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MirandaFlanders
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Chapitre 8

Le ciel était désormais d'un bleu pâle, presque argenté, et Malvina m'invita à rester passer la nuit à Muirbahn, plutôt que de faire l’aller-retour vers Ardnamairne. « Ce sera plus facile pour toi », avait-elle dit, avec ce ton tranquille qui lui était propre, comme si elle savait que j'en avais besoin, sans même que je ne le lui dise.

J'avais accepté sans hésiter. La journée avait été longue, et l’idée de rester là, dans ce petit hameau que je commençais à peine à comprendre, me réconfortait. Pas besoin de marcher une heure pour rentrer et refaire le trajet le lendemain ! Parce qu'une chose était sûre : les réponses étaient ici, à portée de mains. 

Dans la grande cuisine chaleureuse de la maison de Malvina, une odeur de poisson fumé flottait dans l’air. La vieille femme s’affairait près du fourneau, et bientôt une soupe fumante fut servie : à base de poisson fumé, de pommes de terre et de lait. Le fumet était riche, réconfortant. Je me sentis apaisée en la voyant verser la soupe dans deux grands bols, l’atmosphère était si chaleureuse.

Nous nous installâmes à table, les cuillères dans les mains, et l’odeur du repas se mêlant à l’air froid extérieur, une sensation de confort palpable. Malvina, les yeux rivés sur moi, brisa le silence :

— Alors, comment ça se passe pour toi, Brune, ici, en Écosse ? C’est loin de ta famille, tout de même.

Je déglutis un peu, mon regard se perdant sur la surface dorée de la soupe. La question, pourtant simple, me désarçonnait un peu. J'avais l’habitude d’être seule, d’éviter les discussions sur ma famille, mais il y avait quelque chose dans le ton de Malvina qui me faisait ressentir une confiance nouvelle, un respect de mes silences. Je cherchai mes mots, une réponse honnête mais suffisamment neutre pour ne pas trop m’épancher.

— Ça me fait du bien, d’être un peu loin, répondis-je en plongeant ma cuillère dans mon bol. Ça me permet de souffler, de respirer un peu. Mes rapports avec ma famille… Je m'arrêtai un instant, sentant une tension qui montait en moi. C’est… compliqué.

Malvina hocha lentement la tête, semblant comprendre sans poser davantage de questions. Elle ne chercha pas à me forcer à en dire plus, comme si elle savait que les mots viendraient en temps voulu. Elle prit une gorgée de soupe, se contentant de répondre d’un ton calme, comme si la conversation prenait un tour plus léger, sans pression.

— Parfois, il faut du temps pour se trouver soi-même, loin de tout. Ce n’est pas toujours facile de comprendre les liens familiaux, mais la distance… elle nous aide à voir les choses autrement.

Je sentis un léger frisson parcourir mon échine à ces mots. Peut-être Malvina savait-elle plus de choses sur la complexité des relations humaines qu’elle n’en laissait paraître. Je m’enfonçai un peu plus dans mon siège, profitant du silence apaisant qui s’installa après la remarque de Malvina.

Nous mangeâmes en silence pendant un moment, écoutant le crépitement du feu dans l’âtre. Je ressentis une légère détente que je n'avais pas connue depuis longtemps. Le rien à prouver, ici, dans cette maison, cette tranquillité. C’était une sensation rare, une paix intérieure que je n'avais pas trouvée dans les rues bourdonnantes de la ville et encore moins dans l’isolement de ma chambre, dans l'appartement familial. C’était drôle, que je le trouve à des kilomètres de chez-moi, dans les îles des Hébrides.

Au bout de quelques minutes, Malvina prit une profonde inspiration, comme si elle avait finalement décidé qu’il était temps d’ajouter quelque chose de plus personnel, de plus intime à la conversation.

— Tu sais, Brune… Beaucoup de gens ici vivent avec des mémoires anciennes, des choses qu’on cache sous la mer, des secrets qu’on laisse dormir. Mais parfois, il vaut mieux les laisser émerger. Il y a des mystères dans nos vies qui, une fois qu’ils sont confrontés, nous offrent une paix insoupçonnée.

Je la regardai, intriguée par la profondeur de ses mots, mais Malvina n’ajouta rien d’autre, comme si elle avait dit juste ce qu’il fallait pour faire résonner l’écho de ces paroles dans mon esprit.

Le repas se poursuivit, mais je ne pouvais m’empêcher de repenser à ces derniers mots. L’étrangeté du village, la mer, la famille… tout s’entrelaçait dans ma tête. Et plus je restais ici, plus j'avais l’impression que, d’une manière ou d’une autre, ma quête allait se mêler à celle de la mer. À pourquoi, au juste, je me sentais si mal en sa présence, mais pourquoi mon âme semblait la désirer.

