Le service militaire était horrible et n'épargnait personne, surtout pas les faibles, comme le soldat Humain qu'incarnait Éris pour se camoufler parmi eux, ses meilleurs ennemis. C'était de peu que son avatar avait survécu à ce service militaire qu'avaient instauré les Humains quelques centenaires plus tôt, pensant que la possession d'une armée était nécessaire. Il avait ainsi pu accéder à l'Armée, où la difficulté était bien moindre, et heureusement pour Éris. Malgré tout, étant également Chef de cette même armée, il avait, bien évidemment, joué dans sa propre admission... Il devait avouer ne pas avoir créé un personnage destiné à l'armée, mais pour autre chose au départ, mais il a dû finir par l'utiliser pour entrer dans l'armée... À son plus grand malheur, car actuellement, ils étaient en guerre constante contre les Ailés, et Éris se trouvait donc dans un de ces camps, qui étaient sur le front, en ce moment même. Une vie plus simple que lors du service militaire, mais bien plus stressante et demandeuse. Les deux Lunes étaient déjà levées depuis une petite heure maintenant, et la noirceur de la nuit s'installait doucement. L'air était frais, une brise légère remuait doucement les cheveux de Comète, le nom du soldat que jouait Éris. Alors qu'il buvait sa soupe du soir, dans le camp qui avait été installé pour la bataille prochaine, un de ses camarades Humains -Ils étaient tous soit Humains, soit Ophis, et Éris n'appréciait ni l'un, ni l'autre, l'interpella en s'avançant vers lui.
- Ouais?
Comète se tourna vers le jeune mâle, un léger sourire aux lèvres. C'était un Humain, probablement l'un des seuls qu'il ne détestait pas, si pas le seul. Les Humains n'étaient pas la race la plus aimable.
- J'avais une question!
Il posa sa tasse de soupe encore remplie de moitié devant ses pieds et se tourna totalement vers le mâle Humain qui l'avait appelé. Ce dernier s'était assis au sol, juste à côté de lui, en fixant son collier.
- Cette plume que tu portes constamment, elle est aussi grande que celle que pourrait porter un Ailé de grande envergure, et le Maître Corbel en a une aussi, assez similaire...
- C'est une plume d'Ophis. sourit-il doucement en la faisant tourner entre ses doigts. Quant à celle du Maître, je ne sais pas, peut-être un trophée, comme la mienne?
Sauf que ça, c'était le mensonge que prononçait Éris à chaque fois qu'on lui posait la question. De fait, le pendentif qu'il portait constamment contre sa poitrine l'aidait à se souvenir de ses actes envers le propriétaire de la plume, ainsi que leurs souvenirs ensemble, qui n'auraient jamais dû se terminer aussi tragiquement.
- Y a pas une légende qui dit que si un Ailé offre une de ses plumes à quelqu'un, c'est que cet Ailé l'aime ou un truc dans le style? Je me rappelle plus trop.
Comète éclata de rire, un rire narquois, sournois, qui sonnait faux à ses oreilles.
- Si tu le dis, je n'en ai jamais entendu parler, de cette légende! En tout cas, l'Ophis ne me l'a pas offerte, sois-en sûr! Plutôt mourir que de fricoter avec ces plumeux. pouffa-t-il.
Éris avait récupéré cette plume noire sur son corps froid et couvert de sang un soir d'hiver. Ils étaient tombés, tombés, tombés, et il ne l'avait jamais vu se relever de cette chute. Son compagnon sourit, amusé, exprimant tout l'inverse de ce que Comète ressentait.
- Soldats!
La voix retentit dans leurs dos, faisant sursauter Comète, qui s'était perdu dans des souvenirs lointains, qu'il n'aurait jamais dû ressasser de la sorte, ce n'était que trop douloureux malgré les années qui s'étaient écoulées depuis. Ils se levèrent d'un même mouvement, Comète saisit son gobelet de soupe maintenant froide, et les deux compères rejoignirent le centre du camp, pour un rassemblement d'avant bataille.
- Avant d'aller dormir, mes amis, j'aimerais vous remercier d'être ici à nos côtés pour combattre les Ailés! Demain débutent les offensives sur les différentes villes Corbelliques des alentours! Demain s'annonce prometteur, demain annonce notre avancée! Bonne nuit à tous, mes amis, reposez-vous bien, vous aurez besoin de toutes vos forces demain!
L'Humaine leva sa chope de bière. Tout le monde hurla de joie à ses paroles, tout le monde avait hâte de participer à l'histoire. Éris les imitait, mais pourtant, demain, il allait tuer les siens. Il allait tuer des Corbels, sa famille. Lui qui était censé les protéger... Mais non, il allait les tuer. Les tuer pour les protéger. Son plan était foireux. Il devait absolument se barrer d'ici au plus vite. Ou tout du moins, Comète devait mourir au plus vite, question qu'Éris puisse se concentrer sur sa tâche principale: collecter tous les Humains dans son Armée qu'il avait agrandi avec tant de soin.
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On le secouait de plus en plus fort depuis une dizaine de secondes déjà. Grincheux, Éris ouvrit un œil en grognant légèrement, maudissant silencieusement la personne qui avait osé le réveiller ainsi. Jusqu'à ce qu'il voit Artae, lui rappelant la dure réalité de la guerre.
- Hé Comète!
- Putain arrête se me secouer comme ça, connard va! dit-il d'une voix encore ensommeillée.
Son "ami" éclata d'un rire léger, comme s'ils n'allaient pas commettre un énième massacre, comme s'ils n'allaient pas détruire des villages, des vies, des enfances aujourd'hui.
- Aller debout espèce de Corbel paresseux!
- Dégage et laisse moi dormiiir... plaida-t-il, entrant dans le jeu de l'Humain.
Ce dernier rit de plus belle, sans doute amusé par la scène que lui offrait Éris.
- Aller debout! On a plus beaucoup de temps avant qu'on doive aller attaquer ces stupides Ailés et on doit être prêts à partir bientôt!
Éris soupira, il n'avait aucune, mais alors, aucune envie d'aller abattre son peuple. Le peuple sur lequel il aurait dû régner, le peuple qu'il cherche à sauver et non à massacrer.
- Va dire aux autres que j'arrive... Je serai prêt d'ici cinq minutes. dit-il en rabattant sa couverture sur son ventre.
- Je me disais bien. se moqua le soldat Humain.
