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W_stella911
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CHAPITRE 18

PDV de Carla :

La craie crisse sur le tableau. M.Leroy, les manches retroussées, écrit en grandes lettres :

"LA DOULEUR HUMAINE"

Il pose la craie et se retourne vers nous. Son regard nous scrute un à un, comme s'il pouvait déjà voir nos idées éclore dans nos esprit.

- Peut importe le support, peu importe la technique. Ce qui compte, c'est l'émotion. Faites-moi ressentir quelque chose.

Autour de moi, mes camarades des regards, certains intrigués, d'autres anxieux. Moi, je fixe ces mots tracés à la va-vite sur le tableau.

La douleur humaine...

J'ai vu des tableaux déchirants, des sculptures qui hurlent, des photographies qui broient l'âme. Mais comment, moi, puis-je capturer ça ? Qu'est-ce ce que je connais, au fond, de la douleur ?
La sonnerie retentit. Un brouhaha remplit la salle alors que tout le monde range ses affaires. Je fais de même, lentement, perdue dans mes pensées.

Dans le couloir, l'agitation est la même qu'à chaque interclasse : rires, bousculades, conversations pressées avant le prochain cours. Moi, je marche vers l'internat, les mains dans les poches de ma veste, le regard flottant.

Et puis je le vois.

Shawn.

Il est appuyé contre un casier, en train de parler avec un ami. Quand son regard accroche le mien, un léger sourire étire ses lèvres. Ce sourire qui me réserve toujours, un peu joueur, un peu mystérieux. Un frisson court sur ma peau.

Mais ce n'est pas son sourire qui me frappe cette fois. C'est son visage tout entier.

La ligne tendue de sa mâchoire. Les ombres sous ses yeux. Ce quelque chose indéfinissable dans son regard, un éclat entre la mélancolie et la résignation. Comme si un poids invisible l'écrasait en permanence, même lorsqu'il sourit.

C'est à cet instant que l'idée me frappe.

La douleur humaine...

Elle est là, juste devant moi. Pas dans des hurlements ni dans des larmes. Mais dans ce visage qui cache quelque chose, qui porte une blessure silencieuse.

Je vais peindre Shawn.

Shawn s'éloigne de son ami et s'avance vers moi, mains dans les poches, son éternel sourire en coin accroché aux lèvres.

- Tu comptes me fixer comme ça encore longtemps ? Me demande-t-il, d'un ton amusé.

Je cligne des yeux, prise en faute. Je détourne le regard, mais il est déjà là, tout près. Trop près.

- Je réfléchissais. Je réponds, tentant de masquer mon trouble.

- À moi ? Il arque un sourcil, feignant l'étonnement.

- Ne rêve pas trop, Shawn.

Il rit doucement, un rire bas, presque moqueur. Il adore me pousser à bout. Et le pire, c'est que ça marche.
Je prends une inspiration et me lance :

- En fait, j'ai un service à te demander.

Son sourire s'étire. Il s'appuie contre le mur, faussement désinvolte.

- Je t'écoute.

- C'est pour mon projet d'art. On a un thème à représenter et...je veux que tu sois mon model.

Il cligne des yeux, surpris. Je m'attends à une remarque moqueuse, mais il se contente d'un silence, le temps que l'information l'atteigne. Puis, un sourire narquois revient hanter son visage.

- Interessant... Murmure-t-il.

- Donc...

Il croise les bras, me détaille comme s'il évaluait la proposition sous tous les angles. Puis il penche la tête légèrement vers moi et lâche, malicieux :

- Comme ça, tu pourras admirer mon splendide corps sous toutes les coutures.

La chaleur me monte aux joues. Il le voit, évidemment. Son sourire s'agrandit.

- Si ça te gêne tant que ça, je peux toujours demander à un autre garçon. Je rétorque, levant le menton pour masquer mon trouble.

- Ah non, certainement pas.

J'hausse un sourcil.

