Nawim l'emmena chez lui, dans sa salle de musculation et d'entraînement à l'arme blanche qui se trouvait au sous-sol. Ils avaient dû descendre une volée d'escaliers illuminée par des lampes aux plafonds aux airs vieillots. Mira regardait les alentours, avec une expression un peu décontenancée. Nawim poussa une porte au bas de l'escalier, s'ouvrant sur un trou noir. Lorsque la lumière jaillit, une immense salle, sans fenêtres, apparut sous les yeux impressionnés de la jeune Corbel. Nawim sourit légèrement à cette vue et entra. La salle s'éclaira sans bruit, une lampe après l'autre. Mira détailla la pièce dans laquelle elle allait passer la plupart de son temps tandis que les lampes au plafond s'allumaient les unes après les autres.
- Bienvenue dans mon sous-sol.
C'est bizarre, dit comme ça... pensa-t-il avant d'hausser les épaules mentalement.
- C'est grand... murmura-t-elle en détaillant la grande pièce.
- Ouais.
Nawim la guida vers une autre porte, qui menait vers une petite salle de bain contenant le minimum nécessaire, une toilette, une petite douche et un lavabo avec quelques produits et nécessaire de toilette.
- Allez, passons aux choses sérieuses. déclara-t-il en entrant dans la petite pièce. Enlève ton t-shirt, s'il te plaît.
Elle se figea d'un coup, Nawim aurait pu même jurer avoir vu un éclair de peur passer dans ses yeux, mais avant qu'il n'ai pu en être sûr, ça avait disparu.
- Hors de question. refusa-t-elle, un léger tremblement habitant sa voix.
- Tu n'as pas vraiment le choix, alors dépêche toi.
- Tu pourrais pas être un peu plus sympa, de temps en temps? lui reprocha-t-elle d'une voix coléreuse, comme pour masquer sa crainte.
- Parle moi mieux et on verra? Je n'ai pas tout mon temps, Mira, alors arrête de faire ta difficile, sinon je vais finir par croire que tu as peur de moi.
- Je n'ai pas peur de toi. répondit-elle fermement dans un souffle.
Sa voix était plus faible qu'elle ne l'aurait voulu, mais elle n'en montra rien. Cette petite était forte dans son jeu. Nawim devait absolument découvrir ce qu'elle lui cachait.
- Pourquoi veux-tu que j'enlève mon haut, d'abord?
La méfiance coulait de sa voix comme la cruauté coulait de l'Humain, et Nawim s'en aperçut très vite. Quelque chose n'allait pas avec cette femelle.
- Je vais te couper les cheveux. déclara-t-il en sortant une paire de ciseaux d'un tiroir du meuble du dessous du lavabo blanc.
Son ton était sec, sans appel. Comment allaient-ils s'entendre si les deux étaient constamment sur la défensive?
- Hein? Pourquoi est-ce que je devrais me couper les cheveux? demanda-t-elle d'un ton agressif en se tournant brusquement vers lui.
- C'est toujours mieux. déclara le Général en haussant les épaules. En plus ils sont super longs, les tiens.
Il brandit sa paire de ciseaux avec un léger sourire fatigué.
- Attends, tu comptes faire ça à la barbare??
- Où est le problème? J'égaliserai après si c'est ça qui te pose problème.
- Et tu veux que je les coupe jusqu'où?
- Je sais pas. Juste au-dessus des omoplates?
- Un peu en dessous des épaules quoi. dit-elle d'un ton moqueur.
- Ouais.
- Non. Plus longs. dit-elle d'un ton sec. Si on les coupe, ce n'est pas aussi court.
- Hé! Tu vas te calmer? Arrête de me parler comme ça bordel! On les coupe au milieu du dos!
- Ça, ça me va!
- Parfait! dit Nawim d'un ton exaspéré.
- Génial! répliqua-t-elle d'un air dégoûté, levant ses yeux au ciel.
- Et enlève ton foutu haut, qu'on mette pas de cheveux partout sur ce pauvre t-shirt!
Elle grommela quelque chose que les oreilles de Nawim n'entendirent pas en lui envoyant un regard meurtrier et enleva enfin son t-shirt. Elle inspira et expira profondément, le malaise se lisait sur son visage. Après avoir fermé brièvement les yeux, elle les rouvrit et fit signe à Nawim qu'elle était prête. Il rassembla donc tous ses cheveux dans sa main gauche, tandis que sa main droite vint couper juste au-dessus de son poing, au milieu du dos de la jeune femelle. Ses cheveux ondulés écourtés s'échappèrent de sa main, ses boucles rebondissant très légèrement alors qu'ils étaient libérés de l'emprise du poing fermé de Nawim, qui tenait encore le reste des cheveux de Mira. Le Général alla jeter les longues mèches coupées dans la poubelle qui se trouvait juste à côté de la toilette.
