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MirandaFlanders
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Chapitre 15

Eoghan m'avait ramenée devant chez Malvina, me laissant devant la porte avec un petit sourire avant de repartir en direction de chez lui. Nous n'avions pas beaucoup plus discuté, j'avais encore pas mal à accepter et à décortiquer, mais il m'avait dit que nous en reparlerions volontiers une autre fois.

Et de toute façon, je devais aussi en parler avec ma grande-tante. La discussion à venir avait un petit quelque chose d'angoissant : nous allions sûrement aborder le sujet de ma mère, de son départ soudain de Muirbahn, et j'anticipais ce que je risquais d'entendre. Que ma mère était, elle aussi, selkie. Mais alors pourquoi avait-elle fui aussi loin de la mer et de ses racines ? Et moi, alors, étais-je aussi une selkie ? Ou ce trait avait-il sauté une génération ? J'avais peur d'obtenir des réponses à mes questions.

Malgré mes quelques nuits passées chez Malvina, je frappai tout de même à la porte et attendis qu'on vienne m'ouvrir pour rentrer, le soleil commençant à descendre dans mon dos. 

— Bonjour Brune, qu'est-ce qui t'amène ? m'accueillit-elle avec un sourire, que je lui rendis.

— Je viens pour discuter des selkies, j'ai... découvert quelques trucs. 

Très éloquent Brune, bravo.

Elle m'ouvrit la porte et m'invita à entrer à l'intérieur, me désignant le fauteuil que j'aimais bien utiliser. 

— Tu as passé une bonne journée, tu as pu te reposer un peu ? 

Elle resta debout en face de moi, m'observant avec douceur.

— Oui, ça va. Il s'est passé... pas mal de choses et en même temps pas grand chose aujourd'hui ? 

— Je te propose de rester manger avec moi, ce soir, et de passer la nuit ici au vu de l'heure. On aura le temps de discuter de ce qui t'amène comme ça. 

— Avec plaisir, répondis-je, un soupçon de soulagement dans la voix. Les trajets entre Ardnamairne et Muirbahn devenaient un peu pénibles. 

Elle partit alors en cuisine, pour revenir avec un plateau sur lequel étaient déposés un assortiment de fromages et du pain croustillant. Je me relevai alors pour l'aider à ramener des assiettes, des couverts, et du thé sur la table à manger. Nous nous assîmes l'une en face de l'autre et elle se lança : 

— Qu'as-tu découvert ? demanda-t-elle en versant du thé dans ma tasse. 

— Je suis tombée sur la peau de phoque d'Eoghan, en allant chez lui, avouai-je en l'observant se servir de fromages.

Malvina hocha la tête, sans surprise apparente. Un léger sourire se dessina sur ses lèvres, comme si elle avait toujours su que ce moment viendrait.

— Ce n'était qu'une question de temps avant que ça n'arrive. Et qu'en as-tu pensé ?

— J'ai encore du mal à m'y faire, à me rendre compte de ce que ça signifie. Mais je comprends mieux la distance des villageois pour le coup. 

— Tous ne sont pas selkies, mais il est vrai qu'ils se méfient toujours des nouvelles têtes qui arrivent par ici. Surtout quand, comme toi, elles restent. 

— Je ne sais pas combien de temps je vais rester, encore, Malvina. J'étais venue pour rencontrer Mairead et en apprendre plus sur ma famille... 

Elle se contenta de sourire gentiment avant de croquer dans un bout de pain, puis de fromage. Son regard revint sur moi alors qu'elle m'intima de me servir à mon tour. Je fis de même, me coupant des tranches de fromages que je disposai dans mon assiette. 

— Savez-vous pourquoi ma mère est partie d'ici, si elle était une selkie elle-aussi ? A-t-elle eu des problèmes avec quelqu'un ? 

— Ce ne sont que des suppositions mais ta mère, Catriona, était une femme complexe, tiraillée entre deux mondes. Elle aimait la mer, mais elle était éprise de liberté plus que tout autre chose. Quand elle a compris ce que cela signifiait d'être une selkie, elle a dû avoir peur. Peur de perdre sa peau, peur des contraintes que cela imposait, même si, pour certains, ce sont des bénédictions. Peur de faire subir ça à son enfant, peut-être. Elle a choisi de partir, de s'éloigner pour vivre selon ses propres règles.

— Alors... je suis aussi une selkie ? demandai-je, incapable de dissimuler la touche d'angoisse dans ma question.

