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MirandaFlanders
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Chapitre 4

Combien de temps étais-je restée sous le jet d’eau chaude de la douche ? Le bruit de l’eau qui s’écrasait contre les parois créaient un doux clapotis qui contrastaient avec les vagues sauvages de mes pensées. Les yeux fermés, le corps encore parcouru de frissons, je laissais la chaleur glisser sur ma peau, en même temps que le sel et le froid qui me hantaient depuis ma presque noyade dans l’océan. L’eau chaude dévorait peu à peu les sensations glacées de l’étreinte de la mer, du goût du sel qui s’était infiltré dans ma gorge et mon nez… mais je peinais à retrouver pieds avec la réalité. La panique ne s’en allait pas, mon cœur en tremblait encore.

J'avais failli me noyer.

Si ce phoque n’avait pas été là, ne m'avait pas sauvée, je croupirais désormais dans les tréfonds de l’océan Atlantique. Et cette pensée était aussi glaçante que terrifiante. Je me sentais … changée, d’une manière difficile à définir. C’était particulier de se retrouver face au danger, à la fragilité de sa propre vie, et d’en ressortir par pure chance. Car livrée à moi-même, je savais que je ne m'en serais pas sortie, que les vagues, beaucoup trop puissantes, m'auraient avalée sans merci.

Peu à peu, les gouttes qui glissaient le long de mon dos effaçaient la douleur de l’eau salée, l’odeur de l’iode qui m'étouffait. Je retrouvais enfin mon souffle, inspirant profondément et remplissant mes poumons jusqu’à n’en plus pouvoir. Et qu’est-ce que c’était difficile, de retenir mes pensées de partir dans des scénarios catastrophiques des « et si ». Et si le phoque n’était pas arrivé ? Et si je m’étais noyée, qu’aurait pensé ma mère ? Et si, et si …

Sortant de la douche, j'enfilai mon pyjama le plus épais, le plus doux, y trouvant un grand réconfort, et me recroquevillai dans mon lit. Bien au chaud, à l’abri, vivante. Je regardai l’heure : il était tôt, encore une heure calme avant que le reste du monde ne se réveille. Mais malgré la tranquillité de la pièce, malgré la sécurité de l’hôtel, mon esprit ne parvenait pas à se reposer. Les images de l’eau, du phoque, de la mer déchaînée se bousculaient dans ma tête. Je fermai les yeux, soupirai et me retournai sous les couvertures, cherchant à chasser ce sentiment étrange qui me poursuivait. Mais finalement, après une longue période d’agitation silencieuse, j'abandonnai et me levai. Je m'habillai rapidement, sans vraiment réfléchir, et descendis dans la salle de petit déjeuner.

L'odeur du bacon et des saucisses m'assaillit dès que j'entrai dans la pièce. Une table était déjà dressée, pleine de mets que je n’avais jamais vus. La gérante et réceptionniste de l’hôtel était là, aussi souriante et chaleureuse que la dernière fois. Une vision réconfortante et agréable, qui me mit de meilleure humeur.

—Vous m'en direz des nouvelles, lassie, dit la gérante d'une voix chaleureuse. Un vrai petit déjeuner écossais, le week-end. C'est de la bonne énergie pour commencer la journée !

Je m'installai, sentant l’appétit me fuir malgré la vue. Sur la table, tout était là : des tranches de bacon bien dorées, des saucisses épaisses, des haggis encore fumants, des tomates bien rouges rissolées dans l’huile, et une portion de black pudding qui brillait d’un noir presque irréel sous la lumière tamisée de la pièce. Les toasts croustillants, les pommes de terre en galette, les champignons parfumés…

Le regard bienveillant de la gérante, une invitation tacite à explorer ce festin, me poussa à oser. Malgré ma réticence, je pris ma fourchette et, après un instant d’hésitation, plongea dedans. Le bacon était croustillant, presque caramélisé sur les bords. Les saucisses bien épicées, l’assaisonnement piquant sur la langue. Je mordis dans une tranche de black pudding. C’était… surprenant. La texture était dense, un peu grasse, et le goût riche, terreux, métallique. Je grimaçais légèrement, mais avalai tout de même en essayant de ne pas trop penser à ce dont il s’agissait. Mon regard se porta ensuite sur l’haggis, cette boule de viande épicée enrobée dans une panse… Ça ne m'attirait pas beaucoup, pour être franche, mais c'était meilleur que je ne m'y attendait. Le goût n'était pas fort, c'était même tendre, avec un petit goût de noisette.