- Jaloux ?

- Juste pragmatique. Dit-il en haussant les épaules. Aucun autre mec ici ne rendrait pas aussi bien que moi sur une toile.

Je lève les yeux au ciel, mais un sourire me trahit.

- Très bien, alors. Demain, après les cours.

- Ça me va. Répond-il.

Il s'éloigne lentement avant de se retourner.

- J'ai hâte de voir comment tu vas capturer toute cette perfection.

Je secoue la tête, amusée et agacée à la fois. Ah, Shawn et son ego...
Alors que je reprends la route vers l'internat, une chose est sûr : j'ai mon model.

***

- Bon tu m'emmènes où ?

Je soupire bruyamment en entendant la question qu'il pose pour la sixième fois, depuis les 5 dernières minutes.

- Tu peux pas suivre en silence ?

- Tu sais bien que non.

Son sourire arrogant me fait lever les yeux au ciel. Comme toujours. Il faut vraiment qu'il arrête avec ça.

- Il faut que j'achète de la peinture.

Je l'entends s'arrêter et je retourne pour voir sa tête stupéfaite.

- Quoi, encore ?

- Tu vas me dire que tu m'as demandé d'être ton model, mais que tu n'as pas de peinture ?

- La peinture se finit, Shawn. C'est pas un pot infini ou qui se renouvelle. Ça se rachète.

- Haha très drôle. Ce que je voulais dire c'est que tu n'avais pas pris tes précautions, au lieu de me traîner avec toi pour aller te racheter cette foutu peinture.

Mais quel enfoiré...

- Va te faire foutre. Tu peux toujours t'en aller si tu veux, j'aurais aucun mal à te trouver un remplaçant. Aller chercher de la peinture fait partie du job.

Il me regarde avec un de ces regards. Des yeux qui veulent dire : « Redis une chose pareille et je t'étripe. »

- Tu vas voir si je veux pas aller chercher ta peinture.

Il me dépasse et continue le chemin d'un pas déterminé, et je le suis avec un sourire au coin.

Gagné...

À peine quelques minutes plus tard, nous arrivons devant la boutique. Nous entrons et je vais directement dans le rayon qui m'intéresse, le blondinet collé aux basques.
Bon alors, on va commencer par les couleurs primaires. Rouge, jaune et bleu. Il me faut du vert, du noir, du bleu cyan, du violet, du gris et un peu de blanc. Je vais prendre deux bouteilles de rouge quand même, on sait jamais.

- Pourquoi autant de couleurs sombres ? Me demande-t-il, sa tête au dessus de mon épaule.

- T'occupes. T'y connais rien en art.

Il prend un air offusqué, la main sur le cœur, avant de rétorquer :

- Moi ? Tu rigoles ! Je devais me taper tous les musées de la ville quand j'étais gamin, j'ai eu le temps de voir tout sorte d'art !

- Mmh mmh.

- Je t'assures !

Le panier remplit, je ne prends pas la peine de lui répondre et vais au rayon des pinceaux. Il faut que j'en renouvelle quelques uns. Il va me falloir des pinceaux plus fins pour faire l'écorchure au milieu du torse. Ah, et aussi des fils rouges pour le relief.
Alors que je courais presque partout dans les magasins, mon model a temps partiel se met en travers de ma route.

- Tu veux bien ralentir un peu la cadence ? Tu me donnes le tournis à force d'aller partout.

- Fallait attendre dehors si tu voulais pas me suivre.

Contre toute attente, il arbore un sourire narquois.

- Et te laisser toute seule ? Sans prince charmant ? C'est mal me connaître.

- Quel prince charmant ? J'en vois pas.

Je souris niaisement et finis par aller chercher les derniers matériaux qui m'intéressent, sous les yeux ahuris du blond. Je finis finalement avec un panier plein à craquer, en plus des deux toiles coincées sous mon aisselle.