- Va te faire enculer, Artae. dit-il en souriant, malgré tout un tantinet amusé.
Comète se redressa et balança sa main vers le cou d'Artae. Elle atteint l'arrière de la tête du soldat avec un claquement sonore. Un temps de silence résonna, où le temps se figea, avant que l'Humain ne se torde de rire.
- Par toi, j'espère! répliqua-t-il en riant de plus belle.
Le soldat Humain sortit précipitamment de la tente, presque en courant, le coussin de Comète le poursuivant. Je vais le tuer celui-là... L'envie de l'étriper me démange vachement, parfois... Il lâcha un petit sourire en l'entendant hurler dans le camp comme quoi Comète était le plus fainéant des Humains. Il soupira néanmoins une petite seconde plus tard, perdant son sourire. Éris se leva en étirant ses muscles endoloris, avant d'aller récupérer son coussin qui gisait à une dizaine de centimètres de l'entrée de la tente. Il le remit à sa place après l'avoir épousseté et se prépara à aller tuer ceux qu'il ne veut que protéger. Il inspira puis expira à fond, la boule au ventre. Il entendait les éclats de voix des autres soldats, qui, de murmure, se muait doucement en acclamation puissante. Tout le camp dans son entièreté acclamait le nom de Comète. Ce dernier sortit de la tente sous les cris de ses camarades, emportés dans l'euphorie du moment. Éris sourit doucement. Le ciel était encore parsemé d'étoiles malgré une lueur rosâtre qui annonçait l'arrivée imminente du Soleil.
- Bande de connards. dit-il après que les soldats se soient calmés.
- Hé les gars! cria quelqu'un en accourant vers nous. On a enfin le nom du Général que le Maître veut absolument éliminer! Il sera dans l'une des villes qu'on attaque aujourd'hui, c'est une chance en or! C'est à celui qui l'aura en premier, il y a un putain de prix sur la tête de ce foutu Ailé!
Un murmure nous traversa avant de gonfler et de se muer en vacarme tonitruant d'exclamations de joie. Voilà des années que nous traquions ce Général, avoir son nom allait nous aider grandement.
- Taisez-vous! s'interposa la chef de notre bataillon. Celle ou celui qui le trouvera lui coupera la tête et me la rapportera! Soldat, dis nous donc, quel est son nom?
Le soldat baissa la tête vers la missive qu'il tenait entre ses mains pour lire.
- Thra. Nawim Thra, madame.
Une clameur s'éleva, mélange de rires, de bousculades et de cris. Éris déglutit en riant, se joignant à la fête à contre cœur, alors qu'Artae lui frottait la tête avec entrain, heureux d'avoir enfin trouvé le nom du responsable de toute cette peur après tant de temps à chercher en vain. Et pour être honnête, Éris aurait préféré ne jamais savoir. Nawim hein. Putain... Il n'est pas mort... Il voulait pleurer toutes les larmes de son corps pour toutes les nuits qu'il avait passées à pleurer sa mort, sa disparition, comment la vie avait été cruelle de lui arracher un être cher de cette manière... Comète devait absolument être le premier à le trouver pour éviter qu'il ne se fasse tuer, et pour de vrai cette fois, par sa faute, encore une fois. Putain si c'est vraiment lui le Général... Alors Éris était dans la merde la plus dégueulasse et stupide de cette planète.
- Et dans quelle ville sera-t-il? cria une voix, celle d'Artae, qui s'était un peu éloigné de Comète.
- D'après nos informations, Devir. répondit le soldat qui avait annoncé le nom de Nawim.
- Ok. Artae, puisque tu es si réactif, tu prends neuf soldats ou soldates avec toi et vous allez en mission pour tuer ce Général. Faites attention parce qu'il ne sera probablement pas seul, et donc, protégé, puisqu'il est resté sous nos radars tant de temps.
- Maintenant, là, tout de suite?
- Bah non, demain, crétin!
Artae baissa la tête en retenant un sourire et se tourna vers Comète. Éris l'aimait bien, ce mâle, après tout. Mais pas trop quand même, dans la limite du raisonnable. Éris ne devait pas s'attacher, et encore moins à un stupide Humain. Ce dernier tendit la main vers l'Ailé, qui lui serra la main. Ils iraient ensemble sur cette mission, aucune chance que Comète ne rate ça, il devait absolument parler à Nawim et sauver sa peau, coûte que coûte. Et il devait aussi tuer Comète pour redevenir le Chef dont cette armée avait besoin pour être totalement décimée.
- Je prends Comète, Alexiane, Daniel, William, Charlotte, Verolien, Saola, Victor et Adrien avec moi pour cette mission, si cela vous va.
- C'est très bien. dit notre chef. Brûlez tout sur votre passage, je ne veux aucun survivant mais vous. Cependant, si la vie d'un d'entre-vous est en danger, faites en sorte de revenir. Si la vie est déjà perdue ou qu'il n'y a aucun espoir, vous continuez sans poser trop de questions.
Les soldates et soldats nommés par Artae se rapprochèrent de lui et de Comète en se saluant.
- Oui chef.
- Bien. Artae, tu es en charge de cette mission, ne me déçois pas. Prenez vos armes et allez-y.
Artae s'inclina légèrement devant elle en signe de respect.
- Merci pour votre confiance, je ne vous décevrai pas.
Tous rentrèrent dans leurs tentes respectives pour récupérer leurs armements, armures et de quoi boire pendant quelques jours. Une fois son sac terminé, Éris rejoint les autres, qui attendaient déjà, et ils sortirent du camp ensemble, les uns rigolant entre eux et les autres les observant en souriant légèrement. Surtout Éris, qui restait beaucoup en retrait. Le reste du camp les salua en leur souhaitant bonne chance et surtout qu'Aron leur porte chance, pour ensuite reprendre la distribution des villes à brûler jusqu'à ce qu'il n'en reste que des cendres et des ossements.
- Comète? chuchota Artae en se positionnant près d'Éris, quittant la conversation qu'il avait avec trois des soldats du groupe.
- Ouais?
- Comète... Ce n'est pas ton vrai nom.
- Non. confirma-t-il à l'Humain après une courte hésitation, à peine visible.