Je me forçai à sourire à la gérante, mais le sentiment de satiété était déjà là, sauf que ce n'était pas seulement la nourriture que je tentais de digérer. La matinée semblait encore pleine des fantômes de la veille, et bien que je m'efforçais de me concentrer sur le repas, mon esprit vagabondait entre les souvenirs de l'océan et la douceur de l'hôtel, entre la vie que j'avais manqué de perdre et la sérénité du moment présent.

Je pris une bouchée de tomates rissolées, puis de tattie scone pour adoucir la sensation du boudin.

—Bon appétit, lança la gérante en souriant, sans doute satisfaite de me voir me forcer à goûter un peu à tout. 

Prenant une gorgée de café, j'observai distraitement la vieille dame, mes pensées moulinant un instant dans mon crâne, avant que je ne me lance. Car malgré tout, je n'avais pas perdu de vue mon objectif…

—Dites, Madame … Est-ce que vous avez connu une Mairead, mère de Catriona, par hasard ?

Je ne perdais rien à lui demander, d’autant plus qu’elle m’avait toujours accueillie avec le sourire. Et là, son regard devint tout de suite un peu plus sérieux, son expression plus… sur le qui-vive.

—Pourquoi la cherchez-vous ?

—J’ai retrouvé une lettre de sa part dans les affaires de ma mère et elle serait ma grand-mère… Je voudrais savoir si elle est toujours vivante et où je pourrais la retrouver.

La surprise se devinait dans le regard de la gérante, qui s’installa en face de moi.

—Hmmm… Je sais qu’elle résidait à Muirbahn, à l’époque. Un petit hameau de pêcheurs pas très loin d’ici. Mais j’avoue ne plus avoir eu de nouvelles d’elle depuis …

Depuis … ?

Mais elle ne poursuivit pas, poussant un petit soupir à la place. J'étais pourtant ravie : j'avais enfin une piste, une réponse, et ça valait tout l’or du monde. Enfin quelqu’un qui acceptait de m'en parler ! Je poussai donc ma chance en posant la question qui me taraudait depuis mon arrivée.

—Est-ce que vous pouvez me dire pourquoi les villageois sont aussi… méfiants ? Je leur ai posé la même question, ces derniers jours, et pas un n’a voulu – ou su ? – me répondre …

—C’est parfois difficile pour un village où tout le monde se connait d’accueillir de nouvelles têtes, Lassie. Ardnamairne n’est pas connu pour être un endroit très touristique. Ne leur en tenez pas trop rigueur…

Je trouvais difficile de « ne pas leur en tenir rigueur », étant donné leur manque de réponse, leurs regards, et la difficulté devant laquelle il m’avais mise. Mais le sourire bienveillant de la gérante, couplé aux petites rides qui adoucissaient son visage, me mettaient du baume à l’âme. Celle-ci se releva d’ailleurs de sa chaise pour me laisser profiter de mon petit-déjeuner, qui avait maintenant un peu refroidi. Mais à part le boudin que je laissai de côté, je me forçai à manger tout le reste pour avoir des forces.

Il me fallait maintenant trouver comment aller à Muirbahn.

Je fis quelques recherches sur internet, avant de demander à la gérante pour confirmer les informations que j'avais trouvées : le plus simple était d’y aller en voiture, mais à défaut d’en avoir une sous la main, je me dis que j'allais faire du stop. Et marcher au bord de la route en attendant. Il y avait aussi un bus, mais qui passait que quelques fois dans la journée. Le hameau n’était de toute façon pas si loin, peut-être à une heure de marche, et bien que la pensée d’autant marcher ne me plaisait guère… je me disais que c’était nécessaire et que la vue allait au moins être belle.

Prenant le temps de remonter dans ma chambre pour préparer un sac à dos, j'y fourrai mes affaires de tricot, la lettre, une gourde remplie d’eau, une batterie pour mon téléphone et un pull chaud au cas où. Puis je partis à l’aventure, suivant ce que m'indiquait mon téléphone pour trouver le bon chemin à suivre.

Je commençai donc à marcher le long de la route, les yeux vadrouillant à droite à gauche pour découvrir le paysage. La lande s'étendait à perte de vue, tissée de verts éclatants et de bruns profonds, entrecoupée de pierres rugueuses. Les collines, aux formes arrondies et douces, se haussaient doucement vers des sommets noyés dans les brumes, comme si elles hésitaient à toucher le ciel. Et par endroits, de petites plages de sable blanc, bordées de rochers noirs soutenant de petits groupes de phoques … qui semblaient me fixer du regard à mon passage. Quelques oiseaux marins volaient non loin des vagues, des espèces que je n’avais jamais vues mais qui ressemblaient un peu à des buses.

