlaient encore dans mon esprit.

Eoghan se remit à parler, sa voix calme, presque apaisante. Il semblait vouloir alléger l’atmosphère, et bien que fatiguée, je me surpris à apprécier sa compagnie.

— Tu sais, commença-t-il en souriant légèrement, dans ce village, on a tous nos petites traditions un peu bizarres. Par exemple, l’une des premières choses que j’ai apprises quand j’étais petit, c’est qu’il ne faut jamais, jamais laisser une porte ouverte quand la mer est calme. Ils disent que c’est comme inviter le silence à entrer chez toi... et que ça porte malheur.

Je souris faiblement, appréciant l’étrangeté de l’anecdote. Je me sentais détachée, comme si ce monde, si lointain et si différent du mien, devenait un peu plus accessible à travers ces petites histoires qui n’avaient l’air de rien, mais qui faisaient partie du tissu de cette communauté. Puis Eoghan raconta une histoire qui me fit pouffer de rire, une bouffée d’air frais qui me surprit moi-même. Je n’avais pas ri depuis des jours, et entendre cette histoire absurde, cette légèreté, me libérait de mon poids intérieur. Il y avait quelque chose dans cette simplicité, dans cette convivialité tranquille, qui était... apaisant. Je me surpris à l’écouter, à le laisser me raconter tout et n’importe quoi, pour me défaire peu à peu de la sensation de vide qui me taraudait depuis que j’étais arrivée.

Eoghan continua de parler, égrenant d'autres anecdotes sur le village : des vieilles croyances sur la mer, des légendes locales qu’il semblait connaître par cœur. Il parla aussi de ses propres expériences, de ses premières années à naviguer avec son père, de la beauté de l’île vue du large, mais aussi de l’humilité et de la dureté de cette vie parfois. Ses mots étaient simples, mais pleins de vérité. Il ne cherchait pas à impressionner, juste à partager un peu de son monde avec moi.

Je me rendis compte que je n’avais pas à répondre. Le fait de pouvoir écouter, d’être là, dans cette pièce tranquille, était suffisant. C’était peut-être ce dont j’avais besoin : un moment de calme, loin de l’agitation de ma tête, loin de la mer, loin de la grotte. Je laissai la chaleur du chocolat se diffuser lentement dans mes veines, et, pour un instant, me permis de simplement exister, sans pression, sans attentes. Je jetai un regard furtif à Eoghan, qui continuait de parler, sans forcer. Son visage était éclairé par la lumière du feu. Il avait l’air tellement à l’aise dans cet espace, dans cet univers qu’il avait construit, détendu. De mon côté, je me sentais un peu moins perdue, un peu moins étrangère à tout cela.

Je l’écoutai pendant un moment, répondant parfois à ses anecdotes par une petite histoire ou un sourire, mais le plus souvent, je me contentais de l’écouter, laissant sa voix, douce et régulière, me bercer. L’atmosphère de la pièce était si calme, si apaisante, que je me sentais presque détachée de tout ce qui m’entourait, comme si le temps s’était suspendu.

Quand il se tut enfin, laissant un silence confortable s’installer, je me rendis compte que j’avais oublié une question banale mais nécessaire.

— Désolée… où sont les toilettes ? demandai-je, un peu gênée d’interrompre cette tranquillité, mais le besoin était bien là.

Eoghan me sourit, et d’un geste du menton, il indiqua un petit couloir derrière le salon.

— À droite, juste au fond, dit-il. Je vais préparer une autre tasse de chocolat en t’attendant.

J’acquiesçai sans plus de cérémonie, me levant et me dirigeant vers l’entrée du couloir.

Mes pieds glissèrent silencieusement sur le parquet, et, alors que j’avançais, je sentis une étrange sensation dans l’air, un léger frisson qui me parcourut. Je me demandais pourquoi, à cet instant précis, le silence semblait plus lourd, comme si quelque chose attendait dans l’ombre. Mais je haussai les épaules. Ce n’était que ma tête qui me jouait des tours. Je n’avais qu’à trouver les toilettes et revenir au confort de la conversation d’Eoghan.

Mais en suivant le couloir, un détail attira mon attention. Je passai sans y prêter attention d’abord, mais la porte entrouverte d’une chambre attira mon regard. Je m’arrêtai, hésitante. Curieuse, je m’approchai et la poussai doucement. À l’intérieur, la pièce était simple mais chaleureuse. Une grande fenêtre laissait entrer la lumière tamisée de l’après-midi, et la vue sur la mer lointaine semblait parfaitement en phase avec la sérénité du reste de la maison. Mais ce n’était pas cela qui avait attiré mon regard. C’était ce qu’il y avait sur le lit.

Une peau.

Pas une peau humaine, bien sûr, mais une peau de phoque. Grande, lisse, étendue sur le lit comme une couverture étrange, d’un gris clair presque blanc, mais avec des taches plus sombres qui formaient un motif unique, presque hypnotique. Je m’approchai sans vraiment savoir pourquoi. J’avais cette sensation étrange, celle qui se glissait dans ma peau chaque fois que je pensais au phoque que j’avais rencontré sur la plage. Cette connexion, inexplicable et presque instinctive, semblait me guider vers la peau, comme si une partie de moi-même en avait besoin pour comprendre.

Je tendis la main, hésitante. Les souvenirs de la texture humide du phoque me submergèrent, et j’effleurai la peau, douce et froide sous mes doigts. Un frisson étrange me parcourut, un sentiment de déjà-vu, un sentiment de puissance cachée, comme si l’objet devant moi n’était pas seulement un artefact, mais un lien, un souvenir.

À cet instant précis, la porte s’ouvrit doucement derrière moi.

— N’y touche pas.

La voix d’Eoghan, basse, rauque, plus un grognement qu’autre chose, me fit sursauter. Je me retournai brusquement, le cœur battant plus vite.

Eoghan se tenait là, dans l’encadrement de la porte, les bras croisés, son regard figé sur moi. Il avait l’air calme, mais il y avait une sorte de menace sourde dans sa voix, comme une menace contenue sous la surface. Je me reculai instinctivement, mon regard toujours fixé sur la peau de phoque. La pièce semblait plus froide, plus lourde d’un coup, comme si l’air était devenu plus dense. La tension dans l’espace entre nous était palpable.

— Je… je suis désolée, balbutiai-je, le souffle court. Je ne voulais pas...

— Sors de cette pièce, maintenant.

Je m’exécutai rapidement, laissant la peau derrière malgré le besoin viscéral d’y toucher, de m’envelopper dedans. Je ne savais d’où venait cette envie impérieuse mais il me fut difficile de revenir au salon. Avec un petit sourire gêné, je partis récupérer ma veste.

— Je crois que je vais y aller. Merci pour le chocolat et... désolée.

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