Quand je vais à la caisse, il est de nouveau à côté de moi, m'aidant à placer les articles sur le bois de la caisse pendant que la vendeuse les scanne. Au fur et à mesure qu'elle les place sur le côté, je ranges mon nouveau équipement dans mon sac en toile et finis par demander à Shawn de me porter mes toiles, n'aillant pas assez de place dans mon havresac. Il accepte sans hésitation et je sors mon porte monnaie pour payer cette gente dame.

- Ça fera 91,45€, s'il vous plaît. Dit-elle, gentiment.

- Oui, bien sûr.

Pour être artiste, faut être conscient du prix. Je passe ma carte bancaire sur le lecteur, accepte le ticket de caisse et nous disons au revoir en passant la porte.

- Putain, depuis quand c'est aussi cher tes trucs ?

- Depuis toujours. Quand t'es artiste, il faut être prêt au prix. Et puis ça dure assez longtemps si t'en prends soin, donc ça va.

- Mais quand même...

Je ris face à sa mine enfantine et nous retournons au lycée pour commencer mon nouveau projet.

***

J'ouvre la porte de ma chambre d'un geste hésitant et lui fais signe d'entrer. Je ne sais pas pourquoi ça me met autant mal à l'aise. Après tout, ce n'est qu'un projet d'art. Pourtant, le voir ici, dans mon espace, me donne l'impression de dévoiler une part de moi que je garde habituellement bien protégée.

- Fais pas attention au bazar. Dis-je en posant mon sac par terre.

C'est faux, il n'y a aucun bazar. Tout est parfaitement rangé, justement parce que je savais qu'il viendrait aujourd'hui. Mais j'ai besoin de dire quelque chose, n'importe quoi, pour combler le silence. Lui, en revanche, ne semble pas se soucier de ce genre de détails. Il pose les deux toiles contre le mur, comme si être ici était la chose la plus naturelle au monde.

Je me force à respirer calmement et attrape mon chevalet, que je place au centre de la pièce. J'y fixe la première toile, mes gestes précis malgré la tension qui me crispe. Puis je le tourne vers lui.

- Installe-toi là. Lui dis-je en désignant le bord de mon lit.

Il obéit sans un mot, s'asseyant avec cette aisance tranquille qui le met encore plus mal à l'aise. Il est concentré, et je ne comprends pas pourquoi. Ce n'est pas lui qui fait le projet, si ? Moi, au contraire, je ne sais pas comment me comporter. Son sérieux me déstabilise, alors je fais ce que je sais faire de mieux : mettre une barrière.

- T'as pas à prendre cet air ultra impliqué. C'est juste un dessin, tu sais.

Il arque un sourcil, visiblement amusé par ma pique, mais ne répond rien, étonnement. Son regard accroche le mien une fraction de seconde de trop, et je détourne les yeux, agacée contre moi-même.

Je prends place en face de lui, croise les jambes et ajuste ma posture comme si cela pouvait m'aider à retrouver mon équilibre. L'air semble plus épais, chargé d'une tension que je refuse d'analyser. J'inspire profondément avant de lâcher, d'une voix plus douce que je ne l'aurais voulu :

- Enlève ton haut.

Les mots flottent entre nous, suspendus, comme si je venais de briser une ligne invisible.
Il attrape le bas de son pull et le retire d'un geste fluide, emportant son t-shirt avec lui, dans la moindre hésitation. Puis, avec ce petit sourire au coin que je commence à trop bien connaître, il lâche :

- T'as pas à prendre cet air ultra impliqué. C'est juste un dessin, tu sais ?

Je me fige. La chaleur monte immédiatement à mes joues, brûlante, incontrôlable. Il vient de me renvoyer ma propre pique, et le pire, c'est que ça marche. Je ne lui offre même pas une réponse, je me contente de serrer un peu plus fort mon crayon et de fixer la toile comme si ma vie en dépendait.