Malvina tendit la main pour poser la sienne sur la mienne, un geste simple, mais qui contenait toute la tendresse et la force dont j'avais besoin à cet instant.

— Peut-être. Du moins, cela expliquerait pourquoi il t'est si difficile d'aller dans la mer. 

Je restai silencieuse un moment, absorbée par cette nouvelle réalité qui s'imprimait peu à peu dans mon esprit. L'idée d'être une selkie, de ne faire qu'un avec la mer, m’appelait autant qu’elle m’effrayait. Quel impact cela aurait-il sur ma vie actuelle ? Sur mes choix futurs ?

— Comment le saurai-je avec certitude ? Et si c'était vrai, comment pourrais-je apprendre à accepter cette part de moi ?

— Il y a des signes, en dehors de la peau de phoque qu'on a dû te retirer. Des appels. Une musique que toi seule peux entendre. Lorsque tu sentiras que la mer te parle, que ses vagues te chantent à l’oreille, tu sauras. C'est une intuition, un besoin presque viscéral d'y retourner. Faire la paix avec cela pourrait être libérateur. Mais, avant tout, il faut que tu sois prête à accepter ce que cela signifie. Comment te sens-tu à l'idée d'être liée à la mer comme tes ancêtres ?

Je pris une gorgée de thé, appréciant sa chaleur réconfortante, sans pour autant chasser la vague d'incertitude qui montait en moi.

— C'est comme si je découvrais toute une partie de moi que j'ignorais. 

— Tu portes en toi un héritage ancien, Brune. Ta mère en a peut-être eu peur, mais cela ne veut pas dire que tu devrais suivre le même chemin.

— Je crois que j'ai besoin de temps, admis-je finalement. Du temps pour réfléchir et comprendre.

Son regard se teintait d’une discrète tendresse, comme si elle voyait en moi ce que je n'avais pas encore découvert. Je me demandai quelles parts secrètes d’elle-même elle avait su embrasser au fil des ans, quelles histoires elle avait dû accepter pour avancer.

— Si tu veux, demain, je peux t'emmener voir la plage à la lueur de l'aube, proposa-t-elle. Le matin, quand la mer est calme, il est plus facile d'écouter son langage.

Une étrange excitation s’insinua, balayant quelque peu mon angoisse. Oui, cela me paraissait être une sage décision. Voir, écouter, et peut-être, commencer à comprendre.

— C’est une bonne idée, dis-je, reconnaissante de ne pas avoir à porter ce fardeau seule. Merci.

— C'est ce que fait la famille, répondit-elle avec un sourire. Nous prenons soin les uns des autres.

Et cette phrase, étonnamment, me fit fondre en sanglots sans que je ne puisse rien retenir. La famille. Je m'en doutais déjà, évidemment, vu comme elle prenait soin de moi et m'invitait à crécher chez elle... mais l'entendre le dire était différent. Elle me considérait comme sa famille. Lui offrant un grand sourire, je la remerciai à nouveau en essuyant mes larmes, le bonheur m'emplissant gentiment. 

La soirée s'étira, remplie de discussions plus légères, des histoires sur Muirbahn, sur la vie dans le village. En écoutant Malvina, je me sentis plus ancrée, plus connectée à cet endroit qu'à tout autre que j'avais connu auparavant. 

Le lendemain, Malvina était venue me réveiller dans la chambre que j'utilisais depuis le début. Nous étions parties à pied, en silence, Malvina légèrement en tête. Elle m'avait proposé d'aller voir la mer mais de ne pas chercher à y entrer, de juste agir en observatrice, et de voir ce que je ressentais. Le vent était doux ce matin-là, chargé d’embruns salés et de cette odeur d’algues qui me semblait à la fois étrangère et familière. Le sentier s’ouvrait lentement sur l’océan. Je me suis arrêtée net.

La mer.

Elle s’étalait devant moi, immense, presque irréelle, sous les lueurs orangées de l'aube. Les vagues roulaient avec lenteur, comme si elles respiraient. C’était beau, mais pas simplement beau — c’était… puissant. Troublant.

Malvina ne disait rien. Elle m’avait laissé de l’espace, comme si elle savait que quelque chose allait se jouer ici, maintenant. Je me suis approchée du rivage, mes pas s’enfonçant dans le sable humide. J'avais une petite crainte au creux des entrailles, me rappelant ma noyade, ma tentative ratée avec Eoghan. Mais aujourd'hui, aucun pas audacieux n'était à l'ordre du jour. Seule sur le sable, je devais discerner mes propres émotions et sensations. Mais que faire si rien ne se passait ? Si rien ne se manifestait ? Je pris une profonde inspiration, aspirant à calmer le tourbillon intérieur. Le cri des goélands se mêlait au ressac, et peu à peu, le monde s'effaçait.