Artae hocha la tête sans poser plus de questions, ce qui rassura Éris, il n'aimait pas mentir directement à la gueule de quelqu'un. Cacher une vérité, l'ignorer, ne pas la divulguer était simple. Mais Éris était un mauvais menteur, et il le savait. Qu'on lui pose des questions ne le rendrait que plus suspect qu'il est déjà. S'ils croyaient qu'il n'avait pas remarqué que l'Humain Artae restait collé en permanence à lui sans aucun raison, puisque Comète n'est pas le genre de personne très sociale, comme Artae et ses amis. Bien au contraire. Si Artae entendait tous les potins, Éris, lui, voyait tout ce qui se passait. Il savait qu'il était sous surveillance constante. Il frissonna comme le vent froid s'engouffrait dans son cou et mit sa capuche, pour se protéger de ce vent froid du matin de printemps. La ville n'était qu'à dix minutes de marche à travers un bois, mais la montée était des rudes, surtout pour Comète. Putain de corps, pourquoi avais-je choisi cette musculature de merde? se plaint-il silencieusement. Il avait déjà le souffle court après une minute en petite montée... Ces dix minutes s'annonçaient longues. Il marcha en silence aux côtés des autres, même si toujours un peu en retrait, le souffle erratique et haché. Le froid qui s'engouffrait dans ses poumons lui faisait presque mal, ce qui rendait sa respiration légèrement plus sifflante que celles des autres. Artae fronça les sourcils en se tournant discrètement vers lui, mais ne fit aucun commentaire. Éris savait qu'il ne pouvait pas changer cette condition physique. C'était un des nombreux effets négatifs de son pouvoir. Il ne peut se changer en n'importe qui ou quoi, Humains, Ailés ou animal, mais le visage était associé avec tout le corps, et il ne pouvait plus rien changer après qu'il se soit changé en cette personne. Aucun exercice physique ne pouvait changer la forme du corps ni les capacités physiques attribuées à la fabrication. Cela dit, le corps pouvait mourir, mais Éris, si assez rapide, ne mourrait pas avec le corps, mais le timing était assez serré. Trop pour qu'il évite de devoir faire ce genre de manœuvre le plus possible. Enfin bon, tout ça pour dire qu'Éris n'était pas, mais alors, vraiment pas doué dans ses choix. Du début à la fin. Il soupira en tentant de garder une respiration silencieuse, mais c'était une mission vouée à l'échec. Il inspira à fond pour nourrir ses muscles et continua sa marche, suivant ses camarades comme il pouvait. Sa forme de Corbel lui manquait cruellement. Une fois à l'orée de la forêt, tout en haut de la montée, ils s'arrêtèrent pour reprendre leur souffle et un peu d'énergie, buvant quelques gorgées d'eau.
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Ils entrèrent dans la ville grouillante de monde, grouillante de vie. Mais à la vue des nouveaux arrivants, les rues se vidèrent bien vite... Putain si seulement Éris pouvait faire quelque chose pour aider ces pauvres gens... Malgré ces pensées, il garda malgré tout son air neutre de toujours, celui qui l'accompagnait où qu'il allait, et qui lui avait déjà sauvé la vie à plusieurs reprises.
- Hé les gars. dit un des soldats dont j'ai oublié le nom. Si on veut attrapper ce Nawim machin là, on devrait se séparer pour qu'on ai plus de chance de le trouver.
- Il a raison. Celui qui le trouve et qui le tue en premier gagne une prime! proposa Artae d'un ton enjoué, sûrement fier de l'idée de son ami.
Qu'Éris ne pouvait qu'approuver. Il aurait plus de chances de le trouver sans être gêné par ces Humains. Il hocha donc la tête et le soldat blond me sourit.
- Parfait on fait ça, les marmots! On le trouve, puis on brûle tout et tout le monde! Aussi, ne laissez personne, absolument personne sortir de cette putain de ville.
Les autres soldats partirent en courant en groupe de deux ou seuls dans différentes directions en criant. Très intelligent... Il grogna légèrement et tenta de grimper sur le toit d'une maison en briques blanches à sa gauche. Il dût s'y reprendre à plusieurs fois, mais une fois sur les tuiles rouges, Comète se mit à courir le plus vite possible. Pas très vite, en somme... Ou en tout cas, pas aussi vite qu'il aurait voulu. Mais coup de chance, il le vit. Il avait bien fait de monter sur les toits, car il était également sur les toits. Éris se stoppa, mais trop tard, Nawim l'avait déjà repéré et tournait la tête vers lui. Éris paniqua, il ne sut comment réagir et se figea. Une explosion se produisit quelque part plus loin, mais aucune explosion au monde ne pouvait battre celle que ressentit Éris lorsque son regard croisa enfin le sien. Nawim se stoppa net, lui aussi, en plein air. Il avait un air... étrange sur le visage. Éris, lui, était fasciné par l'Ailé qu'il avait en face de lui. Il redécouvait celui qui lui servait autrefois de petit ami. Enfin, si on pouvait déjà appeler cela comme ça à cet âge là. Nawim se dirigea alors lentement vers Comète, se posant sur le toit, marchant à présent vers lui. Le Général ne dégaina pas ses armes, à la grande surprise d'Éris. Les yeux de ce dernier étaient plantés dans les siens, ces yeux qui lui avaient tant manqués... Putain mais quel con il pouvait être, parfois... Et il ne pouvait même pas reprendre sa forme originelle, celle que Nawim connaissait.
- Tu me parais familier. Qui es-tu? demanda-t-il de sa voix grave.
Qui fit frissonner le soldat. Comme auparavant. Bordel Nawim... Qu'il avait grandi, il était bien plus grand que le soldat... Éris empêcha de peu un sourire de naître sur ses lèvres.
- Moi..? Je ne suis personne.
- Si. T'es un Humain, connard, déjà ça, pour commencer. Ensuite, tes yeux me disent quelque chose, mais tous les yeux d'Humains qui ont croisé les miens n'ont plus jamais été utilisés.
Ces mots, prononcés avec mépris et haine, transpercèrent le cœur du prince déchu de part en part. On aurait dit que ce dernier venait de se détruire. À nouveau. Éris baissa les yeux pour échapper à son regard, mais surtout pour cacher ses larmes montantes.
- Parce que tu crois que je l'ai choisi?
Hum. Oui, légèrement. Mais c'est pour la bonne cause. Le cœur de Comète battait à toute allure, à une vitesse incontrôlable. Il était vivant. Il était vivant et ils se parlaient en ce moment-même comme s'ils n'étaient pas ennemis, comme s'ils n'étaient pas sensés se détester, comme s'ils n'étaient pas sensés se tuer l'un l'autre.