- Tu sais, Mira, je ne pense pas que tu sois totalement Corbel. déclara-t-il tout à coup, comme si cette phrase lui avait échappé.
- Qu'est-ce qui te fait dire ça? marmonna Mira en observant ses cheveux dans le miroir. Je suis totalement normale. Mon père est mon père, et ma mère est ma mère, deux Corbels. Même si parfois je regrette que mon père soit mon père, mais bon.
- Sors tes ailes. ordonna-t-il en rangeant les ciseaux.
Malgré la réticence qui habitait ses traits doux, elle lui obéit, emportée par sa curiosité. Ses deux ailes blanches comme la neige sortirent donc. La jeune princesse s'étira, étirant ses ailes dans le mouvement, en soupirant de bien-être.
- Tu sais, chez les Ophis il y a cette croyance, qui dit qu'un Corbel aux ailes blanches ne peut être qu'un Ophis déguisé. Autrement dit, un sang-mêlé. Un Corbis.
Mira tiqua et se retourna vers lui, intriguée mais aussi très insultée.
- On m'a appris à ne jamais dire ce mot, que c'est tabou. Et puis, ce ne sont que des contes, bien que ma mère veuille de toi comme mon mari. Mes enfants ne seront jamais de toi, car ils doivent être Corbels pour atteindre le trône.
- C'est effectivement tabou, mais moi je m'en fous. Quoi que veuille ta mère ne se réalisera pas. Tu rencontreras des mâles de ton âge lors de tes cours avec Cahira et tu en trouveras bien un qui te plaise.
Mira ricana, moqueuse.
- Donc t'es entrain de me dire que je suis une... sang-mêlé?
- J'ai ma théorie là dessus. Sais-tu pourquoi tu n'as jamais eu le droit de sortir du château?
- Bien sûr. Pour éviter qu'il m'arrive un truc comme ce qu'il est arrivé à Éris, mon grand frère. Pour éviter qu'on me vole à mes parents, et à mon trône pour mes pouvoirs.
Après un silence, durant lequel Nawim avait pris quelques secondes pour observer la jeune princesse Corbel qui se tenait devant lui en brassière de sport. Elle était jolie, certes, mais rien qui ne pouvait attirer Nawim. Il ne l'appréciait pas plus que ça, et cela ne changerait jamais, puisqu'il avait quelqu'un d'autre en tête, qui ne voulait pas quitter sa boîte crânienne depuis des années. Malheureusement, Nawim ne l'avait jamais revu, malgré toutes les recherches qui avaient été lancées, et ses missions en solo qu'il avait passées à arpenter terres et mers, retournant chaque village, tuant chaque Humain qui avait le malheur de croiser le chemin de celui qu'on surnommait, le Général des Enfers. Il était probablement l'Ophis le plus craint de tous. Et pourtant, là, devant lui, se tenait une jeune femelle, aux airs fragiles, comme si Nawim pouvait poser une main sur elle et la briser instantanément s'il ne faisait pas assez attention.
- Mira. dit-il soudain, s'arrachant à sa contemplation mal placée. Je connais ton véritable père.
Elle écarquilla les yeux, avant de refermer son joli minois avec colère, le fixant avec les yeux emplis de larmes.
- Tu te moques de moi? TU TE MOQUES DE MOI, NAWIM? PARCE QUE C'EST TOUT SAUF DRÔLE!! Je n'ai qu'un seul père, alors si tu n'as rien d'autre à dire que des conneries dans ce genre, ferme ta gueule et laisse moi vivre en paix! Fais ton travail de mentor et épouse moi dans deux ans, c'est tout ce qu'on te demande, putain..!
Elle le bouscula pour sortir en courant, montant les escaliers rapidement.
- Mira..! tenta-t-il de l'appeler.
Nawim sortit derrière elle, la ratrappant tout en laissant de l'espace entre eux.
- Je vais dans ma chambre, reviens vers moi quand tu veux! lui cria-t-il alors qu'elle s'envolait par la porte principale.
