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MirandaFlanders
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Chapitre 3

Le matin se leva lentement sur Ardnamairne, un ciel gris pâle qui s’étirait au-dessus du village comme une toile d’un peintre en plein début de création. Dans la salle à manger de l’hôtel, je retrouvai la même scène que la veille : un porridge fumant, crémeux à souhait, accompagné d’une tranche de gâteau aux fruits – sûrement la spécialité locale – et d’un café fort, qui m’embrasait doucement de l’intérieur. Tout était familier, presque réconfortant, un peu comme un reset de la journée d’hier, une tentative de repartir sur des bases différentes. Je m’installai à la table, d’un geste mécanique, en prenant une première cuillerée de porridge, presque pour me rassurer.

Je savais que je devais repartir à la rencontre des habitants, faire encore quelques pas dans ce village pour trouver des indices, des fragments d’histoires que je pourrais assembler pour comprendre. Le goût sucré du gâteau aux fruits, les arômes du café, tout semblait s’effacer face à la détermination qui montait en moi. Aujourd’hui, c’est différent. J'avais ce petit quelque chose en moi qui, pour une fois, faisait naître une lueur d’espoir. Peut-être que les gens d’Ardnamairne seraient plus ouverts aujourd’hui, plus disposés à partager ce qu’ils savaient, même si, hier, tout m'avait paru aussi clos que les volets des maisons en pierre.

Mais une fois dehors, à nouveau, je me heurtai au même mur. Je m'adressai à plusieurs personnes : un vieil homme occupé à réparer son bateau, une jeune femme portant un panier de pain, un couple de retraités. Je posai encore et encore ma question sur Mairead, la mère de Catriona. Et encore une fois, les mêmes réponses hésitantes, les mêmes sourires gênés, et des regards qui, au fond, ne savaient pas quoi m'offrir. Les visages se fermaient, les conversations prenaient une tournure polie, mais distante. Rien.

Cela me laissait perplexe et, peu à peu, cette lueur d’espoir que j'avais cru sentir se dissipait comme neige au soleil. À chaque nouveau refus, à chaque regard fuyant, un poids s’ajoutait dans ma poitrine, un sentiment de défaite que j'avais du mal à maîtriser. Les gens se faisaient distants, presque évitants, comme si Mairead et Catriona étaient des sujets qu’il ne fallait pas aborder, des fantômes que personne ne voulait réveiller.

Je marchai sans but dans les rues étroites du village, mes pas battant le pavé d’un rythme las, mon esprit embrouillé par la déception. J'avais l’impression de tourner en rond, de me battre contre des murs invisibles. Mes pensées, comme les vagues qui s’écrasaient plus loin sur les rochers, se brisaient contre un même silence. Que faire ? Le vent frais du matin se levait, m'apportant une bouffée d’air salé, mais cela ne suffisait pas à dissiper la lourdeur qui alourdissait mes épaules.

Je décidai finalement de me rendre vers la mer, en fin de journée. Peut-être que l’océan, ce vaste monde impitoyable et indomptable, pourrait m'offrir une forme de réponse. Au moins, je pourrais y trouver un peu de calme, de distance, pour réfléchir à que faire ensuite. L’odeur salée de la mer n'était pas du tout familière pour moi, mais elle avait un côté aussi apaisante que stressante. Je descendis vers le port, longeant les petites maisons aux murs en pierre, et m'approchai lentement du rivage.

Le vent soufflait de plus en plus fort à mesure que j’avançais, secouant mes cheveux, mordant ma peau. La mer était calme, mais d’un bleu métallique, presque glacial, et les vagues, lentes, venaient se briser contre les pierres noires en déversant un nuage d’écume blanche. Je m’étais assise presque timidement sur un banc en bois, près de l’eau, et mes yeux s’étaient perdus dans le mouvement des vagues… Et comme à mon arrivée, quelques jours plus tôt, une sensation étrange m’avait transpercée. Quelque chose de brutal, un coup de poing dans le ventre, une oppression qui m’empêchait de respirer. Une douleur sourde, mêlée de tristesse et de vide.

Je restai là, assise sur ce banc, tentant d’apaiser cette sensation, cherchant un peu de calme en restant proche de la mer. C’est passager, ça va passer, ne cessais-je de me répéter, entre deux profondes inspirations. Mon regard, fuyant, s’était perdu vers l’horizon, jusqu’à ce que j’aperçoive des taches sombres sur le sable et les rochers. Des formes que je n’avais pas remarquées tout de suite. Plusieurs phoques étaient là, paresseusement étendus sous les rayons du soleil couchant. Leur peau mouillée scintillait sous la lumière dorée. Ils étaient éparpillés sur les rochers, certains allongés, d’autres se redressant légèrement, me lançant un regard curieux. Leurs yeux ronds, noirs, étaient posés sur moi sans détour, comme s’ils avaient senti que quelque chose clochait. Et, face à eux, mon cœur s’était mis à battre plus fort, tambourinant à mes tempes, tandis qu’une douleur sourde me traversait.