- Je ne dis pas que tu l'as choisi, l'Humain. Juste que tu as fait le choix de le rester.
Nawim laissa ses yeux durs voyager sur le corps frêle et dénué d'ailes d'Éris avant de froncer les sourcils avec un air un peu confus.
- Je ne comprends pas. dit-il après un court silence. Tu ne m'attaques pas. Pourtant c'est pour ça que vous êtes là, toi et tes copains? Et pourquoi as-tu une plume d'Ailé enfant sur toi? Tu l'as tué, c'est ça? C'est ton trophée? demanda-t-il avec un profond mépris.
Comète releva doucement la tête, luttant contre le rouge qui menaçait de monter à ses joues.
- Eux sont là pour te tuer. Pas moi. dit-il doucement en déglutissant. Cette plume appartenait à un Ophis, c'était un de mes amis d'enfance, il m'est très cher. Je lui rendrai sa plume une fois que je l'aurai retrouvé. C'est pour ça que je suis ici. Je n'ai jamais cessé de le chercher.
Cela n'avait aucun sens, aucun Humain ne fricotait avec les Ailés, et Nawim le savait très bien. Si seulement il pouvait savoir que ces paroles lui étaient destinées... Éris mourrait d'envie de le serrer dans ses bras, fort, pour qu'il comprenne, peut-être, qui il est, sans avoir à le prononcer à voix haute. Les yeux de Nawim remontèrent sur son visage, le choc s'installa doucement sur son visage endurci par ces années à faire la guerre, à protéger tout le monde.
- Éris... murmura soudain Nawim.
Le concerné recula d'un pas, son cœur bondissant dans sa poitrine, il n'en croyait pas ses oreilles. Non non non! Tu vas tout faire foirer! Encore! Merde Nawim dégage de mon chemin!
- Putain je comprends vraiment pas. continua-t-il avec un indice de colère dans la voix.
- Qu... Quoi?
À grands pas, Nawim le rejoignit et saisit son col pour le rapprocher encore un peu plus de lui. Tout le corps d'Éris se chauffa à ce contact pour le moins inattendu. Il sentit le sang remonter jusqu'à ses joues.
- Mais tu ne ressembles pas du tout à Éris. Alors je me répète, et tu as plutôt intérêt à ne pas me mentir, donc fais gaffe si tu veux garder cette tête là. murmura-t-il, son nez à quelques centimètres de celui d'Éris.
- Je vais bientôt la perdre de toute façon, c'était mon but même de venir ici.
- Fais ce que tu veux, mais ne te mets plus en travers de mon chemin, sinon tu es mort. Je sauve des vies alors que toi tu en prends.
Il hocha la tête. Tss... N'inverse pas nos positions...
- Alors tue moi. Je le mérite, après tout, non? Je tue des gens alors que toi, tu les sauves.
- Tu te moques de moi?
Éris secoua négativement la tête d'un air suppliant, un léger sourire au lèvres. Le voir après tant d'années lui faisait le plus grand des biens. Il avait l'impression d'enfin pouvoir respirer, après ces douze ans de torture.
- Tuez-moi, Général Nawim Thra. C'est votre travail, d'éliminer les gens comme moi, non?
Son regard rencontra à nouveau celui du Général. Décharge de désir. Inavouable. Il déglutit.
- Je ne peux pas faire ça. Pas si tu es Éris.
- Alors je ne le serai pas. De toute façon, regarde moi. Je ne ressemble pas du tout à Éris, non?
- Arrête de te foutre de ma gueule putain!
Nawim le secoua, utilisant son col. Éris s'agrippa à ses avant-bras musclés pour se stabiliser.
- Doucement, Nawim..!
- Doucement? Doucement, Éris?? Tu me demandes VRAIMENT de faire doucement?? Alors que tu as disparu pendant DOUZE ANS sans même penser à nous prévenir que tu étais en vie??
Nawim poussa Éris violemment au sol, plus fort que nécessaire, puisque le pauvre Corbel caché dans un corps Humain vola dans les airs avant de s'écraser sèchement sur les tuiles du toit sur lequel ils étaient. Le Général était en colère. Très en colère. Mais sûrement pas plus que toute la colère emmagasinée en Éris durant ces douze années passées sans lui, aux côtés d'Humains.
- Ce n'est pas toi qui a passé douze ans enfermé avec l'espèce que tu détestes le plus, croyant que l'amour de ta vie avait été tué par ces mêmes personnes. Ce n'est pas toi qui doit te déguiser en putain d'Humain pour que tu aies la vie sauve!
Éris se releva, la colère bouillonnait dans ses veines, malgré sa forme Humaine, il ne laissera pas Nawim lui marcher sur les pieds. Cette fois, ce fut le prince qui s'avança vers Nawim, un air menaçant sur le visage.
- Ce n'est pas toi qui n'a plus jamais entendu parlé d'aucun membre de ta famille parce que tu t'es fait kidnapper par une bande de malades.
- Ce n'est pas toi qui a passé douze années de ta vie à pleurer quelqu'un que tu n'aurais jamais dû connaître. Je regrette tellement de t'avoir connu, Éris... Si seulement tu savais comment je te déteste... Comment je me déteste pour t'avoir aimé. Comment je me déteste pour t'aimer encore.
- Alors tue moi putain, tue moi et finissons-en! Je te le demande, ce ne sera même pas un meurtre.
- Demande moi encore une fois de te tuer... Et tu vas souffrir avant d'effectivement trouver la mort. menaça-t-il en s'approchant dangereusement, sa large carrure dépassant d'une tête et demi Comète, le rendant encore plus vulnérable.
- Nawim. J'en ai besoin. Ce corps restera derrière moi, et si j'y arrive à temps, rien ne m'arrivera. Je ne mourrai pas vraiment. Alors fais le. Au moins tu passeras à autre chose, puisque je serai mort à tes yeux. Je suis désolé pour le mal que je t'ai causé durant toutes ces années, tu peux enfin y mettre fin. Mais fait vite, c'est ma seule demande.
Comète avait la tête haute, prêt, tandis que Nawim secoua la tête de droite à gauche avec force.
- Autant me demander de me suicider... murmura-t-il tellement bas qu'Éris cru ne jamais l'entendre.
Ce dernier leva la main et frôla l'oreille gauche de Nawim du bout de ses doigts d'Humain.
- Arrête.