Je trace la première ligne, d'un geste précis, presque sec. Puis une autre, plus fluide. Rapidement, le mouvement devient naturel. Mon crayon glisse tout seul sur la toile avec une aisance qui le surprend moi-même, comme si je ne dessinais pas, mais dansais. Chaque trait épouse la courbe de son torse, les ombres marquent les reliefs avec une intensité troublante.

Le creux entre ses clavicules, le galbe de ses épaules, la tension discrète de ses muscles sous sa peau. J'accentue les contrastes, donnant à l'ensemble un réalisme presque trop brut, trop vivant. Comme si, à force de le capturer, il risquait de s'imprimer en moi.

Je ne devrais voir que la composition, les propositions, les lignes et les ombres. Mais je ressens autre chose. Quelque chose de plus profond, presque...plus intime.

Son regard.

Il me fixe. Et pas comme quelqu'un qui pose pour un dessin. Non. Il me regarde comme si, à cet instant précis, rien d'autre n'existait. Son attention est trop intense, trop brute. Un regard qui fait perdre pied, qui laisse suspendue entre deux respirations.

Je sens la tension dans ma nuque, dans mes épaules. Une chaleur diffuse s'étale sous la peau, une impression stupide que je m'efforce d'ignorer.
Peut-être que je me fais des idées. Peut-être qu'il pense juste à austère chose, qu'il est simplement dans ses pensées.

Mais cette idée vacille à chaque fois que je lève les yeux. Et que je le surprends encore en train de me regarder de cette manière si mystérieuse.
Le crayon continue de glisser sur la toile, mais ma main tremble légèrement. Pas assez pour que ce soit visible dans mon tracé, mais assez pour que je le ressente. J'essaie de me concentrer, de me perdre dans les lignes, des les ombres, dans le texture du fusain qui s'étale sous mes doigts.

Mais il est là. Toujours là. Son regard me brûle.

Je devrais dire quelque chose, combler ce silence entre nous, mais je n'en ai pas la force. Alors je m'accroche à mon dessin comme une bouée. Je fonce dans les détails, creusant les ombres au creux de ses abdominaux, intensifiant la lumière sur ses clavicules. J'effleure la toile du bout des doigts pour estomper les contours, et l'illusion devient presque trop réelle.

Je le dessine comme je ne l'ai jamais fait pour personne d'autre.

Peut-être que c'est ça qui me perturbe le plus. Ce n'est pas juste une étude anatomique. Il y a quelque chose de vivant, de brut, dans chaque coup de crayon. Comme si je je voulais capturer plus que son image.

Je le sens bouger légèrement, s'appuyant sur ses bras derrière lui, et ça me force à relever les yeux.

Mauvaise idée...

Il ne détourne pas le regard.

Son expression est indéchiffrable. Il ne sourit pas, il ne parle pas, il se contente de me fixer avec une intensité qui me coupe le souffle. Comme si, pour lui aussi, il n'y avait plus que cet instant.
Je ravale ma salive et me remets à dessiner plus vite, plus fort, comme pour échapper à ce que je ressens en ce moment même. Mais mes joues me trahissent encore, brûlantes, et j'espère qu'il ne le remarque pas.

Sauf que je sais qu'il remarque tout...

Après quelques minutes, qui me paraissent une éternité, ma main ralentit, puis s'arrête. Je fixe la toile devant moi, mon cœur battant trop fort.

C'est fini.

Je pose mon crayon sur le rebord du chevalet et me redresse doucement. La tension est devenue insoutenable. Pas à cause du dessin lui-même, mais à cause de tout le reste. De ce silence chargé, de cette sensation étrange qui flotte entre nous.

Je détourne les yeux vers la fenêtre. Le soleil est déjà bien bas, effleurant l'horizon de traînés d'orange et de rose. Depuis, combien de temps sommes-nous là, enfermés dans cette bulle hors du temps ?