C’est là que j’ai commencé à l’entendre.

Pas une voix claire, pas des mots. Plutôt un écho, une vibration sourde, comme si les vagues résonnaient dans mon ventre. Un frisson m’a parcourue. C’était léger au début, presque imperceptible. Puis cela s’est intensifié, comme une note tenue trop longtemps. Mon cœur s’est serré. J’ai senti un poids au creux de ma poitrine, une douleur diffuse qui montait, envahissait ma gorge, mes yeux. Des larmes ont coulé sans prévenir.

Je ne comprenais pas.

Ce n’était pas de la tristesse. Pas uniquement. C’était plus ancien, plus profond. Une sorte de deuil sans nom, comme si je retrouvais quelque chose que j’avais perdu bien avant de savoir que je le possédais. Quelque chose — ou quelqu’un — m’appelait, et en même temps, ça faisait mal. Terriblement mal.

Je suis restée là longtemps, debout face à la mer, le vent dans les cheveux, les bras le long du corps, incapable de bouger. Malvina s’est rapprochée à un moment. Elle ne m’a pas parlé, elle a juste posé une main légère sur mon épaule. Je crois que c’était sa manière de me dire qu’elle avait compris. Que ce premier pas avait été franchi.

Sur le chemin du retour, elle m’avait proposé de quitter l’hôtel pour venir m’installer chez elle, au moins pour quelques jours. « Il y a de la place, autant en profiter. Et puis, payer une chambre alors que la maison est vide, c’est ridicule, tu ne crois pas ? » J’avais accepté sans trop réfléchir. Peut-être parce que cette maison, avec ses pierres anciennes et ses silences habités, m’appelait déjà.

Elle avait promis de demander à quelqu’un de me conduire à l’hôtel pour récupérer ma valise. Je m’étais attendue à voir Eoghan, mais ce fut un visage étranger et à la fois familier qui m'accueillit. Il me fallut un instant pour me souvenir ; c'était l'un des jeunes — il devait avoir mon âge — qui m'avait défiée d'aller dans la grotte, quelques jours plus tôt. Je me rappelais de ses cheveux bruns en bataille, de sa barbe de quelques jours et de son air renfrogné, comme si quelqu'un lui avait fait quelque chose. Je me rappelais surtout de comment il m'avait snobée, une fois que j'étais revenue avec le coquillage que j'avais trouvé dans la grotte. Mon regard se fit moins amène alors que je le saluai, l'air entre nous était un peu tendu. 

— C'est toi qui m'amène à Ardnamairne ? demandai-je comme pour être sûre que c'était bien lui. 

— C'est moi, ouais. Malvina m'a demandé service... Je m'appelle Eliott. 

Il n'avait pas l'air particulièrement ravi d'être là, mais au moins, j'avais un taxi jusqu'à l'hôtel. Je montai dans sa voiture, un vieux break fatigué, dont le moteur émit pourtant un grondement plein d'entrain en démarrant. Pour m'occuper les mains, je tapotai distraitement mes doigts sur mes genoux, le regard fixé sur le paysage qui défilait lentement derrière la vitre. Le village, encore engourdi de sommeil, apparaissait puis disparaissait, en une succession de maisons en pierre où la vie semblait s’écouler au ralenti.

— Tu as grandi ici ? finis-je par demander, rompant le silence.

Eliott m’adressa un bref regard en coin, l’air pensif, comme pris dans une hésitation intérieure. Puis il hocha la tête.

— Ouais. Mais je suis parti quelques années… pour le boulot. Et toi, qu’est-ce qui t’amène ici ?

La question paraissait anodine, mais je perçus dans son ton une curiosité teintée de jugement.

— C’est… — Je pris une inspiration, peu certaine de vouloir me livrer si vite. — Disons que c’est un concours de circonstances. J’avais besoin de prendre du recul… de renouer avec certaines choses.

Il hocha la tête, l'air compréhensif, sans ajouter un mot. Le silence s’installa de nouveau, un peu plus lourd. Cette fois, ce fut à moi de relancer la conversation. Guidée par la curiosité, et sans doute par mes récentes découvertes, je risquai une question plus directe :

— Et toi… tu es un selkie aussi ?

Son visage se ferma aussitôt, ses sourcils se froncèrent. Il n’appréciait visiblement pas.