Les minutes s'écoulaient et aucune voiture ne s’arrêtait. Je voyais de rares véhicules passer, mais aucun ne semblait disposé à me prendre. L'ennui, la solitude. L’impression de ne faire qu'une avec le paysage, d’être invisible, de se fondre dans le décor. Enfin, une voiture apparût à l’horizon. Une vieille berline, pas très luxueuse, mais plutôt bien entretenue malgré son âge. Je fis un signe de la main, un peu hésitante. La voiture ralentit, puis s’arrêta enfin. Un soupir de soulagement me traversa tandis que je me rapprochais de la portière passager.

Le conducteur, un homme d'une cinquantaine d’années, les cheveux grisonnants, un peu en bataille, et un visage marqué par le temps. Il me sourit poliment, mais sans grande effusion.

—Où vous allez ? demande-t-il d’une voix grave, presque croassante, comme s’il avait l’habitude de parler seul dans sa voiture.

—Muirbahn. J'hésitai un instant avant de préciser : Le hameau. C’est par ici.

L’homme hocha la tête, comme s’il savait exactement où se trouvait ce lieu perdu au milieu de nulle part.

—Allez, grimpez.

Il avait un accent étrange, mi-écossais, mi-incompréhensible. Un de ceux qu’on entendait parfois dans les recoins les plus reculés du pays, là où le temps semblait s’être arrêté.

Je m'installai sur le siège passager, un peu nerveuse, toujours un peu sur mes gardes. Ce n'était pas le moment de douter de mon choix et de me rappeler des tueurs en série. La vieille voiture vibra et toussota sous mes pieds, les sièges étaient usés, et un mélange d’odeur de cuir et de poussière flottait dans l'air. Les fenêtres étaient légèrement entrouvertes, laissant entrer un peu d'air frais, mais aussi quelques odeurs du dehors : l’herbe humide, le sol, un parfum de mousse.

Au moment où j'attachai ma ceinture, la vieille radio se mit à crachoter, brisant le silence pesant. Une musique écossaise, nostalgique, à moitié étouffée, s’échappa des enceintes grésillantes. Un violon solo, accompagné d’un léger tambourin, fit vibrer l’intérieur de la voiture.

L'homme ne sembla pas s’en soucier, la musique se fondit dans le bruit de la route, dans les échos de la conduite lente. Il conduisit sans un mot, l’unique bruit, en dehors de la radio qui grésillait, était celui des pneus crissant sur la chaussée. Un peu déstabilisée par ce silence étrange, je jetai un œil furtif à mon conducteur. Il ne semblait pas pressé, pas d’humeur à bavarder, juste à conduire et profiter de la route. Les minutes s’égrenèrent doucement à mesure que le paysage défilait sous mes yeux, de magnifiques landes qui se perdaient au loin dans l’immensité du ciel. Nous roulâmes à côté de la mer et ne perdions que rarement de vue les bancs de sable et les rochers qui les parsemaient. Quelques phoques, des oiseaux – « des balbuzards pêcheurs », que m'apprit mon conducteur –, des moutons … 

Puis, enfin, après un dernier virage, nous arrivâmes à destination.

Le hameau de Muirbahn était là, perdu au bout du monde. Une poignée de maisons serrées les unes contre les autres, des toits en ardoise qui semblaient lutter contre les vents violents. Une petite rue principale menant à la mer, à la plage où des filets de pêche drapés sur des poteaux en bois séchaient au soleil. Les mailles des filets, usées par les années de service, capturaient encore l’odeur de la mer et le parfum du poisson frais. Tout était calme, paisible.

C’était le genre de silence que l’on trouvait dans des endroits où le temps se figeait, où les gens vivaient en dehors du monde, où tout semblait suspendu.

L’homme freina doucement, se tourna vers moi et me lança un regard distrait.

—Voilà. Muirbahn.

Il s’arrêta sur le côté de la route.

Je le remerciai, attrapai mon sac et descendis de la voiture, le cœur battant un peu plus vite à l’idée de ce qui m'attendait dans ce village perdu. La vieille berline s’éloigna rapidement, et dans la poussière soulevée, je fis quelques pas, respirant à plein poumons l’air pur, presque lourd de silence.

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