Près de moi, j'entends un froissement de tissu. Il remet son t-shirt et son pull, et je devrais me sentir soulagée, libérée de cette tension insoutenable qui me mordait l'estomac. Mais ce n'est pas le cas.

Il bouge.

Je le sens avant même qu'il ne soit derrière moi. Une chaleur diffuse effleure mon dos, un espace infime nous séparant à peine. Mon souffle se bloque alors qu'il se penche subtilement vers l'avant, le regard fixé sur la toile.

- C'est dingue...

Sa voix est basse, presque un murmure, et pourtant, elle résonne en moi comme une onde de choc. Je ne peux pas bouger. Je le sens trop proche, son souffle effleurant ma nuque. Mon corps se tend instinctivement, mes doigts se crispent sur mes genoux, mais je reste immobile.

- On dirait presque moi...

Un léger sourire perce sa voix, teinté d'amusement, mais ce n'est pas ça qui me fait frissonner. C'est la façon dont son timbre glisse sur ma peau, dont il parle près de mon oreille, juste assez pour que la brûlure de son souffle vienne s'y déposer.

Je ferme brièvement les yeux.

Ce n'est rien. Juste un instant. Une proximité due aux circonstances.

Mais mon cœur refuse bizarrement de suivre cette logique.
Je déglutis avec difficulté, mes yeux toujours fixés sur la toile devant nous. Je devrais dire quelque chose, mais aucun mot ne me vient à l'esprit.

C'est lui. Ce dessin, se sont ces lignes, ces ombres, sa présence imprimée sur la toile avec une précision presque troublante.
Trop réaliste, trop...vivant.

Il ne bouge toujours pas, juste derrière moi, si proche que je pourrais presque sentir l'ardeur de sa peau à travers nos vêtements.

- T'as mis quelque chose en plus.

Sa voix est basse, posée, comme s'il réfléchissait à haute voix.
Je fronce imperceptiblement les sourcils.

- Quoi ?

- Je ne sais pas. Ce n'est pas juste un dessin de moi. Y'a un truc en plus, un truc que je ne reconnais pas.

Je sens son regard glisser sur mon profil, mais je garde les yeux fixés droit devant. Mon ventre se tord sous la pression de ses mots. Parce que je sais qu'il a raison, qu'il y a quelque chose de plus.
Je me lève me lève brusquement, rompant la proximité de nos corps entre nous.

- C'est juste un jeu d'ombre, rien de plus.

Il esquisse un bref sourire en coin, mais ne répond rien. Comme s'il voyait à travers moi, comme s'il savait que je mens.
Je croise les bras sur ma poitrine, cherchant un appui, un moyen de reprendre contenance. Il se contente d'observer encore un instant la toile, avant de reculer de quelques pas.

- En tout cas, c'est impressionnant.

Je ne sais pas comment prendre ce compliment. Il n'a rien d'un simple mot lancer en l'air. Il sonne vrai.
J'hoche simplement la tête, incapable d'articuler une réponse. Il laisse passer quelques secondes avant de jeter un coup d'œil à l'heure sur son téléphone.

- Il se fait tard. Je vais y aller. On se voit tout à l'heure au self.

Un soulagement absurde me traverse, aussitôt suivi d'une sensation étrange, comme une déception que je ne veux pas nommer.

- D'accord.

Il récupère son sac, se dirige vers la porte, puis s'arrête juste avant de sortir.

- J'ai hâte de voir ce que tu vas en faire.

Un dernier regard, une dernière étincelle d'amusement dans ses yeux, puis il disparaît dans le couloir, me laissant seule avec cette toile et le chaos qu'il vient de semer dans ma tête.
Je passe une main dans mes cheveux et inspire profondément.

Pourquoi j'ai l'impression que ce n'est pas juste un dessin ?

***

Après le dîner, on retourne à notre chambre. La routine reprend son cours : douche rapide, pyjama confortable, cheveux encore un peu humide. Mais malgré la fatigue de la journée, malgré le lit qui m'appelle, je sais que je ne vais pas dormir tout de suite.