— Qu’est-ce que ça peut te faire ?

— Pardon… Je voulais pas être indiscrète.

À sa réaction, je me demandai s’il faisait partie des rares humains du village. Mais une autre interrogation me taraudait encore.

— Alors pourquoi m’avoir envoyée dans cette grotte, l’autre jour ? Je doute que ce soit vraiment un rite de passage.

Il eut un rictus.

— Qu’est-ce que t’en sais, lassie ? J’y ai eu droit moi aussi, plus jeune. Je voulais juste voir si t’allais filer en courant ou pas.

Je me contentai d’un "hm" sans répondre davantage, mon regard se perdant à nouveau par la fenêtre. La route serpentait entre les collines verdoyantes, le paysage parsemé de bruyères et de genêts fouettés par le vent. Bientôt, l’hôtel se dessina, solidement planté sur sa parcelle de terre.

Eliott gara la voiture dans un crissement de gravier.

— Je fais vite, lançai-je en descendant.


Il opina sans rien ajouter, m'adressant un demi-sourire poli qui était plus de convenance que de sincérité. Je retournai dans ma chambre, observant la pièce une dernière fois alors que je fourrai toutes mes affaires dans ma valise, vérifiant que je n'oubliais ni ma brosse à dent ni mon chargeur de téléphone. Alors que je me hâtais vers l’entrée, la propriétaire de l’hôtel me salua avec chaleur de derrière son comptoir en bois poli.

— Vous partez, ma chère ? demanda-t-elle tandis que je lui rendais la clé. Vous allez nous manquer.

— Je vais seulement chez Malvina pour un temps. Merci encore pour votre hospitalité.

Elle croisa les bras, les yeux empreints de bienveillance.

— Faites attention à vous, me lança-t-elle en guise d'au revoir une fois que j'eûs payé la somme dûe. Ce n'était pas très cher comparé aux villes plus touristiques, mais cela fit quand même bien mal à mon porte-feuille. 

Chargée de ma valise, je regagnai la voiture. Eliott n’avait pas bougé, il était resté appuyé contre la portière, insensible au froid mordant qui s’était doucement installé en cette matinée. Lorsqu’il me vit approcher, il se redressa, ouvrit le coffre et m’aida à y déposer ma valise. Sans un mot, il retourna à la place du conducteur, une aura taciturne l’entourant. Je m’installai à ses côtés, fermant la portière avec précaution, comme si l’équilibre fragile de ce trajet pouvait se rompre à tout instant. Le silence dans l'habitacle se fit épais, rien à voir avec ce que je pouvais partager avec Eoghan, et je me surpris à regretter sa présence alors que nous repartions sur le chemin du retour.

Eliott n’avait pas dit un mot depuis notre échange houleux. Je n’osais pas relancer la conversation de peur d’aggraver un malaise déjà palpable. En revanche, je ne pouvais m’empêcher d’observer ses mains fermement agrippées au volant, témoins d’une tension que je ne comprenais pas. Un klaxon nous tira brusquement de ce silence de plomb : un troupeau de moutons traversait la route, obligeant Eliott à ralentir et s’arrêter.

— Regarde-moi ça, murmura-t-il enfin en souriant. Sont jamais pressés, ces bestiaux.

Un sourire involontaire se dessina sur mes lèvres, et je fus surprise de constater à quel point une simple pause dans le silence pouvait tout changer.

— Ils semblent bien plus cléments que certains autres habitants par ici… dis-je à mi-voix, tentant l’humour pour alléger l’ambiance.

Eliott me jeta un coup d’œil en coin, surpris puis amusé.

— Touché. On ne se livre pas si aisément, par ici. 

Quelque chose dans la manière dont il prononçait ses mots, moitié moqueur, moitié sincère, me fit sentir qu’il baissait la garde. Peut-être n’était-il pas si hostile, après tout, et juste tout aussi perdu que moi.

Le chemin vers la maison de Malvina ne fut pas bien long après cet arrêt improvisé. Finalement, nous arrivâmes devant la demeure ancienne. Eliott m’aida à sortir ma valise du coffre, et je le remerciai d’un signe de tête.

— À une prochaine, me salua-t-il en remontant dans sa voiture pour repartir. Je lui fis un signe de la main avant d'observer la maison de ma grande-tante. 

Malvina m'attendait sur le perron, alors je partis en sa direction avec ma valise. 

— Bienvenue chez toi, lança-t-elle chaleureusement. 

Je lui souris, heureuse d'être là et curieuse quant à la suite des événements. 

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