Il soupira en observant la silhouette de la jeune femelle s'éloigner avant de se diriger d'un pas pensif vers sa chambre, fermant la porte de la salle de bain derrière lui. Il sentit sa poche vibrer alors que sa main venait d'atteindre l'interrupteur pour allumer les lumières de sa chambre. Il sortit donc sa radio, curieux, et la porta à son oreille. Elle s'enroula autour de la forme pointue qu'offrait cette dernière.
- Oui?
- Aramis vient de se faire enlever! Elle a réussi à cacher sa radio et nous a prévenus!
- Ok, calme toi, Floralie, respire. Je vais lui parler. D'accord?
Il raccrocha et ordonna à sa radio d'appeler Aramis en prononçant son nom à voix haute.
- Aramis?
- Général! Je me suis faite prendre! son ton était bas mais la panique en suintait. Je compte sortir au plus vite, je reviendrai sûrement pas seule, mais ça risque de prendre du temps.
- Pas de problème, prends ton temps, mais fais attention à toi. Ne nous reviens pas en petits morceaux et garde tes ailes.
- Oui Général Nawim.
- Comment en es-tu arrivée là?
- Je suis allée en ville pour acheter de quoi manger pour ce soir, j'avais mon bonnet et tout, mais on m'a bousculée et... Je dois y aller!
- Contacte-moi quand tu as du nouveau.
L'appel se coupa juste après sa phrase et le Général s'affala sur son lit, fatigué. Cette journée allait être longue.

✢✢✢

Il se réveilla en sursaut lorsqu'un léger bruit se fit entendre. Il était seul dans les ténèbres que sa chambre offrait, personne n'était entré sans sa permission, ce qui le rassurait. Ce qui, au contraire, l'inquiétait, c'est qu'il avait dormi tout l'après-midi et une partie de la nuit. Seul Badou savait quelle heure il était. Trois petits coups se firent entendre à nouveau, son regard vif, bien que fatigué, se tourna vers la porte en bois. Il avait donc bien été réveillé par quelqu'un.
- Entrez! dit-il en gardant sa voix assez basse pour qu'un Ailé puisse entendre, mais pas un Humain.
La porte s'entrouvrit et un petit corps mince entra dans la pièce. Nawim alluma sa lampe de chevet, son regard tombant sur Mira. Il se redressa, ses couvertures tombant sur ses cuisses. Il se rendit alors compte qu'il était toujours en habits de jour.
- Heu... Salut. dit-elle d'un ton hésitant. Je peux..?
Il sourit doucement en se levant.
- Je t'en prie. Que puis-je faire pour toi?
- M'expliquer un peu toute cette merde... Je n'ai pas tout compris de ce que tu m'as dit, toute à l'heure...
- Viens. Assieds toi sur mon lit, je vais me mettre en pyjama.
De fait, Mira était en pyjama et avait les cheveux tressés pour la nuit. Elle fit comme le lui avait proposé le Général et s'assit timidement sur le lit tandis que Nawim se mettait en caleçon. Mira avait détourné la tête, ne voulant pas assister à la scène. Nawim prit un pantalon léger et un t-shirt blanc qu'il enfila rapidement. Il retourna vers le lit et monta dedans, passant près de Mira. Il s'assit contre la tête du lit et l'invita à s'installer en face de lui. Elle s'installa avec hésitation sur le lit, se glissant sous l'autre côté les couvertures, se plaçant à l'autre bout, en face de Nawim.
- Alors... Je dois commencer par le début j'imagine... Si ta mère m'a confié tout ça, ce n'est certainement pas pour le garder secret. Du moins, pas jusqu'à ta mort. Au vu de la sienne, je me dois de te révéler la vérité. Je me souviens, j'avais cinq ans quand tu es née. Il y avait cet Ophis, le docteur, qui aidait ta mère à accoucher. Et il y avait moi et Éris, qui n'avait que quatre ans à l'époque. Le docteur... c'était ton père. Et le père d'Éris aussi. Zogan est le seul vrai fils du roi. Ta mère a décidé de cacher tes origines, parce que si les ailes d'Éris étaient blanches, les tiennes étaient bien plus foncées à la naissance, et ce n'est que par la suite qu'elles ont blanchi, ce qui a beaucoup aidé pour que le roi, ton père adoptif, croit que tu étais sa véritable fille. De plus tu as quelques plumes rousses, donc on a porté la faute à ta maladie pour tes ailes blanches, et non à tes origines Ophisiaques et Corbelliques mélangées. Ta mère a toujours réussi à tenir le secret, même avec les cheveux et ailes blanches de ton grand frère. Je ne sais pas vraiment comment elle y est parvenu, mais malheureusement on ne peut ni lui demander, ni demander à ton frère.