Non. Alors là hors de question. Éris ricana amèrement en continuant de caresser doucement son oreille, la frôlant à peine. Il savait à quel point Nawim y était sensible.
- Va crever en Enfers, Nawim.
Ce dernier arracha soudainement sa vieille plume du cou d'Éris et la planta sauvagement dans le torse de Comète, droit dans son cœur.
✢✢✢
Ses paupières papillonnèrent tandis qu'Éris se réveillait doucement. Il y avait trop de lumière dans la pièce où il se trouvait, il était aveuglé et voulait se rendormir. Mais, prit d'une soudaine panique, il se redressa d'un coup, les yeux grand ouverts et tous ses sens aux aguets. Il était dans sa suite luxueuse de Chef. Le masque qu'il n'enlevait jamais dans son rôle de Chef avait été remis sur son visage. Il observa les alentours, il était seul, ce qui le soulagea. La pièce était comme il l'avait laissée, mis à part une petite plume noire aux reflets bleutés posée près de lui, sur la table de chevet. Il la saisit délicatement entre ses doigts, la tournant doucement en l'observant. Une plume de l'alula... Une des plumes les plus douces et importantes de l'aile... Les plumes venant de l'alula sont aussi appelées rémiges bâtardes, car elles ne servent pas uniquement au vol, et sont plus souples que les autres plumes. Ces rémiges bâtardes sont constituées de plumes asymétriques et amovibles, qui peuvent se soulever pour augmenter ou adoucir l'écoulement de l'air sur l'aile, augmentant ou adoucissant ainsi la portance. L'alula permet de planer sans péril, et d'adoucir l'atterrissage pour amoindrir le risque de chute. Cela lui rappela comment les deux mâles s'étaient perdus de vue, par la chute. Ils étaient tombés, Éris avait cru qu'ils étaient tous morts, ce soir-là, pendant des années, jusqu'à ce qu'il ait entendu parlé des héritiers du royaume Corbelique. Il lâcha un sourire triste. C'était la manière que Nawim avait choisi pour lui dire au revoir à jamais. Éris le comprenait. Il est passé à autre chose. Pas très étonnant...
- À qui est cette plume? demanda une voix.
Orion.
- Un... ami.
- Éris...
- Je sais, je peux tout te dire, et cetera et cetera. Mais je ne m'en sens pas capable. Mon autre est mort. Comète. précisa-t-il.
- Tué par le Général?
- Ouais... Ce Général, parlons-en. Tu te souviens de mon amour d'enfance que j'ai perdu tragiquement il y a une douzaine d'années?
- Nawim? Thra?
- Oui. C'est lui, le foutu Général que je cherche tant à tuer.
- LE Nawim dont tu m'as parlé, tu es sûr!?
- Oui monsieur. Plus sûr que moi, sur ce coup là, c'est compliqué à faire...
Il souffla en visualisant son si beau visage. Ils avaient tous les deux grandis, mais lui était devenu un mâle à la beauté frappante, qui dégageait une aura de dangerosité mais aussi une bienveillance énorme, cachée, mais malgré tout visible aux yeux d'Éris, qui le connaissait depuis sa plus tendre enfance.
- Je sors prendre l'air. annonça-t-il en se levant brusquement.
- Doucement! Tu dois te remettre de ta mort, sinon tu risques gros, et tu le sais!
- Ne t'inquiète pas, je sors juste faire un petit tour dans la cour. dit-il en attachant le cadeau que lui avait laissé Nawim à un anneau, qu'il pendit à son oreille, en sécurisant bien la plume pour qu'elle ne tombe pas. Il fait nuit, tout le monde dort, je ne risque rien. Et puis, tu es là pour me surveiller de loin, n'est-ce pas?
- Sois prudent tout de même, les prisonniers ailés sont parfois vicieux, et je ne voudrais pas qu'un malheureux incident ne se produise...
- Je suis toujours prudent, Orion, tu n'as pas à t'inquiéter, vraiment. Je n'aurai cas m'inventer une autre identité vite fait, que je tuerai une fois que je n'en aurai plus l'utilité, comme les autres.
L'Elfe soupira en suivant le mouvement du masque alors qu'il s'éloignait du visage d'Éris. Ce dernier posa son ornement sur la table basse, comme à son habitude, et prit une forme Humaine, un peu random, qui pouvait passer partout sans retenir l'attention. La nouvelle forme d'Éris sourit à Orion et sortit de sa suite en le saluant de la main. Il claqua la porte derrière lui avant de filer dans les couloirs sombres, tout en repensant à son enfance avec Nawim, se perdant rapidement dans ses souvenirs.
Toc toc toc. Trois petits coups retentirent derrière le rideau, sur les carreaux de ses fenêtres. C'était le signe qu'il était là. J'allai ouvrir la fenêtre, un sourire aux lèvres, lui donnant accès à la chaleur de ma chambre. Le vent frais entra avec lui, me faisant frissonner légèrement. Nawim ferma la fenêtre derrière lui, et ensuite il remit les rideaux en place tout en me souriant.
- Salut! chuchota mon Ophis en entrant sans bruit dans ma chambre.
Je sautai à son cou alors qu'il posait ses affaires dans leur coin habituel. Voilà deux longues semaines que nous ne nous étions plus vus à cause de son entraînement intensif. De plus, il m'avait dit qu'il partait en mission et devait en revenir juste maintenant. Il passa ses bras dans mon dos et me serra fort contre lui, me soulevant de terre. Il coinça son visage dans le creux de mon cou, et son souffle chaud me chatouilla, me provoquant un rire. Il avait encore grandi, lui qui était déjà si grand! Il était un peu plus grand que moi, à présent, et j'étais grand pour mon âge, alors que Nawim avait un an de plus que moi.
- T'es revenu! m'écriai-je dans un souffle, alors qu'il me reposait au sol. Tout va bien? Tout s'est bien passé?
- Très bien même, et toi? Comment tu vas?
J'hochai la tête, un grand sourire imprimé sur mes lèvres.
- Je vais beaucoup mieux maintenant que tu es revenu! Tu m'as énormément manqué. avouai-je doucement, plantant mes yeux dans les siens.
- Toi aussi, tu m'as manqué, petit coeur. dit-il doucement avec un sourire délicat.
