Il était toujours endormi dans sa chambre lorsque quelqu'un toqua à sa porte. Il était dans son petit cocon, confortablement installé dans son lit, il ne cilla même pas au bruit, trop profondément endormi. On toqua une deuxième fois. Puis on tenta d'entrer, mais la porte était fermée à clé depuis quelques jours déjà. Nawim s'était enfermé de manière à ne voir personne. La personne força la porte avant qu'une petite explosion se fasse entendre. La porte, ouverte, alla taper contre le mur, le loquet fumant, une petite silhouette entra, la lumière aveuglait Nawim, qui s'était à demi réveillé.
- Bien dormi? demanda une voix féminine d'un ton neutre en fixant le guerrier de haut. Debout.
- Mira. dit-il d'une voix rauque, de laquelle n'émanait qu'une colère amenuisée par la fatigue. Je t'ai déjà dit de me laisser tranquille.
- Non, Nawim, je ne le ferai pas. Et tu sais pourquoi? Parce que t'as un putain d'engagement avec moi, une promesse faite à ma mère. Et t'as plutôt intérêt à t'y tenir, je ne tolèrerais pas que tu salisses le nom de ma mère.
- Je n'ai pas de temps pour toi, Mira... soupira le guerrier.
Il tenta de s'asseoir tant bien que mal, affrontant le regard presque meurtrier de la jeune princesse. Là, maintenant, il pouvait le sentir. La peur d'une proie face à son prédateur. Nawim se sentait presque en danger.
- Ça fait combien de temps que tu n'as plus mangé? demanda la jolie femelle.
Nawim ne répondit rien. Elle connaissait déjà sa réponse et ne l'appréciait pas.
- Putain, Nawim... Si tu ne prends pas soin de toi, comment veux-tu vivre? dit-elle en croisant ses bras, l'inquiétude perçant dans son regard..
Nawim se redressa d'un coup, plus du tout fatigué, Mira recula légèrement, elle ne s'attendait pas à un mouvement si brusque de la part du Général amorphe.
- Mais tu comprends pas, Mira, comment le pourrais-tu? Je ne vis plus! Bordel je suis mort! C'est bon? C'est imprimé dans ta caboche, ça?? T'en as pas marre de me casser les couilles!?
Elle avait sursauté. Elle s'assit à côté de lui en se pinçant le nez. Elle n'était pas loin de lui, mais semblait garder un maximum de distance avec Nawim.
- Dis-moi ce qu'il se passe. Sans te dérober, sans me renvoyer d'ici. On s'inquiète pour toi, Nawim, Cahira se demande ce qui ne va pas, même si elle est très occupée...
Un silence s'installa pendant quelques minutes, Nawim s'assit au bord de son lit, se rapprochant un peu de Mira. C'était subtil, mais elle s'était tendue à ce moment-là. Il triturait ses mains, évitant le regard de la jeune femelle, qui semblait peser sur lui.
- Il se passe que je suis amoureux. avoua-t-il enfin, dans un souffle à peine audible.
Mira lui lança un regard d'incompréhension. Était-il donc tombé amoureux d'elle? Cela pourrait lui être utile. Il ne fallait pas oublier que d'ici quelques semaines, sa tête sera sur le bureau de son Boss.
- Non, pas de toi. De ton frère. précisa-t-il après un moment d'hésitation.
- Hein? Zogan? Mais il est bien trop jeune! C'est pour ça que tu es si désespéré!? C'est dégueulasse, Nawim! s'insurgea la jeune Princesse.
- Non, ton autre frère! Arrête de trop vite tomber sur une conclusion qui ne fait aucun sens.
- Tu parles d'Éris?
- Ouais, Éris.
- Mais il est mort...
- Que tu crois. C'est qui tu crois qui s'est fait capturer? Le soldat Éris, là?
- Le soldat? C'était mon frère? Mais ce n'est pas possible!
- Si. Son pouvoir c'est de changer de forme. Il se déguise en ce qu'il veut, du moment que c'est vivant et articulé.
- Mais d'où t'es amoureux de lui?
- Parce que je le suis depuis le jour où nos regards se sont croisés pour la première fois. On a eu une petite idylle vite interrompue par sa soi-disant mort... Et là il se ramène? Je l'ai fait évader, pour qu'il se casse. Je ne veux plus le voir.
- Et... Il t'aime aussi du coup?
- Ouais. Encore aujourd'hui malgré toutes ces années qui sont passées.
- Mais putain, qu'est-ce que t'es con! Vous vous aimez mais vous vous ignorez? Putain, mais réfléchis bordel! T'es vraiment trop con parfois, Nawim! Ça me sidère!
