Je sortis de la maison de Malvina en pressant les paupières, comme si je voulais chasser les échos de cette conversation chargée de mystères. J'avais besoin de prendre l'air, de sentir la fraîcheur du vent salé qui balayait les collines. Je n’avais pas l’intention de rester enfermée avec ces pensées. Peut-être qu’en déambulant dans le hameau, en observant les gens, j'arriverais à comprendre un peu mieux cet endroit, ces habitants, et, peut-être, les mystères qui planaient autour de ma famille.
En voulant sortir précipitamment de la maison, je ne fis même pas attention à mon environnement. Mes pensées trop tourmentées, mon esprit en vrille n’entendit même pas le bruit des pas derrière la porte. Je ne m'attendais pas à ce que quelqu’un soit derrière et n’eus pas le temps de réagir, lorsque je me glissai dehors.
Un choc qui me fit vaciller.
Je me rattrapai sur le premier objet à portée de main, mais ce ne fut qu’un instant, car la personne en face de moi réagit aussitôt, tendant la main pour m'aider à me stabiliser.
—Woah ! m’écriai-je un peu désorientée. Je suis – !
Je levai la tête et m'arrêtai net. L’homme que je venais de percuter était tout simplement... impressionnant. Grand, avec des épaules larges et musclées, sa carrure massive dégageant une énergie brute. Il était comme une présence qui capturait l’attention, qui dominait l’espace. Il portait un kilt bleu et vert, les plis de la laine épaisse se balançant légèrement au rythme du vent, et un pull gris foncé qui contrastait avec les couleurs vives du kilt.
Ses longs cheveux blonds étaient attachés en une tresse épaisse sur son épaule, les côtés de sa tête rasés, comme si sa coiffure marquait un contraste entre la sauvagerie et la discipline. Une barbe épaisse, parfaitement taillée, courait le long de son menton, et ses lèvres, pleines et charnues, étaient pincées dans une expression à la fois sévère et indéchiffrable.
Mais ce qui marquait le plus chez lui, ce qui me frappa en plein cœur, ce n'était pas son physique imposant ni sa prestance virile. C’était son regard. Un regard anthracite, aussi froid que la pierre, mais intense, presque incisif, qui me fixait avec une curiosité qui me fit frissonner.
Il me regardait sans un mot, l’air impassible, mais ses yeux semblaient sonder mon âme, cherchant peut-être à comprendre qui j'étais, pourquoi j'étais là. Un frisson d’inconfort traversa ma peau, mais je me redressai, cherchant à reprendre contenance.
— Désolée, je ne vous avais pas vu..., balbutiai-je, un peu gênée.
Il laissa un petit rictus échapper, mais sans chaleur, juste une ironie discrète. Puis il m'adressa la parole d'une voix grave, profonde, qui semblait résonner jusque dans les pierres du hameau. Son accent écossais était puissant, bien présent, mais les mots restaient compréhensibles pour moi.
— Ça va, pas de mal. Mais vous devriez faire attention. Il haussait les épaules comme si ce genre de collision n’était qu’un petit incident dans sa journée.
Je déglutis en me rendant compte qu’il avait encore l’air plus imposant à cette distance. Plus un viking qu’un highlander, pensai-je, un peu amusée par l’idée, mais il y avait quelque chose de presque animal dans sa présence, un mélange de force brute et de calme profond, comme une mer calme avant la tempête.
Je me rendis soudainement compte qu’il ne me lâchait pas du regard. J'hésitai une fraction de seconde, me sentant un peu perdue dans la situation. Qui était-il ? Et pourquoi avais-je l’impression qu'il savait quelque chose que j'ignorais ?
— Vous veniez voir Malvina ? demandai-je finalement, pour briser le silence, ma voix un peu moins hésitante cette fois.
— Oui. Il croisa les bras, toujours aussi détaché, mais son regard se fit un peu plus perçant. Je m’appelle Eoghan. Et vous êtes la petite fille de Mairead, pas vrai ?
Je sentis mon cœur faire un petit saut dans sa poitrine. Comment cet homme savait-il cela ?
Je le fixai, surprise. Mairead... Je me sentais soudainement prise au piège de mes propres pensées. Chaque nouveau visage dans ce village semblait connaître des détails de ma vie avant même que je ne les partage. Comme si mon arrivée n’était qu’une vieille histoire qui se rejouait sous leurs yeux.
— Oui. Je répondis, un peu plus sèchement, déstabilisée. Je suis Brune. Brune Marceau. Comment savez-vous cela ?
Eoghan haussait les sourcils légèrement, sans signe d'embarras. Son regard anthracite ne me quittait toujours pas.
— Les nouvelles vont vite ici. Il laissa échapper un léger rire. Il n’est pas difficile de savoir qui débarque dans le hameau, surtout quand les gens… enfin… ne viennent pas si souvent. Il fit une légère pause, puis ajouta, avec un regard plus appuyé : Et Mairead, eh bien, elle était connue… ici. Et vous lui ressemblez, à elle et à Malvina.
J'haussais les épaules, sentant une tension que je ne parvenais pas à définir. Je me sentais soudainement observée sous un angle que je n’avais pas anticipé. Mon regard se porta sur lui de bas en haut, avant de détourner les yeux.
—Un peu trop de curiosité pour mon goût.
Eoghan, toujours calme, sourit plus franchement cette fois, mais il n’y avait pas de moquerie dans ses yeux, juste une sorte de compréhension lointaine.
— Pas de mal. Il secoua légèrement la tête. Muirbahn a ses habitudes. On n’a pas l'habitude des étrangers, alors tout le monde fait un peu attention. Surtout à ceux qui ont des liens avec les vieilles familles... comme vous.
Il me regarda un instant, ses lèvres s'étirant en un sourire presque imperceptible, avant de s’avancer légèrement vers la porte. Je remarquai à cet instant qu’il avait un panier de légumes dans une main, ayant été trop occupée à le dévisager.
— Bon, je vais vous laisser explorer. Vous avez des choses à découvrir ici, mais faites attention à ne pas trop fouiller dans les coins sombres, Brune. Certaines histoires, ici, sont mieux laissées de côté.
Je restai là, un peu déconcertée, le regard fixé sur l’homme qui entra dans la demeure que je venais de quitter. Une impression étrange me saisit : quel genre de relation avait-il avec Mairead et Malvina ? Pourquoi semblait-il me connaître, lui aussi ? Et surtout, pourquoi avais-je l’impression qu’Eoghan, avec son regard de fauve, n'était pas qu’un simple habitant du hameau ?
Ma curiosité piquée, je gardai cette rencontre dans un coin de mon esprit. Les rumeurs allaient vite, qu’il m'avait dit. Et voilà plusieurs jours que je demandais des informations sur Mairead à Ardnamairne… Ce n’était peut-être pas si étonnant que les gens aient parlé à mon sujet.