Je me sentais bien avec lui, je ne voulais plus jamais qu'il me quitte, plus jamais qu'il ne parte... Je savais que malheureusement, ça ne marchait pas comme ça, et qu'on n'avait pas le choix. Je le tirai vers mon lit, me crashant dessus avec un grand soupir. Il rit doucement avant de me rejoindre en pyjama une petite minute plus tard. Je me blottis contre lui, nos ailes se collant les unes contre les autres. Il se coucha sur moi, la tête dans mon torse. Je mis mes mains dans ses cheveux. Il soupira d'aise et ferma les yeux. Il rentra les ailes, tandis que j'utilisais les miennes pour nous couvrir, nous cachant de l'extérieur, nous isolant dans notre propre petite bulle rien qu'à nous.
- Bonne nuit... murmura-t-il en se lovant contre moi, me serrant fort contre lui.
Mes bras autour de Nawim, je m'endormis en quelques minutes, me sentant en sécurité, si heureux dans cette bulle de paix et d'innocence enfantine encore bien gardée.
Soudain, une ombre tomba sur Éris, le prenant par surprise, le ramenant brusquement à la réalité. Qui osait donc attaquer les gens à une heure aussi avancée de la nuit? Tout le monde dormait! Il fut sauvagement plaqué au sol, sa joue collée contre le sol froid, il fut attaché et relevé très rapidement. La femelle qui l'avait attrapé le fixait d'un regard mauvais. Il déglutit en la détaillant rapidement. Oreilles pointues, canines découvertes dans sa direction, regard de braise. Aucun doute possible, soit ils se faisaient envahir, soit cette femelle était une prisonnière. Et à en juger par le silence du couloir, personne n'était réveillé, à part lui et cette femelle au regard meurtrier. Elle était donc une prisonnière qui venait de s'échapper. Éris maugréa, car la forme Humaine qu'il avait créée quelques instants plus tôt n'avait pas beaucoup de force, et surtout, n'avait pas d'ailes, ce qui n'était pas convénient lors d'un combat contre une furie comme l'Ailée qui le maintenait contre le mur.
- Saleté d'Humain. jura-t-elle d'une voix trop douce pour le ton employé.
Elle le saisit par la gorge et le força à la suivre. Éris lutta pour respirer, quand soudain sa poigne s'en alla pour être remplacée par une lame effilée. Une très jolie femelle au teint basané et aux beaux cheveux noirs comme elle n'aurait jamais dû se retrouver dans ses prisons, si cela se trouvait, elle ne faisait même pas partie de la résistance.
- Maintenant, tu vas me suivre.
Merde merde merde. Bordel, de merde, ce n'est pas possible! Il m'arrive trop de merdes, là, ô dieux, ayez pitié! En plus les Humains vont perdre leur Chef! Faites chier, merde quoi! se plaint-il intérieurement, avant de pousser un gros soupir de résignation. Elle le fit passer devant elle et le guida dans le dédale de couloirs, il se laissa faire, de toute manière, Éris avait bien compris qu'il ne pourrait pas combattre contre cette femelle. Elle était trop forte pour Éris en ce moment-là. Elle le prit soudain par le poignet et le tira vers la plate-forme d'envol en courant. Ses ailes sortirent d'un coup, elle le poussa devant elle avant de le saisir à bras le corps et elle s'envola avec lui dans ses bras. Éris regrettait déjà d'avoir opté pour un si petit gabari...
- Putain, connasse!!
- Répète un peu, l'Humain? dit-elle d'un ton haineux. Répète et je te lâche.
Il ricana intérieurement. Si elle savait. Elle lui mit un truc sur les yeux, une sorte de bandeau.
- On va où? demandai-je.
- Voir la Chef et les Généraux, aux quartiers de l'armée des Ailés. Et arrête de t'agiter.
Les généraux de l'armée des Ailés? Intéressant... Éris sourit. Un mal pour un bien, comme on dit... La partie venait de commencer. Et il allait revoir Nawim... Il sourit un peu plus. Il lui avait vraiment manqué.
- Floralie? appela la voix dans l'oreille de la femelle Ailé qui maintenait toujours Éris fermement.
- Aramis?? Tout va bien?
- Oui, je me suis enfuie! J'ai un soldat Humain avec moi!
- Ah, parfait! Nawim et Cahira vont se faire un plaisir de l'interroger!
Aramis, donc, hein? Jolie femelle, dommage qu'Éris n'aimait que les mâles... Ce dernier ricana.
- Ta gueule, soldat.
- Tu m'amuses, soldate.
- Et en quoi? répondit-elle froidement.
- Parce que je ne parlerai pas. Et encore moins à ces Nawim et Cahira de merde. Je les tue, eux, en deux secondes.
- On verra qui tue qui. Ton nom?
- Quelle impolitesse de ma part... Toutes mes excuses. se moqua-t-il. Je me nomme Éris.
- Voleur de nom... marmonna-t-elle.
Si elle savait... Il rit doucement. Heureusement, ou pas, que son nom de famille ne lui avait pas échappé, sinon sa couverture serait morte.
- Mais aucunement.
- Ferme la, soldat Éris.
- À vos ordres, soldate Aramis.
Elle le fixa d'un air mauvais, ses yeux le menaçant.
- On arrive. annonça-t-elle froidement.
Toujours aveuglé, Éris sentit le sol sous ses pieds alors que la femelle se posait sur une petite corniche, le posant à côté d'elle. Les sens d'Éris, aux aguets, sentirent deux personnes arriver. Une sur leur côté droit, tandis que l'autre sur leur côté gauche. À trois, ils escortèrent Éris jusqu'à la destination finale. Ils se posèrent sur une plate-forme, qui, contrairement à la corniche, était plutôt grande. Lorsque le sol fut de retour pour supporter son poids, le mâle se redressa pour paraître comme le soldat Humain qu'il incarnait. Quelqu'un arracha alors la bande de tissu qui lui couvrait les yeux, et les siens apparurent. Leurs yeux se croisèrent. Ses yeux bleu foncé. Ses yeux bleu clair. Un combat s'engagea alors. Ils se trouvaient sur la plate forme à l'entrée de la montagne. L'énorme ville se dressait sous leurs pieds.
- Aramis, rentre te soigner, te laver et te reposer. Tu as une semaine pour te rétablir, ça devrait suffir. Mais si tu as besoin de plus, tu sais où me trouver, ou où trouver Cahira. déclara le mâle Ophis qui se tenait devant Éris, sans quitter ce dernier des yeux.
- Et l'otage?