Un sorte de tristesse perçait sa voix, de regret infini, mais Mira ne pouvait dire quelle mort l'attristait le plus.
- Pourquoi me dire tout ça comme ça, d'un coup? Je ne vais plus jamais pouvoir regarder Zogan en face...
- D'une part parce que tu mérites de connaître tes origines, et d'une autre part parce que je ne pouvais garder le secret plus longtemps.
- Et tu connais le nom du docteur? demanda-t-elle hésitante.
Il se mordit la lèvre inférieure, il n'avait en aucun cas le droit de divulguer cette information, c'était trop dangereux pour tout le monde si ce secret venait à être divulgué publiquement par accident ou non.
- Oui.
- Et...
- Non. l'interrompit Nawim. Je ne te donnerai pas son nom pour avoir une certaine confidentialité. Il ne sait pas que je me souviens de tout, ni même que la reine m'a tout raconté dans les moindre détails. Pour lui, tu ne connaîtras jamais la vérité, et ça lui va parfaitement.
- Oh... Je comprends. dit-elle en baissant la tête, on voyait bien qu'elle retenait ses larmes du mieux qu'elle pouvait. Donc je suis moitié Corbel, de ma mère, et moitié Ophis, de mon père... C'est ça?
Pauvre petite femelle... la déplora-t-il.
- Oui, c'est un assez bon résumé.
- Elle a trompé mon p... le roi avec cet Ophis?
- Oui. dit-il après avoir marqué un temps d'arrêt hésitant. Enfin, je crois. Elle était déjà reine quand elle a eu Éris.
- S'il te plait, arrête de parler de lui.
- Pardon. répondit-il d'une voix vague et distante.
Elle lui ressemblait tellement. Tout ce que Nawim désirait, là maintenant, c'était de se perdre à nouveau dans son regard. Il croisa les yeux noirs de Mira. Tout le contraire des yeux bleu clair d'Éris... Il soupira. Là était l'une de leurs différences. Mira ne sera jamais Éris, et c'est exactement pour cela qu'il ne pouvait accepter d'épouser la princesse Mira de Cobellique.
- Tu sais à peu près tout. Si tu as besoin de détails viens demander.
- Et pour mon entraînement?
- Ça ne change rien que tu sois Corbel, Ophis ou Corbis, l'entraînement reste le même. D'ailleurs, demain je pars en mission rapide, donc rendez-vous le matin d'après-demain à six heure, si tu te sens d'attaque après ce flot d'informations. Tu as une journée pour te reposer, ce sera assez?
- Ok... On peut peut-être se donner rendez-vous vers treize heure, après le repas..?
- Ouais pas de problème. Du moment que tu ailles bien à ce moment-là, je n'y vois pas d'inconvénient. Ah et Mira? Rappelle-toi bien, peu importe qui le père est, Zogan et toi avez la même mère. Il est ton frère, et je trouve légitime que rien ne change entre vous.
- Merci Nawim. sourit-elle légèrement. Pour.. tout, au final.
Il lui rendit son sourire sans rien ajouter, il n'avait plus rien à dire, et la fatigue forçait ses paupières à se fermer.
- Aller, au lit, tu dois être en forme pour après-demain.
- Tu peux... heu... m'aider pour quelque chose? J'ai peur de faire des cauchemars... J'en fait presque toutes les nuits, et je ne sais pas quoi faire...
- Tu veux rester dormir avec moi? proposa-t-il.
Mira se renferma directement en secouant la tête, formulant un non catégorique.
- D'accord. Je te donnerai des herbes à boire en infusion le soir, alors. À partir de demain, ça te va? Tu pourras survivre encore une nuit?
- Oui, sans problème... Merci Nawim.
- Avec plaisir. À demain.
- Bonne nuit. sourit-elle légèrement.
Elle sortit du lit pour se diriger vers la porte. Lorsqu'elle sortit, Nawim s'affala dans son lit avant d'éteindre sa lampe de chevet. Dieux, qu'est ce qu'il lui manquait... Il se couvrit bien de sa couette et ferma les yeux, replongeant presque instantanément dans un sommeil profond, parcellé des visages du passé.