Mais pour l'instant, il suffisait que je prenne une pause, que je m’accorde un peu de calme avant de me replonger dans ces mystères qui semblaient me suivre partout. Et c'était ici, dans cette maison au cœur du hameau, que je trouvais cette pause bienvenue. Scrollant sur mon téléphone, je cherchais des histoires sur l'Ecosse, des informations sur le village, et je tombai sur de nombreux mythes et légendes associés à la mer. Intéressée, je pris le temps d'en lire quelques unes, tombant sur une qui m'intéressa particulièrement : la légende des selkies. 

Le terme m'était familier, une vieille légende dont j'avais entendu parler autrefois, mais jamais de manière aussi concrète. Je lus en silence : 

Les selkies, selon la légende, étaient des femmes mi-humaines, mi-animales, qui appartenaient à la mer. De jour, elles étaient sous leur apparence de phoque et se prélassaient au soleil ; mais la nuit, elle retirait leur peau, prenant forme humaine pour danser sous les lueurs de la lune.

Ces femmes, nées du sel et des vagues, étaient libres et sauvages, mais aussi mélancoliques. Elles ressentaient la mer comme un appel constant, un chant lointain qu'elles ne pouvaient ignorer, même si elles vivaient parmi les hommes pendant un temps. Une selkie revenait toujours à l'océan, retrouvant la mer qui l'avait engendrée.

La légende racontait aussi que parfois, en déposant leur peau sur les rochers, pour danser et se prélasser sous forme humaine, des hommes les apercevaient et tombaient fou amoureux d'elles. Et c'est ainsi que, dans certaines histoires, une personne volait la peau de la selkie pour garder celle-ci captive, et l'épousait. Mais cette union était toujours marquée par la tragédie. La selkie ne pouvait échapper à la mer. Un jour, l'appel des vagues la reprenait, et elle s'enfuyait, laissant l'homme et ses enfants derrière elle.

Je m'arrêtai un instant, découvrant des récits de disparitions mystérieuses, de femmes qui avaient été vues au bord de la mer, et qui n'étaient jamais revenues. D’autres histoires parlaient d'hommes, croyant avoir épousé une femme normale, mais découvrant plus tard, par le chant de la mer, que leur femme était une selkie qui, à un moment donné, reviendrait à l’eau. Je découvgris que les selkies n’étaient pas forcément que des femmes, mais pouvaient aussi être des hommes très charismatiques et attirants.

Le site se termina sur un passage étrange, qui semblait presque une prière ou un avertissement : "Le chant de la mer est éternel, mais seuls les cœurs purs peuvent y comprendre le langage des selkies."

Je gardai la page internet sur mon téléphone, que je fourrai sous mon oreiller, et me couchai pour dormir, ces légendes habitant mon sommeil.

Le lendemain matin, je me levai tôt. Je m'étonnai de la fraîcheur de l’air, si vivifiant ici, et me dirigea vers l’atelier de Malvina pour continuer de réparer les filets. J'avais l’impression d’y prendre goût, chaque maille que je passais entre mes doigts me donnant l’impression d’accomplir quelque chose de concret et réparateur.. Mais ce n’était qu’un moment avant que la curiosité et le besoin d’évasion ne reprennent le dessus. Après quelques heures, je décidai de partir.

Je marchais ensuite en direction de la plage, laissant les pas du village derrière moi, jusqu’à la côte rocailleuse, où la mer se déployait sous un ciel presque gris perle, comme si la lumière avait du mal à percer les nuages épais. Je m'arrêtai un moment en haut des falaises, observant la mer étendue à l’horizon. L’immensité de l’eau me paraissait maintenant différente, moins belle, presque menaçante. Mon esprit revenait souvent à cet instant où je m'étais retrouvée engloutie par les vagues. La sensation d’étouffement, de froid, et cette force qui m’avait soulevée et portée jusqu'à la plage... Un frisson me parcourut en pensant aux phoques, à la mer. Depuis cet incident, je ne pouvais plus regarder l’eau de la même manière.

Je m'éloignai du bord, marchant prudemment le long de la plage, les pieds enfoncés dans le sable humide.  C’est alors que j'aperçus un groupe de phoques, longs et luisants, allongés sur les rochers au loin, se prélassant au soleil. Leur silhouette familière me fit hésiter. Cette fois-ci, toutefois, je ne ressentis pas l’envie irrésistible de m’en approcher.

Puis, une silhouette apparut dans mon champ de vision. Une femme, jeune, d’une beauté saisissante. Sa chevelure rousse, longue et en cascade, contrastait vivement avec l’horizon grisâtre, et ses yeux étaient d'un bleu perçant. Elle s’approcha avec une démarche fluide et assurée, comme une vague se déplaçant naturellement vers moi.

— Salut, tu sembles un peu perdue dans tes pensées, dit-elle, sa voix douce et claire, avec un accent typiquement écossais. Je m’appelle Sorcha. Je suis une amie d’Eoghan.

Je me redressai, surprise d’être interrompue dans ma contemplation, et lui rendit son regard. Sorcha avait une allure singulière, gracieuse, mais aussi un peu sauvage, comme si elle appartenait plus à la mer qu’à la terre. Une femme de l’eau, dans son apparence, un peu à la manière des selkies dont j'avais lu les légendes la veille. Son regard me transperçait, presque comme si elle savait déjà tout de moi, tout de mes tourments et de mes recherches. Que ce soit Malvina, Eoghan ou elle, leurs regards clairs avaient un quelque chose d'intimidant et d'acéré qu'avaient moins les yeux bruns.