Elle se leva, son être débordait d'une colère qu'elle-même ne comprit pas, et sortit en claquant la porte de la chambre. Elle avait raison. Mais il était égoïste. Alors il l'oubliera. Et ils vivront. Dans leurs souvenirs. Nawim finit par se lever à la suite de Mira et verrouilla la porte. Il ne voulait plus être dérangé... Mais le loquet était foutu. Brûlé, il ne fonctionnerait pas tant qu'il demandait à Cahira de le réparer...
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Un jour. Une semaine. Deux semaines sans nouvelles du monde extérieur. Peut-être toute une vie. Mira n'était pas revenue depuis sa dernière visite, et Nawim se sentait seul. Il était enfermé dans sa chambre. Jour et nuit. Il n'avait aucune idée de l'heure, ni de la date, ni même pourquoi il était là, seul, dans le noir le plus total, enfermé dans le cocon que formait ses ailes noires comme nuit. Tout ce qu'il savait c'est que c'était confortable et qu'il ne voulait plus jamais bouger de là. Il n'avait plus aucune forme d'énergie, il était vidé. Des rivières creusaient ses joues barbues, la douleur dévorant entièrement son être. Ses larmes ne semblaient pas vouloir se tarir, comme une rivière à la source inconnue. Parfois, il ne savait même plus où il était. Et c'était très bien comme ça. Il ne voulait pas savoir. Il ne voulait rien savoir. Il était déconnecté de ce monde. Et il était piégé. Dans son monde.
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Sa vie etait un putain de bazar qu'il haissait du plus profond de son cœur... Sentiments partout où il allait, douloureux souvenirs, pensées sombres, envie d'être tout seul, être silencieux, triste, être parfois faussement heureux, choses qu'il n'a pas envie de faire, l'amour... Il n'avait plus l'envie de vivre, il avait envie de délaisser... Tout. Tout le monde. Juste être seul avec lui-même. Il avait l'impression qu'il avait besoin d'une pause... Problème? Il ne pouvait pas. Mais il avait envie de tout quitter et juste s'en aller, s'enfuir. Sinon, il ne survivrait peut-être pas... Il avait besoin d'espace, mais personne ne le lui a jamais donné au bon moment. Il était seul quand il voulait quelqu'un près de lui, et il était entouré quand il avait envie d'être seul. Il voulait s'exprimer, mais il avait peur. Comment les gens vont-ils le prendre? Il n'avait plus l'énergie de se lever, ni de parler à quelqu'un, ni de rien du tout. Ses pensées sombres le bouffaient de l'intérieur, lui prenant toute son énergie. Il se battait contre elles, mais en vain, elles étaient trop fortes, tellement nombreuses, que même le grand et respecté guerrier qu'était Nawim, ne put rien faire contre elles. Elles l'avalèrent, le soumettant à leur pression impressionnante. Il était fatigué, tellement fatigué de se battre, il n'en pouvait plus. Éris était la seule chose qui pourrait le sortir de cette misère. Mais il n'était pas là. Et ne le sera plus jamais. Nawim savait qu'il avait besoin d'aide... Mais il ne savait pas quel genre d'aide. Il avait juste besoin de quelqu'un qui le comprenait, qui l'accepterait tel qu'il était, brisé et impuissant. Il avait besoin de quelqu'un qui l'aime, qui prenne soin de lui... Il avait besoin d'amour, mais il n'en avait pas... Parce qu'il en demandait trop. Il n'avait plus envie d'aimer, ni d'être aimé. Ça lui faisait, mal, si mal... Il n'avait pas envie de vivre ça à nouveau...
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Un bruit provenant de la porte de sa chambre se produit soudain. La porte s'ouvrit dans un claquement sonore et la lumière, même faible, attaqua les pupilles de Nawim. Voilà un mois qu'il n'avait plus vu la lumière. Un petit groupe de personnes entra. Ils ne dégageaient que de la colère et une sorte de frustration, ainsi que de la tristesse, de la pitié et un peu de peur. Il s'assit difficilement en fronçant les sourcils, les ailes affaissées dans son dos, les oreilles basses, prêt à prendre la parole, quand soudain, une paume trouva sa joue couverte d'une barbe fournie.
- Réveille toi, Nawim! Bordel, mais réveille toi et va chercher mon frère!!
Sa tête s'était violemment tournée sur le côté. Il la redressa doucement. Et regarda Mira. Puis Zogan. Puis la Chef. Puis Cahira. Puis Eden. Et Floralie. Il se leva doucement, les jambes légèrement tremblantes.
- Dégagez. Je ne veux voir personne. Dégagez putain!
Mira et son frère reculèrent face à son agressivité soudaine.
- Laissons le. déclara la Chef. Ça ne vaut pas la peine d'insister. On trouvera une autre solution.
- C'est ça, barrez-vous.
Ils partirent tandis qu'il se recouchait dans son lit. Après cette altercation, toutes ses forces étaient définitivement éteintes. Sa flamme n'était plus.