- Il va nous livrer quelques informations... Quant aux activités Humaines sur nos terres.
L'Ophis sourit méchamment. Et l'otage grimaça de dégoût en retour. Parce qu'il savait que l'Ophis l'avait reconnu. Éri savait que Nawim savait. Et parce qu'il n'arriverait jamais à le tuer, comme il le cherche depuis tant d'années. Donc en cas de danger, il était mort et enterré, sûrement de la main du Général. Ou tout du moins son corps actuel mourrait.
- Nawim, je fais quoi? Je peux vous aider? demanda une voix féminine, qu'Éris n'avait plus entendu depuis des années.
Il tourna subitement la tête vers la nouvelle arrivante, les yeux grands ouverts. Elle avait, elle aussi, tellement grandi...
- On va l'escorter jusqu'à chez moi. La Chef nous y attend déjà.
La femelle... Non, quelle bêtise... Mira, hocha la tête en fixant avec dégoût.
Mira...
Mira?
Mira!
Ainsi donc ils étaient en vie! Nawim comme Mira! Et Zogan? Était-il là aussi? Il dût retenir des larmes de joie en croisant le regard désobligeant de sa petite sœur. Elle n'avait pas changé d'un poil. Mais que foutait-elle ici? Il sentait qu'un poids immense s'était enlevé de ses épaules. Une autre femelle se posa juste à côté de Mira, lui souriant légèrement, avant que son regard ne se porte sur moi. Elle prit une grande inspiration avant de s'avancer. Son regard vert trahissait sa peur. Nawim porta sa main à son oreille, il portait une radio.
- Floralie? dit-il en s'adressant à la radio, sans quitter Éris des yeux. Mets Astrid et Zogan à l'abri. Le plus loin possible de chez moi. Chez toi, par exemple, c'est une bonne option.
Astrid? Sa mère était donc ici aussi? Il sourit doucement. Il voulait tellement tout leur dire... Hélas c'était impossible. L'option n'aurait même jamais dû traverser l'esprit d'Éris, qui ne voulait que leur crier la vérité. Un silence se fit, la Floralie devait probablement lui répondre, mais Éris était trop loin pour entendre.
- Non! Ça la mettrait en danger! Dis lui que je reviens vite la chercher.
Nawim coupa la communication et se tourna à nouveau vers Éris avec un air neutre. Il soupira et rendit un regard triste à Nawim, un regard teinté de regret et de douleur. Un bras lui saisit soudain un de ses bras, et Nawim prit l'autre, et il fut transporté dans les airs.
- Nawim, je n'en reviens pas que tu me fasses faire ça... Tu sais à quel point j'ai peur et je hais les Humains.
- Il n'est pas Humain. dit simplement Nawim, assez bas pour que Mira n'entende pas, mais assez fort pour que la femelle qui tenait Éris l'entende.
Il se laissa porter par Nawim et l'autre, suivis de Mira. Il se posèrent devant une grande bâtisse sobre mais jolie. La femelle aux yeux verts s'éloigna directement du prisonnier avec un air dégoûté sur son visage, comme si elle allait vomir. Éris ne savait pas trop comment le prendre.
- Chef! On a l'otage avec nous!
Une femelle d'âge mûr, une bonne quarantaine d'années, se dressa devant eux. Elle inspirait le respect. Cette femelle était dangereuse, Éris le sentait à son aura. Mais cette même femelle colla une bise à Nawim en souriant, donnant un contraste étonnant. Un sentiment étrange remua ses entrailles. Pourquoi pouvait-elle le toucher et pas lui..?
- Mira, tu peux aller rejoindre ton frère et ma sœur. dit Nawim en se tournant vers elle. Merci pour tes services.
- De rien.
Sa sœur se retourna et s'envola loin de lui. Encore une fois. Il la regarda partir avec une pointe de tristesse.
- Quoi? Tu la voulais? Elle est pas pour toi, stupide Humain.
Argh, qu'il détestait quand Nawim le traitait comme ça. Surtout que ce connard savait que c'était sa sœur, et qu'il ne voulait que lui parler. Et à en juger par les regards que lui lançait la femelle aux yeux verts, elle avait déjà quelqu'un.
- Aller, avance. dit-il en poussant l'ancien prince devant lui.
Ils entrèrent dans la grande maison, se dirigeant directement vers une pièce spacieuse et lumineuse. Un bureau. Nawim verrouilla la porte derrière eux et sortit une lame blanche de son fourreau. Éris reconnu Zoge. Il l'avait toujours! Il coupa net les liens du prisonnier. Il se massa les poignets en le fixant. Il avait l'air perplexe.
- T'as pas l'air bien dangereux. dit la femelle aux yeux verts.
Les trois Ailés se tenaient devant lui, le jugeant de leurs regards perçants.
- J'ai pas eu le choix.
- De?
La Chef fronça les sourcils.
- D'entrer dans l'Armée Humaine. Je... Notre Chef recrute tous les Humains. Mâle ou femelle.
Nawim fronça les sourcils avant de lui lancer un sourire machiavélique.
- Ton nom?
Il déglutit. Merde. Sa Chef allait peut-être tout découvrir, et l'autre femelle aussi. Elles n'avaient pas l'air bien con.
- Éris. murmura-t-il.
- Éris hein? dit Nawim.
Il hocha la tête, évitant à présent son regard.
- Chef, J'aimerais m'entretenir avec Cahira avec cet Éris.
- Comme vous le souhaitez. Ne l'abîmez pas trop hein, je vais voir comment vont les autres.
- Pas de problème.
Elle sortit. Il sentit son aura diminuer, jusqu'à disparaître. Nawim posa Zoge et s'affala dans un fauteuil près du bureau tandis que Cahira s'assit derrière en mettant le plus de distance possible entre lui et elle.
- Je peux savoir ce que tu fous là, Éris? T'étais mort, je t'ai tué! Je t'avais dit de rester loin de moi bordel de merde!!
Il fixa Éris avec colère. Ce dernier baissa les yeux. La femelle se leva.
- Nawim, ce gars, c'est Éris? Genre, le Éris dont t'es amoureux?
- Étais. précisa Nawim en me fixant méchamment. Mais oui.
- J'ai pas vraiment d'excuse... Je suis le Corbel de l'Armée Humaine.
- Ouais on avait capté, merci. Aller, montre nous ta gueule, Éris.