— Eoghan… ? , répétai-je, Vous êtes… proches ?

Sorcha sourit, un sourire qui semblait à la fois bienveillant et mystérieux, et s’assit sur un rocher à côté de moi sans attendre de réponse.

— Oui, on se connaît depuis longtemps. Elle baissa les yeux vers l’eau qui se retirait doucement. On peut dire que l’on partage quelques… points communs.

— Vous avez tous des liens avec la mer, n’est-ce pas ? demandai-je, mes paroles sortant plus comme une constatation qu’une question. 

— Oui, la mer fait partie de tout ici. Les gens de ce village, les phoques, les vagues. On est tous un peu pris dans cette danse, tu sais. Elle marqua une pause et me fixa, son regard intense. Mais la mer, elle est aussi un miroir. Elle te renvoie ce que tu veux bien y voir, ou ce que tu dois y voir.

Et sur ces mots, elle se releva et s’éloigna en direction des rochers, ses cheveux roux flottant au vent comme une ombre fugace, avant de disparaître au détour de la côte.

Je restais là, les pensées en ébullition. Je n'avais pas tout compris, mais je sentais que cette rencontre n’était pas fortuite. Je ne savais pas pourquoi, mais il y avait quelque chose dans les paroles de Sorcha qui résonnait profondément en moi. Quelque chose qui me poussait à creuser davantage, à comprendre pourquoi la mer, les phoques, et tout ce que j'avais vécu ici semblaient être reliés de manière invisible.

Je tournai les talons, le vent marin soufflant sur mon visage, les mots de Sorcha flottant encore dans mon esprit. Mais j'avais le coeur un peu plus léger en retournant vers la maison de Malvina. La rencontre avec Sorcha m’avait secouée, mais d’une manière douce, presque réconfortante. La jeune femme rousse, même si ses paroles étaient énigmatiques, avait été une des rares à s’approcher de moi, à me parler sans distance ni jugement. Cela avait fait du bien, de ne pas être ignorée, de ne pas être simplement vue comme une étrangère de passage. Eoghan, Malvina, et maintenant Sorcha — eux, je le sentais, me traitaient différemment des autres habitants du village. Il y avait quelque chose d'humain dans leurs gestes, quelque chose qui laissait entrevoir une forme d’acceptation, ou peut-être de curiosité bienveillante.

Malvina m’avait bien accueillie et je ne pouvais m’empêcher de ressentir un lien avec cette vieille femme. Nous étions de la même famille, après tout. Et puis, il y avait la mer, toujours la mer… et les phoques.

Quand j'arrivai enfin chez Malvina, cette dernière m’accueillit avec un sourire complice, l’air presque satisfait de m’avoir vue travailler dur avec les filets. Elle me laissa prendre mes affaires dans la pièce où j'avais passé la nuit. Je rassemblai rapidement mon sac et mes affaires de tricot, une petite boîte où je gardais tout ce dont j'avais besoin pour mes travaux manuels.

En sortant, je pris mon téléphone et, presque par réflexe, fis défiler mon écran. Il y avait de nombreux messages et appels manqués de ma mère, que j'ignorai, des notifications diverses et variées… Mais je sentis le besoin de m’ancrer un peu, de garder contact avec ce qui me reliait encore à mon ancienne vie. J'écrivis un message rapide à une amie proche qui était au courant de ma démarche, lui disant simplement que j'allais bien, que j'étais un peu perdue, mais que j'avançais. C’était tout. Après tout, je n'avaist pas à expliquer tout ça maintenant. Pas encore.

Je pris ensuite le bus pour retourner à Ardnamairne, heureuse d’attraper un des seuls transports et de ne pas avoir à marcher, les pensées toutefois encore bousculées par mes rencontres.

Arrivée à l’hôtel, je montai dans ma chambre et m'assis sur mon lit, épuisée mais satisfaite. J'avais une grande envie de me concentrer sur quelque chose de simple, de familier. De quoi me recentrer, me calmer. Je sortis mon crochet, cette fois-ci, et non mon tricot, et commençai à travailler.

Je crochetais lentement, suivant un patron que j'avais trouvé sur internet. Les gestes étaient presque automatiques, le crochet dansant entre mes doigts, et petit à petit, un phoque prit forme sous mes mains. Il était mignon, simple dans sa forme, mais c’était mon premier, et chaque maille semblait lier un peu plus ma pensée à mes mains. Je mettais tout mon coeur, tout mon esprit, dans cette petite création. 

La petite créature de laine était imparfaite, mais j'en étais fière. Je le regardai quelques secondes, le sourcil froncé, comme si cet objet pouvait contenir tout ce que je ne comprenais pas encore. Puis je souris doucement. Au moins, pour l’instant, cela suffisait. Fin de journée. Nouvelle étape.

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