Et Zeyla aussi, malheureusement.

- Ok, balance. Dit-elle en s'asseyant sur son matelas, le dos contre le mur.

Je fronce les sourcils.

- Balancer quoi ?

- Ce qui te rend aussi...chelou.

J'hésite. Je pourrais nier, prétendre que tout va bien, que je suis juste épuisée. Mais ça tourne en boucle dans ma tête, et je sais que je ne vais pas tenir bien longtemps.
Alors je craque.

- J'ai passé l'après-midi avec lui. Dans la chambre.

Ses sourcils se haussent légèrement.

- "Lui" ?

- Shawn. Oui, pour le projet d'art plastique.

Elle ne dit rien, et attend que je continue. Alors je me lance, je déverse tout, sans filtre.

J'ai besoin de parler, de toute urgence.

- Il s'est installé sur mon lit pendant que je dessinais. Il était tellement concentré, c'était perturbant. Et moi, j'essayais juste de me focaliser sur mon dessin, sauf que...il me regardait. Tout le temps. Comme s'il me sondait, comme si...comme si j'étais aussi importante que ce fichu dessin.

Je passe une main nerveuse dans mes cheveux, cherchant mes mots.

- Et le pire, c'est que ça m'a affecté. Genre...vraiment. J'ai essayé de me convaincre que c'était rien, que c'était juste mon imagination, mais j'ai senti son regard. J'ai senti son souffle dans ma nuque quand il s'est approché. J'ai eu des putain de frissons.

Elle ne bronche pas, elle l'écoute simplement. Mais ses yeux brillent d'une lueur amusée.

- Et maintenant, ça tourne en boucle.

Je laisse ma tête tomber dans mes mains.

- Ouais...

Un silence s'installe. Puis, doucement, elle demande :

- Qu'est-ce qui te fais le plus peur ?

Je relève la tête, prise de court.

- Quoi ?

- Ce qui t'inquiètes le plus, c'est quoi ? Qu'il ne ressente pas la même chose, ou que ce soit justement réciproque ?

Je reste muette. Parce que je ne sais pas. Ou plutôt, parce que je refuse d'admettre la réponse.
Elle soupire, croise les jambes en s'installant plus confortablement.

- Tu sais, je pourrais te dire quoi faire, mais ce serait stupide.

- Pourquoi ?

- Parce que c'est ton histoire. C'est ton cœur qui décide. Pas moi, pas lui, pas le reste du monde. Toi. Juste toi.

Je joue nerveusement avec la manche de mon sweet.

- Et si mon cœur décide mal ?

Elle esquisse un sourire.

- Alors tu te prendras peut-être une claque émotionnelle. Mais au moins, tu sauras.

Je reste silencieuse, digérant ses paroles.

- Tu veux mon avis ? Reprend-elle en haussant les épaules. Je pense que Shawn ne te laisse pas indifférente. Et qu'il a réussi à te toucher d'une manière que t'avais pas prévue.

J'hoche lentement la tête.

- Mais ce que t'en fais...ça, c'est à toi de voir.

Un long soupire m'échappe.

- Génial. Maintenant, je suis encore plus perdue.

Elle éclate de rire et se laisse tomber en arrière sur son oreiller.

- C'est le jeu, ma belle. Bienvenue dans la spirale infernale des sentiments.

Je lui jette mon coussin, qu'elle esquive en riant toujours comme une mouette empaillée, puis me laisse tomber sur mon lit, les yeux rivés au plafond, paumée.

Perdue, oui. Mais un peu moins seule dans ce chaos.











À suivre...
__________________________________

On avance du côté de Carla et Shawn... :)

Les sentiments ont l'air de se manifester petit à petit dans le cœur de notre artiste, mais quel le point de vue du blond ? Est-ce la même chose ?

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