Son visage était fermé. Il lui en voulait. Éris ferma les yeux et reprit son apparence originelle. Ses cheveux blancs reprirent leur éclat pour la première fois depuis longtemps. Depuis douze ans... Nawim me fixa avec les yeux brillants larmes.
- Éris... murmura-t-il. T'es dans une grosse merde.
- J'en ai conscience...
- Je peux pas te ramener là bas, t'es au courant?
Le jeune prince déchu hocha la tête.
- Parce que je veux les détruire. C'est eux qui nous ont attaqués... Et t'étais sur mon chemin. J'avais besoin de tous les Humains, et toi, tout ce que tu fous, c'est tous les tuer! Maintenant ils ont peur d'entrer dans l'Armée.
- Pourquoi t'es avec eux? demanda la femelle en s'approchant.
Plus aucune peur ne se montrait, elle avait un air déterminé sur le visage.
- Éris Wyten. Tu es le frère de Mira.
- Oui, enchanté de te rencontrer. Et tu es?
- Cahira Thornberry.
- Ton plan est foireux, Éris.
- Je sais bien...
- Et ce n'est pas une bonne solution. La meilleure serait de faire une trêve avec les Humains et de les renvoyer dans leur monde. Qu'ils arrêtent de s'approprier nos terres.
- Nawim, tu sais très bien qu'on y arrivera jamais!
- Bien sûr que si! Réfléchis, Éris! Qui es-tu? Hein? Le Chef des Humains. Alors c'est toi qui prends les décisions.
Il hocha lentement la tête, pensif.
- On fait quoi?
- Je te fais évader cette nuit et tu reviens plus jamais près de nous. Je veux une trêve entre les trois royaumes. Après ça, je te considérerai comme mort. Pour de bon.
- Nawim...
- Non. Je t'emmène en prison. Ne t'avise plus de m'adresser la parole après ça.
Non non non... Pas lui... Pas maintenant qu'il l'avait à nouveau sous les yeux... Putain il est trop important. Il se rapprocha de lui. Il faisait une tête de plus qu'Éris. Ce dernier se colla presque à Nawim et leva la tête pour le regarder droit dans les yeux. Putain il avait grandit. Il saisit le col de Général et se mit sur la pointe des pieds.
- Éris...
- Nawim.
- Je vais me marier à ta sœur. Alors arrête ce que tu es en train de faire.
- Pourquoi? Mais pourquoi bordel! Tu peux pas me faire ça! Pas après tout ce temps!
- Tu crois vraiment que j'ai le choix? Ta mère est morte! Ta mère est morte en me demandant de marier ta sœur! Pas toi, Éris, pas toi. Toi, t'es mort. Trouve quelqu'un d'autre, parce que moi, je ne peux pas. Je ne veux pas!
Éris retomba sur ses talons, sa déclaration ayant pulvérisé tous espoirs et toute joie de les revoir tous en vie.
- Nawim...
- Écoute, Éris, fais pas chier, ok? C'est pas possible, désolé, mais c'est comme ça!
Il lâcha son col et recula d'un pas en reprenant sa forme de soldat.
- Alors tue moi.
Un éclair de colère passa dans ses yeux. Sans même que le prince ne puisse le voir, sa main atterrit sur sa gorge, et le mur lui fouetta le dos. Il poussa un cri de douleur mêlé de surprise. Il étouffait.
- Éris Éris Éris... Si je ne te tue pas, c'est parce que tu es important, mais surtout parce que j'en serais incapable. Si tu veux me tuer, je t'en prie. Mais tu me suivrais dans la mort. De plus, je t'ai demandé d'arrêter de me demander de te tuer, que je sache.
- Zoge... et Yoseki... Tu les as toujours...
La main du guerrier raffermit sa prise sur la gorge.
- Juste par intérêt. Elles me sont utiles. Ne va pas croire des choses, Éris.
- Tu m'as pourtant... donné une plume...
Il leva les yeux vers lui, emplis de larmes.
- Et alors? Ça ne change rien.
- Tu m'aime... encore..?
- Non.
Sa réponse était sèche, claire et glaciale. Compris. Éris ferma les yeux en détendant son corps. Qu'il le tue. Son monde se résumait à un nom. Nawim. Et il venait d'en être privé. Il avait détruit son monde.
- Très bien, Général Thra.
Ce dernier le prit par l'échine, comme toute à l'heure, et le tira dehors.
- Cette nuit je viendrai. Ne me trahis pas.
Il s'envola avec le prince dans sa main et fila aux prisons. Il le jeta sans considération dans une cellule froide. Éris le regarda verrouiller la porte sans émotions. son cœur était brisé.
✢✢✢
Il était venu le chercher. Il l'avait transporté tout près du camp Humain, d'où venait Éris, avant de repartir. Sans émotion. Sans un regard. Comme s'il était juste un colis à délivrer. Pas un au revoir. Pas un signe. Éris regagna son palais et alla dans sa chambre luxueuse. Orion y était encore, probablement à l'attendre.
- Éris? Tout va bien? Tu as disparu d'un coup, sans prévenir!
- Ouais ouais. répondit-il sans conviction.
- T'es en vie. soupira-t-il, soulagé. Je m'inquiétais...
Éris ricana doucement, amèrement.
- Que tu crois. Mon corps est bien vivant.
Il secoua la tête, fermant les yeux en prenant une grande inspiration, se laissant tomber dans son canapé.
- Mon esprit est mort. Mon monde est détruit. Il a complètement détruit mon monde, une nouvelle fois.
Éris rouvrit les yeux, croisant le regard de son ami, le fixant de ses prunelles vides.
- Mon esprit et mon âme ont été lacérés.
Parce que je suis malade. La maladie d'amour... Celle qui le rongeait en silence depuis tant d'années déjà. Il rit doucement, amèrement, son esprit se perdant à nouveau dans le souvenir de ces prunelles d'un doux bleu foncé.
- Je crois que je suis malade, atteint d'une maladie incurable... J'en mourrai probablement. Elle me tue de l'intérieur, rongeant chaque partie de mon âme, les dévorant voracement, rapidement. Il ne restera bientôt plus rien de moi. L'amour tue, tu sais? Je suis amoureux de la mauvaise personne... Elle m'a abandonnée sans donner le moindre signe de vie ou d'amour.
Il planta ses ongles dans sa chair avec force, serrant les dents à tel point que sa mâchoire en tremblait, son regard s'assombrissant, se vidant de tout espoir.