Leurs regards étaient pénétrants, silencieux, mais lourds de quelque chose d’étrange. Une forme de compréhension, ou peut-être… de crainte ? Je n’eus pas le temps de réfléchir davantage. D’un coup, sans avertissement, les phoques s’étaient mis à bouger. Lents, mais déterminés, comme guidés par un signal invisible. L’un après l’autre, ils s’étaient levés. Leurs mouvements étaient fluides, presque fantomatiques. Certains glissèrent dans l’eau, leurs corps ondulants se fondant dans les vagues avec une grâce inattendue. D’autres, plus hésitants, s’éloignèrent sur le sable, laissant derrière eux la trace de leurs palmes.

Je restai là, immobile, le regard fixé sur la mer, alors que les phoques s’évanouissaient peu à peu dans l’horizon. Un vide m’envahit. Quelque chose d’irrationnel, d’instinctif. Je fis un pas. Puis un autre. Sans comprendre pourquoi. Sans me poser la moindre question. Mes pieds touchèrent l’eau.

Le froid me saisit immédiatement. Brutal, tranchant. Mes jambes frissonnèrent, gelées jusqu’aux os. Mais je n’y prêtai aucune attention. J’avançais. Sans réfléchir. Une force sourde me poussait. Elle venait de quelque part en moi, un endroit inconnu. La mer s’ouvrait devant moi, m’appelait, m’enveloppait.

J’avançais encore, les vagues frappant mes jambes. Bientôt, l’eau atteignit mes hanches, puis mon ventre. Le froid était insupportable, et pourtant je m’en fichais. C’était comme si la mer aspirait mon âme. J’avais l’impression d’être hors du temps. Mes pieds enfoncés dans le sable mouillé, les vagues m’enlaçant sans relâche. Mais plus je m’enfonçais, plus elle semblait me retenir, me happer, m’engloutir dans son immensité froide. Ce n’était plus un appel, c’était une emprise.

L’eau monta encore. Mes jambes, déjà engourdies, se figèrent. La douleur était fulgurante. Un frisson glacial traversa tout mon corps. Mes muscles se tendirent, se raidissant sous l’effet du froid. Je m’arrêtai un instant. Et puis, la mer me poussa plus loin. Le sol se déroba sous mes pieds. Une vague me submergea. Je perdis l’équilibre. Mes jambes m’abandonnèrent, et l’eau m’engloutit.

Le froid m’enveloppa tout entière. J’essayai de me redresser, de résister, mais mon corps ne répondait plus. Mes membres étaient lourds, figés. Je suffoquais. Une panique sourde s’éleva en moi, mais elle se perdit dans l'immensité liquide. Je ne pouvais plus bouger. Je ne pouvais plus crier. Je sombrai lentement, tirée vers le fond.

Je fermai les yeux, incapable de résister à la morsure de l’eau. Tout devint flou. Une brume glaciale envahissait mon esprit. Je ne savais plus si je luttais encore… ou si je m’étais abandonnée.

Puis, soudain, quelque chose me frôla. Un mouvement, une présence. Avant que je n’aie le temps de comprendre, une force m’enserra la taille. J’ouvris difficilement les yeux, aveuglée par l’eau et le froid. Ce n’était pas un bras humain. C’était une masse sombre, lisse… qui me ramenait vers la surface.

Un phoque.

Je n’arrivais pas à comprendre. Mon esprit était embrumé, brisé. Mais l’animal me soutenait avec une douceur inouïe. Ses nageoires puissantes me portaient, me repoussaient vers le rivage. Ses yeux noirs me fixaient, profonds, comme s’ils comprenaient ma douleur. Comme s’ils savaient.

Le phoque glissa lentement sous mon corps, m’entourant de sa présence rassurante, me ramenant à la vie, contre la volonté même de la mer.

Je n’avais plus de force. Je me laissais faire. Ma tête se posa sur son dos, et, à travers cette masse chaude et vivante, je sentis un contraste brutal avec le froid qui me rongeait. Il luttait contre les vagues, contre la mer elle-même, pour me ramener.

L’air du soir me frôla le visage. Je sentis la brise marine contre ma peau, alors que le phoque me rapprochait de la plage. Il avançait lentement, mais avec une certitude presque solennelle. Comme s’il savait exactement ce qu’il faisait.

Et puis, enfin, la mer se calma. Je touchai le sable. Tremblante. Épuisée. Le phoque s’éloigna lentement. Je le suivis du regard. Sa peau grise, presque blanche, brillait d’une lumière argentée. Avant de disparaître, il se tourna une dernière fois vers moi. Son regard plongea dans le mien. Et puis il glissa dans l’eau, sans un bruit. Disparu. Emporté.

Je restai allongée sur le sable, les yeux grands ouverts. Mon cœur battait fort. J’étais vivante. Sauvée. Le souffle court, je levai les yeux vers le ciel. Devant moi, la mer, indifférente, redevenue calme. Mes mains tremblaient. Mais je savais. Je venais de frôler quelque chose de grand, de profond. 

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